Histoire de Charles XII/Édition Garnier/Livre 6

Histoire de Charles XIIGarniertome 16 (p. 281-302).

LIVRE SIXIÈME.

ARGUMENT.

Intrigues à la Porte-Ottomane. Le kan des Tartares et le bacha de Bender veulent forcer Charles de partir. Il se défend avec quarante domestiques contre une armée. Il est pris et traité en prisonnier.

La fortune du roi de Suède, si changée de ce qu’elle avait été, le persécutait dans les moindres choses : il trouva, à son retour, son petit camp de Bender et tout le logement inondés des eaux du Niester ; il se retira à quelques milles, près d’un village nommé Varnitza, et, comme s’il eût eu un secret pressentiment de ce qui devait lui arriver, il fit bâtir en cet endroit une large maison de pierre, capable, en un besoin, de soutenir quelques heures un assaut. Il la meubla même magnifiquement, contre sa coutume, pour imposer plus de respect aux Turcs.

Il en construisit aussi deux autres, l’une pour sa chancellerie, l’autre pour son favori Grothusen, qui tenait une de ses tables. Tandis que le roi bâtissait ainsi près de Bender, comme s’il eût voulu rester toujours en Turquie, Baltagi Mehemet, craignant plus que jamais les intrigues et les plaintes de ce prince à la Porte, avait envoyé le résident de l’empereur d’Allemagne demander lui-même à Vienne un passage pour le roi de Suède par les terres héréditaires de la maison d’Autriche. Cet envoyé avait rapporté en trois semaines de temps une promesse de la régence impériale de rendre à Charles XII les honneurs qui lui étaient dus, et de le conduire en toute sûreté en Poméranie.

On s’était adressé à cette régence de Vienne, parce qu’alors l’empereur d’Allemagne Charles, successeur de Joseph Ier, était en Espagne, où il disputait la couronne à Philippe V. Pendant que l’envoyé allemand exécutait à Vienne cette commission, le grand vizir envoya trois bachas au roi de Suède pour lui signifier qu’il fallait quitter les terres de l’empire turc.

Le roi, qui savait l’ordre dont ils étaient chargés, leur fit d’abord dire que s’ils osaient lui rien proposer contre son honneur, et lui manquer de respect, il les ferait pendre tous trois sur l’heure. Le bacha de Salonique, qui portait la parole, déguisa la dureté de sa commission sous les termes les plus respectueux. Charles finit l’audience sans daigner seulement répondre ; son chancelier Muller, qui resta avec ces trois bachas, leur expliqua en peu de mots le refus de son maître, qu’ils avaient assez compris par son silence.

Le grand vizir ne se rebuta pas : il ordonna à Ismaël bacha, nouveau sérasquier de Bender, de menacer le roi de l’indignation du sultan s’il ne se déterminait pas sans délai. Ce sérasquier était d’un tempérament doux et d’un esprit conciliant, qui lui avait attiré la bienveillance de Charles et l’amitié de tous les Suédois. Le roi entra en conférence avec lui, mais ce fut pour lui dire qu’il ne partirait que quand Achmet lui aurait accordé deux choses : la punition de son grand vizir, et cent mille hommes pour retourner en Pologne.

Baltagi Mehemet sentait bien que Charles restait en Turquie pour le perdre : il eut soin de faire mettre des gardes sur toutes les routes de Bender à Constantinople pour intercepter les lettres du roi. Il fit plus, il lui retrancha son thaïm, c’est-à-dire la provision que la Porte fournit aux princes à qui elle accorde un asile. Celle du roi de Suède était immense, consistant en cinq cents écus par jour en argent, et dans une profusion de tout ce qui peut contribuer à l’entretien d’une cour dans la splendeur et dans l’abondance.

Dès que le roi sut que le vizir avait osé retrancher sa subsistance, il se tourna vers son grand-maître d’hôtel, et lui dit : « Vous n’avez eu que deux tables jusqu’à présent ; je vous ordonne d’en tenir quatre dès demain. »

Les officiers de Charles XII étaient accoutumés à ne trouver rien d’impossible de ce qu’il ordonnait ; cependant on n’avait ni provisions ni argent : on fut obligé d’emprunter à vingt, à trente, à quarante pour cent, des officiers, des domestiques et des janissaires, devenus riches par les profusions du roi. M. Fabrice, l’envoyé de Holstein, Jeffreys, ministre d’Angleterre, leurs secrétaires, leurs amis, donnèrent ce qu’ils avaient. Le roi, avec sa fierté ordinaire, et sans inquiétude du lendemain, subsistait de ces dons, qui n’auraient pas suffi longtemps. Il fallut tromper la vigilance des gardes, et envoyer secrètement à Constantinople pour emprunter de l’argent des négociants européens[1]. Tous refusèrent d’en prêter à un roi qui semblait s’être mis hors d’état de jamais rendre. Un seul marchand anglais, nommé Cook, osa enfin prêter environ quarante mille écus, satisfait de les perdre si le roi de Suède venait à mourir. On apporta cet argent au petit camp du roi, dans le temps qu’on commençait à manquer de tout, et à ne plus espérer de ressource.

Dans cet intervalle, M. Poniatowski écrivit, du camp même du grand vizir, une relation de la campagne du Pruth, dans laquelle il accusait Baltagi Mehemet de lâcheté et de perfidie. Un vieux janissaire, indigné de la faiblesse du vizir, et de plus gagné par les présents de Poniatowski, se chargea de cette relation, et, ayant obtenu un congé, il présenta lui-même la lettre au sultan.

Poniatowski partit du camp quelques jours après, et alla à la Porte-Ottomane former des intrigues contre le grand vizir, selon sa coutume.

Les circonstances étaient favorables : le czar, en liberté, ne se pressait pas d’accomplir ses promesses[2] ; les clefs d’Azof ne venaient point ; le grand vizir, qui en était responsable, craignant avec raison l’indignation de son maître, n’osait s’aller présenter devant lui.

Le sérail était alors plus rempli que jamais d’intrigues et de factions. Ces cabales, que l’on voit dans toutes les cours, et qui se terminent d’ordinaire dans les nôtres par quelque déplacement de ministre, ou tout au plus par quelque exil, font toujours tomber à Constantinople plus d’une tête ; il en coûta la vie à l’ancien vizir Chourlouli et à Osman, ce lieutenant de Baltagi Mehemet, qui était le principal auteur de la paix du Pruth, et qui depuis cette paix avait obtenu une charge considérable à la Porte. On trouva parmi les trésors d’Osman la bague de la czarine, et vingt mille pièces d’or au coin de Saxe et de Moscovie ; ce fut une preuve que l’argent seul avait tiré le czar du précipice, et avait ruiné la fortune de Charles XII. Le vizir Baltagi Mehemet fut relégué dans l’île de Lemnos, où il mourut trois ans après. Le sultan ne saisit son bien ni à son exil ni à sa mort ; il n’était pas riche, et sa pauvreté justifia sa mémoire.

À ce grand vizir succéda Jassuf, c’est-à-dire Joseph, dont la fortune était aussi singulière que celle de ses prédécesseurs. Né sur les frontières de la Moscovie, et fait prisonnier par les Turcs à l’âge de six ans avec sa famille, il avait été vendu à un janissaire. Il fut longtemps valet dans le sérail, et devint enfin la seconde personne de l’empire où il avait été esclave ; mais ce n’était qu’un fantôme de ministre. Le jeune Selictar Ali Coumourgi l’éleva à ce poste glissant, en attendant qu’il pût s’y placer lui-même, et Jussuf, sa créature, n’eut d’autre emploi que d’apposer les sceaux de l’empire aux volontés du favori. La politique de la cour ottomane parut toute changée dès les premiers jours de ce vizirat : les plénipotentiaires du czar, qui restaient à Constantinople et comme ministres et comme otages, y furent mieux traités que jamais ; le grand vizir confirma avec eux la paix du Pruth ; mais ce qui mortifia le plus le roi de Suède, ce fut d’apprendre que les liaisons secrètes qu’on prenait à Constantinople avec le czar étaient le fruit de la médiation des ambassadeurs d’Angleterre et de Hollande.

Constantinople, depuis la retraite de Charles à Bender, était devenue ce que Rome a été si souvent, le centre des négociations de la chrétienté. Le comte Désaleurs, ambassadeur de France, y appuyait les intérêts de Charles et de Stanislas ; le ministre de l’empereur allemand les traversait ; les factions de Suède et de Moscovie s’entre-choquaient, comme on a vu longtemps celles de France et d’Espagne agiter la cour de Rome.

L’Angleterre et la Hollande, qui paraissaient neutres, ne l’étaient pas : le nouveau commerce que le czar avait ouvert dans Pétersbourg attirait l’attention de ces deux nations commerçantes.

Les Anglais et les Hollandais seront toujours pour le prince qui favorisera le plus leur trafic. Il y avait beaucoup à gagner avec le czar[3] : il n’est donc pas étonnant que les ministres d’Angleterre et de Hollande le servissent secrètement à la Porte-Ottomane. Une des conditions de cette nouvelle amitié fut que l’on ferait sortir incessamment Charles des terres de l’empire turc : soit que le czar espérât se saisir de sa personne sur les chemins, soit qu’il crût Charles moins redoutable dans ses États qu’en Turquie, où il était toujours sur le point d’armer les forces ottomanes contre l’empire des Russes.

Le roi de Suède sollicitait toujours la Porte de le renvoyer par la Pologne avec une nombreuse armée. Le divan résolut en effet de le renvoyer, mais avec une simple escorte de sept à huit mille hommes ; non plus comme un roi qu’on voulait secourir, mais comme un hôte dont on voulait se défaire. Pour cet effet, le sultan Achmet lui écrivit en ces termes :


Très-puissant entre les rois adorateurs de Jésus, redresseur des torts et des injures, et protecteur de la justice dans les ports et les républiques du Midi et du Septentrion, éclatant en majesté, ami de l’honneur et de la gloire, et de notre Sublime-Porte, Charles, roi de Suède, dont Dieu couronne les entreprises de bonheur.

« Aussitôt que le très-illustre Achmet, ci-devant chiaoux pachi[4], aura eu l’honneur de vous présenter cette lettre, ornée de notre sceau impérial, soyez persuadé et convaincu de la vérité de nos intentions qui y sont contenues, à savoir que, quoique nous nous fussions proposé de faire marcher de nouveau contre le czar nos troupes toujours victorieuses, cependant ce prince, pour éviter le juste ressentiment que nous avait donné son retardement à exécuter le traité conclu sur les bords du Pruth, et renouvelé depuis à notre Sublime-Porte, ayant rendu à notre empire le château et la ville d’Azof, et cherché par la médiation des ambassadeurs d’Angleterre et de Hollande, nos anciens amis, à cultiver avec nous les liens d’une constante paix, nous la lui avons accordée, et donné à ses plénipotentiaires, qui nous restent pour otages, notre ratification impériale, après avoir reçu la sienne de leurs mains.

« Nous avons donné au très-honorable et vaillant Delvet Gheraï, kan de Cudziack, de Crimée, de Nagaï et de Circassie, et à notre très-sage conseiller et généreux sérasquier de Bender, Ismaël (que Dieu perpétue et augmente leur magnificence et prudence), nos ordres inviolables et salutaires pour votre retour par la Pologne, selon votre premier dessein, qui nous a été renouvelé de votre part. Vous devez donc vous préparer à partir sous les auspices de la Providence, et avec une honorable escorte, avant l’hiver prochain, pour vous rendre dans vos provinces, ayant soin de passer en ami par celles de la Pologne.

« Tout ce qui sera nécessaire pour votre voyage vous sera fourni par ma Sublime-Porte, tant en argent qu’en hommes, chevaux et chariots. Nous vous exhortons surtout, et vous recommandons de donner vos ordres les plus positifs et les plus clairs à tous les Suédois et autres gens qui se trouvent auprès de vous de ne commettre aucun désordre, et de ne faire aucune action qui tende directement ou indirectement à violer cette paix et amitié.

« Vous conserverez par là notre bienveillance, dont nous chercherons à vous donner d’aussi grandes et d’aussi fréquentes marques qu’il s’en présentera d’occasions. Nos troupes destinées pour vous accompagner recevront des ordres conformes à nos intentions impériales.

« Donné à notre Sublime-Porte de Constantinople, le 14 de la lune rebyul eurech 1124. » Ce qui revient au 19 avril 1712.


Cette lettre ne fit point encore perdre l’espérance au roi de Suède : il écrivit au sultan qu’il serait toute sa vie reconnaissant des faveurs dont Sa Hautesse l’avait comblé ; mais qu’il croyait le sultan trop juste pour le renvoyer avec la simple escorte d’un camp-volant dans un pays encore inondé des troupes du czar. En effet l’empereur russe, malgré le premier article de la paix du Pruth, par lequel il s’était engagé à retirer toutes ses troupes de la Pologne, y en avait fait encore passer de nouvelles ; et ce qui semble étonnant, c’est que le Grand Seigneur n’en savait rien.

La mauvaise politique de la Porte, d’avoir toujours par vanité des ambassadeurs des princes chrétiens à Constantinople, et de ne pas entretenir un seul agent dans les cours chrétiennes, fait que ceux-ci pénètrent et conduisent quelquefois les résolutions les plus secrètes du sultan, et que le divan est toujours dans une profonde ignorance de ce qui se passe publiquement chez les chrétiens.

Le sultan, enfermé dans son sérail parmi ses femmes et ses eunuques, ne voit que par les yeux de son grand vizir : ce ministre, aussi inaccessible que son maître, occupé des intrigues du sérail, et sans correspondance au dehors, est d’ordinaire trompé, ou trompe le sultan, qui le dépose ou le fait étrangler à la première faute, pour en choisir un autre aussi ignorant ou aussi perfide, qui se conduit comme ses prédécesseurs, et qui tombe bientôt comme eux.

Telle est pour l’ordinaire l’inaction et la sécurité profonde de cette cour que, si les princes chrétiens se liguaient contre elle, leurs flottes seraient aux Dardanelles, et leur armée de terre aux portes d’Andrinople, avant que les Turcs eussent songé à se défendre ; mais les divers intérêts qui diviseront toujours la chrétienté sauveront les Turcs d’une destinée que leur peu de politique et leur ignorance dans la guerre et dans la marine semblent leur préparer aujourd’hui.

Achmet était si peu informé de ce qui se passait en Pologne qu’il envoya un aga pour voir s’il était vrai que les armées du czar y fussent encore : deux secrétaires du roi de Suède, qui savaient la langue turque, accompagnèrent l’aga afin de servir de témoins contre lui en cas qu’il fît un faux rapport.

Cet aga vit par ses yeux la vérité, et en vint rendre compte au sultan même. Achmet, indigné, allait faire étrangler le grand vizir ; mais le favori, qui le protégeait, et qui croyait avoir besoin de lui, obtint sa grâce, et le soutint encore quelque temps dans le ministère.

Les Russes étaient protégés ouvertement par le vizir, et secrètement par Ali Coumourgi, qui avait changé de parti ; mais le sultan était si irrité, l’infraction du traité était si manifeste, et les janissaires, qui font trembler souvent les ministres, les favoris et les sultans, demandaient si hautement la guerre, que personne dans le sérail n’osa ouvrir un avis modéré.

Aussitôt le Grand Seigneur fit mettre aux Sept-Tours les ambassadeurs moscovites, déjà aussi accoutumés à aller en prison qu’à l’audience. La guerre est de nouveau déclarée contre le czar, les queues de cheval arborées, les ordres donnés à tous les bachas d’assembler une armée de deux cent mille combattants. Le sultan lui-même quitta Constantinople, et vint établir sa cour à Andrinople, pour être moins éloigné du théâtre de la guerre.

Pendant ce temps, une ambassade solennelle, envoyée au Grand Seigneur de la part d’Auguste et de la république de Pologne, s’avançait sur le chemin d’Andrinople ; le palatin de Mazovie était à la tête de l’ambassade, avec une suite de plus de trois cents personnes.

Tout ce qui composait l’ambassade fut arrêté et retenu prisonnier dans l’un des faubourgs de la ville : jamais le parti du roi de Suède ne s’était plus flatté que dans cette occasion ; cependant ce grand appareil devint encore inutile, et toutes ses espérances furent trompées.

Si l’on en croit un ministre public, homme sage et clairvoyant, qui résidait alors à Constantinople, le jeune Coumourgi roulait déjà dans sa tête d’autres desseins que de disputer des déserts au czar de Moscovie dans une guerre douteuse. Il projetait d’enlever aux Vénitiens le Péloponèse, nommé aujourd’hui la Morée et de se rendre maître de la Hongrie.

Il n’attendait, pour exécuter ses grands desseins, que l’emploi de premier vizir, dont sa jeunesse l’écartait encore. Dans cette idée, il avait plus besoin d’être l’allié que l’ennemi du czar ; son intérêt ni sa volonté n’étaient pas de garder plus longtemps le roi de Suède, encore moins d’armer la Turquie en sa faveur. Non-seulement il voulait renvoyer ce prince, mais il disait ouvertement qu’il ne fallait plus souffrir désormais aucun ministre chrétien à Constantinople ; que tous ces ambassadeurs ordinaires n’étaient que des espions honorables^^1 qui corrompaient ou qui trahissaient les vizirs, et donnaient depuis trop longtemps le mouvement aux intrigues du sérail ; que les Francs établis à Péra et dans les Échelles du Levant sont des marchands qui n’ont besoin que d’un consul, et non d’un ambassadeur. Le grand vizir, qui devait son établissement et sa vie même au favori, et qui de plus le craignait, se conformait à ses intentions d’autant plus aisément qu’il s’était vendu aux Moscovites, et qu’il espérait se venger du roi de Suède, qui avait voulu le perdre. Le mufti, créature d’Ali Coumourgi, était aussi l’esclave de ses volontés : il avait conseillé la guerre contre le czar quand le favori la voulait, et il la trouva injuste dès que ce jeune homme eut changé d’avis ; ainsi à peine l’armée fut assemblée qu’on écouta des propositions d’accommodement. Le vice-chancelier Schaffirof et le jeune Sheremetoff, plénipotentiaires et otages du czar à la Porte, promirent, après bien des négociations, que le czar retirerait ses troupes de la Pologne. Le grand vizir, qui savait bien que le czar n’exécuterait pas ce traité, ne laissa pas de le signer ; et le sultan, content d’avoir en apparence imposé des lois aux Russes, resta encore à Andrinople. Ainsi on vit en moins de six mois la paix jurée avec le czar, ensuite la guerre déclarée, et la paix renouvelée encore.

Le principal article de tous ces traités fut toujours qu’on ferait partir le roi de Suède. Le sultan ne voulait point commettre son honneur et celui de l’empire ottoman, en exposant le roi à être pris sur la route par ses ennemis. Il fut stipulé qu’il partirait, mais que les ambassadeurs de Pologne et de Moscovie répondraient de la sûreté de sa personne : ces ambassadeurs jurèrent, au nom de leurs maîtres, que ni le czar ni le roi Auguste ne troubleraient son passage, et que Charles, de son côté, ne tenterait d’exciter aucun mouvement en Pologne. Le divan ayant ainsi réglé la destinée de Charles, Ismaël, sérasquier de Bender, se transporta à Varnitza, où le roi était campé, et vint lui rendre compte des résolutions de la Porte, en lui insinuant adroitement qu’il n’y avait plus à différer, et qu’il fallait partir.

Charles ne répondit autre chose, sinon que le Grand Seigneur lui avait promis une armée et non une escorte, et que les rois devaient tenir leur parole.

Cependant le général Flemming, ministre et favori du roi Auguste, entretenait une correspondance secrète avec le kan de Tartarie et le sérasquier de Bender. La Mare, gentilhomme français, colonel au service de Saxe, avait fait plus d’un voyage de Bender à Dresde, et tous ces voyages étaient suspects.

Précisément dans ce temps le roi de Suède fit arrêter sur les frontières de la Valachie un courrier que Flemming envoyait au prince de Tartarie. Les lettres lui furent apportées ; on les déchiffra : on y vit une intelligence marquée entre les Tartares et la cour de Dresde ; mais elles étaient conçues en termes si ambigus et si généraux qu’il était difficile de démêler si le but du roi Auguste était seulement de détacher les Turcs du parti de la Suède, ou s’il voulait que le kan livrât Charles à ses Saxons en le reconduisant en Pologne[5].

Il semblait difficile d’imaginer qu’un prince aussi généreux qu’Auguste voulût, en saisissant la personne du roi de Suède, hasarder la vie de ses ambassadeurs et de trois cents gentilshommes polonais qui étaient retenus dans Andrinople comme des gages de la sûreté de Charles.

Mais, d’un autre côté, on savait que Flemming, ministre absolu d’Auguste, était très-délié et peu scrupuleux. Les outrages faits au roi-électeur par le roi de Suède semblaient rendre toute vengeance excusable, et on pouvait penser que si la cour de Dresde achetait Charles du kan de Tartares, elle pourrait acheter aisément de la cour ottomane la liberté des otages polonais.

Ces raisons furent agitées entre le roi, Muller, son chancelier privé, et Grothusen, son favori. Ils lurent et relurent les lettres, et, la malheureuse situation où ils étaient les rendant plus soupçonneux, ils se déterminèrent à croire ce qu’il y avait de plus triste.

Quelques jours après, le roi fut confirmé dans ses soupçons par le départ précipité d’un comte Sapieha, réfugié auprès de lui, qui le quitta brusquement pour aller en Pologne se jeter entre les bras d’Auguste. Dans toute autre occasion, Sapieha ne lui aurait paru qu’un mécontent ; mais, dans ces conjonctures délicates, il ne balança pas à le croire un traître. Les instances réitérées qu’on lui fit alors de partir changèrent ses soupçons en certitude. L’opiniâtreté de son caractère se joignant à toutes ces vraisemblances, il demeura ferme dans l’opinion qu’on voulait le trahir et le livrer à ses ennemis, quoique ce complot n’ait jamais été prouvé.

Il pouvait se tromper dans l’idée qu’il avait que le roi Auguste avait marchandé sa personne avec les Tartares ; mais il se trompait encore davantage en comptant sur le secours de la cour ottomane. Quoi qu’il en soit, il résolut de gagner du temps.

Il dit au bacha de Bender qu’il ne pouvait partir sans avoir auparavant de quoi payer ses dettes : car, quoiqu’on lui eût rendu depuis longtemps son thaïm, ses libéralités l’avaient toujours forcé d’emprunter. Le bacha lui demanda ce qu’il voulait ; le roi répondit au hasard mille bourses, qui sont quinze cent mille francs de notre argent en monnaie forte[6]. Le bacha en écrivit à la Porte : le sultan, au lieu de mille bourses qu’on lui demandait, en accorda douze cents, et écrivit au bacha la lettre suivante :

Lettre du Grand Seigneur au bacha de Bender.

« Le but de cette lettre impériale est pour vous faire savoir que, sur votre recommandation et représentation, et sur celle du très-noble Delvet Gherai, kan à notre Sublime-Porte, notre impériale magnificence a accordé mille bourses au roi de Suède, qui seront envoyées à Bender, sous la conduite et la charge du très-illustre Mehemet bacha, ci-devant chiaoux pachi, pour rester sous votre garde jusqu’au temps du départ du roi de Suède, dont Dieu dirige les pas ! et lui être données alors avec deux cents bourses de plus, comme un surcroît de notre libéralité impériale qui excède sa demande.

Quant à la route de Pologne, qu’il est résolu de prendre, vous aurez soin, vous et le kan qui devez l’accompagner, de prendre des mesures si prudentes et si sages que, pendant tout le passage, les troupes qui sont sous votre commandement, et les gens du roi de Suède, ne causent aucun dommage, et ne fassent aucune action qui puisse être réputée contraire à la paix qui subsiste encore entre notre Sublime-Porte et le royaume et la république de Pologne : en sorte que le roi passe comme ami sous notre protection.

Ce que faisant, comme vous lui recommanderez bien expressément de faire, il recevra tous les honneurs et les égards dus à Sa Majesté de la part des Polonais, ce dont nous ont fait assurer les ambassadeurs du roi Auguste et de la république, en s’offrant même à cette condition, aussi bien que quelques autres nobles Polonais, si nous le requérons, pour otages et sûreté de son passage.

Lorsque le temps dont vous serez convenu avec le très-noble Delvet Gherai, pour la marche, sera venu, vous vous mettrez à la tête de vos braves soldats, entre lesquels seront les Tartares, ayant à leur tête le kan, et vous conduirez le roi de Suède avec ses gens.

Qu’ainsi il plaise au seul Dieu tout-puissant de diriger vos pas et les leurs ; le bacha d’Aulos restera à Bender pour le garder, en votre absence, avec un corps de spahis et un autre de janissaires ; et en suivant nos ordres et nos intentions impériales en tous ces points et articles, vous vous rendrez dignes de la continuation de notre faveur impériale, aussi bien que des louanges et des récompenses dues à tous ceux qui les observent.

Fait à notre résidence impériale de Constantinople, le 2 de la lune de cheval[7], 1124 de l’hégire. »


Pendant qu’on attendait cette réponse du Grand Seigneur, le roi écrivit à la Porte pour se plaindre de la trahison dont il soupçonnait le kan des Tartares ; mais les passages étaient bien gardés : de plus, le ministère lui était contraire ; les lettres ne parvinrent point au sultan ; le vizir empêcha même M. Désaleurs de venir à Andrinople, où était la Porte, de peur que ce ministre, qui agissait pour le roi de Suède, ne voulût déranger le dessein qu’on avait de le faire partir.

Charles, indigné de se voir en quelque sorte chassé des terres du Grand Seigneur, se détermina à ne point partir du tout.

Il pouvait demander à s’en retourner par les terres d’Allemagne, ou s’embarquer sur la mer Noire, pour se rendre à Marseille par la Méditerranée[8] ; mais il aima mieux ne demander rien, et attendre les événements.

Quand les douze cents bourses furent arrivées, son trésorier Grothusen, qui avait appris la langue turque dans ce long séjour, alla voir le bacha sans interprète, dans le dessein de tirer de lui les douze cents bourses, et de former ensuite à la Porte quelque intrigue nouvelle, toujours sur cette fausse supposition que le parti suédois armerait enfin l’empire ottoman contre le czar.

Grothusen dit au bacha que le roi ne pouvait avoir ses équipages prêts sans argent : « Mais, dit le bacha, c’est nous qui ferons tous les frais de votre départ ; votre maître n’a rien à dépenser tant qu’il sera sous la protection du mien. »

Grothusen répliqua qu’il y avait tant de différence entre les équipages turcs et ceux des Francs, qu’il fallait avoir recours aux artisans suédois et polonais qui étaient à Varnitza.

Il assura que son maître était disposé à partir, et que cet argent faciliterait et avancerait son départ. Le bacha, trop confiant, donna les douze cents bourses ; il vint quelques jours après demander au roi, d’une manière très-respectueuse, les ordres pour le départ.

Sa surprise fut extrême quand le roi lui dit qu’il n’était pas prêt à partir, et qu’il lui fallait encore mille bourses. Le bacha, confondu à cette réponse, fut quelque temps sans pouvoir parler. Il se retira vers une fenêtre, où on le vit verser quelques larmes. Ensuite, s’adressant au roi : « Il m’en coûtera la tête, dit-il, pour avoir obligé Ta Majesté ; j’ai donné les douze cents bourses malgré l’ordre exprès de mon souverain. » Ayant dit ces paroles, il s’en retournait plein de tristesse.

Le roi l’arrêta, et lui dit qu’il l’excuserait auprès du sultan. « Ah ! repartit le Turc en s’en allant, mon maître ne sait point excuser les fautes ; il ne sait que les punir. »

Ismaël bacha alla apprendre cette nouvelle au kan des Tartares, lequel ayant reçu le même ordre que le bacha, de ne point souffrir que les douze cents bourses fussent données avant le départ du roi, et ayant consenti qu’on délivrât cet argent, appréhendait aussi bien que le bacha l’indignation du Grand Seigneur. Ils écrivirent tous deux à la Porte pour se justifier ; ils protestèrent qu’ils n’avaient donné les douze cents bourses que sur les promesses positives d’un ministre du roi de partir sans délai ; et ils supplièrent Sa Hautesse que le refus du roi ne fût point attribué à leur désobéissance.

Charles, persistant toujours dans l’idée que le kan et le bacha voulaient le livrer à ses ennemis, ordonna à M. Funk, alors son envoyé auprès du Grand Seigneur, de porter contre eux des plaintes, et de demander encore mille bourses. Son extrême générosité, et le peu de cas qu’il faisait de l’argent, l’empêchaient de sentir qu’il y avait de l’avilissement dans cette proposition. Il ne la faisait que pour s’attirer un refus, et pour avoir un nouveau prétexte de ne point partir ; mais c’était être réduit à d’étranges extrémités que d’avoir besoin de pareils artifices. Savari, son interprète, homme adroit et entreprenant, porte sa lettre à Andrinople, malgré la sévérité avec laquelle le grand vizir faisait garder les passages.

Funk fut obligé d’aller faire cette demande dangereuse. Pour toute réponse on le fit mettre en prison. Le sultan, indigné, fit assembler un divan extraordinaire, et y parla lui-même, ce qu’il ne fait que très-rarement. Tel fut son discours, selon la traduction qu’on en fit alors :

« Je n’ai presque connu le roi de Suède que par la défaite de Pultava, et par la prière qu’il m’a faite de lui accorder un asile dans mon empire ; je n’ai, je crois, nul besoin de lui, et n’ai sujet ni de l’aimer ni de le craindre ; cependant, sans consulter d’autres motifs que l’hospitalité d’un musulman, et ma générosité qui répand la rosée de ses faveurs sur les grands comme sur les petits, sur les étrangers comme sur mes sujets, je l’ai reçu et secouru de tout, lui, ses ministres, ses officiers, ses soldats, et n’ai cessé, pendant trois ans et demi, de l’accabler de présents.

Je lui ai accordé une escorte considérable pour le conduire dans ses États. Il a demandé mille bourses pour payer quelques frais, quoique je les fasse tous : au lieu de mille, j’en ai accordé douze cents. Après les avoir tirées de la main du sérasquier de Bender, il en demande encore mille autres, et ne veut point partir, sous prétexte que l’escorte est trop petite, au lieu qu’elle n’est que trop grande pour passer par un pays ami.

« Je demande donc si c’est violer les lois de l’hospitalité que de renvoyer ce prince, et si les puissances étrangères doivent m’accuser de violence et d’injustice en cas qu’on soit réduit à le faire partir par force[9]. » Tout le divan répondit que le Grand Seigneur agissait avec justice.

Le mufti déclara que l’hospitalité n’est point de commande aux musulmans envers les infidèles, encore moins envers les ingrats ; et il donna son fetfa, espèce de mandement qui accompagne presque toujours les ordres importants du Grand Seigneur ; ces fetfas sont révérés comme des oracles, quoique ceux dont ils émanent soient des esclaves du sultan comme les autres.

L’ordre et le fetfa furent portés à Bender par le bouyouk imraour, grand maître des écuries, et un chiaoux bacha, premier huissier. Le bacha de Bender reçut l’ordre chez le kan des Tartares ; aussitôt il alla à Varnitza demander si le roi voulait partir comme ami, ou le réduire à exécuter les ordres du sultan.

Charles XII, menacé, n’était pas maître de sa colère. « Obéis à ton maître, si tu l’oses, lui dit-il, et sors de ma présence. » Le bacha, indigné, s’en retourna au grand galop, contre l’usage ordinaire des Turcs : en s’en retournant, il rencontra Fabrice, et lui cria toujours en courant : « Le roi ne veut point écouter la raison ; tu vas voir des choses bien étranges. » Le jour même il retrancha les vivres au roi, et lui ôta sa garde de janissaires. Il fit dire aux Polonais et aux Cosaques qui étaient à Varnitza, que s’ils voulaient avoir des vivres il fallait quitter le camp du roi de Suède, et venir se mettre dans la ville de Bender sous la protection de la Porte. Tous obéirent, et laissèrent le roi réduit aux officiers de sa maison et à trois cents soldats suédois contre vingt mille Tartares et six mille Turcs.

Il n’y avait plus de provisions dans le camp pour les hommes ni pour les chevaux. Le roi ordonna qu’on tuât hors du camp, à coups de fusil, vingt de ces beaux chevaux arabes que le Grand Seigneur lui avait envoyés, en disant : « Je ne veux ni de leurs provisions ni de leurs chevaux. » Ce fut un régal pour les troupes tartares, qui, comme on sait, trouvent la chair de cheval délicieuse. Cependant les Turcs et les Tartares investirent de tous côtés le petit camp du roi.

Ce prince, sans s’étonner, fit faire des retranchements réguliers par ses trois cents Suédois : il y travailla lui-même ; son chancelier, son trésorier, ses secrétaires, les valets de chambre, tous ses domestiques, aidaient à l’ouvrage. Les uns barricadaient les fenêtres, les autres enfonçaient des solives derrière les portes, en forme d’arcs-boutants.

Quand on eut bien barricadé la maison, et que le roi eut fait le tour de ses prétendus retranchements, il se mit à jouer aux échecs tranquillement avec son favori Grothusen, comme si tout eût été dans une sécurité profonde. Heureusement Fabrice, l’envoyé de Holstein, ne s’était point logé à Varnitza, mais dans un petit village entre Varnitza et Bender, où demeurait aussi M. Jeffreys, envoyé d’Angleterre auprès du roi de Suède. Ces deux ministres, voyant l’orage prêt à éclater, prirent sur eux de se rendre médiateurs entre les Turcs et le roi. Le kan, et surtout le bâcha de Bender, qui n’avait nulle envie de faire violence à ce monarque, reçurent avec empressement les offres de ces deux ministres ; ils eurent ensemble à Bender deux conférences, où assistèrent cet huissier du sérail et le grand maître des écuries, qui avaient apporté l’ordre du sultan et le fetfa du mufti.

M. Fabrice[10] leur avoua que Sa Majesté suédoise avait de justes raisons de croire qu’on voulait le livrer à ses ennemis en Pologne. Le kan, le bacha et les autres, jurèrent sur leurs têtes, prirent Dieu à témoin qu’ils détestaient une si horrible perfidie ; qu’ils verseraient tout leur sang plutôt que de souffrir qu’on manquât seulement de respect au roi en Pologne ; ils dirent qu’ils avaient entre leurs mains les ambassadeurs russes et polonais, dont la vie leur répondait du moindre affront qu’on oserait faire au roi de Suède. Enfin ils se plaignirent amèrement des soupçons outrageants que le roi concevait sur des personnes qui l’avaient si bien reçu et si bien traité. Quoique les serments ne soient souvent que le langage de la perfidie, Fabrice se laissa persuader par les Turcs : il crut voir dans leurs protestations cet air de vérité que le mensonge n’imite jamais qu’imparfaitement. Il savait bien qu’il y avait eu une secrète correspondance entre le kan tartare et le roi Auguste ; mais il demeura convaincu qu’il ne s’était agi dans leur négociation que de faire sortir Charles XII des terres du Grand Seigneur. Soit que Fabrice se trompât ou non, il les assura qu’il représenterait au roi l’injustice de ses défiances. « Mais prétendez-vous le forcer à partir ? ajouta-t-il. — Oui, dit le bacha ; tel est l’ordre de notre maître. » Alors il les pria encore une fois de bien considérer si cet ordre était de verser le sang d’une tête couronnée ? « Oui, répliqua le kan en colère, si cette tête couronnée désobéit au Grand Seigneur dans son empire. »

Cependant tout étant prêt pour l’assaut, la mort de Charles XII paraissait inévitable, et l’ordre du sultan n’étant pas positivement de le tuer, en cas de résistance, le bacha engagea le kan à souffrir qu’on envoyât dans le moment un exprès à Andrinople, où était alors le Grand Seigneur, pour avoir les derniers ordres de Sa Hautesse.

M. Jeffreys et M. Fabrice ayant obtenu ce peu de relâche courent en avertir le roi ; ils arrivent avec l’empressement de gens qui apportaient une nouvelle heureuse ; mais ils furent très-froidement reçus ; il les appela médiateurs volontaires, et persista à soutenir que l’ordre du sultan et le fetfa du mufti étaient forgés, puisqu’on venait d’envoyer demander de nouveaux ordres à la Porte.

Le ministre anglais se retira, bien résolu de ne se plus mêler des affaires d’un prince si inflexible. M. Fabrice, aimé du roi, et plus accoutumé à son humeur que le ministre anglais, resta avec lui pour le conjurer de ne pas hasarder une vie si précieuse dans une occasion si inutile.

Le roi, pour toute réponse, lui fit voir ses retranchements, et le pria d’employer sa médiation seulement pour lui faire avoir des vivres ; on obtint aisément des Turcs de laisser passer des provisions dans le camp du roi, en attendant que le courrier fût revenu d’Andrinople. Le kan même avait défendu à ses Tartares, impatients du pillage, de rien attenter contre les Suédois jusqu’à nouvel ordre ; de sorte que Charles XII sortait quelquefois de son camp avec quarante chevaux, et courait au milieu des troupes tartares, qui lui laissaient respectueusement le passage libre : il marchait même droit à leurs rangs, et ils s’ouvraient plutôt que de résister.

Enfin l’ordre du Grand Seigneur étant venu de passer au fil de l’épée tous les Suédois qui feraient la moindre résistance, et de ne pas épargner la vie du roi, le bacha eut la complaisance de montrer cet ordre à M. Fabrice, afin qu’il fit un dernier effort sur l’esprit de Charles. Fabrice vint faire aussitôt ce triste rapport. « Avez-vous vu l’ordre dont vous parlez ? dit le roi. — Oui, répondit Fabrice. — Eh bien, dites-leur de ma part que c’est un second ordre qu’ils ont supposé, et que je ne veux point partir. » Fabrice se jeta à ses pieds, se mit en colère, lui reprocha son opiniâtreté : tout fut inutile. « Retournez à vos Turcs, lui dit le roi en souriant ; s’ils m’attaquent, je saurai bien me défendre. »

Les chapelains du roi se mirent aussi à genoux devant lui, le conjurant de ne pas exposer à un massacre certain les malheureux restes de Pultava, et surtout sa personne sacrée ; l’assurant de plus que cette résistance était injuste, qu’il violait les droits de l’hospitalité en s’opiniâtrant à rester par force chez des étrangers qui l’avaient si longtemps et si généreusement secouru. Le roi, qui ne s’était point fâché contre Fabrice, se mit en colère contre ses prêtres, et leur dit qu’il les avait pris pour faire les prières, et non pour lui dire leurs avis.

Le général Hord et le général Dahldorf, dont le sentiment avait toujours été de ne pas tenter un combat dont la suite ne pouvait être que funeste, montrèrent au roi leurs estomacs couverts de blessures reçues à son service ; et, l’assurant qu’ils étaient prêts de mourir pour lui, ils le supplièrent que ce fût au moins dans une occasion plus nécessaire. « Je sais par vos blessures et par les miennes, leur dit Charles XII, que nous avons vaillamment combattu ensemble ; vous avez fait votre devoir jusqu’à présent ; il faut le faire encore aujourd’hui. » Il n’y eut plus alors qu’à obéir ; chacun eut honte de ne pas chercher de mourir avec le roi. Ce prince, préparé à l’assaut, se flattait en secret du plaisir et de l’honneur de soutenir avec trois cents Suédois les efforts de toute une armée. Il plaça chacun à son poste : son chancelier Muller, le secrétaire Ehrenpreus, et les clercs, devaient défendre la maison de la chancellerie ; le baron Fief, à la tête des officiers de la bouche, était à un autre poste ; les palefreniers, les cuisiniers, avaient un autre endroit à garder, car avec lui tout était soldat ; il courait à cheval de ses retranchements à sa maison, promettant des récompenses à tout le monde, créant des officiers, et assurant de faire capitaines les moindres valets qui combattraient avec courage.

On ne fut pas longtemps sans voir l’armée des Turcs et des Tartares, qui venaient attaquer le petit retranchement avec dix pièces de canon et deux mortiers. Les queues de cheval flottaient en l’air, les clairons sonnaient, les cris de alla, alla, se faisaient entendre de tous côtés. Le baron de Grothusen remarqua que les Turcs ne mêlaient dans leurs cris aucune injure contre le roi, et qu’ils l’appelaient seulement Demirbash, tête de fer. Aussitôt il prend le parti de sortir seul sans armes des retranchements ; il s’avança dans les rangs des janissaires, qui presque tous avaient reçu de l’argent de lui. « Eh quoi ! mes amis, leur dit-il en propres mots, venez-vous massacrer trois cents Suédois sans défense ? Vous, braves janissaires, qui avez pardonné à cinquante mille Russes quand ils vous ont crié amman (pardon), avez-vous oublié les bienfaits que vous avez reçus de nous ? et voulez-vous assassiner ce grand roi de Suède que vous aimez tant, et qui vous a fait tant de libéralités ? Mes amis, il ne demande que trois jours, et les ordres du sultan ne sont pas si sévères qu’on vous le fait croire. »

Ces paroles firent un effet que Grothusen n’attendait pas lui-même. Les janissaires jurèrent sur leurs barbes qu’ils n’attaqueraient point le roi, et qu’ils lui donneraient les trois jours qu’il demandait. En vain on donna le signal de l’assaut : les janissaires, loin d’obéir, menacèrent de se jeter sur leurs chefs si l’on n’accordait pas trois jours au roi de Suède ; ils vinrent en tumulte à la tente du bacha de Bender, criant que les ordres du sultan étaient supposés ; à cette sédition inopinée, le bacha n’eut à opposer que la patience.

Il feignit d’être content de la généreuse résolution des janissaires, et leur ordonna de se retirer à Bender. Le kan des Tartares, homme violent, voulait donner immédiatement l’assaut avec ses troupes ; mais le bacha, qui ne prétendait pas que les Tartares eussent seuls l’honneur de prendre le roi, tandis qu’il serait puni peut-être de la désobéissance de ses janissaires, persuada au kan d’attendre jusqu’au lendemain.

Le bacha, de retour à Bender, assembla tous les officiers des janissaires et les plus vieux soldats ; il leur lut et leur fit voir l’ordre positif du sultan et le fetfa du mufti. Soixante des plus vieux, qui avaient des barbes blanches vénérables, et qui avaient reçu mille présents des mains du roi, proposèrent d’aller eux-mêmes le supplier de se remettre entre leurs mains, et de souffrir qu’ils lui servissent de gardes.

Le bâcha le permit ; il n’y avait point d’expédient qu’il n’eût pris, plutôt que d’être réduit à faire tuer ce prince. Ces soixante vieillards allèrent donc le lendemain matin à Varnitza, n’ayant dans leurs mains que de longs bâtons blancs, seules armes des janissaires quand ils ne vont point au combat ; car les Turcs regardent comme barbare la coutume des chrétiens de porter des épées en temps de paix, et d’entrer armés chez leurs amis et dans leurs églises.

Ils s’adressèrent au baron de Grothusen et au chancelier Muller ; ils leur dirent qu’ils venaient dans le dessein de servir de fidèles gardes au roi ; et que, s’il voulait, ils le conduiraient à Andrinople, où il pourrait parler lui-même au Grand Seigneur. Dans le temps qu’ils faisaient cette proposition, le roi lisait des lettres qui arrivaient de Constantinople, et que Fabrice, qui ne pouvait plus le voir, lui avait fait tenir secrètement par un janissaire. Elles étaient du comte Poniatowski, qui ne pouvait le servir à Bender ni à Andrinople, étant retenu à Constantinople par ordre de la Porte, depuis l’indiscrète demande des mille bourses. Il mandait au roi que les ordres du sultan pour saisir ou massacrer sa personne royale, en cas de résistance, n’étaient que trop réels ; qu’à la vérité le sultan était trompé par ses ministres, mais que plus l’empereur était trompé dans cette affaire, plus il voulait être obéi ; qu’il fallait céder au temps et plier sous la nécessité ; qu’il prenait la liberté de lui conseiller de tout tenter auprès des ministres par la voie des négociations ; de ne point mettre de l’inflexibilité où il ne fallait que de la douceur, et d’attendre de la politique et du temps le remède à un mal que la violence aigrirait sans ressource.

Mais ni les propositions de ces vieux janissaires, ni les lettres de Poniatowski, ne purent donner seulement au roi l’idée qu’il pouvait fléchir sans déshonneur. Il aimait mieux mourir de la main des Turcs que d’être en quelque sorte leur prisonnier : il renvoya ces janissaires sans les vouloir voir, et leur fit dire que, s’ils ne se retiraient, il leur ferait couper la barbe, ce qui est dans l’Orient le plus outrageant de tous les affronts.

Les vieillards, remplis de l’indignation la plus vive, s’en retournèrent en criant : « Ah ! la tête de fer ! puisqu’il veut périr, qu’il périsse. » Ils vinrent rendre compte au bacha de leur commission, et apprendre à leurs camarades de Bender l’étrange réception qu’on leur avait faite. Tous jurèrent alors d’obéir aux ordres du bacha sans délai, et eurent autant d’impatience d’aller à l’assaut qu’ils en avaient eu peu le jour précédent. L’ordre est donné dans le moment : les Turcs marchent aux retranchements ; les Tartares les attendaient déjà, et les canons commençaient à tirer[11].

Les janissaires d’un côté, et les Tartares de l’autre, forcent en un instant ce petit camp : à peine vingt Suédois tirèrent l’épée ; les trois cents soldats furent enveloppés et faits prisonniers sans résistance. Le roi était alors à cheval, entre sa maison et son camp, avec les généraux Hord, Dahldorf, et Sparre : voyant que tous les soldats s’étaient laissé prendre en sa présence, il dit de sang-froid à ces trois officiers : « Allons défendre la maison ; nous combattrons, ajouta-t-il en souriant, pro avis et focis. »

Aussitôt il galope avec eux vers cette maison, où il avait mis environ quarante domestiques en sentinelle, et qu’on avait fortifiée du mieux qu’on avait pu.

Ces généraux, tout accoutumés qu’ils étaient à l’opiniâtre intrépidité de leur maître, ne pouvaient se lasser d’admirer qu’il voulût de sang-froid, et en plaisantant, se défendre contre dix canons et toute une armée ; ils le suivirent avec quelques gardes et quelques domestiques, qui faisaient en tout vingt personnes.

Mais quand ils furent à la porte, ils la trouvèrent assiégée de janissaires ; déjà même près de deux cents Turcs ou Tartares étaient entrés par une fenêtre, et s’étaient rendus maîtres de tous les appartements, à la réserve d’une grande salle où les domestiques du roi s’étaient retirés. Cette salle était heureusement près de la porte par où le roi voulait entrer avec sa petite troupe de vingt personnes ; il s’était jeté en bas de son cheval, le pistolet et l’épée à la main, et sa suite en avait fait autant.

Les janissaires tombent sur lui de tous côtés ; ils étaient animés par la promesse qu’avait faite le bacha de huit ducats d’or à chacun de ceux qui auraient seulement touché son habit, en cas qu’on pût le prendre. Il blessait et il tuait tous ceux qui s’approchaient de sa personne. Un janissaire qu’il avait blessé lui appuya son mousqueton sur le visage : si le bras du Turc n’avait fait un mouvement causé par la foule qui allait et qui venait comme des vagues, le roi était mort ; la balle glissa sur son nez, lui emporta un bout de l’oreille, et alla casser le bras au général Hord, dont la destinée était d’être toujours blessé à côté de son maître[12].

Le roi enfonça son épée dans l’estomac du janissaire ; en même temps ses domestiques, qui étaient enfermés dans la grande salle, en ouvrent la porte : le roi entre comme un trait, suivi de sa petite troupe ; on referme la porte dans l’instant, et on la barricade avec tout ce qu’on peut trouver. Voilà Charles XII dans cette salle, enfermé avec toute sa suite, qui consistait en près de soixante hommes, officiers, gardes, secrétaires, valets de chambre, domestiques de toute espèce.

Les janissaires et les Tartares pillaient le reste de la maison, et remplissaient les appartements. « Allons un peu chasser de chez moi ces barbares », dit-il ; et, se mettant à la tête de son monde, il ouvrit lui-même la porte de la salle, qui donnait dans son appartement à coucher ; il entre, et fait feu sur ceux qui pillaient.

Les Turcs, chargés de butin, épouvantés de la subite apparition de ce roi qu’ils étaient accoutumés à respecter, jettent leurs armes, sautent par la fenêtre, ou se retirent jusque dans les caves ; le roi, profitant de leur désordre, et les siens animés par le succès, poursuivent les Turcs de chambre en chambre, tuent ou blessent ceux qui ne fuient point, et en un quart d’heure nettoient la maison d’ennemis.

Le roi aperçut, dans la chaleur du combat, deux janissaires qui se cachaient sous son lit : il en tua un d’un coup d’épée ; l’autre lui demanda pardon en criant amman. « Je te donne la vie, dit le roi au Turc, à condition que tu iras faire au bacha un fidèle récit de ce que tu as vu. » Le Turc promit aisément ce qu’on voulut, et on lui permit de sauter par la fenêtre comme les autres.

Les Suédois étant enfin maîtres de la maison refermèrent et barricadèrent encore les fenêtres. Ils ne manquaient point d’armes : une chambre basse, pleine de mousquets et de poudre, avait échappé à la recherche tumultueuse des janissaires ; on s’en servit à propos ; les Suédois tiraient à travers les fenêtres, presque à bout portant, sur cette multitude de Turcs, dont ils tuèrent deux cents en moins d’un demi-quart d’heure.

Le canon tirait contre la maison ; mais les pierres étant fort molles, il ne faisait que des trous, et ne renversait rien.

Le kan des Tartares et le bacha, qui voulaient prendre le roi en vie, honteux de perdre du monde et d’occuper une armée entière contre soixante personnes, jugèrent à propos de mettre le feu à la maison pour obliger le roi de se rendre. Ils firent lancer sur le toit, contre les portes et contre les fenêtres, des flèches entortillées de mèches allumées : la maison fut en flammes en un moment. Le toit tout embrasé était prêt à fondre sur les Suédois. Le roi donna tranquillement ses ordres pour éteindre le feu. Trouvant un petit baril plein de liqueur, il prend le baril lui-même, et, aidé de deux Suédois, il le jette à l’endroit où le feu était le plus violent. Il se trouva que ce baril était rempli d’eau-de-vie ; mais la précipitation, inséparable d’un tel embarras, empêcha d’y penser. L’embrasement redoubla avec plus de rage : l’appartement du roi était consumé ; la grande salle, où les Suédois se tenaient, était remplie d’une fumée affreuse, mêlée de tourbillons de feu qui entraient par les portes des appartements voisins ; la moitié du toit était abîmée dans la maison même, l’autre tombait en dehors en éclatant dans les flammes.

Un garde nommé Walberg osa, dans cette extrémité, crier qu’il fallait se rendre. « Voilà un étrange homme, dit le roi, qui s’imagine qu’il n’est pas plus beau d’être brûlé que d’être prisonnier. » Un autre garde nommé Rosen s’avisa de dire que la maison de la chancellerie, qui n’était qu’à cinquante pas, avait un toit de pierre, et était à l’épreuve du feu ; qu’il fallait faire une sortie, gagner cette maison, et s’y défendre. « Voilà un vrai Suédois ! » s’écria le roi : il embrassa ce garde, et le créa colonel sur-le-champ. « Allons, mes amis, dit-il, prenez avec vous le plus de poudre et de plomb que vous pourrez, et gagnons la chancellerie, l’épée à la main. »

Les Turcs, qui cependant entouraient cette maison tout embrasée, voyaient avec une admiration mêlée d’épouvante que les Suédois n’en sortaient point ; mais leur étonnement fut encore plus grand lorsqu’ils virent ouvrir les portes, et le roi et les siens fondre sur eux en désespérés. Charles et ses principaux officiers étaient armés d’épées et de pistolets : chacun tira deux coups à la fois, à l’instant que la porte s’ouvrit ; et dans le même clin d’œil, jetant leurs pistolets et s’armant de leurs épées, ils firent reculer les Turcs plus de cinquante pas. Mais, le moment d’après, cette petite troupe fut entourée : le roi, qui était en bottes selon sa coutume, s’embarrassa dans ses éperons et tomba ; vingt et un janissaires se jettent aussitôt sur lui ; il jette en l’air son épée pour s’épargner la douleur de la rendre : les Turcs l’emmènent au quartier du bacha, les uns le tenant sous les jambes, les autres sous les bras, comme on porte un malade que l’on craint d’incommoder.

Au moment que le roi se vit saisi, la violence de son tempérament, et la fureur où un combat si long et si terrible avait dû le mettre, firent place tout à coup à la douceur et à la tranquillité. Il ne lui échappa pas un mot d’impatience, pas un coup d’œil de colère. Il regardait les janissaires en souriant, et ceux-ci le portaient en criant alla, avec une indignation mêlée de respect. Ses officiers furent pris au même temps, et dépouillés par les Turcs et par les Tartares. Ce fut le 12 février de l’an 1713 qu’arriva cet étrange événement, qui eut encore des suites singulières[13].

FIN DU LIVRE SIXIÈME.
  1. Dans les premières éditions, Voltaire rendait ici justice à l’adresse et au dévouement de La Motraye, qui alla secrètement à Constantinople faire l’emprunt nécessaire. La Motraye ayant chicané sur quelques détails, Voltaire retrancha tout le morceau. (A. G.)
  2. Variante : « C’est l’usage que les princes qui rendent des villes aux Turcs envoient des clefs d’or au sultan. »
  3. L’auteur donne une véritable et juste idée des négociations des ministres étrangers à Constantinople. (P.)
  4. Chef des huissiers du divan. Il a la garde des prisonniers illustres.
  5. Les chroniques moldaves parlent d’une correspondance entre le feld-maréchal russe Shemeretoff et le kan de Crimée ou de Tartarie, que Charles XII parvint à intercepter. Par ces dépêches, le kan s’engageait à conduire Charles par la Pologne et par les endroits les plus favorables pour que les Russes pussent s’emparer facilement de sa personne. (G. A.)
  6. C’est-à-dire en espèces évaluées sur un pied avantageux à celui qui reçoit (Dictionnaire de l’Académie.)
  7. C’est le mot turc schewal. — Les Turcs ne connaissent que les mois lunaires. Leur année est de douze mois et de trois cent cinquante-quatre jours.
  8. C’est ce qu’on lui avait même proposé d’abord ; mais il avait répondu : « Je suis arrivé par terre, c’est par terre que je retournerai. »
  9. M. Fabrice, dans sa lettre du 30 janvier 1712, cite à peu près textuellement cette harangue telle que Voltaire l’a rapportée.
  10. Tout ce récit est rapporté par M. Fabrice dans ses lettres. (Note de Voltaire.)
  11. La lettre écrite après le combat par Fabrice, 15 février 1713, confirme tous les détails donnés par Voltaire, et en ajoute de fort curieux : « Quand le siége commençait, les clairons, hautbois, tambours, timbales et autres instruments de la musique militaire des Turcs, se firent entendre, et le roi, pour ne leur devoir rien de reste, fit monter cinq à six trompettes au haut de sa maison, qui leur répondaient, etc. » (A. G.)
  12. Voyez page 253.
  13. M. Nordberg, qui n’était pas présent à cet événement, n’a fait que suivre ici dans son histoire celle de M. de Voltaire ; mais il l’a tronquée, il en a supprimé les circonstances intéressantes, et n’a pu justifier la témérité de Charles XII. Tout ce qu’il a pu dire contre M. de Voltaire, au sujet de cette affaire de Bender, se réduit à l’aventure du sieur Frédéric, valet de chambre du roi de Suède, que quelques-uns prétendaient avoir été brûlé dans la maison du roi, et que d’autres disaient avoir été coupé en deux par les Tartares. La Motraye prétend aussi que le roi de Suède ne dit point ces paroles : « Nous combattrons pro aris et focis » ; mais M. Fabrice, qui était présent, assure que le roi prononça ces mots, que La Motraye n’était pas plus à portée d’écouter qu’il n’était capable de les comprendre, ne sachant pas un mot de latin. (Note de Voltaire.) — Cette note existe dès 1748. (B.)