Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1893/Moyen Âge/Livre 12/Chapitre 1

Œuvres complètes de J. Michelet
(Histoire de Francep. 278-321).

LIVRE XII


CHAPITRE PREMIER

Charles VII — Philippe-le-Bon. — Guerres de Flandre. (1436-1453.)


Au moment où l’on apprit à la cour de Bourgogne que Talbot débarquait en Guyenne, un confident de Philippe-le-Bon ne put s’empêcher de dire : « Plût à Dieu que les Anglais fussent aussi bien à Rouen et dans toute la Normandie[1]. »

C’est qu’à ce moment même le roi avait à Gand des envoyés, il essayait d’intervenir entre le duc et les Flamands en armes ; sans le débarquement de Talbot, il allait peut-être, comme suzerain et protecteur, venir en aide à la ville de Gand.

Au reste, la mésintelligence avait commencé bien avant, dès le traité d’Arras ; la guerre diplomatique datait de la paix même. La maison de Bourgogne, cette branche cadette de France, devient peu à peu ennemie de la France, anglaise de volonté ; bientôt elle le sera d’alliance et de sang. La duchesse de Bourgogne, la sérieuse et politique Isabelle, qui est Lancastre du côté de sa mère, viendra à bout de marier son fils à une Anglaise, Marguerite d’York ; celle-ci, à son tour, donnera sa fille, son unique enfant, à l’Autrichien Maximilien, qui compte les Lancastre parmi ses aïeux maternels ; en sorte que leur petit-fils, l’étrange et dernier produit de ces combinaisons, Charles-Quint, Bourguignon, Espagnol, Autrichien, n’en est pas moins trois fois Lancastre[2].

Tout cela se fit doucement, lentement, un long travail de haine par des moyens d’amour, par alliances, mariages et de femmes en femmes. Les Isabelle, les Marguerite, et les Marie, ces rois en jupe des Pays-Bas (qui n’en souffraient guère d’autres), ont pendant plus d’un siècle ourdi de leurs belles mains la toile immense où la France semblait devoir se prendre[3].

Dès maintenant la lutte est entre Charles VII d’une part, de l’autre Philippe-le-Bon et sa femme Isabelle, lutte entre le roi et le duc, entre deux rois plutôt et Philippe n’est pas le moins roi des deux.

Il a certainement plus de prise sur le roi que Charles VII n’en a sur lui. Il tient toujours Paris de près par Auxerre et Péronne, tandis que, tout autour, ses beaux cousins, ses chevaliers de la Toison, occupent les postes de Nemours, de Montfort et de Vendôme. Au centre même de la France, s’il y voulait entrer, le duc d’Orléans lui donnerait passage sur la Loire. Partout, les grands sont ses amis ; ils l’aiment davantage à mesure que le roi devient maître. Où il n’agit pas, il influe ; tandis que sur toute la frontière il acquiert, prend, hérite, achète et cerne peu à peu le royaume, il est déjà partout au cœur.

Le roi, quelle arme a-t-il contre le duc de Bourgogne ? Sa haute juridiction ; mais les provinces françaises de son adversaire, bien loin de réclamer cette juridiction, craignent de se rattacher au royaume, de partager ses extrêmes misères. La Bourgogne par exemple, à qui son duc ne demandait guère que des hommes, presque point d’argent, n’eût voulu pour rien au monde avoir affaire au roi[4].

Les pays, au contraire, qui se croyaient bien surs de n’être pas français, qui ne craignaient pas les empiétements de la fiscalité française, hésitaient moins à recourir au roi, à invoquer, sinon sa juridiction, au moins son arbitrage. Liège et Gand étaient en correspondance habituelle avec la France ; le roi y avait un parti, il y tenait des gens pour profiter des mouvements, pour les exciter quelquefois. Ces formidables machines populaires lui servaient, quand son adversaire avançait trop sur lui, à le tirer en arrière et l’obliger de tourner la tête.

C’était la force et la faiblesse du duc de Bourgogne d’avoir ces grosses villes, ces populations si nombreuses, si riches, mais si agitées. Dans cette mort du quinzième siècle, lui, il gouvernait des vivants. Quoi de plus beau que la vie, mais quoi de plus inquiet, de plus difficile à régler ? Une vie puissante bouillonnait dans les Flandres.

Que ce pays ait contenu tant de germes de troubles, on peut s’en étonner. La Flandre, c’est le travail ; le travail n’est-ce pas la paix ?… Le laborieux tisserand de Flandre semble au premier coup d’œil le frère des humiliati lombards, l’imitateur des pieux ouvriers de saint Antoine et de saint Pacôme, de ces bénédictins auxquels saint Benoît dit : « Être moine, c’est travailler[5]. » Quoi de plus saint et de plus pacifique ?… Ce tisserand paraît presque plus moine que le moine ; seul, dans l’obscurité de l’étroite rue, de la cave profonde, créature dépendante des causes inconnues qui allongent le travail, diminuent le salaire, il se remet de tout à Dieu. Sa foi, c’est que l’homme ne peut rien par lui-même, sinon aimer et croire. On appelait ces ouvriers beghards (ceux qui prient) ou lollards[6], d’après leurs pieuses complaintes, leurs chants monotones, comme d’une femme qui berce un enfant[7].

Le pauvre reclus se sentait bien toujours mineur, toujours enfant, et il se chantait un chant de nourrice pour endormir l’inquiète et gémissante volonté aux genoux de Dieu.

Doux et féminin mysticisme. Aussi y eut-il encore plus de béguines que de beghards. Quelques-unes, de leur vivant, furent tenues pour saintes ; témoin celle de Nivelle que le roi de France, Philippe-le-Hardi, envoya consulter. Généralement, elles vivaient ensemble dans des béguinages où se trouvaient unis des ateliers et des écoles, et à côté il y avait l’hôpital où elles soignaient les pauvres. Ces béguinages étaient d’aimables cloîtres, non cloîtrés. Point de vœux, ou très courts ; la béguine pouvait se marier ; elle passait, sans changer de vie, dans la maison d’un pieux ouvrier. Elle la sanctifiait ; l’obscur atelier s’illuminait d’un doux rayon de la grâce.

« Il ne faut pas que l’homme soit seul. » Cela est vrai partout, bien plus en ces contrées, dans ce pluvieux Nord (qui n’a pas la poésie du Nord des glaces), sous ces brouillards, dans ces courtes journées… Qu’est-ce que les Pays-Bas, sinon les dernières alluvions, sables, boues et tourbières, par lesquelles les grands fleuves, ennuyés de leur trop long cours, meurent, comme de langueur, dans l’indifférent Océan[8] ?

Plus la nature est triste, plus le foyer est cher. Là plus qu’ailleurs, on a senti le bonheur de la vie de famille, des travaux, des repos communs… Il y a peu d’air et peu de jour peut-être sous ces étages qui surplombent, et pourtant la Flamande trouve encore moyen d’y élever une pâle fleur. Il n’importe guère que la maison soit sombre, l’homme ne peut s’en apercevoir[9] ; il est près des siens, son cœur chante… Qu’a-t-il besoin de la nature ? Dans quelle campagne verrait-il plus de soleil que dans les yeux de sa femme et de ses enfants ?

La famille, le foyer, c’est l’amour. Et c’est aussi le nom d’amour ou d’amitié[10] qu’ils donnaient à la famille de choix, à la grande confrérie ou commune. L’on disait l’amitié de Lille, l’amitié d’Aire, etc. Cela s’appelait encore (et plus souvent) ghilde, ou contribution, sacrifice mutuel[11]. Tous pour chacun, chacun

pour tous, leur mot de ralliement à Gourtrai : « Mon ami, mon bouclier. »

Simple et belle organisation. Chaque homme, chaque famille est représentée dans la cité par sa maison qui paie et répond pour lui ; le comte, tout comme un autre, doit avoir sa maison qui réponde à son petit nom d’Hanotin de Flandre. Chaque famille d’amis ou confrérie a de même sa maison qu’elle orne et pare à l’envi, qu’elle sculpte et peint au dehors, au dedans. Combien plus orneront-ils la maison de l’Amitié générale, la maison de ville ! Nulle dépense ne coûtera, nul effort pour en élargir le portail, en exhausser le beffroi, en sorte que les villes voisines le voient de dix lieues sur les grandes plaines, et que leurs tours fassent la révérence à la dominante tour.

Telle apparaît au loin celle de Bruges, svelte et majestueuse tout ensemble, par-dessus la forte halle qui gardait le trésor des dix-sept nations. Tel s’étend, plus large de cent pieds que toute la longueur de Notre-Dame de Paris, l’incomparable façade de la halle d’Ypres… Celui qui rencontre dans une petite ville déserte ce monument, digne des plus puissants empires, reste muet devant une telle grandeur… Et la grandeur n’est pas ce qu’il faut admirer ici ; mais bien l’identité des formes, l’harmonie, l’unité de plan, celle de volonté qui dut gouverner la ville pendant cette longue construction[12] ; vous croyez y voir un peuple voulant comme un homme, une concorde persévérante, un siècle au moins d’amitié.

Vraie cathédrale du peuple, aussi haute que sa voisine, la cathédrale de Dieu[13]. Si la première eût rempli sa destinée, si ces villes eussent suivi jusqu’au bout leur idée vitale, la maison de l’amitié eût fini par contenir tous les amis, toute la ville ; elle n’eût pas été seulement le comptoir des comptoirs, mais l’atelier des ateliers[14] le foyer des foyers, la table des tables, de même qu’en son beffroi semblent s’être réunies les cloches des quartiers, des confréries, des justices[15]. Par-dessus toutes ces voix, qu’il accorde et qu’il domine, se joue souverainement le carillon de la loi, avec son Martin ou Jacquemart. Cloche de bronze, homme de fer ; celui-ci est le plus vieux bourgeois de la ville, le plus gai, le plus infatigable, avec sa femme Jacqueline… Que chantent-ils nuit et jour, d’heure en heure, de quart en quart ? Un seul chant, celui du psaume : Quam jucundum est fratres habitare in unum !

Voilà l’idéal, le rêve ! un peuple travaillant dans l’amour… Mais le diable en est jaloux.

Il ne lui faut pas grand’place ; il aura toujours bien un coin dans la plus sainte maison. Au sanctuaire même de piété, dans cette cellule de béguine (d’où Lucas de Leyde a tiré son aimable Annonciation), il trouvera prise. Où donc ? Au petit ménage, « au petit jardin[16] ». Pour le cacher, il suffirait d’une feuille de ce beau lis[17].

Moins qu’une feuille, un souille, un chant… Dans la pieuse complainte du tisserand que nous écoutions naguère, est-il sur que tout soit de Dieu ?… Le chant qu’il se chante à lui-même ne rappelle ni les airs rituels de l’église[18], ni les airs officiels[19] des confréries… Ce solitaire ouvrier de la banlieue, ce buissonnier[20], comme on l’appelle, quelles sont ses secrètes pensées ? Ne peut-il pas lui arriver de lire quelque jour dans son Évangile que le plus petit sera le plus grand ? Rejeté du monde, adopté de Dieu, s’il s’avisait de réclamer le monde, comme héritage de son Père ?… On sait qu’il menait la vie de lollard, qu’il péchait[21], tout en rêvant, dans l’Escaut, ce Philippe Artevelde qui jeta là un matin son filet pour prendre la tyrannie des Flandres. Le roi tailleur de Leyde[22] songea, en taillant son drap, que Dieu l’appelait à tailler les royaumes… En ces ouvriers mystiques, en ces doux rêveurs, résidait un élément de trouble, vague et obscur encore, mais bien autrement dangereux que le bruyant orage communal qui éclatait à la surface ; des ateliers souterrains, des caves, s’entendait, pour qui eût su entendre, un sourd et lointain grondement des révolutions à venir.

Ce que le lollard est pour l’Église et la commune, le tisserand buissonnier pour la confrérie[23], la campagne en général l’est pour la ville, la petite ville pour la grande[24]. Que la petite prenne garde d’élever trop haut sa tour, qu’elle n’aille pas fabriquer ou vendre sans expresse autorisation… Cela est dur. Et pourtant, s’il en eût été autrement, la Flandre n’eût pu subsister ; disons mieux, selon toute apparence, elle n’eût existé jamais. Ceci demande explication.

La Flandre s’est formée, pour ainsi dire, malgré la nature ; c’est une œuvre du travail humain. L’occidentale a été en grande partie conquise sur la mer qui, en 1251, était encore tout près de Bruges[25]. Jusqu’en 1348, on stipulait dans les ventes de terres que le contrat serait résilié si la terre était reprise par la mer avant dix ans[26]. La Flandre orientale a eu à lutter tout autant contre les eaux douces. Il lui a fallu resserrer, diriger tant de cours d’eaux qui la traversent. De polder en polder[27], les terres ont été endiguées, purgées, raffermies ; les parties même qui semblent aujourd’hui les plus sèches, rappellent par leurs noms[28] qu’elles sont sorties des eaux.

La faible population de ces campagnes, alors noyées, malsaines, n’eût jamais fait à coup sûr des travaux si longs et si coûteux. Il fallait beaucoup de bras, de grandes avances, surtout pouvoir attendre. Ce ne fut qu’à la longue, lorsque l’industrie eut entassé les

hommes et l’argent dans quelques fortes villes, que la population débordante put former des faubourgs, des bourgs, des hameaux, ou changer les hameaux en villes. Ainsi généralement la campagne fut créée par la ville, la terre par l’homme ; l’agriculture fut la dernière manufacture née du succès des autres.

L’industrie, ayant fait ce pays de rien, méritait bien d’en être souveraine[29]. Les trois grands ateliers, Gand, Ypres et Bruges, furent les trois membres de Flandre. Ces villes considéraient la plupart des autres comme leurs colonies, leurs dépendances ; et, en effet, à regarder ce vaste jardin où les habitations se succèdent sans interruption, les petites villes autour d’une cité apparaissent comme ses faubourgs, un peu éloignés d’elle, mais en vue de sa tour, souvent même à portée de sa cloche. Elles profitaient de son voisinage, se couvrant de sa bannière redoutée, se recommandant de son industrie célèbre. Si la Flandre fabriquait pour le monde, si Venise d’une part, de l’autre Bergen ou Novogorod, venait chercher les produits de ses ateliers, c’est qu’ils étaient marqués du sceau[30] révéré de ses principales villes. Leur réputation faisait la fortune du pays, y accumulait la richesse, sans laquelle on n’eût jamais pu accomplir l’énorme travail de rendre cette terre habitable, en sorte qu’elles pouvaient dire, avec quelque apparence : « Nous gouvernons la Flandre, mais c’est nous qui l’avons faite. »

Ce gouvernement, pour être une gloire, n’en était pas moins une charge. L’artisan payait cher l’honneur d’être de « Messieurs de Gand ». Sa souveraineté lui coûtait bien des journées de travail ; la cloche l’appelait aux assemblées, aux élections, fréquemment aux armes. L’assemblée armée, le wapening, ce beau droit germanique qu’il maintenait si fièrement, n’en était pas moins un grand trouble pour lui. Il travaillait moins, et d’autre part, dans ces populeuses villes, il payait les vivres plus cher. Aussi, quantité de ces ouvriers souverains aimaient mieux abdiquer et s’établir modestement dans quelque bourg voisin, vivant à bon marché, fabriquant à bas prix, profitant du renom de la ville, détournant ses pratiques. Celle-ci finissait par interdire le travail à la banlieue. La population se portait plus loin, dans quelque hameau qui devenait une petite ville, dont la grande brisait les métiers[31]. De là des haines terribles, d’inexpiables violences, des sièges de Troie ou de Jérusalem autour d’une bicoque[32], l’infini des passions dans l’infiniment petit,

Les grandes villes, malgré les petites, malgré le comte, auraient maintenu leur domination, si elles étaient restées unies. Elles se brouillèrent pour diverses causes, d’abord à l’occasion de la direction des eaux, question capitale en ce pays. Ypres entreprit d’ouvrir au commerce une route abrégée, en creusant l’Yperlé, le rendant navigable, et dispensant ainsi les bateaux de suivre l’immense détour des anciens canaux, de Gand à Damme, de Damme à Nieuport. De son côté, Bruges voulait détourner la Lys, au préjudice de Gand. Celle-ci, placée au centre naturel des eaux, au point où se rapprochent les fleuves, souffrait de toute innovation. Malgré les secours que les Brugeois tirèrent de leur comte et du roi de France, malgré la défaite des Gantois à Roosebeke, Gand prévalut sur Bruges ; elle lui donna une cruelle leçon, et elle maintint l’ancien cours de la Lys. Elle eut moins de peine à prévaloir sur Ypres ; par menace ou autrement, elle obtint du comte sentence pour combler l’Yperlé[33].

Dans cette question des eaux qui remplit le quatorzième siècle, la dispute fut entre les villes ; le comte y était auxiliaire autant ou plus que partie principale. Au quinzième, la lutte fut directement entre les villes et le comte ; la désunion des villes les fit succomber. Bruges ne fut point soutenue de Gand (1436), et il lui fallut se soumettre. Gand ne fut pas soutenue de Bruges (1453), et Gand fut brisée.

L’occasion de la révolte de 1436 fut le siège de Calais. Les Flamands, irrités alors contre l’Angleterre, qui maltraitait leurs marchands et se mettait à fabriquer elle-même, avaient pris ce siège à cœur ; ils en avaient fait une croisade populaire, y avaient été en corps de peuple, bannières par bannières, apportant avec eux quantité de bagages, de meubles, jusqu’à leurs coqs, comme pour indiquer qu’ils y élisaient domicile[34] jusqu’à la prise de Calais… Et tout à coup, ils étaient revenus. Ils alléguaient pour excuse, et non sans apparence, qu’ils n’avaient point été soutenus des autres sujets du comte, ni des Hollandais par mer, ni par terre de la noblesse wallonne. L’expédition ayant manqué par la faute des autres, ils réclamaient leur droit ordinaire d’armement général, une robe par homme ; on se moqua de la réclamation.

Les voilà irrités et honteux, accusant tout le monde. Gand mit à mort un doyen des métiers qui avait commandé la retraite. Bruges accusait ses vassaux, les gens de l’Écluse, de n’avoir pas suivi sa bannière ; elle accusait la noblesse des côtes, à qui elle payait pension pour garder la mer et repousser les pirates. Loin de les repousser, les ports avaient vendu des vivres aux Anglais, au moment même où ils enlevaient dans la campagne (chose horrible) cinq mille enfants[35] ; les paysans furieux mirent à mort l’amiral de Horn et le trésorier de Zélande, qui avaient assisté à la descente sans y mettre obstacle. Zélandais, Hollandais, s’étaient visiblement arrangés avec les Anglais, ils ne bougèrent point[36].

Bruges éclata ; les forgerons crièrent que tout irait mal tant qu’on ne tuerait pas les grosses têtes qui trahissaient, qu’il fallait faire comme ceux de Gand. Ce dernier mot semblait devoir peu réussir à Bruges, où, depuis l’affaire de la Lys, on détestait les Gantais. Mais il se trouva cette fois que les tout-puissants marchands de Bruges, les Hanséatiques, qui ordinairement calmaient les révoltes, avaient justement alors intérêt à la révolte ; le duc leur faisait la guerre en Hollande et plus tard en Frise, ils trouvèrent bon sans doute de l’occuper en Flandre, d’unir contre lui Bruges et Gand. Ce qui est sûr, c’est que le peuple de Bruges reçut d’une seule ville de la Hanse cinq mille sacs de blé[37].

Gand avait commencé avant Bruges, elle finit avant. Une population d’ouvriers avait moins d’avances, moins de ressources qu’une ville de marchands qui d’ailleurs étaient soutenus du dehors. Quand les Gantais eurent chômé quelque temps, ils commencèrent à trouver que c’était trop souffrir, et pourquoi ? pour conserver à Bruges sa domination sur la côte. Les Brugeois s’étaient donné un tort, dans lequel les Gantais, gens formalistes et scrupuleux, devaient trouver prétexte pour abandonner leur parti. Le serment féodal engageait le vassal à respecter la vie de son seigneur, son corps, ses membres, sa femme, etc.

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  1. App. 125.
  2. App. 126.
  3. Il est bien entendu qu’il n’y eut pas conspiration expresse, ni plan, ni dessein fixe, mais seulement action constante d’une même passion, haine et jalousie persévérante.
  4. « Item, ils appellent les subjez du Roy qui vont es païs de mondit seigneur de Bourgogne : Traîtres, vilains, serfs, allez, allez payer vos tailles, et plusieurs autres villenies et injures. » (Archives du royaume, Trésor des chartes, J, 258, n° 25.)
  5. « Tunc vere monachi sunt, si labore manuum suarum vivunt. » (S. Benedicti regula.)
  6. App. 127.
  7. En anglais, to lull, bercer ; en suédois, lulla, endormir ; en vieil alle- mand, lullen, lollen, lallen, chanter à voix basse ; en allemand moderne, lallen, balbutier.
  8. Tout cela est peut-être plus frappant encore en Hollande qu’en Flandre. Combien la famille m’y semblait touchante, quand je voyais dans les basses prairies, au-dessous des canaux, ces doux paysages de Paul Potter, dans un pâle soleil d’après-midi, ces bonnes gens si paisibles, ces bestiaux, ces vaches laitières parmi les enfants… J’aurais voulu exhausser leurs digues ; je craignais que ces eaux ne se trompassent un jour, comme fit l’Océan quand il couvrit d’une nappe soixante villages, et mit à la place la mer d’Harlem… — Chose curieuse, là même où la terre manque, la famille continue. Le gros bateau hollandais (dont l’étranger inintelligent se moque) ne doit pas être jugé comme un bateau, mais bien comme une maison, une arche, où la femme, les enfants les animaux domestiques vivent commodément ensemble. La Hollandaise y est chez elle et parfaitement établie, soignant les enfants, étendant le linge, souvent, au défaut du mari, dirigeant le gouvernail. L’être aquatique, vivant là dans une lente et perpétuelle migration, s’y est fait un monde à lui ; pourvu qu’il ne compromette pas ce petit monde, peu lui importe d’aller vite ; jamais il ne changera la forme (lourde, mais sûre) de cette embarcation de famille, jamais il ne se hâtera. Avoir sa lenteur, vous diriez plutôt qu’il craint d’arriver. Voy. dans le tome XII le chapitre sur la Hollande (Louis XIV, 1860).
  9. App. 128.
  10. App. 129.
  11. Je traduis ici avec propriété et selon le sens primitif. Le sens ordinaire est association, le sens primitif est don, contribution (præstatio). Que donne-t-on dans la forme originaire de la ghilde ? soi-même, son sang.
  12. De 1200 à 1304. App. 130.
  13. Voir dans la cathédrale la pierre de Jansénius, au milieu même du chœur, mais si ingénieusement dissimulée.
  14. C’est ce qui existait effectivement pour une partie des fabricants d’Ypres ; ils travaillaient dans la halle même : « L’étage principal contenait les métiers des tisserands de draps et de serge… Les différents locaux du rez-de-chaussée contenaient les peigneurs, cardeurs, fileurs, tondeurs, foulons, teinturiers…» (Lambin.)
  15. Droits de cloche, de ban, de justice, sont synonymes au moyen âge. Le carillon n’aurait-il pas été originairement la simple centralisation des cloches, c’est-à-dire des justices ? Les dissonances trop choquantes auront forcé à y mettre une harmonie quelconque, qui peu à peu se sera adoucie. App. 131.
  16. Passage charmant de Sainte-Beuve : « Nous avons tous un petit jardin, et l’on y tient souvent plus qu’au grand. » (Port-Royal, I.) Voir dans les discours de M. Vinet, celui qui a pour titre : Des idoles favorites. L’idée première est le verset : « Et le jeune homme s’en alla triste, car il avait un petit bien. » — Dans les béguinages flamands l’esprit d’individualité est très marqué. « En France et en Allemagne, le béguinage était un seul couvent divisé en cellules ; dans les Pays-Bas, c’était comme un village qui comptait autant de maisons isolées qu’il y avait de béguines. » (Mosheim.) Aujourd’hui, il y en a ordinairement plusieurs dans chaque maison, mais chaque béguine a sa petite cuisine ; dans une maison où il y avait vingt filles, je remarquai (chose minutieuse à dire, mais très caractéristique) vingt petits fourneaux, vingt petits moulins à café, etc. Je demande pardon aux saintes filles d’une révélation peut-être indiscrète.
  17. Voy. au Musée du Louvre l’Annonciation de Lucas de Leyde.
  18. C’étaient des hymnes en langue vulgaire. (Mosheim.)
  19. Un caractère particulier de la poésie et de la musique des confréries allemandes (et je crois, des confréries en général), c’est la servilité de la tradition. App. 132.
  20. Quos dumicos vocant. » (Meïer.) Je traduis dumicos par un mot consacré dans l’histoire du protestantisme : Écoles buissonnières. — Les ouvriers buissonniers pourraient bien être des lollards. Le pape Grégoire XI nous représente ceux-ci comme vivant originairement en ermites. (Mosheim.) Saint Bernard nous dit que des prêtres quittaient leurs églises et leurs troupeaux pour aller vivre « inter textores et textrices ». (Serm. in Canticum cantic.)
  21. App. 133.
  22. Voy. mes Mémoires de Luther. Toutefois l’originalité de Jean de Leyde fut de porter dans le mysticisme l’esprit anti-mystique de l’Ancien Testament.
  23. Nous trouvons les ouvriers de confrérie et de commune en guerre et avec les buissonniers de la banlieue et avec les lollards (deux mots peut-être identiques) : ils se plaignent au magistrat de la concurrence qu’ils ne peuvent soutenir. Le magistrat, leur élu, se prête à gêner, paralyser l’industrie des lollards. L’empereur Charles IV, en dépouillant les lollards, attribue un tiers de leurs dépouilles aux corporations locales (universitatibus ipsorum locorum). Cf. Mosheim. Les persécutions ecclésiastiques obligèrent aussi souvent les lollards à se dire Mendiants et à se réfugier sous l’abri du tiersordre de saint François. Ceux d’Anvers ne se décidèrent à vivre en commun qu’en 1455. En 1468, ils prirent l’habit de moines et laissèrent le métier de tisserands ; c’est ce qu’on lisait sur un tableau suspendu dans leur église d’Anvers.
  24. Les preuves surabondent ici. Je remarquerai seulement que la domina- lion des grandes villes était souvent encore appesantie par le despotisme tracassier des métiers : ainsi les tisserands de Damme étaient réglementés, surveillés par ceux de Bruges ; les chandeliers de Bruges exerçaient la même tyrannie sur ceux de l’Écluse, etc. (Dolpierre.)
  25. App. 134.
  26. C’est du moins ce qu’affirme Guichardin dans sa Description de la Flandre.
  27. App. 135.
  28. Beaucoup finissent en dyck, en dam, etc.
  29. Cela se trouva fait au quatorzième siècle. Jacques Artevelde n’eut qu’à écrire cette révolution dans les lois. L’ouvrier, l’ongle bleu (c’est le nom que lui donnaient dans le Nord les bourgeois et les marchands), se trouva à cette époque avoir tellement multiplié, que la commune primitive fut presque absorbée dans les confréries de métiers. Le gouvernement des arts, comme on disait à Florence, prévalut presque partout. App. 136.
  30. J’ai vu encore aux archives d’Ypres le sceau réprobateur de la ville où on lit ces mots français : « Condamné par Ypres. » — À Gand, la toile, condamnée comme défectueuse et blâmée par les experts, est attachée à un anneau de fer, à la tour du Marché du vendredi, puis distribuée aux hospices.
  31. App. 137.
  32. La plus terrible de ces histoires n’est pas, il est vrai, flamande, mais du pays wallon ; c’est la guerre de Dinant et de Bovines sur la Meuse. Voy. le tome suivant.
  33. Le comte reconnut, après enquête, qu’Ypres avait bon droit, et n’en décida pas moins qu’on planterait des pieux dans l’Yperlé, de sorte qu’il n’y pût passer qu’une petite barque. (Olivier van Dixmude, ann. 1431.)
  34. App. 138.
  35. App. 139.
  36. Les milices hollandaises furent appelées en vain à la défense des côtes ; et M. de Larmoy ayant demandé aux États s’ils avaient un traité secret avec l’Angleterre, ils répondirent qu’ils n’avaient pas pouvoir pour s’expliquer. (Dujardin et Sollius, Histoire des provinces unies.)
  37. App. 140.