Histoire de Charles XII/Édition Garnier/Notes sur les Remarques de La Motraye

Histoire de Charles XII/Édition Garnier
Notes sur les Remarques de La MotrayeGarniertome 16 (p. 355-368).

NOTES

SUR
LES REMARQUES DE LA MOTRAYE[1]
PRÉCÉDÉES

DU TEXTE SUJET DES NOTES.

I. Mon admiration pour tout ce qui part de votre plume croît de plus en plus.

Si cela était, M. de La Motraye aurait communiqué ses remarques à M. de Voltaire, au lieu de les vendre à un libraire.

II. Ayant eu pendant tant d’années l’honneur d’approcher votre héros, et de converser continuellement avec ses officiers, j’ai dû être mieux informé que vous de ce qui le regarde.

Les mémoires qu’on a communiqués à M. de Voltaire, et qu’il déposera dans une bibliothèque publique, sont faits par des ministres et des officiers généraux, qui peuvent avoir vu beaucoup de choses échappées au sieur de La Motraye.

III. Tout le monde convient que votre livre est très-bien écrit : cela suffirait, dit-on, pour un roman où l’invention domine ; mais ce n’est pas assez pour une histoire où la vérité doit régner absolument, où il faut des nerfs et de la force plutôt que des grâces et des fleurs.

Les nerfs et la force dépendent du style, et non de la vérité. On peut mentir avec force, et dire la vérité ennuyeusement.

IV. Dans le premier livre de votre histoire… vous faites gagner au czar Pierre Ier, en 1697, la bataille d’Azof sur les Turcs, et leur enlever cette ville (la clef de l’empire ottoman), qui se rendit par capitulation le 28e de juillet 1695 ; vous lui faites quitter, en 1678, la Moscovie pour sa grande ambassade ; cette ambassade partit en 1697.

M. de La Motraye se trompe. Azof se rendit le 27 juin 1696. À l’égard de la date de 1678, il n’y a personne qui ne sente que c’est une faute d’impression. Cette faute a été corrigée dans les dernières éditions de l’Histoire de Charles XII.

V. Ce qui me surprend, c’est que vous n’avez pas corrigé dans cette édition (la deuxième de Paris) ce que vous dites de M. Le Fort, qu’il était fils d’un Français réfugié à Genève, et qu’il alla d’abord chercher de l’emploi dans les troupes moscovites.

Cette erreur a été corrigée dans plusieurs éditions. M. de La Motraye devrait les avoir lues, puisque cette critique est imprimée après la quatrième édition débitée en France du livre de M. de Voltaire.

VI. M. Le Fort était d’une famille genevoise partagée entre la magistrature et le commerce… Son père l’envoya chez M. Franconis, fameux négociant de cette ville (Amsterdam).

Jamais M. de Voltaire n’avait eu dessein d’écrire l’histoire de M. Le Fort, ni celle de M. Franconis.

VII. Ce prince (le czar Pierre) ayant un jour remarqué le respect avec lequel Le Fort se tenait derrière la chaise de son maître (l’ambassadeur de Suède) pendant le dîner, et l’envisageant, fut frappé de son bon air et de sa physionomie ; et comme il servait d’interprète et parlait bon russien, Sa Majesté lui demanda de quelle nation il était, et où il avait appris cette langue, et lui fit d’autres questions auxquelles il répondit d’une manière satisfaisante. Le czar en fut charmé, et lui demanda s’il voulait entrer à son service.

C’est au lecteur à décider si ces circonstances étaient bien nécessaires à l’Histoire de Charles XII.

VIII. Le czar en fut si satisfait de l’habillement de Le Fort, qu’il dit qu’il voulait en avoir de semblables pour une compagnie de cinquante hommes, dont il le ferait capitaine, et la faire discipliner à la manière des cours dont il l’avait entretenu. Le Fort chercha chez tous les marchands étrangers établis à Moscou tout ce qui est nécessaire pour habiller cette compagnie ; et, ayant arrêté tous les tailleurs étrangers qui se trouvaient dans la ville, il demanda un ordre au czar pour faire prendre la mesure à ceux d’entre les strélitz qui étaient de plus belle taille et avaient meilleure mine.

Il est constant qu’il n’y avait aucun strélitz dans cette compagnie de cinquante hommes ; mais ces petits faits sont des bagatelles sur lesquelles il importe peu d’avoir raison.

IX. Ce que vous traitez de bruit populaire ou de fausseté, touchant les excès de vin qui portèrent Charles XII avant la guerre à des actions indignes d’un prince... est très-vrai.

Cela est très-faux. M. le comte de Croissy prit un jour la liberté de le demander à Charles XII lui-même, qui, quoi qu’en dise le sieur de La Motraye, répondit que c’était une calomnie. C’est ce que je tiens de la bouche de M. le comte de Croissy, ambassadeur auprès de ce roi.

X. Le comte Dahlberg ayant repris le fort de Dunamunden sur les Saxons par capitulation, après une aussi longue et aussi vigoureuse attaque des assiégeants que fut la résistance des assiégés, ce jeune héros (Charles XII) voulait à toute force qu’on y fît rentrer les prisonniers pour le prendre d’assaut, et sans donner ni recevoir de quartier.

Cela n’est ni vraisemblable ni vrai. De pareils contes déshonoreraient une histoire.

XI. Les relations de la victoire de Narva, assiégée par les Moscovites en 1700, varient fort ; et ce que j’en ai appris... ne s’accorde pas tout à fait avec ce que vous en dites. Vous faites débarquer Charles avec seize mille hommes, etc.

On ne fait presque que copier ici l’histoire de M. de Voltaire ; il n’y a de différence que dans le style et dans des circonstances qu’un écrivain judicieux doit supprimer.

XII. Les officiers dont je viens de parler m’ont raconté, entre autres particularités, que le nombre des prisonniers moscovites était si grand que, pour s’en débarrasser, on les renvoya à leur maitre, après leur avoir ôté jusqu’à un couteau et coupé en deux endroits la ceinture de leurs hauts-de-chausses, qu’ils étaient obligés de soutenir des deux mains.

Il reste à savoir si c’est une faute bien considérable d’avoir omis l’aventure des culottes des Moscovites.

XIII. Je ne vous disputerai point l’étymologie du mot czar ou de czarafis ; je me contente de dire que je n’ai jamais entendu appeler czar que le souverain de Moscovie, dont le fils aîné est toujours appelé czarowitz ; mais je sais bien que les Asiatiques appellent ordinairement le prince de Géorgie Gurgistanbey, etc…

Tout cela n’empêche pas que le mot czar ne signifiât roi et prince chez les Scythes.

XIV. On trouve aussi que la relation que vous avez donnée du siége et de la bataille de Pultava ne s’accorde point avec celles qu’on en a eues jusqu’ici, ni avec ce qu’on en a appris de ceux qui y étaient, etc…

Ces réflexions critiques ne paraissent pas avoir beaucoup de suite. À l’égard de Pultava, M. de Voltaire conserve le plan de la bataille qui lui a été confié par un officier très-expérimenté. À l’égard de Narva et de ses suites, M. de La Motraye fait bien de l’honneur à M. de Voltaire de répéter ce qu’il en a dit dans son histoire.

XV. Vous dites que le général Rehnsköld fit inhumainement massacrer, six heures après la bataille de Frauenstadt, tous les prisonniers moscovites, sans avoir égard à leur soumission ni à leurs larmes : des officiers suédois, qui étaient présents, m’ont assuré que ce fut le roi lui-même qui ordonna ce massacre.

M. de La Motraye n’y était pas, et tous ceux qui y étaient savent que le roi ne vit Rehnsköld que quelques jours après. Si Charles XII avait fait tuer les Moscovites si longtemps après qu’on leur avait donné quartier, il aurait été coupable de la cruauté la plus inouïe et la plus horrible ; mais on sait qu’il n’y eut point de part.

XVI. Mais, ajouterez-vous, Charles XII violait le droit des nations en se faisant livrer Palkul ; je ne répondrai rien à cette objection.

Si vous ne répondez rien à cette objection, ce n’était donc pas la peine de la faire vous-même.

XVII. Ce fut M. le baron de Strålheim, fameux par ses bons mots, qui dit à Charles, le lendemain de son retour d’auprès du roi Auguste à Dresde, ce que vous lui faites dire par le général Rehnsköld.

Cette erreur de nom avait déjà été corrigée.

XVIII. Ce héros tout-puissant en Saxe et en Pologne aurait fait l’action du monde la plus généreuse s’il fût allé visiter le roi Auguste, ou l’eût invité à son quartier immédiatement après la ratification du traité d’Alt-Rantstadt, et qu’il eût déchiré ce traité et dit : Je vous rends la couronne : régnez, et soyez aussi sincèrement mon ami que je veux être le vôtre.

M. de Voltaire s’est contenté de dire ce que Charles XII a fait : c’est à M. de La Motraye à dire ce que Charles XII aurait dû faire.

XIX. Vous dites que le duc de Marlborough, en arrivant à Leipsick, s’adressa secrètement, non au comte Piper, mais au baron de Görtz, etc… Je n’ai jamais ouï parler de ces circonstances.

Vous en avez entendu parler à M. Fabrice, qui vous a protégé auprès du roi de Suède, et qui m’a conté ce fait dont il a été témoin.

XX. Dès que le duc l’aperçut (le comte Piper) sur sa porte prêt à le recevoir, il sortit du carrosse, et, mettant son chapeau, il passa devant lui sans le saluer, et se retira à côté comme pour faire de l’eau…

Que le duc de Marlborough ait pissé ou non en descendant de carrosse, cela pourrait être indifférent ; mais par cette froideur entre lui et le comte Piper, il paraît assez que le duc de Marlborough s’était adressé au baron de Görtz.

XXI. J’ai eu l’honneur d’approcher assez souvent Charles XII pendant son séjour à Bender ; je n’ai jamais remarqué en lui la moindre aversion pour la France.

Il y a des courriers du cabinet qui approchent des princes, qui portent les secrets de l’État, mais qui ne les savent pas.

XXII. Le traité en faveur des Silésiens protestants, que vous faites rompre à l’empereur Joseph dès que Charles ne fut plus en état d’imposer des lois, ne s’exécuta qu’alors. Je vis à mon retour de Russie, en passant par la Silésie, quantité de ces protestants encore en pleine possession des priviléges et des églises qu’ils avaient recouvrés par ce traité.

Il n’y a eu que très-peu d’églises de rendues ; c’est un fait connu.

XXIII. L’ambassadeur que vous faites envoyer par le Grand Seigneur au roi de Suède était un aga envoyé à la république de Pologne, qui, voyant que tous les ministres étrangers complimentaient Charles sur ses victoires, et le nouveau roi sur son avènement à la couronne, en fit de même.

Puisqu’il rendit des esclaves suédois, apparemment qu’il avait quelque ordre pour le roi de Suède.

XXIV. Vous dites que la gangrène se mit au pied du roi immédiatement après sa blessure à Pultava : ce ne fut qu’à Bender qu’il en parut quelques symptômes.

Si M. de La Motraye avait vu les dernières éditions du livre qu’il critique, il aurait lu qu’on commençait à craindre la

XXV. Je lui ai ouï dire (au chirurgien qui embauma le corps de Charles XII) plus d’une fois qu’il n’avait jamais vu de corps plus sain, et dont toutes les parties fussent plus parfaites, excepté que les pellicules intérieures du bas-ventre étaient si minces, ce qu’il attribuait au violent et fréquent exercice du cheval, que s’il eût vécu il n’aurait pu éviter une rupture.

Le fréquent exercice du cheval devait faire un effet contraire ; mais cette erreur est pardonnable.

XXVI. La chancellerie n’était pas toute prise, comme vous dites, puisque M. Muller, M. le conseiller Fief, et plusieurs secrétaires que j’ai rachetés à Bender, des mains des Turcs et des Tartares, ne l’étaient pas.

On a dit que presque toute la chancellerie était prise ; ce qui est vrai.

XXVII. On mit ce prince dans un carrosse qu’on avait transporté de l’autre côté du fleuve, car il n’était pas en état de monter à cheval, et le général Hord, qui était aussi blessé, y entra avec le roi. Ils traversèrent le désert qui règne entre le Borysthène et le Bog, et qui fait partie de la Scythia parva des anciens, où je m’égarai et errai pendant trois ou quatre jours sans trouver ni eau ni provisions, en 1717, à mon retour de Circassie.

Tout cela se trouve à peu près dans l’histoire, excepté la disette d’eau où s’est trouvé M. de La Motraye, en 1717, fait important, mais dont il était difficile d’être instruit.

XXVIII. Le roi accepta les rafraîchissements que ce pacha avait fait apporter, reçut ses excuses, et ne lui fit point la réprimande que vous dites.

On a le contraire écrit de la main de M. de Poniatowski.

XXIX. Le roi écrivit ensuite au Grand Seigneur la lettre que vous avez trouvée dans l’appendice de mon premier volume ; mais vous en avez changé le style, et l’avez abrégée de moitié.

Est-ce une si grande faute d’abréger un peu ces écrits publics, et de conserver seulement ce qui est essentiel ?

XXX. Le comte Piper, que vous faites mourir à Moscou, mourut à Slutelbourg…

Cette faute, si peu essentielle, a été déjà reconnue et corrigée dans une édition d’Angleterre et dans une édition de Hollande.

XXXI. Au reste, les luthériens, bien loin d’être prédestinateurs comme vous le supposez, ont en horreur les calvinistes et les autres chrétiens qui croient la prédestination… Mais on vous pardonnera aisément cette faute, si on fait réflexion que vous avez plus étudié l’ancienne mythologie que les systèmes des théologiens.

M. de Voltaire connaît les mythologies anciennes et nouvelles, et leur rend la justice qu’elles méritent ; il sait que Luther était prédestinateur outré, et que les luthériens l’ont abandonné sur cet article. Il a dit que la prédestination était un principe de Charles XII, mais il n’a pas dit que ce fût le dogme des ministres luthériens.

XXXII. Vous dites que le général Poniatowski trouva moyen de faire parvenir à la sultane Validé (ou sultane mère) une lettre de Charles XII. Cette lettre, celles que vous faites écrire par la Validé à ce général de sa propre main, le récit que vous faites faire par M. Bru des exploits de ce héros au chef des eunuques…, tout cela ne peut que paraître romanesque à ceux qui ont quelque connaissance du génie des Turcs…

L’auteur conserve et déposera dans une bibliothèque publique la lettre de M. de Poniatowski, dans laquelle on trouve ces propres paroles : Si je retrouve quelques lettres de la sultane Validé, je vous les enverrai par madame de ***. Le sieur de La Motraye peut, s’il veut, donner un démenti à M. de Poniatowski, pour avoir le plaisir d’écrire.

XXXIII. Les Grands Seigneurs ne se mariant jamais, et ne prenant que des concubines à qui on n’apprend point à écrire.

Cela est très-faux ; il n’y a point de femme à qui on n’apprenne à lire et à écrire.

XXXIV. M. Bru était mon bon ami, et m’a fourni quelques mémoires : il connaissait trop bien l’indifférence des Turcs sur ce que font les chrétiens pour avoir dit qu’ils se plaisaient à en faire le sujet de leurs entretiens.

Les Turcs peuvent avoir beaucoup d’indifférence pour ce que font les chrétiens en France et à Rome, mais non pas pour ce que faisait chez eux un roi qui faisait déposer tant de vizirs.

XXXV. Les mécontents qui, en 1703, élevèrent sur le trône, à la place de Mustapha Achmet, son frère dernier déposé, exigèrent de lui, à ce qu’on a dit, qu’il ne donnerait aucune part dans les affaires de l’empire à la sultane sa mère ; et depuis je n’ai ouï dire à personne qu’elle s’en soit mêlée.

M. de Poniatowski, M. Fabrice, M. de Fierville, M. de Villelongue, peuvent savoir des choses que M. de La Motraye ne sait pas.

XXXVI. Il est aussi incertain que le czar ait demandé Mazeppa à la Porte, qu’il l’est que le vizir qui pouvait le forcer, au Pruth, à lui livrer Cantemir, l’ait demandé.

Cela est très-certain ; on en a la preuve dans les manuscrits qu’on déposera.

XXXVII. La fiole de poison destinée par les Moscovites pour le général Poniatowski, que vous faites porter au Grand Seigneur, n’a pas plus de fondement, et n’a été tout au plus qu’une invention pour les rendre odieux aux Turcs.

Le sieur de La Motraye, qui n’y était pas, dément encore M. de Poniatowski, et sera bien surpris quand il verra sa lettre.

XXXVIII. Vous attribuez avec aussi peu de fondement à Charles XII la déposition des vizirs qu’il croyait lui être contraires.

Il est faux que M. de Voltaire attribue la déposition de tous les vizirs à Charles XII et à son parti.

XXXIX. Vous faites Baltagi Mehemet vizir par une intrigue de sa femme, vous le déposez par une autre, et vous le refaites vizir par une troisième intrigue de la même femme. Cependant il n’a jamais été vizir qu’une fois.

Il a été vizir deux fois. Il était pacha d’Alep après son premier viziriat, comme le savent et l’attestent tous nos négociants d’Alep.

XL. Vous lui faites dire au Grand Seigneur, en recevant le sabre : « Ta Hautesse sait que j’ai été élevé à me servir d’une hache pour fendre du bois, et non d’une épée pour commander tes armées : je tâcherai de te servir ; mais si je ne réussis pas, souviens-toi que je t’ai supplié de ne me le point imputer. » Le sultan, ajoutez-vous, l’assura de son amitié, et le vizir se prépara à obéir. On met ce dialogue avec la réponse suivante que vous faites faire par le grand vizir déposé Couprougli Oglou au Grand Seigneur...

On a des preuves par écrit de tout ce qu’on a avancé dans l’Histoire de Charles XII. Les doutes de M. de La Motraye, qui n’a pu ni tout voir ni tout entendre, et qui n’a vu ni entendu que de loin, ne suffisent pas pour détruire la validité des mémoires les plus authentiques.

XLI. Vous faites assembler à Belgrade l’armée turque destinée contre le czar, qui est en Moldavie, par un détour de plus de cent lieues. Cette armée s’assembla dans la plaine d’Andrinople, qui est le droit chemin.

Il est certain que la plus grande partie de l’armée s’assembla à Belgrade, parce qu’il y avait beaucoup de troupes en Hongrie ; il y a environ cent de nos lieues de Belgrade à Yassi, et cent cinquante d’Andrinople à Yassi.

XLII. Sultan Ibrahim, qu’Osman aga et l’ancien vizir Chourlouli Ali bacha avaient formé le dessein de mettre sur le trône, en déposant Achmet, n’était point fils aîné du sultan Mustapha, comme vous le faites, mais bien fils unique de Soliman, oncle de l’un et de l’autre.

Cela est corrigé dans la dernière édition de Hollande.

XLIII. Baltagi Mehemet ne fut point banni pour la raison que vous alléguez, ni pour aucune autre ; mais étant de retour à Andrinople avec l’armée, il demanda sa démission au Grand Seigneur à cause de son grand âge, lui recommandant Yasust bacha, alors janissaire aga, pour son successeur au viziriat, ce qu’il obtint ; et il choisit volontairement Lemnos pour retraite.

M. de Poniatowski dit positivement le contraire.

XLIV. M. Gluk, chez qui la dame Catherine servit, et que vous appelez intendant du pays, était le premier ministre de la principale église de Marienbourg.

Il est qualifié de ministre luthérien dans quatre éditions.

XLV. Pour faire croire les Turcs capables de la perfidie que vous leur attribuez (de vouloir livrer Charles XII à ses ennemis en Pologne), il faudrait supposer que le czar et le roi de Pologne auraient gagné par argent non-seulement le kan, le bâcha et les envoyés de la Porte, mais toutes les troupes de l’escorte.

On ne leur a pas attribué de perfidie ; on a soupçonné les Tartares, et non les Turcs.

XLVI. Vous dites que quand je fus envoyé à Constantinople emprunter de l’argent pour le roi de Suède, je mis le plein pouvoir et les lettres de ce prince dans un livre dont j’avais ôté le carton, et passai au milieu des Turcs mon livre à la main, disant que c’était mon livre de prières ; mais je ne portai point ce livre à la main ; il était dans ma valise, confondu avec d’autres livres.

Il est vrai qu’on a laissé cette erreur essentielle.

XLVII. Le Grand Seigneur n’ordonna douze cents bourses pour le roi qu’après que ce prince lui eut écrit qu’il était résolu de s’en retourner incessamment dans ses États, et lui en eut demandé mille.

Cela est dit mot pour mot dans l’histoire.

XLVIII. Les prétendues lettres du comte Flemming en chiffres au kan, qui, interprétées, dites-vous, par les Suédois, les déterminèrent à croire que le roi Auguste marchandait avec le kan et le bacha pour lui livrer le roi de Suède ; le soupçon qu’en conçut Charles XII et dans lequel il fut, ajoutez-vous, confirmé par le départ précipité du comte Sapieha, tout cela a paru imaginaire, et pouvait être un prétexte pour différer le départ du roi, qui, ayant remarqué la facilité et la générosité avec laquelle le Grand Seigneur donnait douze cents bourses, au lieu de mille qu’il avait demandées, en demanda encore mille autres. Ce soupçon, qu’on a fait servir de raison pour excuser le refus et la résistance de ce prince à Varnitza, ne pouvait être confirmé par le départ précipité de Sapieha, qui ne partit de Bender que quelques semaines après l’affaire de Varnitza, lorsque Sa Majesté était déjà arrivée dans le voisinage d’Andrinople. Voici ce qu’il y a de certain au sujet de ce comte. Il s’était épuisé en Pologne pour le service de ce monarque, et n’en avait pas été vu de meilleur œil qu’à Bender, où il disait que ses compatriotes et ses rivaux avaient prévenu Sa Majesté contre lui, comme ils firent, ajoutait-il, le roi Stanislas en y arrivant. Il se voyait sans argent et sans crédit ; il songea à faire sa paix avec le roi Auguste, comme ont fait dans la suite ces mêmes compatriotes. Quelle trahison trouvez-vous là dedans ?

Ce qu’il y a de certain par tout ce récit, c’est que M. de La Motraye n’en sait rien.

XLIX. Je n’ai jamais ouï parler du mot : Nous combattrons pro aris et focis, que vous mettez dans la bouche de ce prince.

C’est ce qu’on tient de la bouche de M. Fabrice et de plusieurs autres témoins,

L. Quelques domestiques me dirent qu’ils le[2] croyaient brûlé, parce qu’ils avaient vu une grande partie du plancher tomber en charbons ardents, justement à l’endroit où il tirait par une fenêtre sur les Turcs.

Un homme qui a été son domestique assure qu’il fut coupé en deux par les Tartares.

LI. Ils ne le désarmèrent point (Charles XII), comme vous dites ; il jeta d’abord son épée en l’air pour les prévenir.

On lui saisit son épée comme il levait le bras.

LII. Rien n’est plus facile que de présenter des requêtes au Grand Seigneur ; cela n’a jamais été défendu à personne par aucun vizir.

Cela avait été expressément défendu : il est bien étrange que le sieur de La Motraye, qui n’y était pas, veuille en savoir plus que M. de Villelongue lui-même. L’auteur a les lettres originales de M. de Villelongue, qui peuvent servir à confondre les critiques inconsidérées.

LIII. Ce ne fut pas le sultan Galga (comme on appelle les fils aînés des kans), mais Carplan Gherei, frère du kan déposé, qui fut mis en sa place.

Aussi trouve-t-on dans la nouvelle édition de Hollande Carplan Gherei[3].

LIV. Je sais bien que M. Désaleurs persuada à quelques marchands de lui prêter aussi quelque somme d’argent, je ne puis dire combien ; mais il ne prêta rien lui-même, et ne fit que répondre du payement.

Cela est encore très-faux ; les enfants de M. Désaleurs ont les papiers justificatifs par lesquels il paraît qu’il prêta vingt mille écus, et répondit de pareille somme.

LV. M. Jacques Cooke… lui avança non-seulement de nouvelles sommes, mais jugea que Sa Majesté ne prendrait pas en mauvaise part l’offre… de ce que son frère et lui avaient de vaisselle d’argent, etc.

Tout lecteur judicieux verra que l’histoire du payement du sieur Thomas Cooke ne devait pas tenir deux pages dans l’histoire de Charles XII.

LVI. Vous assurez qu’il n’y avait point de ministre de Hollande à la cour de Suède quand le roi fit arrêter à Stockholm le résident anglais, en représailles de l’arrêt du comte Gyllenborg à Londres, et qu’ainsi il ne put venger le baron de Görtz arrêté par les Hollandais. Cependant il y en avait alors un.

Ce ministre n’arriva en Suède que plus de quatre mois après l’élargissement du baron de Görtz en Hollande.

LVII. Vous dites, parlant des circonstances de la mort du roi, que ce que tant d’écrivains et moi-même avons avancé, touchant la conversation entre ce prince et l’ingénieur Mégret, est absolument faux.

Oui, on le dit, et on a raison de le dire. M. Siquier, qui était seul auprès du roi, a dit à l’auteur plusieurs fois, en présence de témoins, que toute cette conversation était entièrement fabuleuse : il est à Paris ; on peut s’en informer à lui-même.

LVIII. Ceux qui, ignorant tout cela, ont voulu et veulent encore que le roi ait été tué par quelqu’un de ses gens, n’ont soupçonné M. Siquier que quelques années après.

Toute l’Europe est bien persuadée du ridicule de cette calomnie ; et M. de Voltaire ne l’a rapportée que pour en faire sentir l’extravagance. Il souhaiterait que cet exemple pût servir à arrêter la licence effrénée de ceux qui imputent toujours la mort d’un prince à l’ambition de son successeur.

LIX. On trouve qu’au lieu d’abaisser si fort les Anglais de notre siècle au-dessous de ceux de Cromwell, vous les pourriez fort bien comparer à votre héros… Divers imprimés hebdomadaires de Londres vous ont fait des reproches très-vifs… Je vous plains… d’avoir, sans y penser, encouru la haine de presque toutes les nations dont vous avez eu à parler.

De quel droit, par quelle raison et avec quelle confiance osez-vous dire que M. de Voltaire a encouru la haine des nations dont il a parlé ? Il est vrai que son histoire a été longtemps le sujet de quelques débats en Angleterre, dans les papiers publics ; mais il est aisé de voir par ces papiers que l’Histoire de Charles XII servait de prétexte aux écrivains de parti. On sait les obligations que M. de Voltaire a aux Anglais ; on sait aussi son sincère attachement pour cette nation, et il vous sied bien mal de dire qu’une histoire dont on a fait deux traductions anglaises, et qu’on a imprimée plus souvent à Londres qu’à Paris, déplaît au peuple anglais. M. de Voltaire ose se flatter d’avoir plus de suffrages en Angleterre que dans sa patrie.

LX. Dans un autre endroit de ce même errata, en voulant corriger une prétendue faute, vous en faites une réelle ; vous dites qu’il faut lire Achmet II au lieu de Mahomet IV.

Cet errata n’a point été fait par l’auteur de l’Histoire de Charles XII. Il est très-imparfait et très-incorrect, La plupart des fautes ont été corrigées dans la dernière édition de Hollande ; et l’ordre de la succession dans l’empire ottoman y est fidèlement observé.

LXI. Vous dites… que le baron de Görtz alla de Suède en France et en Hollande : cela est vrai ; mais vous ajoutez en Angleterre pour essayer les ressorts qu’il voulait jouer. Il n’alla point en Angleterre, au moins depuis le retour du roi de Suède en ses États.

Les personnes qui lui ont parlé dans son voyage secret en Angleterre sont encore à Paris.

LXII. Ces duchés (de Brême et Verden) ne furent point les motifs de l’animosité que pouvait avoir Charles contre George (électeur de Hanovre et roi d’Angleterre). Le roi de Danemark était celui contre lequel il parut toujours le plus animé.

M. de La Motraye permettra qu’on en croie les mémoires des ministres les mieux instruits.

LXIII. Vous faites passer le duc d’Ormond à Madrid quelques années avant qu’il y passât ; vous l’envoyez rencontrer le czar Pierre Ier en Courlande… Il n’alla pas en Courlande non plus qu’au congrès d’Aland, entamé en 1717.

Ces faits sont si connus qu’on ne peut qu’admirer la hardiesse avec laquelle on les nie. Il n’y a point d’Anglais qui ne sache que le duc d’Ormond partit de Loches environ vers la fin de 1716,

LXIV. Le czar n’y envoya (au congrès d’Aland), selon vous, qu’un seul plénipotentiaire, à savoir le baron Ostreman, pour traiter avec le baron de Görtz. Permettez-moi de vous dire qu’il y en envoya trois, à savoir le comte Bruce en qualité de premier plénipotentiaire, le baron Ostreman, et le baron Yagorenski ; il y eut aussi trois plénipotentiaires de la part de la Suède, à savoir le baron de Görtz, le baron de Lillisted, et le comte de Gyllenborg.

On n’a point dit qu’il n’y avait qu’un plénipotentiaire : d’ailleurs le nombre des plénipotentiaires subalternes importe peu dans une histoire où l’on n’a jamais égard qu’aux grands événements. La gravité de l’histoire dédaigne les détails des gazettes.

LXV. Ce n’est qu’en ce temps-là, à savoir en 1717, que vous placez l’entière exécution ou la libre étendue du projet de donner à une petite pièce de cuivre, à peine de la valeur intrinsèque d’un demi-sol de France, celle de trente-deux sols d’argent. Ce projet fut formé à Stralsund, et exécuté en Suède dès 1715, comme il paraît par la première empreinte que j’ai donnée dans mon second volume, tant de cette monnaie fictice que de celles de 1716, 1717, 1718, et de 1719. Cette dernière fut frappée et eut cours en 1718, et le plus grand nombre en parut en cette même année et excita le plus de murmure contre le baron de Görtz.

Par vos propres paroles, il demeure constant qu’on n’a pas toujours également fait usage de cette monnaie : son grand cours ne fut en effet qu’en 1717 et 1718, mais non pas en 1719, car ce fut alors qu’on commença à l’abolir.

LXVI. On est surpris, monsieur, de vous voir donner à gauche sur des choses si voisines de nous, et par conséquent si aisées à approfondir, et de trouver dans une histoire si moderne et si courte tant d’anachronismes.

Les anachronismes et les fautes sont dans ces courtes Remarques ; on s’est cru obligé d’y répondre par respect pour le public.

FIN DES NOTES SUR LES REMARQUES DE LA MOTRAYE.
  1. La Motraye, gentilhomme français, voyageait en Turquie et se trouva à Bender dans le temps que Charles XII y était pour ainsi dire interné. Il prêta de l’argent à ce prince ; il se chargea d’en obtenir pour lui à Constantinople, etc. Revenu en France, il attaqua sans nulle retenue l’Histoire de Voltaire quelques mois après son apparition (1732). Voltaire fit une courte réponse à chacune des Remarques historiques et critiques de La Motraye. (G. A.)
  2. Il s’agit de Frédéric, valet de chambre du roi de Suède ; voyez la note de Voltaire, page 302.
  3. Je ne connais aucune édition où il soit question de Carplan Gherei. L’édition de 1746 portait encore : « Il mit sur le trône des Tartares le fils du kan déposé, jeune homme de son âge, etc. » C’est en 1748 seulement que Voltaire mit : « Le frère du kan, etc. », qu’on lit aujourd’hui. (B.)