Histoire de France (Jules Michelet)/édition 1880/Tome 1/Livre 1/Chapitre 4

A. Lacroix et Compagnie (Tome 1p. 136-178).
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LIVRE PREMIER

CHAPITRE IV

Récapitulation. — Systèmes divers. — Influence des races indigènes, des races étrangères. — Sources celtiques et latines de la langue française. — Destinée de la race celtique.


Le génie helléno-celtique s’est révélé par Pélage dans la philosophie religieuse ; c’est celui du moi indépendant, de la personnalité libre. L’élément germanique, de nature toute différente, va venir lutter contre, l’obliger ainsi de se justifier, de se développer, de dégager tout ce qui est en lui. Le moyen âge est la lutte ; le temps moderne est la victoire.

Mais avant d’amener les Allemands sur le sol de la Gaule, et d’assister à ce nouveau mélange, j’ai besoin de revenir sur tout ce qui précède, d’évaluer jusqu’à quel point les races diverses établies sur le sol gaulois avaient pu modifier le génie primitif de la contrée, de chercher pour combien ces races avaient contribué dans l’ensemble, quelle avait été la mise de chacune d’elles dans cette communauté, d’apprécier ce qui pouvait rester d’indigène sous tant d’éléments étrangers.

Divers systèmes ont été appliqués aux origines de la France.

Les uns nient l’influence étrangère ; ils ne veulent point que la France doive rien à la langue, à la littérature, aux lois des peuples qui l’ont conquise. Que dis-je ? s’il ne tenait qu’à eux, on retrouverait dans nos origines les origines du genre humain. Le Brigant et son disciple, La Tour d’Auvergne, le premier grenadier de la république, dérivent toutes les langues du bas-breton ; intrépides et patriotes critiques, il ne leur suffit pas d’affranchir la France, ils voudraient lui conquérir le monde. Les historiens et les légistes sont moins audacieux. Cependant l’abbé Dubos ne veut point que la conquête de Clovis soit une conquête ; Grosley affirme que notre droit coutumier est antérieur à César.

D’autres esprits, moins chimériques peut-être, mais placés de même dans un point de vue exclusif et systématique, cherchent tout dans la tradition, dans les importations diverses du commerce ou de la conquête. Pour eux, notre langue française est une corruption du latin, notre droit une dégradation du droit romain ou germanique, nos traditions un simple écho des traditions étrangères. Ils donnent la moitié de la France à l’Allemagne l’autre aux Romains ; elle n’a rien à réclamer d’elle-même. Apparemment ces grands peuples celtiques, dont parle tant l’antiquité, c’était une race si abandonnée, si déshéritée de la nature, qu’elle aura disparu sans laisser trace. Cette Gaule, qui arma cinq cent mille hommes contre César, et qui paraît encore si peuplée sous l’Empire, elle a disparu tout entière, elle s’est fondue par le mélange de quelques légions romaines, ou des bandes de Clovis. Tous les Français du Nord descendent des Allemands, quoiqu’il y ait si peu d’allemand dans leur langue. La Gaule a péri, corps et biens, comme l’Atlantide. Tous les Celtes ont péri, et s’il en reste, ils n’échapperont pas aux traits de la critique moderne. Pinkerton ne les laisse pas reposer dans le tombeau ; c’est un vrai Saxon acharné sur eux, comme l’Angleterre sur l’Irlande. Ils n’ont eu, dit-il, rien en propre, aucun génie original ; tous les gentlemen descendent des Goths (ou des Saxons, ou des Scythes ; c’est pour lui la même chose). Il voudrait, dans son amusante fureur, qu’on instituât des chaires de langue celtique « pour qu’on apprît à se moquer des Celtes. »

Nous ne sommes plus au temps où l’on pouvait choisir entre les deux systèmes, et se déclarer partisan exclusif du génie indigène, ou des influences extérieures. Des deux côtés, l’histoire et le bon sens résistent. Il est évident que les Français ne sont plus les Gaulois ; on chercherait en vain, parmi nous, ces grands corps blancs et mous, ces géants enfants qui s’amusèrent à brûler Rome. D’autre part, le génie français est profondément distinct du génie romain ou germanique ; ils sont impuissants pour l’expliquer.

Nous ne prétendons pas rejeter des faits incontestables ; nul doute que notre patrie ne doive beaucoup à l’influence étrangère. Toutes les races du monde ont contribué pour doter cette Pandore.

La base originaire, celle qui a tout reçu, tout accepté, c’est cette jeune, molle et mobile race des Gaëls, bruyante, sensuelle et légère, prompte à apprendre, prompte à dédaigner, avide de choses nouvelles. Voilà l’élément primitif, l’élément perfectible.

Il faut à de tels enfants des précepteurs sévères. Ils en recevront et du Midi et du Nord. La mobilité sera fixée, la mollesse durcie et fortifiée ; il faut que la raison s’ajoute à l’instinct, à l’élan la réflexion.

Au Midi apparaissent les Ibères de Ligurie et des Pyrénées, avec la dureté et la ruse de l’esprit montagnard, puis les colonies phéniciennes ; longtemps après viendront les Sarrazins. Le midi de la France prend de bonne heure le génie mercantile des nations sémitiques. Les juifs du moyen âge s’y sont trouvés comme chez eux[1]. Les doctrines orientales y ont pris pied sans peine, à l’époque des Albigeois.

Du Nord, descendent de bonne heure les opiniâtres Kymrys, ancêtres de nos Bretons et des Gallois d’Angleterre. Ceux-ci ne veulent point passer en vain sur la terre, il leur faut des monuments ; ils dressent les aiguilles de Loc maria ker, et les alignements de Carnac ; rudes et muettes pierres, impuissants essais de tradition que la postérité n’entendra pas. Leur druidisme parle de l’immortalité ; mais il ne peut pas même fonder l’ordre dans la vie présente ; il aura seulement décelé le germe moral qui est en l’homme barbare, comme le gui, perçant la neige, témoigne pendant l’hiver de la vie qui sommeille. Le génie guerrier l’emporte encore. Les Bolg descendent du Nord, l’ouragan traverse la Gaule, l’Allemagne, la Grèce, l’Asie-Mineure ; les Galls suivent, la Gaule déborde par le monde. C’est une vie, une sève exubérante, qui coule et se répand. Les Gallo-Belges ont l’emportement guerrier et la puissance prolifique des Bolg modernes de Belgique et d’Irlande. Mais l’impuissance sociale de l’Irlande et de la Belgique est déjà visible dans l’histoire des Gallo-Belges de l’antiquité. Leurs conquêtes sont sans résultat. La Gaule est convaincue d’impuissance pour l’acquisition comme pour l’organisation. La société naturelle et guerrière du clan prévaut sur la société élective et sacerdotale du druidisme. Le clan, fondé sur le principe d’une parenté vraie ou fictive, est la plus grossière des associations ; le sang, la chair en est le lien ; l’union du clan se résume en un chef, en un homme[2].

Il faut qu’une société commence, où l’homme se voue, non plus à l’homme, mais à une idée. D’abord, idée d’ordre civil. Les Agrimensores romains viendront derrière les légions mesurer, arpenter, orienter selon leurs rites antiques, les colonies d’Aix, de Narbonne, de Lyon. La cité entre dans la Gaule, la Gaule entre dans la cité. Ce grand César, après avoir désarmé la Gaule par cinquante batailles et la mort de quelques millions d’hommes, lui ouvre les légions et la fait entrer, à portes renversées, dans Rome et dans le sénat. Voilà les Gaulois-Romains qui deviennent orateurs, rhéteurs, juristes. Les voilà qui priment leurs maîtres, et enseignent le latin à Rome elle-même. Ils y apprennent, eux, l’égalité civile sous un chef militaire ; ils apprennent ce qu’ils avaient déjà dans leur génie niveleur. Ne craignez pas qu’ils oublient jamais.

Toutefois la Gaule n’aura conscience de soi qu’après que l’esprit grec l’aura éveillée. Antonin le Pieux est de Nîmes. Rome a dit : la Cité. La Grèce stoïcienne dit par les Antonins : la Cité du monde. La Grèce chrétienne le dit bien mieux encore par saint Pothin et saint Irénée, qui, de Smyrne et de Patmos, apportent à Lyon le verbe de Christ. Verbe mystique, verbe d’amour, qui propose à l’homme fatigué de se reposer, de s’endormir en Dieu, comme Christ lui-même, au jour de la cène, posa la tête sur le sein de celui qu’il aimait. Mais il y a dans le génie kymrique, dans notre dur Occident, quelque chose qui repousse le mysticisme, qui se roidit contre la douce et absorbante parole, qui ne veut point se perdre au sein du Dieu moral que le christianisme lui apporte, pas plus qu’il n’a voulu subir le Dieu-nature des anciennes religions. Cette réclamation obstinée du moi, elle a pour organe Pelage, héritier du Grec Origène.

Si ces raisonneurs triomphaient, ils fonderaient la liberté avant que la société ne soit assise. Il faut de plus dociles auxiliaires à l’Église, qui va refaire un monde. Il faut que les Allemands viennent ; quels que soient les maux de l’invasion, ils seconderont bientôt l’Église. Dès la seconde génération, ils sont à elle. Il lui suffit de les toucher, les voilà vaincus. Ils vont rester mille ans enchantés. Courbe la tête, doux Sicambre… Le Celte indocile n’a pas voulu la courber. Ces barbares, qui semblaient prêts à tout écraser, ils deviennent, qu’ils le sachent ou non, les dociles instruments de l’Église. Elle emploiera leurs jeunes bras pour forger le lien d’acier qui va unir la société moderne. Le marteau germanique de Thor et de Charles Martel va servir à marteler, dompter, discipliner le génie rebelle de l’Occident.

Telle a été l’accumulation des races dans notre Gaule. Races sur races, peuples sur peuples ; Galls, Kymrys, Bolg, d’autre part Ibères, d’autres encore, Grecs, Romains ; les Germains viennent les derniers. Cela dit, a-t-on dit la France ? Presque tout est à dire encore. La France s’est faite elle-même de ces éléments dont tout autre mélange pouvait résulter. Les mêmes principes chimiques composent l’huile et le sucre. Les principes donnés, tout n’est pas donné ; reste le mystère de l’existence propre et spéciale. Combien plus doit-on en tenir compte, quand il s’agit d’un mélange vivant et actif, comme d’une nation ; d’un mélange susceptible de se travailler, de se modifier ? Ce travail, ces modifications successives, par lesquels notre patrie va se transformant, c’est le sujet de l’histoire de France.

Ne nous exagérons donc ni l’élément primitif du génie celtique, ni les additions étrangères. Les Celtes y ont fait sans doute, Rome aussi, la Grèce aussi, les Germains encore. Mais qui a uni, fondu, dénaturé ces éléments, qui les a transmués, transfigurés, qui en a fait un corps, qui en a tiré notre France ? La France elle-même, par ce travail intérieur, par ce mystérieux enfantement mêlé de nécessité et de liberté, dont l’histoire doit rendre compte. Le gland primitif est peu de chose en comparaison du chêne gigantesque qui en est sorti. Qu’il s’enorgueillisse, le chêne vivant qui s’est cultivé, qui s’est fait et se fait lui-même !

Et d’abord, est-ce aux Grecs qu’on veut rapporter la civilisation primitive des Gaules ? On s’est évidemment exagéré l’influence de Marseille. Elle put introduire quelques mots grecs dans l’idiome celtique[3] ; les Gaulois, faute d’écriture nationale[4] purent dans les occasions solennelles emprunter les caractères grecs, mais le génie hellénique était trop dédaigneux des barbares pour gagner sur eux une influence réelle. Peu nombreux, traversant le pays avec défiance et seulement pour les besoins de leur commerce, les Grecs différaient trop des Gaulois, et de race et de langue ; ils leur étaient trop supérieurs pour s’unir intimement avec eux. Il en était d’eux comme des Anglo-Américains à l’égard des sauvages leurs voisins ; ceux-ci s’enfoncent dans les terres et disparaissent peu à peu, sans participer à cette civilisation disproportionnée, dont on avait voulu les pénétrer tout d’un coup.

C’est assez tard, et surtout par la philosophie, par la religion, que la Grèce a influé sur la Gaule. Elle a aidé Pélage, mais seulement à formuler ce qui était déjà dans le génie national. Puis, les barbares sont venus, et il a fallu des siècles pour que la Gaule ressuscitée se souvint encore de la Grèce.

L’influence de Rome est plus directe ; elle a laissé une trace plus forte dans les mœurs, dans le droit et dans la langue. C’est encore une opinion populaire que notre langue est toute latine. N’y a-t-il pas ici pourtant une étrange exagération ?

Si nous en croyons les Romains, leur langue prévalut dans la Gaule[5], comme dans tout l’Empire. Les vaincus étaient censés avoir perdu leur langue, en même temps que leurs dieux. Les Romains ne voulaient pas savoir s’il existait d’autre langue que la leur. Leurs magistrats répondaient aux Grecs en latin. C’est en latin, dit le Digeste, que les préteurs doivent interpréter les lois.

Ainsi les Romains, n’entendant plus que leur langue dans les tribunaux, les prétoires et les basiliques, s’imaginèrent avoir éteint l’idiome des vaincus. Toutefois plusieurs faits indiquent ce que l’on doit penser de cette prétendue universalité de la langue latine. Les Lyciens rebelles ayant envoyé un des leurs, qui était citoyen romain, pour demander grâce, il se trouva que le citoyen ne savait pas la langue de la Cité[6]. Claude s’aperçut qu’il avait donné le gouvernement de la Grèce, une place si éminente, à un homme qui ne savait pas le latin. Strabon remarque que les tribus de la Bétique, que la plupart de celles de la Gaule méridionale, avaient adopté la langue latine ; la chose n’était donc pas si commune, puisqu’il prend la peine de la remarquer. « J’ai appris le latin, dit saint Augustin, sans crainte ni châtiment, au milieu des caresses, des sourires et des jeux de mes nourrices. » C’est justement la méthode dont se félicite Montaigne. Il paraît que l’acquisition de cette langue était ordinairement plus pénible ; autrement saint Augustin n’en ferait pas la remarque.

Que Martial se félicite de ce qu’à Vienne tout le monde avait son livre dans les mains ; que saint Jérôme écrive en latin à des dames gauloises, saint Hilaire et saint Avitus à leurs sœurs, Sulpice Sévère à sa belle-mère ; que Sidonius recommande aux femmes la lecture de saint Augustin, tout cela prouve uniquement, ce dont personne n’est tenté de douter, c’est que les gens distingués du midi des Gaules, surtout dans les colonies romaines, comme Lyon, Vienne, Narbonne, parlaient le latin de préférence.

Quant à la masse du peuple, je parle surtout des Gaulois du Nord, il est difficile de supposer que les Romains aient envahi la Gaule en assez grand nombre pour lui faire abandonner l’idiome national. Les règles judicieuses posées par M. Abel Rémusat nous apprennent qu’en général une langue étrangère se mêle à la langue indigène en proportion du nombre de ceux qui l’apportent dans le pays. On peut même ajouter, dans le cas particulier qui nous occupe ici, que les Romains, enfermés dans les villes ou dans les quartiers de leurs légions, doivent avoir eu peu de rapports avec les cultivateurs esclaves, avec les colons demi-serfs qui étaient dispersés dans les campagnes. Parmi les hommes même des villes, parmi les gens distingués, dans le langage de ces faux Romains qui parvinrent aux dignités de l’Empire, nous trouvons des traces de l’idiome national. Le Provençal Cornélius Gallus, consul et préteur, employait le mot gaulois casnar pour assectator puellæ ; Quintilien lui en fait le reproche. Antonius Primus, ce Toulousain dont la victoire valut l’Empire à Vespasien, s’appelait originairement Bec, mot gaulois qui se retrouve dans tous les dialectes celtiques ainsi qu’en français. En 230, Septime Sévère ordonne que les fidéicommis seront admis, non-seulement en latin et en grec, mais aussi linguâ gallicanâ[7]. Nous avons vu plus haut une druidesse parler en langue gauloise à l’empereur Alexandre Sévère. En 473, l’évêque de Clermont, Sidonius Apollinaris, remercie son beau-frère, le puissant Ecdicius, de ce qu’il a fait déposer à la noblesse arverne la rudesse du langage celtique.

Quelle était, dira-t-on, cette langue vulgaire des Gaulois ? Y a-t-il lieu de croire qu’elle ait été analogue aux dialectes gallois et breton, irlandais et écossais ? On serait tenté de le penser. Les mots Bec, Alp, bardd, derwidd (druide), argel (souterrain), trimarkisia (trois cavaliers)[8], une foule de noms de lieux, indiqués dans les auteurs classiques, s’y retrouvent encore aujourd’hui sans changement.

Ces exemples suffisent pour rendre vraisemblable la perpétuité des langues celtiques et l’analogie des anciens dialectes gaulois avec ceux que parlent les populations modernes de Galles et Bretagne, d’Écosse et Irlande. L’induction ne semblera pas légère à ceux qui connaissent la prodigieuse obstination de ces peuples, leur attachement à leurs traditions anciennes et leur haine de l’étranger.

Un caractère remarquable de ces langues, c’est leur frappante analogie avec les langues latine et grecque. Le premier vers de l’Énéide, le fiat lux en latin et en grec, se trouvent être presque gallois et irlandais[9]. On serait tenté d’expliquer ces analogies par l’influence ecclésiastique, si elles ne portaient que sur les mots scientifiques ou relatifs au culte ; mais vous les rencontrez également[10] dans ceux qui se rapportent aux affections intimes ou aux circonstances de l’ existence locale. On les retrouve en même temps chez des peuples qui ont éprouvé fort inégalement l’influence des vainqueurs et celle de l’Église, dans des pays à peu près sans communication et placés dans des situations géographiques et politiques très-diverses, par exemple, chez nos Bretons continentaux et chez les Irlandais insulaires.

Une langue si analogue au latin a pu fournir à la nôtre un nombre considérable de mots, qui, à la faveur de leur physionomie latine, ont été rapportés à la langue savante, à la langue du droit et de l’Église, plutôt qu’aux idiomes obscurs et méprisés des peuples vaincus. La langue française a mieux aimé se recommander de ses liaisons avec cette noble langue romaine que de sa parenté avec des sœurs moins brillantes. Toutefois, pour affirmer l’origine latine d’un mot, il faut pouvoir assurer que le même mot n’est pas encore plus rapproché des dialectes celtiques[11]. Peut-être devrait-on préférer cette dernière source, quand il y a lieu d’hésiter entre l’une et l’autre : car apparemment les Gaulois ont été plus nombreux en Gaule que les Romains leurs vainqueurs. Je veux bien qu’on hésite encore, lorsque le mot français se trouve en latin et en breton seulement ; à la rigueur, le breton et le français peuvent l’avoir reçu du latin. Mais quand ce mot se retrouve dans le dialecte gallois, frère du breton, il est très-probable qu’il est indigène, et que le français l’a reçu du vieux celtique. La probabilité devient presque une certitude, quand ce mot existe en même temps dans les dialectes gaéliques de la haute Écosse et de l’Irlande. Un mot français qui se retrouve dans ces contrées lointaines et maintenant si isolées de la France, doit remonter à une époque où la Gaule, la Grande-Bretagne et l’Irlande étaient encore sœurs, où elles avaient une population, une religion, une langue analogues, où l’union du monde celtique n’était pas rompue encore[12].

De tout ce qui précède, il suit nécessairement que l’élément romain n’est pas tout, à beaucoup près, dans notre langue. Or la langue est la représentation fidèle du génie des peuples, l’expression de leur caractère, la révélation de leur existence intime, leur Verbe, pour ainsi dire. Si l’élément celtique a persisté dans la langue, il faut qu’il ait duré ailleurs encore[13], qu’il ait survécu dans les mœurs comme dans le langage, dans l’action comme dans la pensée.

J’ai parlé ailleurs de la ténacité celtique. Qu’on me permette d’y revenir encore, d’insister sur l’opiniâtre génie de ces peuples. Nous comprendrons mieux la France si nous caractérisons fortement le point d’où elle est partie. Les Celtes mixtes, qu’on appelle Français, s’expliquent en partie par les Celtes purs, Bretons et Gallois, Écossais et Irlandais. Il me coûterait d’ailleurs de ne pas dire ici un adieu solennel à ces populations, dont l’invasion germanique doit isoler notre France. Qu’on me permette de m’arrêter et de dresser une pierre au carrefour où les peuples frères vont se séparer pour prendre des routes si diverses et suivre une destinée si opposée. Tandis que la France, subissant les longues et douloureuses initiations de l’invasion germanique et de la féodalité, va marcher du servage à la liberté et de la honte à la gloire, les 1.210.1. vieilles populations celtiques, assises aux roches paternelles et dans la solitude de leurs îles, restent fidèles à la poétique indépendance de la vie barbare, jusqu’à ce que la tyrannie étrangère vienne les y surprendre. Voilà des siècles que l’Angleterre les y a en effet surprises, accablées. Elle frappe infatigablement sur elles, comme la vague brise à la pointe de Bretagne ou des Cornouailles. La triste et patiente Judée, qui comptait ses âges par ses servitudes, n’a pas été plus durement battue de l’Asie. Mais il y a une telle vertu dans le génie celtique, une telle puissance de vie en ces races, qu’elles durent sous l’outrage, et gardent leurs mœurs et leur langue.

Races de pierres[14], immuables comme leurs rudes monuments druidiques, qu’ils révèrent encore[15]. Le jeu des montagnards d’Écosse, c’est de soulever la roche sur la roche, et de bâtir un petit dolmen à l’imitation des dolmens antiques[16]. Le Galicien, qui émigré chaque année, laisse une pierre, et sa vie est représentée par un monceau[17]. Les highlanders vous disent en signe d’amitié : « J’ajouterai une pierre à votre cairn (monument funèbre)[18]. » Au dernier siècle, ils ont encore rétabli le tombeau d’Ossian, déplacé par l’impiété anglaise. La pierre monumentale d’Ossian (clachan Ossian), se trouvant dans la ligne d’une route militaire, le général Walde la fit enlever ; on trouva dessous des restes humains avec douze fers de flèche. Les montagnards indignés vinrent, au nombre d’environ quatre-vingts, les recueillir, et ils les emportèrent au son de la cornemuse dans un cercle de larges pierres, au sommet d’un roc, dans les déserts du Glen-Amon occidental. La pierre, entourée de quatre autres plus petites et d’une espèce d’enclos, garde le nom de cairn na huseoig, le cairn de l’hirondelle[19].

Le duc d’Athol, descendant des rois de l’île de Man, siège encore aujourd’hui, le visage tourné vers le levant[20], sur le tertre de Tynwald. Naguère les églises servaient de tribunaux en Irlande[21]. La trace du culte du feu se trouve partout chez ces peuples, dans la langue, dans les croyances et les traditions[22]. Pour notre Bretagne, je rapporterai au commencement du second volume des faits nombreux qui prouvent quelle est la ténacité de l’esprit breton.

Il semble qu’une race qui ne changeait pas lorsque tout changeait autour d’elle eût dû vaincre par sa persistance seule, et finir par imposer son génie au monde. Le contraire est arrivé ; plus cette race s’est isolée, plus elle a conservé son originalité primitive, et plus elle a tombé et déchu. Rester original, se préserver de l’influence étrangère, repousser les idées des autres, c’est demeurer incomplet et faible. Voilà aussi ce qui a fait tout à la fois la grandeur et la faiblesse du peuple juif. Il n’a eu qu’une idée, l’a donnée aux nations, mais n’a presque rien reçu d’elles ; il est toujours resté lui, fort et borné, indestructible et humilié, ennemi du genre humain et son esclave éternel. Malheur à l’individualité obstinée qui veut être à soi seule, et refuse d’entrer dans la communauté du monde.

Le génie de nos Celtes, je parle surtout des Gaëls, est fort et fécond, et aussi fortement incliné à la matière, à la nature, au plaisir, à la sensualité. La génération, et le plaisir de la génération tiennent grande place chez ces peuples. J’ai parlé ailleurs des mœurs des Gaëls antiques et de l’Irlande ; la France en tient beaucoup ; le Vert galant est le roi national. C’était chose commune au moyen âge en Bretagne d’avoir une douzaine de femmes[23]. Ces gens de guerre, qui se louaient partout[24], ne craignaient pas de faire des soldats. Partout chez les nations celtiques, les bâtards succédaient, même comme rois, comme chefs de clan. La femme, objet du plaisir, simple jouet de volupté, ne semble pas avoir eu chez ces peuples la même dignité que chez les nations germaniques[25].

Ce génie matérialiste n’a pas permis aux Celtes de céder aisément aux droits qui ne se fondent que sur une idée. Le droit d’aînesse leur est odieux. Ce droit n’est autre originairement que l’indivisibilité du foyer sacré, la perpétuité du dieu paternel[26]. Chez nos Celtes, les parts sont égales entre les frères, comme également longues sont leurs épées. Vous ne leur feriez pas entendre aisément qu’un seul doive posséder. Cela est plus aisé chez la race germanique[27] ; l’aîné pourra nourrir ses frères, et ils se tiendront contents de garder leur petite place à la table et au foyer fraternel[28].

Cette loi de succession égale, qu’ils appellent le gabailcine[29], et que les Saxons ont pris d’eux, surtout dans le pays de Kent (gavelkind), impose à chaque génération une nécessité de partage, et change à chaque instant l’aspect de la propriété. Lorsque le possesseur commençait à bâtir, cultiver, améliorer, la mort l’emporte, divise, bouleverse, et c’est encore à recommencer. Le partage est aussi l’occasion d’une infinité de haines et de disputes. Ainsi cette loi de succession égale, qui, dans une société mûre et assise, fait aujourd’hui la beauté et la force de notre France, c’était chez les populations barbares une cause continuelle de troubles, un obstacle invincible au progrès, une révolution éternelle. Les terres qui y étaient soumises sont restées longtemps à demi incultes et en pâturages[30].

Quels qu’aient été les résultats, c’est une gloire pour nos Celtes d’avoir posé dans l’Occident la loi de l’égalité. Ce sentiment du droit personnel, cette vigoureuse réclamation du moi que nous avons signalée déjà dans la philosophie religieuse, dans Pélage, elle reparaît ici plus nettement encore. Elle nous donne en grande partie le secret des destinées des races celtiques. Tandis que les familles germaniques s’immobilisaient, que les biens s’y perpétuaient, que des agrégations se formaient par les héritages, les familles celtiques s’en allaient se divisant, se subdivisant, s’affaiblissant. Cette faiblesse tenait principalement à l’égalité, à l’équité des partages. Cette loi d’équité précoce a fait la ruine de ces races. Qu’elle soit leur gloire aussi, qu’elle leur vaille au moins la pitié et le respect des peuples auxquels elles ont de si bonne heure montré un tel idéal.

Cette tendance à l’égalité, au nivellement, qui en droit isolait les hommes, aurait eu besoin d’être balancée par une vive sympathie qui les rapprochât, de sorte que l’homme, affranchi de l’homme par l’équité de la loi, se rattachât à lui par un lien volontaire. C’est ce qui s’est vu à la longue dans notre France, et c’est là ce qui explique sa grandeur. Par là nous sommes une nation, tandis que les Celtes purs en sont restés au clan. La petite société du clan, formée par le lien grossier d’une parenté réelle ou fictive[31], s’est trouvée incapable de rien admettre au dehors, de se lier à rien d’étranger. Les dix mille hommes du clan des Campbell ont tous été cousins du chef[32], se sont tous appelés Campbell, et n’ont rien voulu connaître au delà ; à peine se sont-ils souvenus qu’ils étaient Écossais. Ce petit et sec noyau du clan s’est trouvé à jamais impropre à s’agréger. On ne peut guère bâtir avec des cailloux, le ciment ne s’y marie pas[33] ; au contraire, la brique romaine a si bien pris au ciment, qu’aujourd’hui ciment et brique forment ensemble dans les monuments un seul morceau, un bloc indestructible.

Devenues chrétiennes, les populations celtiques devaient, ce semble, s’amollir, se rapprocher, se lier. Il n’en a pas été ainsi. L’Église celtique a participé de la nature du clan. Féconde et ardente d’abord, on eût dit qu’elle allait envahir l’Occident. Les doctrines pélagiennes avaient été avidement reçues en Provence, mais ce fut pour y mourir. Plus tard encore, au milieu des invasions allemandes qui arrivent de l’Orient, nous voyons l’Église celtique s’ébranler de l’Occident, de l’Irlande. D’intrépides et ardents missionnaires abordent, animés de dialectique et de poésie. Rien de plus bizarrement poétique que les barbares odyssées de ces saints aventuriers, de ces oiseaux voyageurs qui viennent s’abattre sur la Gaule, avant, après saint Colomban ; l’élan est immense, le résultat petit. L’étincelle tombe en vain sur ce monde tout trempé du déluge de la barbarie germanique. Saint Colomban, dit le biographe contemporain, eut l’idée de passer le Rhin, et d’aller convertir les Suèves ; un songe l’en empêcha. Ce que les Celtes ne font pas, les Allemands le feront eux-mêmes. L’Anglo-Saxon saint Boniface convertira ceux que Colomban a dédaignés. Colomban passe en Italie, mais c’est pour combattre le pape. L’Église celtique s’isole de l’Église universelle : elle résiste à l’unité ; elle se refuse à s’agréger, à se perdre humblement dans la catholicité européenne. Les culdées d’Irlande et d’Écosse, mariés, indépendants sous la règle même, réunis douze à douze en petits clans ecclésiastiques, doivent céder à l’influence des moines anglo-saxons, disciplinés par les missions romaines.

L’Église celtique périra comme l’état celtique a déjà péri. Ils avaient en effet essayé, quand les Romains sortirent de l’île, de former une sorte de république[34]. Les Cambriens et les Loégriens (Galles et Angleterre) s’unirent un instant sous le Loégrien Wortiguern, pour résister aux Pictes et Scots du Nord. Mais Wortiguern, mal secondé des Cambriens, fut obligé d’appeler les Saxons, qui, d’auxiliaires, devinrent bientôt ennemis. La Loégrie conquise, la Cambrie résista, sous le fameux Arthur[35]. Elle lutta deux cents ans. Les Saxons eux-mêmes devaient être soumis en une seule bataille par Guillaume le Bâtard, tant la race germanique est moins propre à la résistance ! Les Francs, établis dans la Gaule, ont de même été subjugués, transformés dès la seconde génération, par l’influence ecclésiastique.

Les Cambriens ont résisté deux cents ans par les armes, et plus de mille ans par l’espérance. L’indomptable espérance (inconquerable will. Milton) a été le génie de ces peuples. Les Saoson (Saxons, Anglais, dans les langues d’Écosse et de Galles) croient qu’Arthur est mort ; ils se trompent, Arthur vit et attend. Des pèlerins l’ont trouvé en Sicile, enchanté sous l’Etna. Le sage des sages, le druide Myrdhyn, est aussi quelque part. Il dort sous une pierre dans la forêt ; c’est la faute de sa Vyvyan ; elle voulut éprouver sa puissance, et demanda au sage le mot fatal qui pouvait l’enchaîner ; lui, qui savait tout, n’ignorait pas non plus l’usage qu’elle devait en faire. Il le lui dit pourtant, et, pour lui complaire, se coucha lui-même dans son tombeau[36].

En attendant le jour de sa résurrection, elle chante et pleure cette grande race[37]. Ses chants sont pleins de larmes, comme ceux des Juifs aux fleuves de Babylone. Le peu de fragments ossianiques qui sont réellement antiques portent ce caractère de mélancolie. Nos Bretons, moins malheureux, sont dans leur langage pleins de paroles tristes ; ils sympathisent avec la nuit, avec la mort : « Je ne dors jamais, dit leur proverbe, que je ne meure de mort amère. » Et à celui qui passe sur une tombe : « Retirez-vous de dessus mon trépassé ! » « La terre, disent-ils encore, est trop vieille pour produire. »

Ils n’ont pas grand sujet d’être gais ; tout a tourné contre eux. La Bretagne et l’Écosse se sont attachées volontiers aux partis faibles, aux causes perdues. Les chouans ont soutenu les Bourbons, les highlanders, les Stuarts. Mais la puissance de faire des rois s’est retirée des peuples celtiques depuis que la mystérieuse pierre, jadis apportée d’Irlande en Écosse, a été placée à Westminster[38].

De toutes les populations celtiques, la Bretagne est la moins à plaindre, elle a été associée depuis longtemps à l’égalité. La France est un pays humain et généreux. — Les Kymrys de Galles encore ont été, sous leurs Tudors (depuis Henri VIII), admis à partager les droits de l’Angleterre. Toutefois, c’est dans des torrents de sang, c’est par le massacre des Bardes[39] que l’Angleterre préluda à cette heureuse fraternité. Elle est peut-être plus apparente que réelle[40]. — Que dire de la Cornouailles, si longtemps le Pérou de l’Angleterre, qui ne voyait en elle que ses mines ? Elle a fini par perdre sa langue : « Nous ne sommes plus que quatre ou cinq qui parlons la langue du pays, disait un vieillard en 1776, et ce sont de vieilles gens comme moi, de soixante à quatre-vingts ans ; tout ce qui est jeune n’en sait plus un mot[41]. »

Bizarre destinée du monde celtique ! De ses deux moitiés, l’une, quoiqu’elle soit la moins malheureuse, périt, s’efface, ou du moins perd sa langue, son costume et son caractère. Je parle des highlanders de l’Écosse et des populations de Galles, Cornouailles et Bretagne[42]. C’est l’élément sérieux et moral de la race. Il semble mourant de tristesse, et bientôt éteint. L’autre, plein d’une vie, d’une sève indomptable, multiplie et croît en dépit de tout. On entend bien que je parle de l’Irlande.

L’Irlande ! pauvre vieille aînée de la race celtique, si loin de la France, sa sœur, qui ne peut la défendre à travers les flots ! L’Île des Saints[43], l’émeraude des mers, la toute féconde Irlande, où les hommes poussent comme l’herbe, pour l’effroi de l’Angleterre, à qui chaque jour on vient dire : Ils sont encore un million de plus ! la patrie des poètes, des penseurs hardis, de Jean l’Érigène, de Berkeley, de Tolland, la patrie de Moore, la patrie d’O’Connel ! peuple de parole éclatante et d’épée rapide, qui conserve encore dans cette vieillesse du monde la puissance poétique. Les Anglais peuvent rire quand ils entendent, dans quelque obscure maison de leurs villes, la veuve irlandaise improviser le coronach sur le corps de son époux[44] ; pleurer à l’irlandaise (to weep irish), c’est chez eux un mot de dérision. Pleurez, pauvre Irlande, et que la France pleure aussi, en voyant à Paris, sur la porte de la maison qui reçoit vos enfants, cette harpe qui demande secours. Pleurons de ne pouvoir leur rendre le sang qu’ils ont versé pour nous. C’est donc en vain que quatre cent mille Irlandais ont combattu en moins de deux siècles dans nos armées[45]. Il faut que nous assistions sans mot dire aux souffrances de l’Irlande. Ainsi nous avons depuis longtemps négligé, oublié les Écossais, nos anciens alliés. Cependant les montagnards d’Écosse auront tout à l’heure disparu du monde[46]. Les hautes terres se dépeuplent tous les jours. Les grandes propriétés qui perdirent Rome ont aussi dévoré l’Écosse[47]. Telle terre a quatre-vingt-seize milles carrés, une autre vingt milles de long sur trois de large. Les Highlanders ne seront bientôt plus que dans l’histoire et dans Walter Scott. On se met sur les portes à Édinburgh quand on voit passer le tartan et la claymore. Ils disparaissent, ils émigrent ; la cornemuse ne fait plus entendre qu’un air dans les montagnes[48] :

« Cha till, cha till, cha till, sin tuile : »
Nous ne reviendrons, reviendrons, reviendrons
Jamais.

ÉCLAIRCISSEMENTS


EXTRAIT DE L’OUVRAGE DE M. PRICE, SUR LES RACES DE L’ANGLETERRE. (Voyez. page 140.)

MM. Thierry et Edwards ont adopté l’opinion de la persistance des races ; M. Price adopte celle de leur mutabilité. Mais il devait être franchement spiritualiste et expliquer les modifications qu’elles subissent par l’action de la liberté travaillant la matière. Il n’a su trouver à l’appui de son point de vue biblique que des hypothèses matérialistes.

Toutefois, nous extrairons de son ouvrage quelques résultats intéressants (An Essay on the physiognomy and physiology of the present inhabitants of Britain, with reference to their origin, as Goths and Celts, by the Rev. T. Price, London, 1829).

Tout ce que les anciens disent des yeux bleus et cheveux blonds des Germains ne désigne pas plus les Goths que les Celtes, parce qu’il y avait des Celtes dans la Germanie. Les Cimbres étaient des Celtes ; Pline, parlant de la Baltique, et citant Philémon, dit : Morimarusam a Cimbris vocari, hoc est, mortuum mare (en welche Môrmarw).

L’auteur pense qu’il y a eu un changement des cheveux, du roux au jaune et du jaune au brun : Tacite : « Rutilæ Caledoniam habitantium comæ, magni artus Germanicam originem asseverant. » Dans les triades bretonnes, une colonie gaélique de race scot-irlandaise est appelée : Les rouges Gaëls d’Irlande. Dans le vieux gaélique Duan, qui fut récité par le barde de Malcolm III en 1057, on voit que les montagnards avaient les cheveux jaunes :

A Eolclia Alban nile
A Schluagh fela foltbhuidle.

O ye learned Albanians all, ye learned yellow-haired hosts !

Aujourd’hui le brun est la couleur dominante chez les montagnards. Il ne faut pas croire que les hommes distingués soient d’origine gothique et les autres Celtes. La diversité de nourriture explique la différence, comme on le voit dans les animaux transportés dans de plus riches pâturages (par exemple de Bretagne en Normandie).

Le climat et les habitudes changent les races ; Camper remarque que déjà les Anglo-Américains ont la face longue et étroite, l’œil serré. West ajoute qu’ils ont le teint moins fleuri que les Anglais. L’œil devient sombre dans le voisinage des mines de charbon et partout où l’on en brûle (?).

César attribue aux Belges une origine germanique : « Plerosque a Germanis ortos. » Mais Strabon dit qu’ils parlaient la langue des Gaulois : « Μιϰρὸν ἒξαλλατοῦντας τη γλωσση… » La chronique saxonne parle d’Hengist qui « engagea les Welsh de Kent et Sussex. » Ces Welsh étaient des Belges selon Pinkerton. Les noms des villes belges, en Angleterre, sont bretons.

On ne trouve pas en Angleterre de traces de sang danois. — Les Normands conquérants étaient un peuple mêlé de Gaulois, Francs, Bretons, Flamands, Scandinaves, etc. Les hommes du Nord n’avaient pu exterminer les habitants de la Normandie, ni même diminuer de beaucoup leur nombre, puisque en cent soixante ans ils perdirent leur langue Scandinave pour adopter celle des vaincus. Il serait ridicule de chercher les traces en Angleterre d’une population aussi mêlée que l’armée de Guillaume. Il paraît que dès lors les cheveux roux étaient rares, puisque c’était l’objet d’un surnom, Guillaume le Roux[49].

Vers York et Lancastre, où l’influence des habitudes manufacturières ne se fait pas sentir, les Anglais sont plus grands, mais plus lourds que dans le sud ; l’œil bleu prévaut dans le comté de Lancastre. Les hommes du Cumberland (ce sont des Cymrys, qui ont perdu leur langue plus tôt que ceux de Cornouailles) n’ont rien qui les distingue des Anglais du Midi.

Entre l’Écossais et l’Anglais, il y a une différence indéfinissable ; les traits durs et la proéminence des os des joues ne sont pas particuliers à l’Écosse. Les montagnards sont rarement grands, mais bien faits ; généralement cheveux bruns, moins de vivacité qu’en Irlande, taille moins haute, population plus variée. Quoi qu’on dise de ces établissements des Norwégiens dans l’Ouest, c’est la même langue et la même physionomie que dans les montagnes d’Écosse.

Pays de galles, variété infinie, nez romain très-fréquent, hommes de moyenne taille, mais fortement bâtis ; on dit que la milice de Coemarthenshire demande plus de place pour former ses lignes que celle d’aucun autre comté. Dans le Nord, taille plus haute, beauté classique, mais traits petits.

L’Irlande, plus mêlée que la Grande-Bretagne ; aujourd’hui étonnante uniformité de caractère moral et physique ; deux classes seulement, les bien nourris, les mal nourris. Chez les paysans, cheveux bruns ou noirs, noirs surtout dans une partie du sud, mais l’œil toujours gris ou bleu[50], sourcils bas, épais et noirs, face longue, nez petit, tendant à relever ; grande taille généralement, tous hommes bien faits ; ceci est moins vrai depuis quarante ans, par suite de la misère dans plusieurs parties, surtout au sud. Bouche ouverte, ce qui leur donne un air stupide ; extraordinaire facilité du langage, qui contraste avec leurs haillons. Tout mendiant est un bel esprit, un orateur, un philosophe. Espagnols au sud de l’Irlande depuis Élisabeth. Allemands palatins des bords du Rhin.

En France, visage rond ; en Angleterre, ovale ; en Allemagne, carré. Les yeux plus proéminents sur le continent qu’en Angleterre. — Ni en Normandie ni en Bourgogne il n’y a trace des hommes du Nord (excepté vers Bayeux et Vire).

Savoyards, petits, actifs ; mâchoire très-carrée, œil gris, cheveux noirs, sourcils bas, épais.

Suisses, même mâchoire, hommes plus grands, œil bleu-ciel, avec un éclat qui ne plaît pas toujours, cheveux bruns. Allemands, yeux gris, cheveux bruns ou blond pâle, mâchoire angulaire, nez rarement aquilin, mais bas à la racine ; grande étendue entre les yeux, encore plus qu’en France.

Belges, œil d’un parfait bleu de Prusse, plus foncé autour de l’iris, visage plus long qu’en Allemagne.

Je croirais volontiers (ce que ne dit pas l’auteur) que, par l’action du temps et de la civilisation, les cheveux ont pu brunir, les yeux noircir, c’est-à-dire prendre le caractère d’une vie plus intense.

SUR LES PIERRES CELTIQUES. (Voyez page 154.)

La pierre fut sans doute à la fois l’autel et le symbole de la Divinité. Le nom même de Cromleach (ou dolmen) signifie pierre de Crom, le Dieu suprême (Pictet, p. 129). On ornait souvent le Cromleach de lames d’or, d’argent ou de cuivre, par exemple le Crum-Cruach d’Irlande, dans le district de Bresin, comté de Cavan (Tolland’s Letters, p. 133). — Le nombre de pierres qui composent les enceintes druidiques est toujours un nombre mystérieux et sacré : jamais moins de douze, quelquefois dix-neuf, trente, soixante. Ces nombres coïncident avec ceux des Dieux. Au milieu du cercle, quelquefois au dehors, s’élève une pierre plus grande, qui a pu représenter le Dieu suprême (Pictet, p. 134). — Enfin, à ces pierres étaient attachées des vertus magiques, comme on le voit par le fameux passage de Geoffroy de Montmouth (l. V). Aurelius consulte Merlin sur le monument qu’il faut donner à ceux qui ont péri par la trahison d’Hengist ?… — « Choream gigantum[51], ex Hibernia adduci jubeas… Ne moveas, domine rex, vanum risum. Mystici sunt lapides, et ad diversa medicamina salubres, gigantesque olim asportaverunt eos ex ultimis finibus Africæ… Erat autem causa ut balnea intra illos conficerent, cum inermitate gravarentur. Lavabant namque lapides et intra balnea diffundebant, unde ægroti curabantur ; miscebant etiam cum herbarum infectionibus, unde vulnerati sanabantur. Non est ibi lapis qui medicamento careat. » Après un combat, les pierres sont enlevées par Merlin. Lorsqu’on cherche partout Merlin, on ne le trouve que « ad fontem Galabas, quem solitus fuerat frequentare. » Il semble lui-même un de ces géants médecins.

On a cru trouver sur les monuments celtiques quelques traces de lettres ou de signes magiques. À Saint-Sulpice-sur-Rille, près de Laigle, on remarque, sur l’un des supports de la table d’un dolmen, trois petits croissants gravés en creux et disposés en triangle. Près de Lok-Maria-Ker, il existe un dolmen dont la table est couverte, à sa surface intérieure, d’excavations rondes disposées symétriquement en cercles. Une autre pierre porte trois signes assez semblables à des spirales. Dans la caverne de New-Grange (près Drogheda, comté de Meath. voy. les Collect. de reb. hib. II, p. 161, etc.), se trouvent des caractères symboliques et leur explication en ogham. Le symbole est une ligne spirale répétée trois fois. L’inscription en ogham se traduit par A É, c’est-à-dire le Lui, c’est-à-dire le Dieu sans nom, l’être ineffable (?). Dans la caverne, il y a trois autels (Pictet, p. 132). En Écosse, on trouve un assez grand nombre de pierres ainsi couvertes de ciselures diverses. Quelques traditions enfin doivent appeler l’attention sur ces hiéroglyphes grossiers et à peu près inintelligibles : les Triades disent que sur les pierres de Gwiddon-Ganhebon « on pouvait lire les arts et les sciences du monde ; » l’astronome Gwydion ap Don fut enterré à Caernarvon « sous une pierre d’énigmes. » Dans le pays de Galles on trouve sur les pierres certains signes, qui semblent représenter tantôt une petite figure d’animal, tantôt des arbres entrelacés. Cette dernière circonstance semblerait rattacher le culte des pierres à celui des arbres. D’ailleurs l’Ogham ou Ogum, alphabet secret des druides, consistait en rameaux de divers arbres et assez analogues aux caractères runiques. Telles sont les inscriptions placées sur un monument mentionné dans les chroniques d’Écosse, comme étant dans le bocage d’Aongus, sur une pierre du Cairn du vicaire, en Armagh, sur un monument de l’île d’Arran, et sur beaucoup d’autres en Écosse. — On a vu plus haut que les pierres servaient quelquefois à la divination. Nous rapporterons à ce sujet un passage important de Talliesin. (N’ayant pas sous les yeux le texte gallois, je rapporte la traduction anglaise.) « I know the intent of the trees, I know which was decreed praise or disgrace, by the intention of the memorial trees of the sages, » and celebrates « the engagement of the sprigs of the trees, or of devices, and their battle with the learned. » He could « delineate the elementary trees and reeds, » and tells us when the sprigs « were marked in the small tablet of devices they uttered their voice. » (Logan, II, 388).

Les arbres sont employés encore symboliquement par les Welsh et les Gaëls ; par exemple, le noisetier indique l’amour trahi. Le Calédonien Merlin (Talliesin est Cambrien) se plaint que « l’autorité des rameaux commence à être dédaignée. » Le mot irlandais aos, qui d’abord signifiait un arbre, s’appliquait à une personne lettrée : feadha, bois ou arbre, devient la désignation des prophètes, ou hommes sages. De même, en sanskrit, bôd hi signifie le figuier indien, et le bouddibte, le sage.

Les monuments celtiques semblent n’avoir pas été consacrés exclusivement au culte. C’était sur une pierre qu’on élisait le chef de clan (Voy. p. 165, note 1). Les enceintes de pierres servaient de cours de justice. On en a trouvé des traces en Écosse, en Irlande, dans les îles du Nord (King, I, 147 ; Martin’s Descr. of the Western isles), mais surtout en Suède et en Norwége. Les anciens poèmes erses nous apprennent, en effet, que les rites druidiques existaient parmi les Scandinaves, et que les druides bretons en obtinrent du secours dans le danger (Ossian’s Cathlin, II, p. 216, not. édit. 1765, t. II ; Warton, t. I).

Le plus vaste cercle druidique était celui d’Avebury ou Abury dans le Wiltshire. Il embrassait vingt-huit acres de terre entourés d’un fossé profond et d’un rempart de soixante-dix pieds. Un cercle extérieur, formé de cent pierres, enfermait deux autres cercles doubles extérieurs l’un à l’autre. Dans ceux-ci, la rangée extérieure contenait trente pierres, l’intérieure douze. Au centre de l’un des cercles étaient trois pierres, dans l’autre une pierre isolée ; deux avenues de pierres conduisaient à tout le monument (Voy. O’Higgin’s, Celtic druids).

Stonehenge, moins étendu, indiquait plus d’art. D’après Waltire, qui y campa plusieurs mois pour étudier (on a perdu les papiers de cet antiquaire enthousiaste, mais plein de sagacité et de profondeur), la rangée extérieure était de trente pierres droites ; le tout, en y comprenant l’autel et les impostes, se montait à cent trente-neuf pierres. Les impostes étaient assurés par des tenons. Il n’y a pas d’autre exemple dans les pays celtiques du style trilithe (sauf deux à Holmstad et à Drenthiem).

Le monument de Classerness, dans l’île de Lewis, forme, au moyen de quatre avenues de pierres, une sorte de croix dont la tête est au sud, la rencontre des quatre branches est un petit cercle. Quelques-uns croient y reconnaître le temple hyperboréen dont parlent les anciens. Ératosthènes dit qu’Apollon cacha sa flèche là où se trouvait un temple ailé.

Je parlerai plus loin des alignements de Carnac et de Lok-Maria-Ker (tom II. Voyez aussi le Cours de M. de Caumont, p. 105).

Il est resté en France des traces nombreuses du culte des pierres, soit dans les noms de lieux, soit dans les traditions populaires :

1° On sait qu’on appelait pierre fiche ou fichée (en celtique, menhir, pierre longue, peulvan, pilier de pierre), ces pierres brutes que l’on trouve plantées simplement dans la terre comme des bornes. Plusieurs bourgs de France portent ce nom. Pierre-Fiche, à cinq lieues N.-E. de Mendes, en Gévaudan. — Pierre-Fiques, en Normandie, à une lieue de l’Océan, à trois de Montivilliers. — Pierrefitte, près Pont-l’Évéque. — Pierrefitte, à deux lieues N.-O d’Argentan. — Pierrefitte, à trois lieues de Falaise. — Pierrefitte, dans le Perche, diocèse de Chartres, à six lieues S. de Mortagne. — Idem, en Beauvoisis, à deux lieues N.-O. de Beauvais. — Idem, près Paris, à une demi-lieue N. de Saint-Denis. — Idem, en Lorraine, à quatre lieues de Bar. — Idem, en Lorraine, à trois lieues de Mirecourt. — Idem, en Sologne, à neuf lieues S.-E. d’Orléans. — Idem, en Berry, à trois lieues de Gien, à cinq de Sully. — Idem, en Languedoc, diocèse de Narbonne, à deux lieues et demie de Limoux. — Idem, dans la Marche, près Bourganeuf. — Idem, dans la Marche, près Guéret, — Idem, en Limousin, à six lieues de Brives. — Idem, en Forest, diocèse de Lyon, à quatre lieues de Roanne, etc.

2° À Colombiers, les jeunes filles qui désirent se marier doivent monter sur la pierre-levée, y déposer une pièce de monnaie, puis sauter de haut en bas. À Guérande, elles viennent déposer dans les fentes de la pierre des flocons de laine rose liés avec du clinquant. Au Croisic, les femmes ont longtemps célébré des danses autour d’une pierre druidique. En Anjou, ce sont les fées qui, descendant des montagnes en filant, ont apporté ces rocs dans leur tablier. En Irlande, plusieurs dolmen sont encore appelés les lits des amants : la fille d’un roi s’était enfuie avec son amant ; poursuivie par son père, elle errait de village en village, et tous les soirs ses hôtes lui dressaient un lit sur la roche, etc., etc.

SUR LES BARDES. (Voyez page 165.)

Les bardes étudiaient pendant seize ou vingt ans. « Je les ai vus, dit Campion, dans leurs écoles, dix dans une chambre couchés à plat ventre sur la paille et leurs livres sous le nez. » Brompton dit que les leçons des bardes en Irlande se donnaient secrètement et n’étaient confiées qu’à la mémoire (Logan, the Scotish Gaël, t. II, p. 215). — Il y avait trois sortes de poètes : panégyristes des grands ; poètes plaisants du peuple ; bouffons satiriques des paysans (Tolland’s letters). — Buchanan prétend que les joueurs de harpe en Écosse étaient tous Irlandais. Giraldus Cambrensis dit pourtant que l’Écosse surpassait l’Irlande dans la science musicale et qu’on venait s’y perfectionner. Lorsque Pépin fonda l’abbaye de Neville, il y fit venir des musiciens et des choristes écossais (Logan, II, 251). — Giraldus compare la lente modulation des Bretons avec les accents rapides des Irlandais ; selon lui, chez les Welsh chacun fait sa partie ; ceux du Cumberland chantent en parties, en octaves et à l’unisson. — Vers 1000, le Welsh Gryffith ap Cynan, ayant été élevé en Irlande, rapporta ses instruments dans son pays, y convoqua les musiciens des deux contrées, et établit vingt-quatre règles pour la réforme de la musique (Powel, Hist. of Cambria.)

Lorsque le christianisme se répandit dans l’Écosse et l’Irlande, les prêtres chrétiens adoptèrent leur goût pour la musique. À table, ils se passaient la harpe de main en main (Bède, IV, 24). Au temps de Giraldus Cambrensis, les évêques faisaient toujours porter avec eux une harpe, — Gunn dit dans son Enquiry : Je possède un ancien poème gallique, où le poète, s’adressant à une vieille harpe, lui demande ce qu’est devenu son premier lustre. Elle répond qu’elle a appartenu à un roi d’Irlande et a assisté à maint royal banquet ; qu’elle a ensuite été successivement dans la possession de Dargo, fils du druide de Beal, de Gaul, de Fillon, d’Oscar, de O’duine, de Diarmid, d’un médecin, d’un barde, et enfin d’un prêtre qui, dans un coin retiré, méditait sur un livre

Les bardes, bien qu’attachés à la personne des chefs, étaient eux-mêmes fort respectés. Sir Richard Cristeed, qui fut chargé par Richard II d’initier les quatre rois d’Irlande aux mœurs anglaises, rapporte qu’ils refusèrent de manger parce qu’ils avaient mis leurs bardes et principaux serviteurs à une table au-dessous de la leur (Logan, 138). Le joueur de cornemuse, comme celui de harpe, occupait cette charge par droit héréditaire dans la maison du chef ; il avait des terres et un serviteur qui portait son instrument.

Le fameux joueur de cornemuse irlandais des derniers temps, Maedonal, avait serviteurs, chevaux, etc. Un grand seigneurie fait venir un jour pour jouer pendant le dîner. On lui place une table et une chaise dans l’antichambre avec une bouteille de vin et un domestique derrière sa chaise ; la porte de la salle était ouverte. Il s’y présente, et dit en buvant : « À votre santé et à celle de votre compagnie, monsieur… » Puis, jetant de l’argent sur la table, il dit au laquais : « Il y a deux schellings pour la bouteille et six pence pour toi, mon garçon. » Et il remonta à cheval (Ibid., 267-279). — La dernière école bardique d’Irlande, Filean school, se tint à Tipperary, sous Charles Ier (Ibid., 247). — L’un des derniers bardes accompagnait Montrose, et pendant sa victoire d’Inverlochy il contemplait la bataille du haut du château de ce nom. Montrose lui reprochant de ne pas y avoir pris part : « Si j’avais combattu, qui vous aurait chanté ? » (Ibid., 215). — La cornemuse du clan Chattan, que Walter Scott mentionne comme étant tombée des nuages pendant une bataille en 1396, fut empruntée par un clan vaincu, qui espérait en recevoir l’inspiration du courage, et qui ne l’a rendue qu’en 1822 (Ibid., 298). — En 1745, un joueur de cornemuse csomposa, pendant la bataille de Falkirk, un piobrach qui est resté célèbre. — À la bataille de Waterloo, un joueur de cornemuse, qui préparait un bel air, reçoit une balle dans son instrument ; il le foule aux pieds, tire sa claymore, et se jette au milieu de l’ennemi où il se fait tuer ( ? Ibid, 273-276). blanc (Logan, II, 268).

  1. Ils y ont été souvent maltraités, il est vrai, mais bien moins qu’ailleurs. Ils ont eu des écoles à Montpellier et dans plusieurs autres villes du Languedoc et de Provence.
  2. Indépendamment de ce lien commun, quelques-uns se voueront à cet homme qui les nourrit, qu’ils aiment. Ainsi prendront naissance les dévoués des Galls et des Aquitains.

    Cæsar, B. Gall., l. III, c. xxii : « Devoti, quos illi soldurios appellant… Neque adhuc repertus est quisquam qui, eo interfecto, cujus se amicitiæ devovisset, mori recusaret. » — Athenæus, l. VI, c. xiii :… Αδιάτομον τὸν τῶν Σωτιανῶν βασιλέα (ἔθνος δὲ τοῦτο Κελτικὸν) ἐξακοσίους ἔχειν λογάδας περὶ αὐτὸν, οὒς καλεῖσθαι ὑπὸ Γαλατῶν Σιλοδούρους, ἑλληνιστὶ εὐχωλιμαίους. — Zaldi ou Saldi, cheval, dans la langue basque. Voyez les Éclaircissements à la fin du chapitre sur les races de l’Angleterre.

    (Extrait de l’ouvrage de M. Price)
  3. M. Champollion-Figeac en a reconnu jusque dans le Dauphiné. — On retrouve à Marseille, sous forme chevaleresque, la tradition de la reconnaissance d’Ulysse et de Pénélope. — Naguère encore l’Église de Lyon suivait les rites de l’Église grecque. — Il paraît que les médailles celtiques, antérieures à la conquête romaine, offrent une grande ressemblance avec les monnaies macédoniennes. Caumont, Cours d’Antiq. monument., I, 219. — Tout cela ne me semble pas suffisant pour conclure que l’influence grecque ait modifié profondément, intimement, le génie gaulois. Je crois plutôt à l’analogie primitive des deux races qu’à l’influence des communications.
  4. Strabon.
  5. S. August., de civ. Dei, l. XIX, c. vii : « At enim opera data est ut imperiosa civitas non solum jugum, verum etiam linguam suam domitis gentibus, per pacem societatis imponeret. »

    Val. Max., l. II, c. ii : « Magistratus vero prisci, quantopere suam populique romani majestatem retinentes se gesserint, hinc cognosci potest, quod, inter cætera obtinendæ gravitatis indicia, illud quoque magna cum perseverantia custodiebant, ne Græcis unquam nisi latine responsa darent. Quin etiam ipsa linguæ volubilitate, qua piurimum valent, excussa, per interpretem loqui cogebant ; non in urbe tantum nostra, sed etiam in Græcia et Asia ; quo scilicet latinæ vocis honos per omnes gentes venerabilior diffunderetur. »

    L. Decreta, D. l. XLII, t. I : « Decreta a prætoribus latine interponi debent. » — Tibère s’excusa auprès du sénat d’employer le mot grec de monopole… « Adeo ut monopolium nominaturus, prius veniam postularit quod sibi verbo peregrino utendum esset ; atque etiam in quodam decreto patrum, cum ἕμϐλημα recitaretur, commutandam censuit vocem. » Suet., in Tiber., c. lxxi.

  6. Dion Cassius.
  7. Dès le viiie siècle, le mariage des deux langues gauloise et latine paraît avoir donné lieu à la formation de la langue romane. Au ixe siècle, un Espagnol se fait entendre d’un Italien. (Acta SS ord. S. Ben., sec. III, P. 2e, 258.) C’est dans cette langue romane rustique que le concile d’Auxerre défend de faire chanter par des jeunes filles des cantiques mêlés de latin et de roman, tandis qu’au contraire ceux de Tours, de Reims et de Mayence (813, 847), ordonnent de traduire les prières et les homélies ; c’est, enfin, dans cette langue qu’est conçu le fameux serment de Louis le Germanique à Charles le Chauve, premier monument de notre idiome national. — Le latin et le gaulois durent, sans aucun doute, y entrer, suivant les localités, dans des proportions très-différentes. Un Italien a pu écrire, vers 960 : « Vulgaris nostra lingua quæ latinitati vicina est » (Martène, Vet. Scr. I, 298), ce qui explique pourquoi la langue vulgaire provençale était commune à une partie de l’Espagne et de l’Italie ; mais rien ne nous dit qu’il en fut de même de la langue vulgaire du milieu et du nord de la Gaule. Grégoire de Tours (l. VIII), en racontant l’entrée de Gontran à Orléans, distingue nettement la langue latine de la langue vulgaire. En 995, un évêque prêche en gaulois (gallice. Concil. Hardouin, V, 734). Le moine de saint Gall donne le mot veltres (lévriers) pour un mot de langue gauloise (gallica lingua). On lit dans la vie de saint Columban (Acta SS. sec. II, p. 17) : « Ferusculam, quam vulgo homines squirium vocant (un écureuil). » Il est curieux de voir poindre ainsi peu à peu, dans un patois méprisé, notre langue française.
  8. Alb, d’où : Alpes, Albanie ; penn, pic, d’où : Apennins, Alpes Pennines. — Bardd, Βάρδοι, ap. Strab., l. IV, et Diod., l. V. Bardi, ap. Amm. Marc, l. XV, etc. — Derwydd (V. note p. 41) ; aujourd’hui encore en Irlande, Drui signifie magicien ; Druidheacht, magie ; Tolland’s Letters, p. 58. Dans le pays de Galles, on appelle les amulettes de verre : gleini na Droedh, verres de druides. — Trimarkisia, de tri, trois, et marc, cheval. Owen’s welsch Dictionn. Armstrong’s gael dict. « Chaque cavalier gaulois, dit Pausanias (l. X, ap. Scr. fr. I, 469), est suivi de deux serviteurs qui lui donnent au besoin leurs chevaux ; c’est ce qu’ils appellent dans leur langue Trimarkisia (τριμαρϰισια) du mot celtique marca. » — À ces exemples on en pourrait joindre beaucoup d’autres. On retrouve le gœsum (javelot gaulois) des auteurs classiques dans les mots galliques ; gaisde, armé ; gaisg, bravoure, etc. Le cateia, dans gath-teht (prononcez ga-té). La rotta, ou chrotta (Fortunat, VII, 8), dans le gaélique cruit le cymrique crwdd, est la roite du moyen âge. — Le sagum dans l’armorie sae, etc., etc.
  9. Il n’y a pas un homme illettré en Irlande, Galles et Écosse du Nord, qui ne comprenne :
    Arma virumque (ac) cano Trojæa qui primus ab oris
    Gaeliq. Arm agg fer can pi pim fra or
    Gallois. Arvau ac gwr canwyv Troiau cw priv o or
    Γηνητήθω φάος ϰαί ἕγενέτο φάος
    G’ennet pheor agg genneth pheor.
    Ganed fawdd ac y genid fawdd.
    Fiat lux et (ac) lux facta fuit.
    Feet lur agg tur feet fet.
    Tydded lluch a lluch a feithed.
    Cambro-Briton, janvier 1822.
  10. Ardennæ : l’article ar, et den (cymr.), don (bas-bret.), domhainn (gaël.), profond. — Arelate : ar, sur, et lath (gaël.), llaeth (cymr.), marais. — Avenio : adhainn (gaël.), avon (cymr.), eau. — Batavia : bat, profond, et av, eau. — Genabum (Orléans), et de même Genève : cen, pointe, et av, eau. — Morini (le Boulonnais) : môr, mer. — Rhodanus : rhed-an, rhod-an, eau rapide (Adelung Dict. gaël. et welsch.), etc.
  11. On peut citer les exemples suivants :
    Breton. Gallois. Irlandais. Latin.
    Bâton …… …… batta baculus.
    Bras …… braich …… brachium.
    Carriole, chariot carr …… carr currus.
    Chaîne chadden caddan …… catena.
    Chambre cambr …… …… camera.
    Cire …… …… ceir cera.
    Dent …… dant …… dens.
    Glaive glaif …… …… gladius.
    Haleine halan alan …… halitus.
    Lait …… laeth laith lac, lactis.
    Matin mintin …… madin mane, matunitus.
    Prix pris …… pris pretium.
    Sœur choar …… seuar soror.
  12. Ces idées que je hasarde ici trouvent leur démonstration complète et invincible dans le grand ouvrage que M. Edwards va publier sur les langues de l’occident de l’Europe. Puisque j’ai rencontré le nom de mon illustre ami, je ne puis m’empêcher d’exprimer mon admiration sur la méthode vraiment scientifique qu’il suit depuis vingt ans dans ses recherches sur l’histoire naturelle de l’homme. Après avoir pris d’abord son sujet du point de vue extérieur (Influence des agents physiques sur l’homme), il l’a considéré dans son principe de classification (Lettre sur les races humaines). Enfin il a cherché un nouveau principe de classification dans le langage, et il a entrepris de tirer du rapprochement des langues les lois philosophiques de la parole humaine. C’est avoir saisi le point par où se confondent l’existence extérieure de l’homme et sa vie intime. — Ceci était écrit en 1832. — En 1842, nous avons eu le malheur de perdre cet excellent ami. — M. Edwards, né dans les colonies anglaises, était originaire du pays de Galles.
  13. Bien entendu (je m’en suis déjà expliqué) que les genres primitifs sont peu de chose en comparaison de tous les développements qu’en a tirés le travail spontané de la liberté humaine.
  14. Telle terre, telle race. L’idée de la délivrance, dit Turner, ravissait les Kymrys dans leur sauvage pays de Galles, dans leur paradis de pierres ; stony Wales, selon l’expression de Taliesin.
  15. J. Logan : « Les Gaëls remarquent soigneusement que ceux qui ont porté la main sur les pierres druidiques n’ont jamais prospéré. »
  16. Logan : Clach cuid fir, c’est lever une grosse pierre du poids de deux cents livres environ, et la mettre sur une autre d’environ quatre pieds de haut. Un jeune homme qui est capable de le faire est désormais compté pour un homme, et il peut alors porter un bonnet. — Ne semble-t-il pas que les cromlehs soient les jeux des géants ?
  17. Humboldt, Recherches sur la langue des Basques.
  18. Logan.
  19. Idem.
  20. Idem.
  21. Partout où le christianisme ne détruisit pas les cercles druidiques, ils continuèrent à servir de cours de justice. — En 1380, Alexandre lord de Stewart Badenach tint cour aux pierres debout (the Standing Stones) du conseil de Kingusie. — Un canon de l’Église écossaise défend de tenir des cours de justice dans les églises.
  22. Voir les Éclaircissements à la fin de ce chapitre sur les pierres celtiques.
  23. Guillelm. Pictav., ap. Scr. Fr. XI, 88 : « La confiance de Conan II était entretenue par le nombre incroyable de gens de guerre que son pays lui fournissait ; car il faut savoir que dans ce pays, d’ailleurs fort étendu, un seul guerrier en engendre cinquante ; parce que, affranchis des lois de l’honnèteté et de la religion, ils ont chacun dix femmes et même davantage, » — Le comte de Nantes dit à Louis le Débonnaire : « Cœunt frater et ipsa soror, etc. » Ermold. Nigellus, l. III, ap. Scr. Fr. VI, 52. — Hist. Brit. Armoricæ, ibid., VII, 52 : « Sorores suas, neptes, consanguineas, atque alienas mulieres adulterantes, necnon et hominum, quod pejus est, interfectores… diabolici viri. » — César disait des Bretons de la Grande-Bretagne : « Uxores habent deni duodenique inter se communes, et maxime fratres cum fratribus et parentes cum liberis. Sed si qui sunt ex his nati, eorum habentur liberi, a quibus primum virgines quæque ductæ sunt. » Bell. Gall., l. V, c. xiv. — V. aussi la lettre du synode de Paris à Nomenoé (849), ap. Scr. Fr. VII, 504, et celle du concile de Savonnières aux Bretons (859), ibid, 584.
  24. Ducange, Glossarium : On disait : un Breton pour un soldat, un routier, un brigand. Guilbert, de Laude B. Mariæ, c. x. — Charta ann. 1395 : « Per illas partes transierunt gentes armorum Britones et pillardi, et amoverunt quatuor jumenta. » — On disait aussi Breton, pour : conseiller de celui qui se bat en duel. Édit de Philippe le Bel : «… et doit aler cius ki a apelet devant, et ses Bretons porte son escu devant lui. » Carpentier, Supplément au Glossaire de Ducange. — (Breton, bretteur ? bretailleur ? ) — Willelm. Malmsbur., ap. Scr. Fr. XIII, 13 : « Est illud genus hominum egens in patria, aliasque externo ære laboriosæ vitæ mercatur stipendia ; si dederis, nec vilia, sine respectu juris et cognationis, detractans prælia ; sed pro quanti tate nummorum ad quascumque voles partes obnoxium. »
  25. Strabon, Dion, Solin, saint Jérôme, s’accordent sur la licence des mœurs celtiques. — O’Connor dit que la polygamie était permise chez eux ; Derrich, qu’ils changeaient de femme une fois ou deux par an ; Campion, qu’ils se mariaient pour un an et un jour. — Les Pictes d’Écosse prenaient leurs rois de préférence dans la ligne féminine (Fordun, apud Low, Hist. of Scotland) : de même chez les Naïrs du Malabar, dans le pays le plus corrompu de l’Inde, la ligne féminine est préférée, la descendance maternelle semblant seule certaine. — C’est peut-être comme mère des rois que Boadicea et Cartismandua sont reines des Bretons, dans Tacite. — Les lois galloises limitent à trois cas le droit qu’a le mari de battre sa femme (lui avoir souhaité malheur à sa barbe, avoir tenté de le tuer, ou commis adultère). Cette limitation même indique la brutalité des maris. — Cependant l’idée de l’égalité apparaît de bonne heure dans le mariage celtique. Les Gaulois, dit César (B. Gall., lib. VI, 17), apportaient une portion égale à celle de la femme, et le produit du tout était pour le survivant. Dans les lois de Galles, l’homme et la femme pouvaient également demander le divorce. En cas de séparation, la propriété était divisée par moitié. Enfin, dans les poésies ossianiques, bien modifiées, il est vrai, par l’esprit moderne, les femmes partagent l’existence nuageuse des héros. Au contraire, elles sont exclues du Walhalla Scandinave.
  26. Dans l’Italie antique, Deivei parentes. V. la lettre de Cornélie à Caïus Gracchus.
  27. Le partage égal tombe de bonne heure en désuétude dans l’Allemagne ; le Nord y reste plus longtemps fidèle. V. Grimm, Alterthümer, p. 475, et Mittermaier, Grundsætze des deutschen Privatrechts, 3e ausg., 1827, p. 730. — J’ai lu dans un voyage (de M. de Staël, si je ne me trompe), une anecdote fort caractéristique. Le voyageur français, causant avec des ouvriers mineurs, les étonna fort en leur apprenant que beaucoup d’ouvriers français avaient un peu de terre qu’ils cultivaient dans les intervalles de leurs travaux. « Mais quand ils meurent, à qui passe cette terre ? — Elle est partagée également entre leurs enfants. » Nouvel étonnement des Anglais. Le dimanche suivant, ils mettent aux voix entre eux les questions suivantes : « Est-il bon que les ouvriers aient des terres ? » Réponse unanime ; « Oui. » Est-il bon que ces terres soient partagées et ne passent pas exclusivement à l’aîné ? » Réponse unanime : « Non. »
  28. Ou bien ils émigrent. De là le wargus germanique, le ver sacrum des nations italiques. Le droit d’aînesse, qui équivaut souvent à la proscription, au bannissement des cadets, devient ainsi un principe fécond des colonies.
  29. V. mon troisième volume et les ouvrages de Sommer, Robinson, Palgrave, Dalrymple, Sullivan, Hasted, Low, Price, Logan, les Collectanea de Rebus Hibernicis, et les Usances de Rohan, Brouerec, etc. Blackstone n’y a rien compris.
  30. Suivant Turner (Hist. of the Anglo-Saxons, I, 233), ce qui livra la Bretagne aux Saxons, ce fut la coutume du gavelkind, qui subdivisait incessamment les héritages des chefs en plus petites tyrannies. Il en cite deux exemples remarquables.
  31. On sait qu’en Bretagne on donne le titre d’oncle au cousin qui est supérieur d’un degré. Cette coutume tendait évidemment à resserrer les liens de parenté. — En général, l’esprit de clan a été plus fort en Bretagne qu’on ne l’imagine, bien qu’il domine moins chez les Kymrys que chez les Gaëls.
  32. Aussi l’obéissance de ces cousins n’est-elle pas sans indépendance et sans fierté. Un proverbe celtique dit : « Plus forts que le laird sont ses vassaux. » (Logan.) — Ibid., I, 192. Le jeune chef de clan, Rannald, venant prendre possession et voyant la quantité de bêtes qu’on avait tuées pour célébrer son arrivée, remarqua que quelques poules auraient suffi. Tout le clan s’insurgea, et déclara qu’il ne voulait rien avoir à faire avec un chef de poules. Les Frasers, qui avaient élevé le jeune chef, livrèrent un combat sanglant où ils furent défaits et le chef tué.
  33. Proverbe breton : Cent pays, cent modes, cent paroisses, cent Églises :
    Kant brot, kant kis ;
    Kant parrez, kant illis.
    Proverbe gallois : Deux Welches ne resteront pas en bon accord.
  34. Suivant Gildas, p. 8, les Saxons avaient une prophétie selon laquelle ils devaient ravager la Bretagne cent cinquante ans et la posséder cent cinquante (interpolation cambrienne ? )
     
    7
    (Taliesin, p. 94, et apud Turner, I, p. 312.)

    Nous rapporterons aussi la fameuse prophétie de Myrdhyn, d’après Geoffroi de Montmouth, qui nous a transmis les traditions religieuses de la Bretagne, renfermées autrefois dans les livres d’exaltation, comme disaient les Latins (libri exaltationis) :

    « Wortigern étant assis sur la rive d’un lac épuisé, deux dragons en sortirent, l’un blanc et l’autre rouge. » Le rouge chasse le blanc ; le roi demande à Myrdhyn ce que cela signifie… Myrdhyn pleure ; le blanc c’est le Breton, le rouge c’est le Saxon… — « Le sanglier de Cornouailles foulera leurs cols sous ses pieds. Les îles de l’Océan lui seront soumises, et il possédera les ravins des Gaules. Il sera célèbre dans la bouche des peuples, et ses actions seront la nourriture de ceux qui les diront. Viendra le lion de la justice ; à son rugissement trembleront les tours des Gaules et les dragons des îles. Viendra le bouc aux cornes d’or, à la barbe d’argent. Le souffle de ses narines sera si fort qu’il couvrira de vapeurs toute la surface de l’île. Les femmes auront la démarche des serpents, et tous leurs pas seront remplis d’orgueil. Les flammes du bûcher se changeront en cygnes qui nageront sur la terre comme dans un fleuve. Le cerf aux dix rameaux portera quatre diadèmes d’or. Les six autres rameaux seront changés en cornes de bouviers, qui ébranleront par un bruit inouï les trois îles de

  35. la Bretagne. La forêt en frémira, et elle s’écriera par une voix humaine : « Arrive, Cambrie, ceins Cornouailles à ton côté, et dis à Guintonhi : La terre t’engloutira. »

    Ce qui précède est emprunté à la traduction qu’en a donnée Edgar Quinet dans les épopées françaises inédites du xiie siècle. Voici la suite :

    « Alors il y aura massacre des étrangers. Les fontaines de l’Armorique bondiront, la Cambrie sera remplie de joie, les chênes de Cornouailles verdiront. Les pierres parleront ; le détroit des Gaules sera resserré… Trois œufs seront couvés dans le nid, d’où sortiront renard, ours et loup. Surviendra le géant de l’iniquité, dont le regard glacera le monde d’effroi. »

    (Galfrid. Monemutensis, l. IV.)
  36. C’est l’histoire d’Adam et Ève, de Samson et Dalila, d’Hercule et Omphale ; mais la légende celtique est la plus touchante. M. Quinet l’a reprise et agrandie dans son poème : Merlin l’enchanteur (1860). Ce n’est pas dans une note qu’on peut parler d’un tel livre, l’une des œuvres capitales du siècle.
  37. Voici la plus populaire des chansons galloises : elle est mêlée d’anglais et de gallois :

     Doux est le chant du joyeux barde,
    Ar hyd y Nôs (toute la nuit) ;
    Doux le repos des pasteurs fatigués,
    Ar hyd y Nôs ;
    Et pour les cœurs oppressés de chagrin,
    Obligés d’emprunter le masque de la joie.
    Il y a trêve jusqu’au matin,
    Ar hyd y Nôs.

    (Cambro-Briton, novembre 1819.)
  38. On couronnait le roi d’Irlande sur une pierre noirâtre, appelée la Pierre du Destin. Elle rendait un son clair, si l’élection était bonne. (Voyez Tolland, p. 138.) D’Iona elle fut transportée dans le comté d’Argyle, puis à Scone, où l’on inaugurait les rois d’Écosse. Edouard Ier la fit placer, en 1300, à Westminster, sous le siège du couronnement. Les Écossais conservent l’oracle suivant : « Le peuple libre de l’Écosse fleurira, si cet oracle n’est point menteur : partout où sera la pierre fatale, il prévaudra par le droit du ciel. » Logan, I, 197. — En Danemark et en Suède, comme dans l’Irlande et l’Écosse, c’était sur une pierre qu’on faisait l’inauguration des chefs. — Id., p. 198. Sur une belle colline verte, aux environs de Lanark, est une pierre creusée de main d’homme, où siégeait Wallace pour conférer avec ses chefs.
  39. Voir les Éclaircissements à la fin du chapitre sur les Bardes.
  40. Les Tudors ont mis le dragon gallois dans les armes d’Angleterre, que les Stuarts ont ensuite orné du triste chardon de l’Écosse ; mais les farouches léopards ne les ont pas admis sur le pied de l’égalité, pas plus que la harpe irlandaise.
  41. Mémoires de la Société des Antiquaires de Londres.
  42. Voyez le Cambro-Briton (avec cette épigraphe : Kymri fu, Kymri fud). — Plusieurs lois défendaient aux Irlandais de parler le celtique, et de même aux Gallois, vers 1700. — Cambro-Briton, déc. 1821. Dans les principales écoles galloises, surtout dans le Nord, le gallois, loin d’être encouragé, a été depuis plusieurs années défendu sous peine sévère. Aussi les enfants le parlent incorrectement, n’en connaissent point la grammaire, et sont incapables de l’écrire. Mais il semble que les langues celtiques se soient réfugiées dans les académies. En 1711, le pays de Galles avait soixante-dix ouvrages imprimés dans sa langue. Il en a aujourd’hui plus de dix mille. Logan, the Scotish Gaël, 1831. — Le costume n’a pas moins été persécuté que la langue. En 1585, le parlement défendit de paraître aux assemblées en habit irlandais. Toutefois les Irlandais ont quitté leur costume au milieu du xviie siècle, plus aisément que les highlanders d’Écosse.) — On lit dans un journal écossais, de 1750, qu’un meurtrier fut acquitté parce que sa victime portait la tartane.
  43. Giraldus Cambrensis (Topograph. Hiberniæ, III, c. xxix) reprocha à l’Irlande de ne pas compter parmi ses saints un seul martyr. « Non fuit qui faceret hoc bonum : non fuit usque ad unum !  » Moritz, archevêque de Cashel, répondit que l’Irlande pouvait du moins se vanter d’un grand nombre de personnages dont la science avait éclairé l’Europe. « Mais, peut-être, ajouta-t-il, aujourd’hui que votre maître, le roi d’Angleterre, tient la monarchie entre ses mains, nous pourrons ajouter des martyrs à la liste de nos saints. » — O’Halloran, Introduct. to the hist. of Ireland. Dublin, 1803, p. 177.
  44. Logan. C’est une improvisation en vers sur les vertus du mort. À la fin de chaque stance, un chœur de femmes pousse un cri plaintif. Dans les cantons éloignés de l’Irlande, on s’adresse au mort et on lui reproche d’être mort, quoiqu’il eût une bonne femme, une vache à lait, de beaux enfants, et sa suffisance de pommes de terre.
  45. O’Halloran prétend que, d’après les registres du ministère de la guerre, depuis l’an 1691 jusqu’à l’an 1745 inclusivement, quatre cent cinquante mille Irlandais se sont enrôlés sous les drapeaux de la France. Peut-être ceci doit-il s’entendre de tous les Irlandais entrés dans nos armées jusqu’en 1789.
  46. Logan : « Aujourd’hui les montagnards d’Écosse sont obligés, par la misère, d’émigrer ; les terres se changent partout en pâturages ; les régiments peuvent à peine s’y lever. Le piobrach peut sonner ; les guerriers n’y répondront pas. »
  47. Latifundia perdidère Italiam. Pline. — En Écosse, les lairds se sont approprié les terres de leurs clans ; ils ont converti leur suzeraineté en propriété. — En Bretagne, au contraire, beaucoup de fermiers qui tenaient la terre à titre de domaine congéable, sont devenus propriétaires ; les anciens propriétaires ont été dépouillés comme seigneurs féodaux.
  48. Logan.
  49. On voit, dans le moine de Saint-Gall, un pauvre qui a honte d’être roux : « Pauperculo valde rufo, gallicula sua quia pileum non habet, et de colore suo nimium erubuit, caput induto… » Lib. I. ap. Scr. Fr., V.
  50. Moi, je vueil l’œil et brun le teint,
    Bien que l’œil verd toute la France adore.
    Ronsard.
    Ode à Jacques Lepeletier, — Legrand d’Aussy, I, 369 : « Les cheveux de ma femme, qui aujourd’hui me paraissent noirs et pendants, me semblaient alors blonds, luisants et bouclés. Ses yeux, qui me semblent petits ; je les trouvais bleus, charmants et bien fendus. » (Le Mariage ; Alias, Le Jeu d’Adam, le Bossu d’Arras.)
  51. Sur le bord de la Seine, près de Duclair, est une roche très-élevée, connue sous le nom de Chaise de Gargantua ; près d’Orches, à deux lieues de Blois, la Chaise de César ; près de Tancarville, la Pierre Géante, ou Pierre du Géant.