Dezobry & Magdeleine (p. 49-63).

CHAPITRE VI


Démembrement de l’empire carlovingien. — Progrès de la féodalité. — Origine de la monarchie française. — Une nouvelle dynastie, celle des Capétiens, remplace la dynastie Carlovingienne.

Louis I, dit le Débonnaire, 814-840. — Charles-le-Chauve, 840-877. — Louis II, dit le Bègue, 877-879. — Louis III et Carloman 879-884. — Charles-le-Gros, 884-887. — Eudes, 887-898. — Charles III, dit le Simple, 898-924. — Raoul, 924-936. — Louis IV, dit d’Outre-mer, 936-954. — Lothaire, 954-986 — Louis V, dit le Fainéant, 986-987.

77. caractère de louis-le-débonnaire. — Louis avait déjà montré, comme roi d’Aquitaine depuis plus de trente ans, combien son gouvernement serait faible. D’une bonté trop facile envers les comtes et les barons de son royaume, il leur avait distribué tout avec profusion, terres et biens ; rien ne lui restait, dit son biographe, à peine sa bénédiction. Dès qu’il eut succédé à son père, les liens de l’autorité commencèrent à se relâcher. Les peuples soumis se soulevèrent ; les Saxons et les Aquitains obtinrent de notables concessions ; enfin un nouveau pape fut élu sans que l’empereur eût été même consulté, comme cela avait été réglé par Charlemagne et avait toujours eu lieu sous son règne. Dès ce moment aussi, l’on put prévoir que le démembrement du vaste empire fondé par Charlemagne était inévitable.

78. Causes de décadence. — La première cause de cette dissolution imminente, c’était le désir qu’avaient les peuples de se séparer en nations distinctes. Une seconde causa fut la faiblesse de l’empereur pour ses enfants ; Louis, que ses contemporains ont surnommé le Pieux et que l’histoire appelle le Débonnaire, excita lui-même l’ambition et les révoltes de ses fils par les partages qu’il fit entre eux a plusieurs reprises. Comme troisième et dernière caus nous pouvons indiquer les invasion des Northmans, des Sarrasins et des Hongrois, qui assaillirent presque périodiquement l’empire, surtout dans la seconde moitié du IXe siècle.

79. premier partage. révolte de bernard. — Louis-le-Débonnaire fit en 817 un premier partage de l’empire entre ses fils. Il s’associa son fils aîné Lothaire, qui prit le titre et exerça l’autorité d’empereur conjointement avec son père. Pépin, le second, fut roi d’Aquitaine ; Louis, le troisième. roi de Germanie ; Bernard fut confirmé dans la possession de l’Italie que Charlemagne lui avait donnée. Ces trois princes devaient reconnaître la suprématie de Lothaire comme celle de Louis-le-Débonnaire. Bernard protesta les armes à la main contre ces dispositions. Fils d’un frère ainé de Louis, il voulait bien obéir à son oncle ; mais il se considérait comme l’héritier légitime de l’empire après lui, et à ses yeux c’était renoncer à cette expectative de la couronne impériale que de reconnaître la suprématie de son cousin Lothaire. Louis marcha contre lui, et le dépouilla du royaume d’Italie, qu’il donna à son fils aîné.

80. mouvement des peuples barbares. — En même temps, les peuples barbares situés sur les frontières de l’empire, et que Charlemagne avait soumis et contenus, s’apercevant que la main du grand empereur n’était plus levée sur eux, remuaient de nouveau. Les Slaves et les Bulgares, sur les rives du Danube et dans les contrées qui forment maintenant la Bohème et la Hongrie ; les Danois au N., dans les presqu’île du Jutland ; les Northmans, sur toutes les côtes de la France et par l’embouchure de tous les grans fleuves ; les Sarrasins, sur tous les rivage de la France du sud et de l’Italie, insultaient, envahissaient l’empire carlovingien.

81. l’impératrice judith de bavière — second partage — Au moment où Louis-le-Débonnaire avait le plus besoin de fortifier son pouvoir et de prévenir toute division intestine, afin de mieux résister aux attaques du dehors, il ne craignit pas d’exciter le mécontentement de ses fils, pour satisfaire l’ambitieuse Judith de Bavière, qu’il avait épousée après la mort de l’impératrice Ermengarde. Il modifia, en 829 le partage qu’il avait fait douze ans auparavant, dépouilla Lothaire etLouis d’une partie de leurs États et de ces provinces, démembrées il composa un apanage pour le nouvel héritier, que lui donna Judith, et qui est connu dans l’histoire sous le nom de Charles-le-Chauve.

82. révolte des fils de l’empereur ; dégradation solennelle de louis. — Ce fut l’occasion de la première révolte des fils de Louis-Ie-Débonnaire. L’empereur, poursuivi et emprisonné par ses propres enfants, fut deux fois obligé de renoncer à la couronne. On alla jusqu’à lui infliger la honte d’une dégradation solennelle. Dans une assemblée d’évêques et de nobles tenue à Saint-Mèdart de Soissons en 833, on lui lut une longue liste de fautes et de pécbés, dont il se reconnut coupable et dont il demanda pardon. Ensuite il dépos lui-même son épée, reçut des évêques l’habit de pénitent, et fut déclaré indigne de la royauté.

83. mort de louis-le-débonnaire, 840. — Il ne tarda pas à être rétabli sur le trône ; mais il eut aussitôt de nouvelles révoltes à combattre, et il mourut dns une expédition où il avait pour alliés Lothaire et Charles-e-Chauve, contre son autre fils Louis-le-Germanique et son petit fils Pépin II qui s’est fait proclamer roi d’Aquitaine à la mort de son père en 838.

84. bataille de fontenai, 841. — Lothaire se sépara aussitôt de Charle-le-Chauve et s’unit à Pépin II contre ses deux frères. Une bataille sanglante eut lieu entre les deux armés à Fontenai, dans les environs d’Auxerre ; Lothaire et Pépin furent défaits. Mais les vainqueurs eux-mêmes se trouvèrent si affaiblis, qu’ils ne purent profiter de leur victoire.

85. serment de strasbourg[1]. — Charles-le-Chauve, Louis-le-Germanique renouvelèrent leur alliance dans une entrevue qu’ils eurent l’année suivante à Strasbourg. Là, dans une grande plaine qui touche à la ville, en présence de leurs armées, les deux frères se promirent mutuellement fidélité. Louis prononça le serment en langue romane[2] pour être compris des soldats de son frère qui parlaient cette langue. Charles le prononça dans la langue tudesque ou teutonique[3] que parlaient les Allemands de l’armée Germanique.

86. traité de verdun, 843. — Effrayé par cette alliance entre les Germains et les Francs, Lothaire ne voulut pas soutenir plus longtemps la lutte ; il proposa de régler d’un commun accord ce qui appartiendrait à chacun de ses frères et à lui. Le traité de Verdun en 843 décida irrévocablement le principe du partage de l’empire. Toute la partie de la Gaule située au couchant de la Meuse, de la Saône et du Rhône, et le nord-est de l’Espagne entre les Pyrénées et l’Ebre furent abandonnés à Charles-le-Chauve : ce fut le royaume de France. La Germanie tout entière fut assignée à Louis le-Germanique. Lothaire eut l’Italie, et de plus cette longue et élroite bande de terre qui s’étend depuis le golfe du Lion jusqu’aux bouches du Rhin et de l’Escaut, entre le Rhône, la Saône, la Meuse et l’Escaut d’un côté, les Alpes et le Rhin de l’autre ; on l’appela depuis Lotherrègne[4], c’est-à dire royaume de Lothaire. Pépin fut sacriiiè et complètement oublié dans ce partage : l’Aquitaine lui fut enlevée pour être réunie aux États de Charles-le-Chauve.

87. origine des états modernes de france, d’italie et d’allemagne. — Ainsi furent séparés l’un de l’autre, ainsi naquirent véritablement les trois États modernes de France, d’Italie et d’Allemagne. C’est donc en l’année 843 que finit l’histoire de la monarchie franque et que commence celle de la monarchie française.

Le clergé seul regretta l’unité de l’empire ainsi détruite. « Autrefois, dit le diacre Florus, poëte contemporain, un bel empire florissait sous un brillant diadème ; il n’y avait qu’un prince et qu’un peuple… Déchue mainienant, cette grande puissance a perdu tout à la fois son éclat et son nom d’empire ; le royaume si bien uni jadis est divisé en trois lots ; il n’y a plus personne qu’on puisse regarder comme empereur ; au lieu d’un empereur, nous avons trois roitelets ; au lieu d’un empire, trois morceaux de royaume. Le bien général est oublié ; chacun s’occupe de ses intérêts… Et l’on se réjouit d’un pareil déchirement ! »

88. Traité de Mersen. — Le démembrementde l’empire carlovingien ne devait pas s’arrêter là. Un nouveau traité, conclu à Mersen sur la Meuse (831) régla que chacun des fils de Charles-le-Chauve, de Louis-le-Germanique et de Lothaire, succéderait pour une part égale à son père, et consacra le principe de partages incessamment renouvelés. Ainsi fut, pour ainsi dire, organisée la dissolution de l’empire ; ainsi tomba pierre par pierre l’immense édifice élevé par Charlemagne.

89. Anarchie et invasions. — De nombreux symptôme d’affaiblissement et de décadence marquent la période qui va suivre. On dirait que, par un étrange concours de circonstances, la famille de Charlemagne devient plus incapable de gouverner à mesure que les États soumis à sa puissance s’amoindrissent et se fractionnent. À la faveur des discordes civiles, les seigneurs étendent leur autorité et leur juridiction, empiètent sur le domaine et sur les droits de la royauté. Les comtes, délégués par le roi pour le gouvernement des provinces, affectent l’indépendance et prétendent à l’hérédité de leurs charges. Enfin les évêques deviennent des souverains presque absolus au temporel comme au spirituel. Au milieu de cette anarchie, les barbares infestent les frontières des trois royaumes carloviogiens. Mais le royaume de France est le plus malheureux. À l’O., les Bretons insoumis luttent pour leur indépendance ; au S.-O. les Aquitains révoltés en faveur de Pépin II, repoussent la clause du traité de Verdun, qui assigne leur pays à Charles-le-Chauve ; sur toutes les côtes, les Northmans reparaissent plus audacieux que jamais et font des invasions presque périodiques.

90. Ravages des Northmans. — Partant du Danemark ou du sud de la Suède et de la Norvège, ces pirates arrivaient avec leurs barques légères aux embouchures des grands fleuves, s’établissaient sans peine dans quelque île ou sur quelque rivage qui leur était abandonné, tous les habitants fuyant à leur approche. C’était là leur entrepôt et leur lieu de réunion ; de là ils remontaient le fleuve dans une rapide incursion jusqu’à une grande ville, qu’ils livraient au pillage, et ils s’avançaient ensuite peu à peu dans les terres, portant partout le fer et la flamme. Ils avaient trois stations principales : celle de la Seine, celle de la Loire et celle de la Garonne.

Dès le commencent du règne de Charles-le-Chauve, les Northmans de la Seine, établis à l’île d’Oisel, pénétrèrent à Rouen et s’avancèrent même jusqu’à Paris, où ils profanèrent quelques églises et les dépouillèrent de leurs ornements d’or et d’argent. Non seulement Charles-le-Chauve ne sut pas repousser leurs attaques ; mais il eut la faiblesse d’acheter leur départ à prix d’argent : c’était les engager à revenir, ils revinrent en effet, et s’établirent à Saint-Denis.

les Northmans de la Loire occupaient l’île de Noirmoutier. Favorisés par un ennemi du duc de Bretagne, ils pénétrèrent facilement dans ce pays, et le ravagèrent jusqu’à l’arrivée de Robert-le-Fort, comte d’Anjou et duc de France, qui périt en les combattant près de Brissarthe[5] (866), mais qui du moins châtia leur audace et délivra pour un temps la Bretagne de leurs ravages. L’inhabile Charles-le-Chauve ne sut pas continuer son œuvre. La Loire conduisait ces pirates dans le cœur même de la France ; ils ne manquèrent pas d’aller piller les cités florissantes de Nantes, Angers, Tours et Orléans, que leur position si avantageuse avait peuplées de riches commerçants.

Les Northmans de la Garonne poussèrent jusqu’à Bordeaux Saintes et Angoulême. Appelés dans l’intérieur du pays par les Juifs toujours persécutés, et par Pépin II que l’on voulait dépouiller de l’Aquitaine, ils s’avancèrent jusqu’à Toulouse, et livrèrent cette vitre au pillage.

91. mort de charles-le-chauve, 877. — Le roi de France ne sut défendre son royaume ni contre l’anarchie ni contre les invasions. Au lieu de tenir tête aux seigneurs et aux barbares, il ne songeait qu’à reconstituer a son profit l’empire de Charlemagne, il vit ses projets avorter presque aussitôt après avoir réussi : ainsi, il s’empara de la Lorraine en 869, et dès l’année suivante il lui fallut en céder une partie à son frère Louis-le-Germanique ; il alla se faire couronner empereur à Rome en 875, par le pape Jean VIII, et en 876 son neveu Carloman de Bavière lui enleva l’Italie et la couronne impériale, pendant que les deux autres fris du Germanique envahissaient même la Lorraine française. Charles-le-Chauve se décida à repasser les Alpes pour soutenir ses prétentions. Après avoir réuni les grands du royaume au palais de Kiersy-sur-Oise et avoir obtenu d’eux, par d’importantes concessions (v. n° 110), la promesse de leur appui pour son fils Louis-le-Bègue, il partît pour l’Italie. Une maladie mortelle l’arrêta en chemin, et il mourut au bout de quelques jours, dans un village au pied du Cenis.

92. louis ii dit le bègue. — Louis-le-Bègue, fils de Charles-le-Chauve, qui ne régna que deux ans, mit le comble au désordre en distribuant avec profusion les abbayes, les comtés et les domaines royaux ; il croyait se faire ainsi beaucoup de partisans parmi les seigneurs. Il les trouva peu favorable à ses prétentions, et ne put se soutenir contre eux qu’en s’appuyant sur l’alliance du célèbre Hincmar archevêque de Reims.

93. louis iii et carloman. — Ses deux fils Louis III et Carloman lui succédèrent, sans se partager la monarchie, et gouvernèrent simultanément avec le plus parfait accord ; c’était un rare exemple dans une époque encore si barbare. Ils eurent à combattre les Northmans qui continuaient leurs incursions, et l’usurpateur Boson, beau-frère de Charles-le-Chauve qui s’était fait proclamer roi de la Bourgogne Cisjurane, (en deçà du Jura). Les Northmans furent vaincus ; mais Boson se défendit vigoureusement dans la ville de Vienne (Isère), et sut se maintenir en possession du royaume qu’il s’était créé, Louis III mourut en 882 ; son frère, régna seul pendant deux années encore.

94. charles-le-gros (884). — siège de paris par les northmans. — Après Carloman, l’héritier légitime de la couronne était son jeune frère, Charles-le-Simple, âgé de cinq ans, fils posthume de Louis-le-Bègue. On lui préféra, pour défendre un royaume qui était assailli de toutes parts, un homme d’un âge mûrs, l’empereur Charles-le-Gros, fils de Louis-le-Germanique, qui par la mort successive de ses frères et de ses neveux, avait déjà réuni sur sa tête les cinq couronnes de Souabe, de Bavière, de Saxe, d’Italie et de l’Empire. Charles-le-Gros se trouva maître d’un empire aussi vaste que celui de Charlemagne ; il n’était pas capable de soutenir unr tel fardeau. Les Northmans reparaissaient de tous côtés, enhardis par le succès de leurs premières incursions. En 886, une flotte formidable, qui portait environ quarante mille de ces pirates, remonta la Seine et vint faire le siège de Paris. Eudes, fils de Robert-le-Fort, comte de Paris et duc de France, l’évêque Gauzelin ou Goslin et l’abbé de Saint-Germain-des-prés se mirent à la tête de la population, qui se réfugia dans l’îe de la Cité, premier berceau et centre de la capitale. Le siége durait depuis un an. Charles-le-Gros parut enfin avec une armée sur les hauteurs de Montmartre ; mais ce fut pour acheter l’éloignement des Barbares, dont il favorisa lui-même la retraite. Ils allèrent ravager la Bourgogne sans rencontrer le moindre obstacle.

95. déposition de charles-le-gros, 887. — nouveau partage de l’empire. — La lâcheté de Charles le fit regarder comme indigne du trône ; les grands assemblés le déposèrent, et ce prince, qui avait porté six couronnes, mourut l’année suivante à l’abbaye de Reichenau, dans un état voisin de la misère. Ce fut le signal d’un démembrement plus complet encore que celui qui avait eu lieu en 843. Sept royaumes principaux furent formes de l’ancien empire carlovingien :

1° le royaume de France, à la tête duquel la reconnaissance des habitants de Paris plaça le comte Eudes, leur courageux, défenseur ;

2° le royaume d’Italie ;

3° le royaume de Germanie ou d’Allemagne ;

4° le royaume de Provence ou de Bourgogne Cisjurane, entre la Saône, le Jura, la haute Loire et les Alpes, gouverné par Boson, beau-frère de Charles-le-Chauve ;

5° le royaume dë Bourgogne Transjurane, au delà du Jura, entre cette chaîne de montagnes, le Rhône et la Reuss, affluent de l’Aar, en Suisse ;

6° le royaume de Navarre ;

7° enfin le royaume de Lorraine ;

Outre cela, l’Aquitaine et la Bretagne conservèrent une entière indépendance sous leurs ducs nationaux..

96. Origine des Capétiens. — Le nouveau roi de France était, comme nous l’avons dit, le fils de ce Robert-le-Fort qui avait défendu la Bretagne et l’Anjou contre les Northmans ; Elu par la nation au préjudice des Carlovingiens, il préparait en montant sur le trône la grandeur future de la famille des Capétiens, dont Robert-le-Fort est la tige, et qui joua sous les deniers Carlovingiens le même rôle que les Héristals sous les rois fainéants. Si la nation mettait ainsi en oubli les droits héréditaires des descendants de Charlemagne, qu’elle avait jusque-là reconnus, c’est qu’elle avait à reprocher aux princes de cette famille de se montrer trop soumis à l’influence germanique. Toutefois les Carlovingiens avaient encore des partisans, et, un siècle tout entier devait s’écouler avant que la troisième dynastie remplaçât définitivement la seconde.

97. le roi eudes. — Eudes devenu roi continua l’œuvre qu’il avait commencée étant comte de Paris ; il combattit encore les Northmans et leur tua vingt mille hommes à Montfaucon, dans l’Argonne (Meuse). Cette victoire éclatante affermit son autorité dans les provinces septentrionales. Mais la vigueur même qu’il déployait effraya les grands vassaux, et suscita en Aquitaine et dans tout le midi de la France une ligue générale contre lui. À la tête de cette ligue se placèrent l’archevêque de Reims, le roi de Germanie, l’empereur Gui, roi d’Italie, et le pape. On lui opposa un Carlovingien, Charles-le-Simple, fils de Louis-le-Bègue, qui fut proclamé roi en 893. Eudes soutint quelque temps la guerre contre son rival ; mais, pour ne pas la prolonger, il consentit à partager avec lui le royaume. Par un traité conclu en 896. les provinces situées entre la Seine et la Meuse appartinrent à Charles-le-Simple ; Eudes conserva celles qui s’étendaient de la Seine aux Pyrénées. Eudes mourut bientôt après, en désignant Charles-le-Simple pour son successeur, 898.

98. charles-le-simple. — les sarrasins en provence. — La situation du royaume était critique. Les Sarrasins et les Northmans devenaient chaque jour plus audacieux. Les premiers, partis des cotes d’Espagne, oû-ils avaient d’excellents ports, venaient d’établir une colonie à Fraxinet, sur la côte de Provence, où ils se maintinrent pendant 84 ans ; de là ils se répandaient dans les vallées des Alpes, rançonnant les voyageurs et les pauvres habitants des villages, et menaçant également le sud de la France, le nord de l’Italie et l’Allemagne. Le sol de la Provence, conserve encore de nombreux témoignages de la présence et du séjour des Sarrasins. Il n’est pas un laboureur, dont la bèche n’ait heurté quelquefois contre une des larges tuiles sous lesquelles reposent les cadavres des anciens possesseurs de ce pays. Si le voyageur, demande quelles sont ces ruines sur la montagne, femmes et enfants lui répondent : « C’est là qu’était notre village du temps des Sarrasins. » Dans les fêtes on danse au son d’un instrument sarrasin, le tambourin, et la danse mauresque n’y est pas oubliée.

99. création du duché de normandie, 912. — En même temps que ces étrangers se fixaient au sud, les Northmans, fatigués de leurs longues courses, prétendaient s’emparer aussi de quelque riche territoire, au nord. Charles-le-Simple, au lieu de les combattre, : aima mieux les avoir pour alliés ; il signa avec Rollon leur chef le traité de Saint-Clair-sur-Epte, par lequel il lui accordait la main de sa fille Gisèle, et toute cette belle partie de la Neustrie, située à l’embouchure de la Seine et le long des rochers du Calvados, que nous appelons maintenant Normandie, du nom même de ses conquérants. Rollon se fit chrétien et se reconnut sujet du roi de France. Mettant ses mains dans celles du roi, comme c’était l’usage en pareille occasion, il prononça cette formule : « Dorénavant je suis votre homme, et je jure de conserver fidèlement votre vie, vos membres et votre honneur royal. » Mais quand il lui fallut, comme le voulait encore le cérémonial, baiser le pied du monarque en signe d’obéissance, son orgueil se révolta. Ce puissant Rollon, dont la taille était si haute, dit la chronique, qu’il marchait toujours a pied, ne trouvant pas de cheval à son usage, refusa dé se soumettre à cette humiliante formalité. Comme on insistait, il fit signe à un de ses serviteurs, qui prit le pied du roi pour l’approcher de sa bouche, mais qui fort irrévérencieusement, le leva si haut que le monarque tomba à la renverse.

100. résultats du traité de saint-clair-sur-epte. — Le traité de Saint-Clair-sur-Epte mit un terme aux dévastations dont la France souffrait depuis la mort de Charlemagne. Devenu duc de Normandie, Rollon civilisa ses compagnons d’armes en les convertissant au christianisme. L’agriculture, entre les mains d’un peuple habile et laborieux comme étaient les Normands, et sur une terre si fertile, devint pour la contrée une source abondante de richesses. Le gouvernement sévère de Rollon et son administration intelligente conservèrent la tranquillité au milieu d’un pays qu’il sut se faire respecter par ses voisins ; les anciens habitants cessèrent de trembler devant leurs vainqueurs, et la France put compter une belle province de plus.

101. bataille de soissons. captivité de charles-le-simple. — Cependant le parti capétien n’était pas anéanti. Quelques seigneurs mécontents de la faveur du ministre Haganon, qui les avait blessés par son arrogance, se révoltèrent Contre Charles-le-Simple, et proclamèrent roi le duc de France Robert, frère d’Eudes, fortifiés de l’alliance du roi de Germanie, ils livrèrent bataille à Charles-le-Simple auprès de Soissons. Robert fut tué dans le combat ; mais son fils Hugues-le-Grand rallia ses troupes et remporta la victoire. Ce succès le rendait maître du trône ; il ne voulut pas s’y asseoir, et le fit donner à Son beau-frère Raoul ou Rodolphe, duc de Bourgogne. Charles-le-Simple, trahi par le comte de Vermandois Herbert, près duquel il s’était réfugié, fut enfermé dans une tour du château de Péronne, où il mourût cinq ans plus tard (929), après avoir servi de jouet aux projets ambitieux d’Herbert contre Raoul. Sa veuve s’était réfugiée en Angleterre avec Louis, son fils.

102. règne de raoul. — puissance de hugues-le-grand. — Élevé à la royauté par de puissants seigneurs, Raoul fut obligè de régner d’après leurs conseils et de leur accorder des terres au détriment du domaine royal. Le duc de France Hugues-le-Grand, son beau-frère, était le plus redoutable ; on le surnommait aussi le Blanc, à cause de son teint pâle, et l’Abbé, parce qu’il possédait les riches abbayes de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Martin de Tours, Il fut le véritable maître du royaume. Cependant Raoul se montra digne du trône par son courage ; il battit et repoussa les Hongrois, qui avaient attaqué ta frontière de l’est.

103. louis d’outre-mer, 936. — À la mort de Raoul, Hugues-le-Grand, qui profitait de toutes les occasions favorables pour agrandir ses domaines, s’empara du duché de Bourgogne. Cette fois encore, il pouvait se faire roi ; il aima mieux rendre la couronne à un prince carlovingien, et se faire payer ce service. Il rappela d’Angleterre le fils de Charles-le-Simple, Louis, surnommé d’Outre-mer. Le nouveau roi donna à Hugues-le-Grand le comté de Poitiers, et lui confirma la possession du duché de Bourgogne. Le reste du territoire était partagé entre les grands seigneurs, dont l’orgueil égalait la puissance, et qui ne s’accordaient que pour imposer leurs volontés au roi. Louis voulut s’affranchir de cette tutelle ; mais aussitôt une ligue puissante se forma contre lui. Le duc de France et le comte de Vermandois allèrent offrir la couronne au roi de Germanie, Otton-Ie-Grand, qui fut proclamé roi de France dans une assemblée solennelle. Otton se contenta de recevoir la soumission de la Lorraine, située sur les frontières de ses États et presque toujours révoltée contre les rois de France. Une nouvelle guerre s’éleva entre Louis et les grands au sujet de la Normandie. Le roi, ayant voulu intervenir dans le gouvernement de ce duché, fut vaincu et fait prisonnier ; il resta pendant un an au pouvoir de Hugues dans la ville de Laon, dont il lui fallut abandonner la possession pour recouvrer la liberté : c’était la dernière ville du domaine royal. Louis d’Outre-mer appela à son aide le pape, et, le souverain d’Allemagne Hugues-le-Grand, menacé de l’excommunication, promit par serment solennel de respecter à l’avenir le pouvoir royal et les terres qui lui étaient soumises.

104. lothaire roi, 954.hugues-capet duc de france. — Louis d’Outre-mer mourut quelques années après, laissant à son fils Lothaire, qui n’avait que treize ans, une autorité amoindrie et dépouillée de son prestige. Aussi les grands s’aperçurent à peine que le trône avait changé de maître, et la France du sud ne connut probablement pas même le nom du nouveau roi. Hugues-le-Grand était encore intervenu pour assurer le trône à Lothaire, et cette fois, il réclamait pour prix de ses services le duché d’Aquitaine. Lothaire, forcé de le satisfaire, entreprit à cet effet une expédition qui échoua. La mort de son redoutable protecteur, ne changea rien à la situation précaire de la royauté. Le duc de France, qui était aussi comte de » Paris, duc de Bourgogne et comte de Poitiers, possesseur des abbayes de Saint-Martin de Tours, de Saint-Denis et de Saint-Germain-des-Prés, laissait, en mourant (956), la Bourgogne à son deuxième fils Henri, et le duché de France avec le comté de Paris à l’aîné Hugues, surnommé Capet, à cause de la cape ou chape révérée de saint Martin, qui était en sa possession. Hugues-Capet hérita de l’influence souveraine de son père.

105. guerre aù sujet de la lorraine. — Lothaire n’était pourtant pas un prince sans valeur personnelle. Il fi preuve d’activité et d’énergie dans la guerre qu’il soutint contre l’empereur d’Allemagne Otton II pour la possession de la Lorraine, Charles de France, frère du roi, réclamait pour lui-même cette province et l’obtint de l’empereur en lui faisant hommages. Lothaire mourut deux ans après, laissant la couronne à son fils Louis, âgé de dix-huit ans, 986.

106. louis-le-fainéant. fin de la deuxième race. — Louis V a été surnommé le Fainéant, parce que son règne ne fut signalé par aucun fait important. La brièveté de ce règne, la jeunesse de Louis, les preuves qu’il donna de son courage ne permettent pas de considérer ee surnom comme une flétrissure. Il mourut en 987, empoissonné, dit-on, comme son père, par la reine son épouse ; il ne laissait pas de fils. Hugues-Capet se fit proclamer roi dans une assemblée des grands tenue à Noyon. Avec Louis V se termina la dynastie carlovingienne, qui avait duré 235 ans et donné 13 rois à la France (v. tabl. généal. II).


Synchronisme. — Les Otton en Allemagne, 936-1002. — Alfred-le-Grand en Angleterre, 871-900.


  1. Note Wikisource : En 842.
    Le texte des Serments de Strasbourg est disponiblie ici.
  2. La langue romane, composée d’un mélange du latin avec l’idiome des conquérants, est devenue, par transformation successive, la langue française.
  3. La langue tudesque ou teutonique est devenue la langue allemande. Les motsteuteonique et tudesque sont dérivés du nom de Teut, principale divinité des Germains.
  4. De Lotherrègne on a fait ensuite par corruption Lorraine.
  5. Bourg près de Châteauneuf, au N. d’Angers, sur la rive droite de la Sarthe, dans le département de Maine-et-Loire