Histoire de Jonvelle/Villars-Saint-Marcellin


VILLARS-SAINT-MARCELLIN


On lit dans une charte de l’an 880, qu’un riche Bourguignon nommé Aigard et son épouse Rotlende, cédèrent à l’abbaye de Bèze tous leurs biens situés à Villars, dans le comté de Port. Plus tard, en 1092, époque de la fondation de l’abbaye de Saint-Vincent à Besançon, par l’archevêque Hugues III, le prieuré de Villars fut donné à ce monastère pour faire partie de sa dotation, et il ne cessa de lui appartenir jusqu’à la suppression des ordres religieux. L’archevêque Humbert, dans une charte confirmative des biens de la même communauté, lui accorde Sa possession de plusieurs églises, parmi lesquelles se trouvent mentionnées celles de Saint-Marcellin, de Senaide, de Fresne-sur-Appance et la chapelle de Plainemont (1140)[1]. Du reste, l’antiquité du prieuré de Villars est incontestable. Les habitants du lieu s’en prévalaient dans un procès qu’ils soutinrent en 1683 et dans les années suivantes, contre l’abbé de Saint-Vincent, qui leur réclamait le seizième du vin. Les religieux convenaient eux-mêmes qu’une maison prieurale de leur ordre, détruite depuis plus d’un siècle, avait existé à Villars, et qu’on en voyait encore les ruines.

Les bénédictins possédaient là sept ou huit sujets et la dîme sur les trois quarts du village : le reste appartenait à la seigneurie de Jonvelle. Les archives du prieuré nous révèlent une particularité qui n’est pas sans intérêt : c’est que la plantation du tabac était pratiquée à Villars dès le commencement du siècle dernier. Plusieurs habitants, pour se soustraire à certaines redevances envers l’abbé de Saint-Vincent, avaient remplacé la culture des céréales, sujette à la dîme, par celle du tabac, qui en était encore exempte. Les bénédictins, qui réclamaient aussi cette dîme, furent déboutés par un arrêt du 13 décembre 1718, sauf, en cas de fraude, à se pourvoir en règlement. Le parlement préjugeait par là que, s’il y avait abus, la dîme du tabac serait due, quoique insolite par rapport à la qualité du fruit[2].

Villars dépendait en toute souveraineté de la baronnie de Jonvelle ; mais nous voyons, à différentes époques, des seigneurs particuliers y posséder des arrière-fiefs. Ainsi, en 1248, Olivier de Villars, damoiseau, vend à l’abbaye de Clairefontaine pour quatre-vingts livres éstevenantes ses domaines d’Anchenoncourt[3]. En 1249, Humbelin, Adon et Sara donnent leurs possessions de Villars au prieuré, pour le soulagement d’Elisabeth, leur mère défunte, et pour celui de leur âme après leur décès. La même année, en présence des abbés de Cherlieu et de Vaux-la-Douce, Erard de Provenchères et Henri, son petit-fils, reconnaissent avoir vendu, pour vingt-six livres estevenantes, au même prieuré les grosses et menues dîmes qu’ils tenaient à Villars comme fiefs des religieux. En 1258, Lembert de Bays et Ayceline, sa femme, de Villars, leur cèdent, pour trente-une livres estevenantes, la sixième partie des dîmes qu’ils avaient en fief du couvent.

Mais le plus connu des seigneurs de Villars fut Jacques de Saint-Cry, co-seigneur de Bourbonne, Né d’une illustre famille de Lorraine, il avait épousé en premières noces Jacquette de Raincourt (1510), fille de Pierre de Raincourt et de Jeanne de Guyonvelle ; et en secondes noces Françoise de Moustier (1540). Maître libéral, il accorda des lettres de franchises à ses sujets, qui étaient alors au nombre de trente-six, et il les mit sur le même pied que ceux du roi, moyennant une légère redevance (1549-4530). En vertu de cette concession, ils purent à leur gré faire tous les contrats et toutes les transactions nécessaires, disposer de leurs biens par donations entre-vifs et par testaments, se marier où bon leur semblerait, enfin hériter, selon les droits du sang, en ligne directe et collatérale. Du reste, cet affranchissement, octroyé après une peste qui, en trois années, avait fait périr plus de trois cents habitants, avait pour but de réparer les malheurs de ce fléau, de diminuer les charges des survivants et d’encourager les étrangers à venir repeupler le pays. Chevalier renommé par son courage, Jacques de Saint-Cry avait un cheval qui, dans le combat, attaquait des pieds et de la bouche les ennemis de son maître, comme s’il eût compris d’instinct ses inclinations guerrières. Cet intrépide soldat, que la mort avait épargné sur les champs de bataille, périt assassiné dans le calme de la retraite. Se promenant un jour à l’ombre de ses bosquets un livre à la main, il fut blessé mortellement de deux coups d’arquebuse partis du clocher. Cet odieux guet-apens était l’œuvre des co-seigneurs de Villars et de Bourbonne, que la jalousie avait armés contre lui. La victime se relève, inondée de sang, fond sur ses meurtriers, et l’un d’eux tombe sous ses coups. Mais Saint-Cry retombe avec lui pour ne plus se relever. Son corps repose dans l’église paroissiale.

Jacques de Saint-Cry ne laissait qu’une fille, nommée Gabrielle, qui épousa Pierre, seigneur de Grilly en Savoie, chevalier de l’Annonciade. Celui-ci, après la mort de son beau-père, hérita de ses seigneuries de Villars et de Bourbonne. Nicole de Grilly, leur fille, fut mariée, en 1586, à René II de Poinctes-Gevigney, un des aïeux de M. le comte Charles-Amédée de Poinctes-Gevigney.

En 1665, la seigneurie des Grilly à Villars se composait d’un château-fort avec tours et fossés et de quatre-vingt-huit sujets affranchis. A cette époque, elle était déjà rentrée par voie de rachat dans le domaine royal de Jonvelle.

Joachim de Bonnay, successeur des seigneurs de Voilleran, avait aussi sa part dans la seigneurie de Villars, et siégea plusieurs fois aux états généraux de la province. Sa famille est représentée aujourd’hui par Mme veuve de Bonnay-Renty, née du Houx, et Mlles Lucie, Valentine et Marie de Piépape, ses petites-filles.

Villars-Saint-Marcellin n’avait que cent vingt feux en 1665. Un maire et des officiers royaux y rendaient la justice.

L’église, érigée sous le vocable de saint Marcellin, prêtre et martyr, dépendait de l’abbé de Saint-Vincent, qui en était le curé primitif. Son antiquité et surtout sa crypte remarquable l’ont fait classer parmi les monuments historiques (40 février 1843). Elle est construite sur le revers oriental du coteau qui porte le village en amphithéâtre. On y descend par sept marches, tandis que le pavé du chœur s’élève de cinq ou six mètres au-dessus du sol extérieur. Cette différence de niveau a été utilisée pour la construction de la chapelle souterraine, qui est la partie la plus intéressante de l’édifice. Cette église se compose d’une nef plafonée, de construction récente, d’une abside circulaire et d’une travée de voûte en avant de l’abside, ayant à droite et à gauche un transept qui donne au monument la forme d’une croix latine. Ses parties les plus anciennes sont du douzième siècle.

La crypte mesure dans œuvre environ huit mètres et demi sur neuf. Sa voûte, qui a un peu plus de trois mètres sous clef, est supportée par des pilastres et par douze colonnes monolithes, alternativement cylindriques et octogones, avec des chapiteaux légèrement sculptés. Au fond de l’abside, deux autres colonnes encadrent l’autel. Cette chapelle, éclairée par neuf fenêtres longues et étroites, renferme un autel en pierre fort ancien. On y voit deux sarcophages en pierre placés l’un sur l’autre, dont l’un renferme encore des ossements. Le couvercle du tombeau supérieur est orné de bas-reliefs, mais sans aucun symbole ni inscription. On pense que ces tombeaux ont servi de sépulture à quelques seigneurs de la localité, fondateurs ou bienfaiteurs de la chapelle. La dévotion envers le saint patron de la paroisse attirait autrefois, le jour de sa fête, une affluence considérable de pèlerins qui venaient lui demander la santé, surtout pour les enfants ; et souvent le Ciel s’est plu à récompenser leur foi par des faveurs signalées.

  1. Spicilège d’Achéry ; cartulaire de Saint-Vincent ; pouillé du diocèse de Besançon,
  2. DUNOD, Observations sur la coutume du comté de Bourgogne
  3. V. page 72