Histoire de Belgique/VII/Livre 1/Chapitre 1

Maurice Lamertin (7p. 1-46).


LIVRE PREMIER

JUSQU’À LA CRISE DE 1848




CHAPITRE PREMIER

LA BELGIQUE ET L’EUROPE JUSQU’AUX TRAITÉS DE 1839[1]


I


La Révolution belge signifiait bien plus pour l’Europe que le déchirement du royaume des Pays-Bas. Elle était un coup de bélier porté dans l’œuvre du Congrès de Vienne. Elle l’ébranlait en même temps par son principe et par ses résultats. Par son principe, puisqu’elle opposait à la souveraineté monarchique, la souveraineté nationale ; par ses résultats, puisqu’elle renversait la barrière dressée en 1815 contre la France. Odieuse dans son esprit et funeste dans ses conséquences, nul doute qu’elle n’eût été écrasée tout de suite si les Puissances l’avaient pu… mais elles ne le pouvaient pas. Il eût suffi de quelques régiments pour mettre les insurgés à la raison. Personne ne s’illusionnait sur leur faiblesse et personne pourtant n’osait prendre sur soi de leur infliger le châtiment qu’ils méritaient.

C’est qu’il eût fallu à l’Europe, pour balayer ces Belges qui la bravaient, l’union qui avait fait leur succès. Divisée par ses intérêts et ses tendances, elle se trouvait paralysée en face d’eux, chacun tremblant d’affronter la responsabilité d’une intervention qui eût déchaîné aussitôt la guerre générale. Mais si l’on devait renoncer à éteindre l’incendie, du moins pouvait-on le circonscrire. Au lieu de recourir aux armes, on mit en mouvement la diplomatie.

Dès avant l’ouverture de la Conférence de Londres, le 4 novembre 1830, son programme lui était imposé par la situation internationale : résoudre la question belge en évitant la guerre. Pourtant, se résigner à procéder de la sorte, c’était, quoiqu’on en eût, reconnaître le fait accompli. Les trois Puissances absolutistes, la Russie, l’Autriche et la Prusse espéraient bien d’ailleurs que tout cela finirait par une restauration. Le tsar n’acceptait même la Conférence qu’à contre-cœur, et sans l’explosion de la révolution polonaise (29 novembre 1830), peut-être eût-il envoyé malgré tout une armée à la rescousse de Guillaume. Seules la France, encore frémissante des journées de juillet, et l’Angleterre, où les élections venaient d’amener au pouvoir le Cabinet libéral de lord Grey (20 novembre), reconnaissaient, au moins en paroles, le droit des Belges de se donner un gouvernement de leur choix.

Elles étaient loin cependant d’une entente que les conjonctures politiques ne permettaient pas. Avant l’avènement du ministère Casimir Périer (13 mars 1831), Louis-Philippe ne cesse d’être tiraillé entre son désir de conserver la paix et sa crainte de l’agitation bonapartiste et républicaine qui exigeait bruyamment l’annexion de la Belgique. Ne cherchant qu’à se maintenir sur son trône encore chancelant, il s’ingénie tout à la fois à se concilier la confiance des souverains en affichant son désintéressement et à ne pas s’aliéner les démocrates parisiens férus d’une guerre de propagande qui eût été en même temps une guerre de revanche contre l’Europe. De là les contradictions, l’ambiguité et le manque de franchise de sa conduite. Il voudrait avoir une satisfaction à offrir à l’opinion. Pendant qu’il laisse Talleyrand affirmer à la Conférence la complète communauté de ses vues avec celles du cabinet de Londres, il intrigue en secret, tantôt d’accord avec lui, tantôt par des agents comme Flahaut, pour obtenir soit le Luxembourg, soit Mariembourg et Philippeville. Il feint de ne pouvoir se dérober aux supplications des Belges, prêts, fait-il dire, à se jeter dans les bras de la France. Ce sont des avances et des retraites perpétuelles, des repentirs suivis de nouvelles tentatives, bref, la politique d’expédients d’un roi tâchant vainement à contenter tout le monde et dont les intrigues ne parviennent pas à fléchir l’orgueilleuse obstination de l’Angleterre.

Car en face des Puissances absolutistes, Louis-Philippe avait trop grand besoin de l’Angleterre pour pouvoir songer à rompre avec elle. C’est là ce qui a permis à Palmerston de diriger à sa guise les travaux de la Conférence. Il a su jouer admirablement, dans l’intérêt de la politique britannique, tantôt de la France contre la Prusse, l’Autriche et la Russie, tantôt de celles-ci contre la France. Avec la première, il ne voulait pas contraindre les Belges au profit de Guillaume, mais avec les secondes il était inébranlablement résolu à empêcher la France de mettre la main sur la Belgique. Il misait à coup sûr et devait gagner en tout cas. Le rôle que lord Castlereagh avait joué en 1814-1815, il le joua en 1830-1831, si bien que la création et la dissolution du royaume des Pays-Bas furent avant tout l’œuvre de l’Angleterre.

La guerre générale, que la grande affaire des Puissances était et fut jusqu’au bout d’éviter, eût éclaté inévitablement, s’il n’eût tenu qu’aux Belges et à Guillaume. La réunion de la Conférence de Londres les avait également exaspérés. Pour celui-ci, elle constituait la violation de ses droits de souverain, pour ceux-là la violation de leurs droits de peuple. Lui, comme eux, s’indignaient d’être passés « sous le joug de la diplomatie ». Ils se défiaient avec raison des marchandages dont à l’avance ils se voyaient les victimes, et auxquels ils eussent préféré la solution nette et franche d’un conflit armé que, de part et d’autre, ils comptaient bien exploiter à leur profit.

Guillaume, chef d’un gouvernement régulier et certain de la bienveillance des Puissances absolutistes, ne pouvait cependant risquer de se brouiller avec elles en mettant le feu à l’Europe. Il était d’autant plus incapable d’agir que son peuple ne le soutenait pas. Sauf de très rares exceptions, les Hollandais en avaient assez de l’« amalgame » avec les Belges. On voulait bien donner une leçon à ces « émeutiers » et venger l’honneur militaire si compromis depuis les journées de septembre, mais c’en était fait de toute velléité de rétablir le royaume. Lui-même d’ailleurs, Guillaume se rendait bien compte qu’il était trop tard pour en revenir au passé. Il ne se préoccupait que de l’avenir de sa dynastie. Il se fût contenté de la séparation administrative des deux parties de l’État, voire même de l’autonomie de la Belgique, à condition qu’il eût continué de régner sur elle[2].

Du côté des Belges, la question était si compliquée, qu’à première vue elle paraissait insoluble. Sans se préoccuper des convenances de l’Europe, ils avaient marché de l’avant en enfants terribles. Dès le 18 novembre 1830, alors que la Conférence délibérait déjà depuis quinze jours, ils avaient proclamé leur indépendance, puis imperturbablement fixé et introduit dans leur constitution les limites de leur État révolutionnaire et exclu du trône la maison d’Orange-Nassau. Ils avaient agi, dans leur faiblesse, comme l’avait fait dans sa puissance, à la fin du xviiie siècle, la Convention Nationale de France. Leur Congrès semblait se croire « investi de la dictature européenne »[3]. Avec une outrecuidance naïve il s’imaginait que tous les peuples confondaient leurs applaudissements avec ceux que lui donnaient les républicains de Paris. Tout à fait ignorant des réalités de la politique étrangère, il se tenait pour assuré en tous cas de l’appui de la France ; il comptait sur elle comme si elle avait été gouvernée par le général Lamarque au lieu de l’être par Louis-Philippe. Pour les diplomates qui les voyaient faire, ces Belges n’étaient que des brouillons, des novices, des ignorants dangereux. À Londres, les allures bourgeoises de leurs délégués détonnaient dans les salons des grandes dames, égéries de la Conférence. La duchesse de Dino raillait « leur petite éloquence républicaine », et la grande idée qu’ils se faisaient de leur importance[4].

Ce qui a sauvé la révolution belge de la catastrophe où a sombré la révolution brabançonne, c’est qu’elle s’est appuyée jusqu’au bout sur cette union des partis qui l’avait rendue possible. En dépit des imprudences, des intempérances et des bravades, elle a permis à la nation de tenir tête à l’Europe qui la méprisait, et de lui imposer finalement la reconnaissance de son indépendance qu’elle avait proclamée sans en demander l’autorisation. Sans doute, au cours des péripéties par lesquelles le pays devait passer avant la conclusion des traités de 1839, l’opinion tiraillée en sens divers fut presque constamment en état de crise. Si grande et si grave qu’elle ait été pourtant, la divergence des tendances ne se manifesta que parmi les individus ; elle n’alla jamais jusqu’à opposer au sein du Congrès, le bloc catholique et le bloc libéral. À aucun moment ils ne luttèrent l’un contre l’autre comme l’avaient fait jadis les Vander Nootistes et les Vonckistes[5]. Aussi longtemps que les destinées de la Belgique furent en question, ils restèrent fidèles à l’entente conclue en 1828. Leurs votes contradictoires ne provinrent que de la différence des convictions personnelles ; ils ne s’expliquent en rien par des considérations de partis.

Dès le 20 décembre 1830, la Conférence en constatant que l’« amalgame parfait et complet que les Puissances avaient voulu opérer entre la Belgique et la Hollande n’avait pas été obtenu », et en se déclarant disposée à reconnaître «  l’indépendance future » de la Belgique, avait en somme consacré l’existence et le succès de la révolution. Mais elle y ajoutait tout de suite une restriction essentielle, en affirmant sa volonté de « combiner » cette indépendance « avec les stipulations des traités, avec les intérêts et la sécurité des autres Puissances et avec la conservation de l’équilibre européen ». Elle ajoutait que ces arrangements « ne pourraient affecter en rien les droits que le roi des Pays-Bas et la Confédération germanique exercent sur le grand-duché de Luxembourg ».

Ainsi l’Europe, tout en consentant à l’indépendance de la Belgique, se réservait d’en tracer les bornes. Du même coup, elle froissait à la fois les Belges et Guillaume. Celui-ci protesta aussitôt contre la reconnaissance de l’indépendance, ceux-là protestèrent contre sa limitation. Non seulement le Congrès repoussait, le 3 janvier 1831, les réserves émises à propos du Luxembourg, dont les habitants avaient pris part à la révolution, mais il revendiquait de plus la Flandre Zélandaise, qui n’y avait pas participé, en considération de la nécessité d’appuyer à l’Escaut la frontière de l’État. La Conférence lui renvoya sa note, en l’accusant d’invoquer le droit de conquête. Il était évident que si elle renonçait à intervenir contre les Belges, elle ne leur permettrait pas de lui dicter leurs volontés. Les intérêts européens dont elle avait la garde ne seraient évidemment pas sacrifiés à ceux du petit peuple qui prétendait n’en faire qu’à sa guise. Tant pis pour lui s’il avait inscrit dans sa constitution que le Luxembourg formait une de ses provinces.

C’est à ce moment que l’idée de neutraliser la Belgique se fait jour au sein de la Conférence. Qui en a parlé le premier ? Bülow ? Matuszewic ? Talleyrand ? Au fond celui qui l’a formulée tout d’abord n’a dit que ce que tout le monde devait penser. Elle était évidemment le corollaire de la dissolution du royaume des Pays-Bas. Dès que l’on renonçait à rétablir contre la France la barrière qui venait de se rompre, il n’y avait plus d’autre alternative que de mettre la Belgique à l’abri des convoitises tant de la France que des autres Puissances. La conservation de la paix générale était à ce prix. Pour que l’Europe se résignât à l’indépendance que les Belges s’étaient arrogée sans la consulter, il fallait qu’elle se fît elle-même le garant de cette indépendance intempestive afin d’en empêcher la confiscation au profit de quelque puissant voisin. Cette clef de voûte de l’équilibre européen que formait la Belgique depuis les grandes guerres du xviie siècle, devait être définitivement scellée par l’effort collectif des Puissances. Neutre, elle ne tenterait plus personne et serait une protection pour tous[6]. Et le régime qu’on lui réservait lui serait une protection contre elle-même en lui interdisant toute velléité d’attaquer la Hollande. Dès le 15 novembre, Matuszewic écrivait à Nesselrode que le vrai moyen de sauvegarder le repos de l’Europe serait que les Puissances « garantissent en commun l’existence du royaume belge et déclarent qu’aucune d’elles ne pourra en aucun cas l’envahir ou l’annexer sans le consentement des quatre autres[7] ». Il faut convenir que, dans les circonstances où l’on se trouvait, c’était la seule solution possible, solution vraiment européenne, solution de paix et que la Conférence fut si heureuse d’avoir trouvée qu’elle la qualifia de « bienfait ». On ne pouvait se dissimuler d’ailleurs que c’était au fond une précaution prise contre la France. En 1815, on avait voulu lui opposer un État assez fort pour pouvoir lui tenir tête ; en 1831, on se proposa de ne la contenir que par un État dont la faiblesse pourrait d’autant moins l’inquiéter qu’elle serait appelée elle-même à le défendre en cas d’agression.

Le principe de la neutralité perpétuelle et garantie fut inséré dans le texte fixant les « bases de séparation » entre la Belgique et la Hollande que la Conférence promulgua les 20-27 janvier 1831. Le nouvel État devait comprendre tous les territoires qui avaient formé le royaume des Pays-Bas, à l’exception de ceux qui, avant 1790, appartenaient à la République des Provinces-Unies. Exception cependant était faite pour le grand-duché de Luxembourg « qui, possédé à titre différent par les princes de la maison d’Orange-Nassau, fait et continuera à faire partie de la Confédération germanique ». Quant à la Flandre Zélandaise, ancienne possession des Provinces-Unies, elle était naturellement refusée aux Belges. La liquidation des dettes du ci-devant royaume était établie sur le pied de 15/31 pour la Hollande et de 16/31 pour la Belgique. En revanche, les Belges jouiraient de la navigation et du commerce dans les colonies hollandaises, avec les mêmes droits et les mêmes avantages que les habitants de la Hollande.

Contrairement à ce que l’on aurait pu croire après sa protestation contre le protocole du 20 décembre, Guillaume fit savoir à la Conférence (18 février), qu’il donnait « une adhésion pleine et entière à tous les articles des bases destinées à établir la séparation de la Belgique d’avec la Hollande ». Ce n’était pas malhabile. Il pouvait espérer, en effet, être appelé à régner sur les deux États taillés dans son royaume et à ses yeux, on l’a déjà dit, c’était là le point essentiel. Peut-être d’ailleurs escomptait-il aussi les avantages que lui procurerait sa déférence, contrastant avec l’intransigeance des Belges.

Car, dès le 1er février, le Congrès avait solennellement revendiqué pour lui seul le droit de résoudre toutes les questions touchant l’indépendance et la configuration du pays. Se liant les mains à l’avance, il déclarait « qu’il n’abdiquerait dans aucun cas en faveur de cabinets étrangers l’exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confiée ; qu’il ne se soumettrait jamais à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire et mutilait la représentation nationale ; qu’il réclamerait toujours, de la part des Puissances étrangères, le principe de non-intervention ». Il n’hésitait donc pas à braver l’Europe. Sa confiance en lui-même s’augmentait de son espoir d’être, en cas de conflit, soutenu par la France qui, conformément à sa politique ondoyante, s’abstenait provisoirement d’adhérer aux bases de séparation, sans pourtant les rejeter.

L’indignation du Congrès s’explique encore par les exigences ultérieures que le protocole du 20 janvier laissait entrevoir.

On y lisait que « le souverain de ce pays (la Belgique) doit nécessairement répondre au principe d’existence du pays lui-même, satisfaire par sa position personnelle à la sûreté des États voisins, accepter à cet effet les arrangements consignés au présent protocole et se trouver à même d’en assurer aux Belges la paisible jouissance ». On ne pouvait dire en termes plus clairs que la Conférence se réservait d’intervenir dans le choix du prince que les Belges se donneraient et subordonner plus nettement leur souveraineté nationale aux convenances de l’Europe.

Cette question du souverain était sans contredit la plus épineuse de toutes celles que la Révolution avait fait surgir. Le Congrès l’avait encore compliquée en excluant du trône la maison d’Orange-Nassau. Il avait voulu ainsi rendre impossible toute combinaison qui eût donné la couronne de Belgique soit à Guillaume, soit à son fils le prince d’Orange. Et c’était là une nouvelle provocation aux Puissances. Car on n’ignorait pas à Bruxelles que tous les cabinets, y compris celui de Paris, envisageaient un replâtrage de cette sorte comme le meilleur moyen de se tirer d’affaire[8]. Le 22 novembre 1830, Louis-Philippe était intervenu auprès du Congrès pour le détourner de voter la déchéance de la dynastie. On avait passé outre sans hésiter.

Mais si l’on s’était trouvé d’accord pour repousser l’ancien souverain, il était beaucoup plus malaisé de s’entendre sur le nouveau. Choisir un Belge, solution qui eût peut-être contenté les Puissances, il n’y fallait pas songer. Seul le comte de Mérode eût été possible et il ne voulait pas entendre parler de sa candidature. Le prince Frédéric de Salm, dont la famille descendait par les femmes des maisons de Hornes et de Lalaing, essaya de se mettre en avant et fit pétitionner en sa faveur des paysans de la province d’Anvers sans parvenir à se faire prendre au sérieux[9].

Il fallait évidemment offrir le trône à un étranger et c’était courir droit au conflit avec l’Europe.

Quelques catholiques avaient pensé tout de suite à l’archiduc Charles d’Autriche, revenant ainsi, par delà le royaume des Pays-Bas et la période française, à la dynastie qui avait régné sur le pays depuis le traité d’Utrecht. Mais la cour de Vienne se désintéressait de cette combinaison contre laquelle d’ailleurs la France n’eût pas manqué de protester si elle avait présenté quelques chances de succès. Le nom du prince Léopold de Saxe-Cobourg, prononcé un instant avec faveur, fut écarté devant la répugnance du cabinet de Paris. Aux yeux de la grande majorité des Belges, qui depuis l’origine de la révolution se sentaient ou croyaient se sentir soutenus par la France, un candidat français était seul possible. Un petit nombre de démocrates eussent volontiers proposé Lafayette, si Lafayette s’y était prêté. Mais bientôt ce fut entre le fils d’Eugène Beauharnais, Auguste de Leuchtenberg, et le duc de Nemours, second fils de Louis-Philippe, que se répartirent les préférences et les intrigues.

Personne cependant ne les connaissait. Bien plus même, ni l’un ni l’autre n’avaient fait la moindre démarche pour se recommander aux votes du Congrès. Manifestement leurs candidatures n’étaient que le résultat de machinations élaborées à Paris au sein des groupes politiques qui s’efforçaient d’utiliser la révolution belge au profit de la France. De l’intérêt même de la Belgique, ceux qui les avaient mis en avant ne se souciaient pas le moins du monde. C’était proprement une dérision que de proposer à ce pays en pleine crise deux adolescents dont le premier, Leuchtenberg, avait à peine vingt ans, et dont l’autre, Nemours, en avait seize. En réalité, les candidats au trône que l’on suggérait aux Belges, n’étaient que des symboles politiques. Il ne s’agissait point de leurs personnes, mais de la signification qu’on leur donnait. Voter pour Leuchtenberg, ce serait adhérer à la politique que l’opposition bonapartiste menait à Paris contre le gouvernement de Louis-Philippe. Voter pour Nemours, au contraire, ce serait affermir la monarchie de juillet en la parant d’un prestige dont elle manquait déplorablement. On comptait sur l’inexpérience et la naïveté du Congrès pour l’empêcher de voir qu’il était manœuvré et qu’en élisant un roi des Belges, ce serait à vrai dire pour ou contre le roi des Français qu’il voterait.

Il est pourtant assez compréhensible que l’opinion ait accepté les noms que les intrigues parisiennes lui suggérèrent. La constitution élaborée par le Congrès réduisait à ce point le pouvoir royal que les qualités personnelles du souverain à élire semblaient chose tout à fait négligeable. Qu’importait-il que le roi fût incapable de gouverner puisqu’on ne lui demandait que de régner ? Le jeune âge des candidats ne pouvait déplaire à des gens qui concevaient la monarchie constitutionnelle dont ils avaient fait le régime de l’État, comme une sorte de république. Leur origine française les recommandait plus fortement encore. Si bizarre que cela puisse paraître, on y voyait une garantie pour l’indépendance du pays. Il y avait bien parmi les révolutionnaires un groupe d’hommes qui eussent envisagé avec faveur l’annexion de la Belgique à la France. Il est même probable que c’est leur groupe, en relations constantes avec les cercles politiques de Paris, qui prononça tout d’abord les noms de Nemours et de Leuchtenberg[10]. Mais l’immense majorité des Belges ignora complètement ces arrière-pensées. Pour eux, seul un prince français pourrait les protéger contre le péril d’une restauration. On se défiait de l’Europe ; on s’attendait à une guerre générale et si elle éclatait, il était trop évident que la Belgique ne pourrait s’appuyer que sur la France. Or, la France, croyait-on, était invincible. Combattre avec elle ce serait donc remporter à ses côtés une victoire qui consacrerait définitivement l’existence du pays.

Mais si les patriotes s’accordaient en ceci, ils cessaient de s’entendre sur le choix à faire entre les deux princes qu’on leur proposait. Leuchtenberg, en vertu de sa naissance, plaisait davantage aux anciens soldats de Napoléon et à tous ceux qu’enthousiasmaient les principes démocratiques dont se réclamait en ce moment la propagande bonapartiste[11]. Les industriels, en revanche, préféraient Nemours, espérant que son élection faciliterait l’établissement d’un régime douanier qui rouvrirait à leurs produits l’énorme marché de la France. Les uns et les autres prônaient au surplus leur candidat comme le meilleur bouclier de l’indépendance. Nemours, disaient ceux-ci, fournira trop facilement à Louis-Philippe l’occasion de mettre la main sur la Belgique[12]. Leuchtenberg, répliquaient ceux-là, ce sera la rupture avec le cabinet de Paris et la perte du seul allié qui puisse sauver le pays d’une intervention de l’Europe.

La divergence des tendances s’exaspérait peu à peu sous la pression de l’étranger. Unanimement les Puissances s’opposaient à ce que les Belges se donnassent pour roi un des princes qu’ils se préparaient à élire. Suggérés par les intrigues de Paris, ils étaient rejetés par tous les gouvernements. La Conférence n’entendait voir régner à Bruxelles ni un bonapartiste, ni moins encore un fils du roi des Français. Elle ne voulait ni d’un renouveau des ambitions napoléoniennes, ni d’un protectorat de Louis-Philippe sur la Belgique. Par nécessité, celui-ci s’associait à ses desseins. Il envisageait avec horreur l’élection possible de Leuchtenberg. Ne sachant que trop qu’elle était une manœuvre des bonapartistes contre son trône, il était résolu à s’y opposer par tous les moyens. Tiraillé d’autre part, entre son désir de voir Nemours régner sur la Belgique et sa conviction qu’il n’y pourrait régner sans provoquer la guerre, la prudence le faisait pencher à lui refuser son appui.

Faute de mieux, il s’unissait aux autres Puissances pour souhaiter que la couronne de Belgique échût au prince d’Orange qui, au mois de janvier, s’abouchait avec la Conférence et le 11 lançait de Londres une proclamation aux Belges[13].

Malgré l’exclusive que le Congrès avait proclamée le 25 novembre contre sa maison, il se croyait de grandes chances de l’emporter. Non seulement il avait pour lui le consentement de l’Europe, mais un parti, sinon très nombreux, du moins très actif, travaillait depuis quelque temps en sa faveur. Les Orangistes, atterrés tout d’abord par le succès de la Révolution au point qu’aucun d’eux n’avait osé se présenter au vote des électeurs du Congrès, avaient bientôt repris courage. La crise économique que les événements avaient provoquée, leur faisait croire qu’ils pourraient l’exploiter à leur profit. Les industriels et les grands propriétaires parmi lesquels ils se recrutaient subventionnaient une propagande audacieuse. Ils se trouvaient en rapports suivis avec le roi et le gouvernement de La Haye[14]. Beaucoup d’officiers passés au service de la Belgique après les journées de septembre, commençaient à se dégoûter d’un régime qui favorisait les volontaires à leur détriment et ils se laissaient facilement séduire par les promesses dorées dont on les tentait. Il n’était pas jusqu’aux républicains, déçus par leur échec au Congrès, qui ne se montrassent favorables au mouvement, espérant que le désordre qui en résulterait leur fournirait peut-être l’occasion d’une revanche. Les Orangistes comptaient aussi sur plusieurs membres des Conseils provinciaux qui, élus avant 1830, demeuraient secrètement fidèles à l’ancienne dynastie[15].

Dans le courant de janvier, un complot était en pleine organisation. Pendant que les journaux subventionnés par La Haye : Le Messager, à Gand, Le Journal du Commerce, à Anvers, Le Lynx, à Bruxelles, L’Industrie et L’Écho, à Liège, faisaient rage contre le Congrès et le Gouvernement provisoire, pendant que le pays et l’étranger étaient inondés de brochures, pendant que des agents secrets, pour gagner les masses, semaient de l’argent et dégageaient les dépôts des ouvriers aux monts-de-piété[16], on préparait presque ouvertement un coup de force en faveur de la restauration. Il s’agissait de s’emparer de Gand, de provoquer des mouvements à Louvain et à Anvers, d’envahir la salle des séances du Congrès, de le dissoudre et de proclamer le prince d’Orange lieutenant-général du royaume. Une Commission de gouvernement où se trouvaient Dotrenge, le marquis de Trazegnies et quelques autres était prête à prendre le pouvoir. Déjà les discours à prononcer à cette occasion étaient rédigés[17].

Ce beau plan devait lamentablement échouer. Le parti orangiste s’était figuré, comme il arrive si souvent aux conservateurs, qu’il suffisait d’acheter quelques comparses pour réussir. Il ne se rendait aucun compte de la vigueur du sentiment national. Le 2 février 1831, si les bandes d’Ernest Grégoire[18] purent entrer à Gand sans coup férir, grâce à la complicité des chefs de la garnison, il suffit de l’intervention des pompiers courant spontanément aux armes pour les disperser. L’entreprise si soigneusement montée sombrait dans le ridicule[19].

Cet échec n’interrompit cependant pas les menées des Orangistes. Impuissants par eux-mêmes, ils recevaient de l’appui que leur accordait manifestement lord Ponsonby, l’agent à Bruxelles du gouvernement anglais, une importance politique considérable[20]. Soutenir l’orangisme était à ses yeux le seul moyen efficace de ruiner aussi bien la cause de Leuchtenberg que celle de Nemours. Son but n’était pas d’amener le rétablissement du royaume des Pays-Bas. Conformément aux vues de la Conférence, il voulait l’indépendance de la Belgique, mais il la voulait sous le prince d’Orange, ne voyant pas d’autre moyen de la garantir contre les convoitises françaises.

Cependant le gouvernement de Paris retirait au même moment son appui à ce prince dont les Belges refusaient d’entendre parler. Sa grande affaire était d’empêcher l’élection de Leuchtenberg qui, devenu roi des Belges, eût été immédiatement salué par les bonapartistes français comme un nouveau roi de Rome. Il savait que ceux-ci n’épargnaient rien pour promouvoir le succès du mélancolique jeune homme, si peu mêlé lui-même à l’agitation déchaînée autour de son nom, que, dans sa lointaine garnison bavaroise d’Eichstädt, il ne recevait même pas les journaux de Bruxelles[21]. Mais les efforts de ses partisans, dirigés de Paris par les Exelmans, les Fabvier, les Lallemand, lui gagnaient rapidement la faveur des masses. La Belgique était inondée de ses portraits qui excitaient l’émotion des femmes et ravivaient l’enthousiasme des anciens soldats de Napoléon ; il paraissait glorieux de se donner comme souverain le fils de ce prince Eugène dont le souvenir s’auréolait d’une légende d’héroïsme et de loyauté ; déjà le bruit se répandait que quatre jours après son élection le jeune duc entrerait dans la capitale.

N’osant soutenir contre lui la candidature de Nemours, Louis-Philippe suggérait vainement tantôt le nom du prince Charles de Naples, neveu de sa femme, tantôt celui d’Otton de Bavière, un enfant de quinze ans, auquel il aurait donné en mariage une de ses filles. Personne ne se laissait détourner par ces pis-aller. Cependant le temps passait. Le 11 janvier, la discussion sur le choix d’un roi s’était ouverte au Congrès. Le 19, Lebeau avait proposé la candidature de Leuchtenberg ; le 25, celle de Nemours lui avait été opposée. La lutte était donc circonscrite entre ces deux noms. Le malheureux Louis-Philippe allait-il être contraint de soutenir la cause de son propre fils au mépris de sa parole donnée à l’Europe et au risque, qui lui faisait horreur, de provoquer une nouvelle guerre de la succession d’Espagne ? Dans son angoisse, il se résigna à jouer les Belges.

Rien n’était plus facile. L’exaspération que la communication des bases de séparation venait de soulever au Congrès, ne permettait plus ni retenue ni prudence. Se croyant trahis par la Conférence, beaucoup de ses membres ne songeaient plus qu’à se jeter dans les bras de la France et à combattre avec elle. L’élection de Nemours assurerait certainement son alliance. L’agent français à Bruxelles, Bresson, prit sur lui de hâter la solution. Le 28 janvier, il partait « à toute bride » pour Paris, y exposait le lendemain « au point du jour » la situation à Louis-Philippe et recevait la permission d’agir à sa guise, quitte à être désavoué après l’événement. De retour à Bruxelles, il faisait semer le bruit que le roi accepterait la couronne pour son fils. Le matin même de l’élection, le 3 février, l’annonce que la France avait refusé son adhésion aux bases de séparation, fit pencher la balance en faveur de Nemours[22]. Quatre-vingt-dix-sept voix se prononcèrent pour lui contre soixante-quatorze à Leuchtenberg. Vingt-et-une s’égarèrent sur le nom de l’archiduc Charles.

En se donnant ainsi « un roi au scrutin[23] », le Congrès ne se doutait pas qu’il votait dans le vide et qu’à l’avance sa décision était frappée de nullité. Le 1er février, la Conférence avait arrêté « qu’au cas que la souveraineté de la Belgique fût offerte à des princes des familles qui régnent en Autriche, en France, dans la Grande-Bretagne, en Prusse et en Russie, cette offre serait invariablement rejetée ». Communiqué quelques jours plus tard par lord Ponsonby au Comité diplomatique, ce protocole fut pour le Congrès « comme un coup de foudre ». Il était seulement le châtiment de son imprudence et celui de la duplicité de Louis-Philippe. La députation qui partit pour Paris le 18 février s’abandonnait encore pourtant à un dernier espoir. Le roi la reçut sans doute avec une honte secrète, qu’il dissimula sous des effusions sentimentales. La dure nécessité de conserver la paix l’obligeait, dit-il, à refuser la couronne destinée à son fils. Le repos de l’Europe était à ce prix. Il aurait pu ajouter qu’il en était de même de la solidité de son trône. En somme il avait atteint son but : Leuchtenberg était écarté et le bonapartisme dépité. Il n’avait jamais sérieusement voulu autre chose.

Son refus plaçait la Belgique dans une situation tout à la fois ridicule et terrible : ridicule, parce qu’après avoir passé outre avec tant de désinvolture aux remontrances de la Conférence, on se voyait sacrifié à elle par cette France dont on avait tout attendu ; terrible, parce que ce cuisant échec enlevait au Congrès, démoralisé et discrédité, la force de continuer plus longtemps à diriger les destinées du pays. Déjà les Orangistes relevaient la tête et les républicains s’agitaient. Dès le 14 janvier, avant même la dérobade de Louis-Philippe, de Robaulx avait proposé de modifier la constitution et d’établir la république !

Que faire ? Personne ne se dissimulait l’urgence d’en finir avec le provisoire dans lequel on vivait et de se donner enfin un gouvernement. Aussi bien, la constitution étant achevée, il était temps d’inaugurer le régime qu’elle instaurait. Faute de roi, on se contenterait d’un régent. L’agitation des dernières semaines n’avait heureusement pas ébranlé l’union des partis. Dans tous deux il s’était rencontré des partisans de Nemours et des partisans de Leuchtenberg. Le 24 février, catholiques et libéraux se trouvèrent d’accord pour confier la régence au président du Congrès, le baron Érasme-Louis Surlet de Chokier. Le lendemain il était inauguré sans pompe et prêtait serment à la constitution. Un vote unanime déclarait que le Gouvernement provisoire avait bien mérité de la patrie. Il allait être remplacé par des ministres responsables devant le Congrès qui, en attendant l’élection future du Sénat et de la Chambre des Représentants, continuait à exercer le pouvoir législatif. Une phase nouvelle commençait dans la Révolution. Et c’est à ce moment que l’anarchie faillit tout emporter.

Rien n’atteste mieux l’impéritie politique du Congrès que l’élection du Régent. Dans les circonstances que l’on traversait, il eût fallu à la tête du pays un homme énergique à idées claires, connaissant l’Europe, capable de représenter la nation devant elle et de lui faire entendre sa voix. Or, ce qui manquait le plus à Surlet de Chokier, ce sont précisément ces qualités-là. C’était un petit gentilhomme liégeois, familier, bon enfant, ayant autant horreur du luxe et de la représentation que du travail, une sorte de Charles de Lorraine de village que l’on n’avait élu que parce que sympathique à tout le monde, il ne portait ombrage à personne. Agé de soixante ans, il avait une « noble figure, mélange de bonhomie et de finesse, avec une longue chevelure à la Boissy d’Anglas »[24]. La simplicité de ses allures, qui n’était pas exempte de quelque affectation, lui avait valu tout de suite cette sorte de popularité que le peuple accorde si facilement à ceux qui ne lui en imposent pas. Un journal faisait son éloge en disant qu’on l’avait vu se promener en sarreau bleu à la foire de Beaucaire. Il n’avait d’autre titre politique que d’avoir siégé vers la fin de l’Empire au Corps Législatif et aux États-Généraux sous le roi Guillaume, qui lui avait octroyé son titre de baron. Les électeurs ne l’avaient envoyé au Congrès que par affection. Ses collègues lui en avaient, pour le même motif, confié la présidence. On se rappelait surtout les bons mots qu’il y avait prononcés. Comment cet homme si simple et complètement dénué de vanité, se résigna-t-il à accepter les responsabilités écrasantes qu’il assumait avec la régence ? Il n’avait pas même foi dans l’avenir du pays. Lebeau lui reproche « d’être tiède en matière de révolution » et de n’avoir confiance que dans la France. Il semble bien en effet, s’être laissé guider par les conseils du général Belliard, le remplaçant de Bresson à Bruxelles, qui ne l’appelle dans ses lettres, avec un dédain affectueux, que « le bon régent », le « brave régent », « le bon et brave régent ». Du moins, conscient de son insuffisance, prit-il le parti de faire parler de lui aussi peu que possible. Il s’installa modestement dans un petit hôtel de la rue Latérale (aujourd’hui rue Lambermont), avec sa gouvernante, n’ouvrant sa porte qu’à quelques intimes. Les 10.000 florins de liste civile qu’il recevait par mois suffirent plus qu’amplement à sa dépense. À défaut d’autre mérite, son gouvernement eut celui du bon marché.

Personnellement, Surlet de Chokier appartenait à l’opinion libérale. Les catholiques dominant par le nombre dans le Congrès eussent voté pour Félix de Mérode, si celui-ci l’avait voulu. Pas plus que Surlet il ne posa sa candidature : quarante-trois voix seulement se portèrent sur son nom. Surlet en obtint cent-huit. Si fâcheuse qu’elle fût, son élection eut du moins cet avantage de ne pouvoir passer pour un coup de parti et d’affirmer une fois de plus l’unionisme de l’assemblée.

Le lendemain de son inauguration, le Régent constitua le premier des ministères de la Belgique indépendante. À vrai dire, il semble bien qu’il se soit contenté de le bâcler. Pour s’épargner l’embarras du choix, il le composa des administrateurs généraux des divers comités que le Congrès avait chargés du pouvoir exécutif. Par hasard, ils étaient tous libéraux. On leur adjoignit dans la personne de de Gerlache, qui d’ailleurs résilia tout de suite ses fonctions, un catholique hors cadre et sans portefeuille.

Ainsi fait, le ministère était « un méli-mélo » si divisé de tendances, qu’il ne se trouvait pas même d’accord sur la constitution. À côté de modérés comme van de Weyer, Tielemans, Goblet et Charles de Brouckère, le fougueux Gendebien y affirmait bruyamment ses convictions républicaines et cherchait à profiter de l’occasion pour les faire triompher. Appuyé au dehors par de Potter et ses partisans, il aspirait visiblement à une entente avec les révolutionnaires de Paris[25]. La guerre immédiate qu’il prêchait contre la Hollande devait, pensait-il, leur permettre de pousser le faible gouvernement de Louis-Philippe à une intervention qui eût tourné en guerre de propagande et instauré la république en France et en Belgique. Ses excitations étaient d’autant plus dangereuses que, dans le désarroi général et au sein de la crise économique qui sévissait de plus en plus, le découragement ou l’intérêt poussaient bien des esprits à ne voir le salut que dans une réunion à la France. Un journal publié à Mons par une société de négociants et de charbonniers, L’Éclaireur, la réclamait ouvertement[26] et ce qu’il disait tout haut, nombreux étaient ceux qui le murmuraient en conversation et jusque, pensait-on, dans le conseil des ministres et dans l’hôtel du Régent[27].

C’est sans doute pour décider la France à la guerre que Gendebien fit lancer par celui-ci l’incroyable proclamation du 10 mars. Sous l’apparence d’une exhortation aux Luxembourgeois, elle n’était rien moins qu’une provocation directe à l’Europe. « Nous avons commencé, disait-elle, notre révolution malgré les traités de 1815. Nous la finirons malgré les protocoles de Londres… Vos frères ne vous abandonneront jamais ». Ce manifeste si visiblement destiné, par le rappel des traités de 1815, à exalter l’opinion des républicains de Paris, devait d’ailleurs faire long feu.

Le 13 mars, le ministère Casimir Périer mettait fin aux fluctuations et aux indécisions de la politique française. Désormais il n’était plus possible d’escompter le renversement de Louis-Philippe ni d’opposer le gouvernement des Tuileries à la Conférence de Londres. En s’associant décidément aux autres Puissances, la France monarchique ruinait l’espoir des républicains de Bruxelles de l’entraîner dans la guerre dont ils attendaient leur victoire.

Au surplus, ces républicains n’étaient qu’une minorité dont la hardiesse s’explique surtout par la timidité de leurs adversaires. Ce n’est pas d’eux, mais des Orangistes que venait le péril. Tout de suite après l’échec de l’élection de Nemours, ils n’avaient pas manqué d’exploiter la situation à leur profit. Ouvertement appuyés par lord Ponsonby qui les encourageait à provoquer un mouvement populaire, ils se croyaient certains du succès. De La Haye, le roi Guillaume entretenait leur confiance, ne doutant pas que l’anarchie pousserait bientôt les Belges à une restauration. Dans l’armée, le général van der Smissen provoquait sans peine la défection de quantités d’officiers ulcérés du peu d’intérêt que leur montrait le Régent. On soupçonnait le général Daine de s’être laissé acheter pour 10.000 florins. Les conspirateurs comptaient à Bruxelles sur les frères d’Hoogvorst et sur le colonel de la garde civique. Ils poussaient l’impudence jusqu’à faire des ouvertures au Régent[28].

Mais pour réussir, il leur fallait l’adhésion du peuple et une fois de plus, c’est contre son opposition que devaient échouer leurs intrigues et leur or. Leur cause lui était si odieuse qu’à Bruxelles, ils ne parvenaient pas même à recruter des harangueurs flamands pour l’exciter[29]. Les riches et les industriels qui menaient le mouvement cherchaient vainement à exploiter le chômage et le marasme des affaires. On se riait des fabricants menaçant de fermer leurs usines si Guillaume n’était pas rappelé ; à Anvers, les salaires ayant été diminués de 50 pour cent, les ouvriers accusèrent les Orangistes d’avoir inventé ce moyen de provoquer une contre-révolution[30]. Partout l’exaspération des masses se soulevait contre eux. Des émeutes éclataient dans les villes manufacturières[31]. Les hôtels Orban et de Macar étaient pillés à Liège ; à Gand, on « martyrisait » sur le marché du Vendredi un industriel connu pour son attachement à Guillaume.

En face des machinations orangistes, d’ailleurs, la résistance du peuple fut secondée par la partie la plus énergique de la bourgeoisie. L’Association nationale fondée à Bruxelles le 23 mars, appela les Belges aux armes contre la dynastie exclue par le Congrès de ce trône que ses partisans prétendaient lui rendre[32]. Sans doute le manifeste qu’elle publia le 27 trahit encore l’espoir, à peine dissimulé, de combattre pour la république en combattant pour Guillaume. « Avec un chef imposé ou seulement indiqué par l’étranger, notre indépendance ne serait qu’une chimère et notre révolution que du temps et du sang perdus. Soyons Belges et finissons notre révolution comme nous l’avons commencée : par nous-mêmes ». C’était là tout à la fois un langage de têtes chaudes et d’hommes de cœur. S’il poussait à une lutte impossible contre l’Europe, il raffermit du moins les courages chancelants et ranima la confiance. Le lendemain, le Régent renvoyait son ministère. Un nouveau cabinet arrivait au pouvoir, sous la présidence effective de Joseph Lebeau.

Ce jeune avocat libéral et franc-maçon, envoyé au Congrès par ses compatriotes de Huy, s’était laissé tout d’abord griser par l’enthousiasme révolutionnaire de ses collègues. Mais l’ardeur patriotique s’alliait chez lui à une intelligence lucide. Il n’avait pas tardé à comprendre que l’indépendance de la Belgique était irréalisable sans le consentement de l’Europe. Avec un tact politique qui fait de lui l’homme d’État de la Révolution, il avait reconnu que ce n’était pas à Paris, mais à Londres que reposait le sort du pays, et qu’un souverain ne pouvait être reconnu sans l’assentiment de l’Angleterre. Le rapprochement du cabinet de Casimir Périer avec celui de Lord Grey facilitait l’exécution de ses projets, et il en était de même du revirement de Lord Ponsonby qui, désabusé de ses chimères par l’échec du complot orangiste, se montrait maintenant disposé à agir de concert avec Belliard. Peut-être le nom du prince Léopold de Saxe-Cobourg lui fut-il suggéré par eux. En tout cas il n’hésita pas à voir que là était le salut. Adopter ce nom, c’était en effet rassurer les Puissances sur les velléités d’union avec la France qu’elles attribuaient à la Belgique, c’était gagner leur confiance en leur montrant que « la révolution n’était ni française, ni anglaise, ni allemande, mais belge, et qu’elle n’avait pas secoué la suprématie de la Hollande pour accepter celle d’un autre peuple ». Dès ses débuts, Lebeau déclarait nettement que le pays ne voulait que son autonomie et qu’il ne songerait à s’unir à la France que s’il était réduit à choisir entre la France et la Hollande, Il allait jusqu’à dire que son ministère était anti-français, non sans doute qu’il fût hostile à la France « que nous aimons tous », mais parce que « voué au principe de l’indépendance nationale »[33].

Or celle-ci paraissait gravement compromise. L’obstination des Belges à résister aux décisions de la Conférence et leur incapacité à sortir de l’anarchie, faisaient revenir sur l’eau les projets de partage auxquels on avait déjà songé à Paris quelques mois plus tôt. Sans doute le gouvernement français ne les soutenait pas, mais il ne les combattait pas non plus. Il semble bien que, sans l’opposition de l’Angleterre, il se fût entendu avec la Prusse et la Hollande. Talleyrand se laissait aller à confesser « qu’il était impossible que les Belges constituent une nation et qu’en travaillant à leur indépendance, il faisait une œuvre de circonstances destinée à disparaître avec elles »[34].

Il était donc grand temps de se presser si l’on voulait enfin avoir un roi. Mais l’humiliante expérience de l’élection de Nemours imposait la prudence. Il n’était plus question de donner la couronne sans savoir si elle serait acceptée. Le 22 avril, une députation arrivait à Marlborough House pour pressentir Léopold sur ses intentions. Lebeau se flattait d’obtenir sans peine son assentiment. Mais on avait affaire cette fois à un esprit réaliste, à un politique plein de prudence, à un prince enfin qui venait de refuser le trône de Grèce. Comment espérer qu’il acceptât celui de Belgique sans être assuré du consentement de l’Europe et surtout de celui de l’Angleterre à laquelle il devait tout ? Il savait que le 17 avril, la Conférence venait de déclarer de nouveau que les bases de séparation rejetées par les Belges étaient des « arrangements fondamentaux et irrévocables ». C’était dire qu’elle ne tolérerait qu’un roi qui les admît. Dans ces conditions les pourparlers ne pouvaient aboutir. Léopold et la députation se trouvaient, comme disait Palmerston, at a dead lock.

Cependant le Congrès demeurait buté dans la résistance. Ponsonby n’osait lui communiquer l’ultimatum du 10 mai par lequel la Conférence sommait les Belges d’accepter les bases de séparation sous peine de la voir bloquer l’Escaut et accorder son appui au roi de Hollande. Complètement revenu de ses sympathies orangistes, il travaillait maintenant pour Léopold et s’associait à la politique de Lebeau. Il suggérait à Palmerston de consentir à une transaction. Pour en finir, celui-ci obtint, le 21 mai, l’envoi à Bruxelles d’un nouveau protocole « promettant d’entamer avec le roi des Pays-Bas une négociation dont le but sera d’assurer, s’il est possible à la Belgique, moyennant de justes compensations, la possession du Luxembourg ». Ainsi la Conférence revenait sur ses arrangements irrévocables, comme Joseph II, en 1787, était revenu sur ses « préalables indispensables »[35]. C’était un succès pour le Congrès. Il ne l’accueillit que par une explosion de fureur.

Plutôt la guerre que consentir à capituler devant la Hollande. Acheter le Luxembourg et renoncer au Limbourg dont les habitants avaient participé avec enthousiasme à la Révolution, c’était accepter de vendre des frères et fouler aux pieds les droits sacrés du peuple. Voilà donc la condition mise à l’obtention d’un roi ! À ce prix la monarchie était trop chère. Les républicains triomphaient et, appuyés par l’indignation générale, entraînaient derrière eux l’opinion publique. Les Orangistes, enchantés de ce déchaînement de fureur, faisaient chorus en vue de prolonger l’anarchie avec le dessein d’en profiter. De Paris, les ennemis de Louis-Philippe et de Casimir Périer applaudissaient et excitaient le mouvement. De Potter, Lafayette, Mauguin, Lamarque poussaient les Belges à la république. Les francophiles s’affichaient ouvertement. À Liège, à Verviers, à Namur, des drapeaux français étaient arborés[36].

Au Congrès cependant, les modérés s’évertuaient à trouver une solution. J.-B. Nothomb parvint à obtenir de ses collègues l’élection provisoire de Léopold et leur adhésion à des arrangements financiers avec Guillaume. Il était entendu que l’élection serait nulle au cas où le roi consentirait à des sacrifices territoriaux. On gagnait donc du temps, mais on ne gagnait que cela. Rien n’était tranché. La situation paraissait inextricable et désespérée. Le roi de Hollande insistait à Londres pour l’exécution de l’ultimatum du 10 mai, et la Conférence poussée à bout, rappelait de Bruxelles Belliard et Ponsonby. Nulle illusion à se faire sur un nouveau désaccord de la France et de l’Angleterre. Palmerston et Casimir Périer marchaient la main dans la main.

Néanmoins, les diplomates avaient peur de ces Belges qui n’avaient peur de rien. Ne parlaient-ils pas de recevoir à coups de fusil les troupes de la Confédération germanique si elles entraient dans le Luxembourg ? Et s’ils tiraient, ne provoqueraient-ils pas aussitôt une révolution à Paris et cette guerre générale que l’on avait déjà tant fait pour éviter. On avait beau les considérer comme le scandale de l’Europe, railler l’ignorance et l’incapacité des délégués qu’ils venaient d’envoyer pour la seconde fois à Londres, force était bien de leur faire l’honneur de parlementer avec eux. Palmerston avait éclaté de rire tout d’abord en entendant leurs propositions. Leur ténacité n’en laissa pas moins de triompher. Sur un point d’ailleurs ils entendaient raison. Ces démocrates consentaient à renoncer à la Flandre Zélandaise qu’en contradiction avec leurs principes ils avaient revendiquée par raison d’État. Ils ne se montraient inébranlables que dans leur résolution de ne pas abandonner les Limbourgeois et les Luxembourgeois qui s’étaient soulevés avec eux. Ils se résignèrent pourtant à admettre le 26 juin, après des discussions infinies, l’accommodement qui fut mis en forme dans le projet de traité dit des XVIII articles. Ils stipulaient qu’une négociation spéciale entre la Belgique, la Hollande et la Confédération germanique réglerait la question du Luxembourg. Pour le Limbourg, il serait fait un arrangement convenable, grâce à l’échange des enclaves que les Provinces-Unies et les Pays-Bas autrichiens possédaient à la fin du xviiie siècle sur leurs territoires respectifs[37]. Quant à la liquidation des dettes de l’ancien royaume, chacune des parties prendrait à sa charge celles qu’elle supportait avant 1815 ; le reste serait réparti selon une juste proportion.

Le même jour, à 9 heures du soir, Léopold acceptait la couronne de Belgique devant la députation du Congrès à condition que celui-ci ratifiât la convention élaborée après tant d’efforts. À Bruxelles, les concessions des délégués soulevèrent une dernière tempête. Il put sembler un instant que tout allait être remis en question. Sur le point d’aboutir, le Congrès ne pouvait se résigner à « vendre ses frères ». Les tribunes bondées applaudissaient à tout rompre les orateurs qui exigeaient la guerre plutôt qu’une telle honte. On sifflait les partisans de la résignation. De Paris, une fois de plus, la presse républicaine soufflait sur le feu. Enfin, le 5 juillet, Lebeau prit la parole. Avec une éloquence faite de sa conviction, il montra le sort des XVIII articles lié au sort même de l’indépendance nationale. Sans doute si l’on courait aux armes plutôt que de se résigner à leur adoption, on pouvait espérer le secours de la France. Ce secours provoquerait un conflit européen et la Belgique qui l’aurait déchaîné en serait la victime, car elle n’aurait à attendre en cas de victoire, qu’une annexion, en cas de défaite, qu’une restauration. Sur cette assemblée que l’union des partis affranchissait de la discipline tyrannique que leur désaccord eût peut-être imposée aux votes, cet émouvant appel au bon sens et au patriotisme fit merveille. L’orateur épuisé se rassit dans le bruit des acclamations. La lumière de la raison dissipait les fumées du sentiment. La cause était gagnée. La discussion se prolongea encore quatre jours à travers des redites. Le 9 juillet, le Congrès ratifiait le texte des XVIII articles par 126 voix contre 70.

Une semaine plus tard, le 17, Léopold arrivant de Calais, mettait le pied sur le sol belge à La Panne par un temps splendide. Jusqu’à Bruxelles, il voyagea au milieu de l’enthousiasme populaire, accueilli aux sons de la Brabançonne, passant sous les arcs de triomphe et sous le déploiement des drapeaux tricolores. Seuls, dans les villes qu’il traversa, les hôtels de l’aristocratie et ceux des industriels orangistes témoignaient par leurs fenêtres closes de la bouderie de leurs habitants.

L’inauguration du roi eut lieu le 21 juillet, sur cette même Place Royale qui avait vu se dérouler quinze ans auparavant, au milieu d’une pompe officielle et glacée, celle de Guillaume Ier.

La cérémonie toute populaire et démocratique répondit bien au caractère de la « monarchie républicaine » qui y débutait. Au centre de la place se dressait le jeune arbre de la liberté. En face, sur les degrés de l’église Saint-Jacques, on avait élevé un dais au front duquel se détachaient les noms des combats victorieux de la révolution. La blouse bleue des volontaires remplaçait au-dessus du trône les armoiries héraldiques. Reçu par les membres du Congrès, Léopold, revêtu du costume de lieutenant-général de l’armée belge, fut conduit tout d’abord à un fauteuil d’où il assista à la déposition des pouvoirs du Régent. On lui lut ensuite la constitution. Il y prêta serment : une salve de cent-un coups de canon annonça au peuple qu’il avait un roi. Il monta ensuite au trône avec une distinction de manières et un calme qui soulignaient la souveraineté que la nation venait de lui confier. « Belge par votre adoption, dit-il, de sa voix lente et grave, je me ferai aussi une loi de l’être toujours par ma politique ». Il venait de prononcer les paroles auxquelles son long règne devait être fidèle jusqu’au bout.

Pendant qu’il se rendait à pied à travers les flots des gardes civiques et du peuple au Palais royal, les membres du Congrès gagnaient le Palais de la nation pour y déposer leur souveraineté avec la même simplicité qu’ils l’avaient prise[38]. Leur tâche était accomplie. La constitution élaborée par eux entrait en vigueur. Trois jours après, le roi constituait son premier ministère et convoquait le corps électoral pour la nomination du Sénat et de la Chambre des Représentants.


II


Le 22 juin, Guillaume Ier avait solennellement déclaré « qu’il considérerait comme son ennemi le personnage qui accepterait la Belgique sans avoir souscrit les bases de séparation ». La Conférence n’avait attaché aucune importance à cette menace. Il ne lui paraissait pas possible que le roi de Hollande s’insurgeât contre la volonté unanime des Puissances. En supposant d’ailleurs qu’il le fît, ce ne serait qu’une incartade sans lendemain. Il était trop tard pour troubler la paix générale puisqu’enfin l’Europe était d’accord sur la reconnaissance de la Belgique. Mais Guillaume savait, d’autre part, qu’il ne risquerait rien en prenant les armes. Vainqueur, il pouvait espérer replonger dans l’anarchie cette Belgique qu’il voyait avec fureur lui échapper ; vaincu, il en serait quitte pour accepter au pis-aller ces XVIII articles qu’il considérait comme une perfidie de la Conférence à son égard. Il se sentait d’ailleurs en mesure de venger sur les Belges ses humiliations de l’année précédente. Il avait reconstitué avec soin son armée et il n’avait pas en vain fait appel à son peuple. La nation hollandaise souhaitait ardemment châtier les « émeutiers » du Sud. Les étudiants des universités avaient formé des bataillons de volontaires. L’ensemble des troupes rassemblées dans le Brabant septentrional sous couleur de protéger la frontière, se montait à 50.000 hommes, sous le commandement du prince d’Orange assisté de chefs tels que Constant de Rebecque et Bernard de Saxe-Weimar.

À ces forces, les Belges ne pouvaient opposer qu’un amas de régiments aussi mal équipés que mal commandés, quelques corps de volontaires indisciplinés, et une garde-civique à peine armée. Le Congrès si belliqueux en paroles, n’avait rien fait pour se préparer à la guerre dont il agaçait constamment l’Europe. Les faciles succès remportés en septembre lui faisaient croire que l’enthousiasme révolutionnaire suffirait à mettre l’ennemi à la raison. Se défiant d’ailleurs des officiers de carrière passés à son service, il avait laissé naître et se développer parmi eux un mécontentement dont les Orangistes, on l’a vu, avaient su profiter. Telle était pourtant l’imprévoyance générale, que les conspirations militaires avaient à peine inquiété l’opinion. Rien n’avait été fait, ni pour le moral, ni pour le matériel de l’armée. De plus en plus elle se dissolvait dans le sentiment de son abandon et sous l’influence de la corruption semée dans ses cadres par l’or hollandais. Le ministre de la guerre, le général de Failly, nommé par le Régent et conservé par Léopold, ne se distinguait que par son inertie et son incapacité. Quant à la disposition des troupes, elle était comme faite à dessein pour favoriser l’ennemi. Leur faible effectif de 24.000 hommes était réparti entre deux armées trop éloignées pour pouvoir se donner la main, la première, dite armée de la Meuse, sous Daine, occupait le Limbourg, la seconde, dite armée de l’Escaut, sous Tieken de Tenhove, se groupait autour d’Anvers, dont la citadelle était toujours occupée par le général Chassé.

Le 2 août, celui-ci dénonçait brusquement l’armistice conclu au mois de septembre ; deux jours plus tard l’armée hollandaise envahissait la Campine. Elle eut vite fait de repousser les avant-postes de la frontière et, sans doute, si elle avait marché plus rapidement pour séparer les deux armées belges, elle les eût enfoncées sans peine au premier choc. Mais ses recrues manquaient d’endurance et d’élan. C’étaient, disait le prince d’Orange, « des bourgeois fort raisonneurs, habillés en militaires[39] ».

Léopold s’attendait si peu à une attaque, qu’il avait commencé tout de suite après son inauguration, à visiter les principales villes du pays. C’est à Liège qu’il apprit le péril qui fondait sur cette Belgique qu’il était appelé à défendre avant même de la connaître. Il ne savait que trop dans quel désarroi elle se trouvait. Sans hésiter, il demanda aussitôt l’appui de la France et de l’Angleterre en dépit de l’article de la constitution subordonnant l’entrée d’une armée étrangère au vote d’une loi. Les illusions de ses ministres étaient si grandes qu’ils s’opposèrent aussitôt à cette mesure de salut public. L’armée du maréchal Gérard, que Louis-Philippe, trop ravi de l’occasion de se mêler des affaires de Belgique pour ne pas faire diligence, venait de pousser en toute hâte dans le Hainaut, s’y vit accueillie par les protestations des autorités.

Cependant si les Hollandais avançaient sans hâte, ils avançaient à coup sûr. Daine n’avait pas exécuté l’ordre de manœuvrer pour rejoindre Tieken de Tenhove. Attaqué le 7, il était le 8 mis en déroute à Hasselt et ses troupes débandées faisaient sur Liège une retraite qui ressemblait à une fuite. Isolée en face d’un ennemi supérieur en nombre, en discipline et en armement, l’armée de l’Escaut était perdue. Le combat qu’elle livra à Bautersem le 11 août n’améliora pas sa situation. Un mouvement tournant de Saxe-Weimar la contraignit le lendemain à se replier sur Louvain. L’ennemi était maître de son sort. Elle le sentait et s’agitait sous son étreinte en mouvements impuissants et confus. La vaillance du roi qui comme un sous-lieutenant s’exposait au feu, plaçait lui-même des pièces en batterie et faillit se faire enlever par la cavalerie hollandaise, électrisait les combattants qui le voyaient faire. Mais sur les derrières, la débandade commençait et les routes s’encombraient de fuyards. Sans l’arrivée du maréchal Gérard, les Belges, coupés de Bruxelles, étaient inévitablement forcés de se rendre. Au commencement de l’après-midi, l’apparition de l’avant-garde française faisait cesser le feu. Les Hollandais avaient pour instructions de se retirer devant elle. Des pourparlers courtois réglèrent la fin d’une aventure qui, poussée plus avant, eût pu finir plus mal. L’occupation de Louvain donna une satisfaction d’amour-propre au prince d’Orange. Le jour suivant, ses troupes, suivies à petite distance par les Français, regagnèrent la frontière.

Telle fut « la campagne des dix jours »[40]. Succès incontestable, et d’ailleurs certain d’avance, pour la Hollande, elle s’achevait pour la Belgique en une déroute honteuse. Le « défaitisme », pour ne pas dire plus, d’une grande partie des officiers[41], l’inexpérience de leurs chefs, l’incroyable insouciance du Congrès et du Régent expliquent ce pitoyable échec sans l’excuser. S’il y eut de nombreux actes de bravoure individuelle, la faiblesse de la résistance fut telle que la marche des vainqueurs ressembla presque à une promenade militaire. Le nombre des tués et des blessés, respectivement 112 et 457 du côté hollandais, 91 et 453 du côté belge, reste bien en dessous de celui des journées de septembre.

Du moins la campagne fournit-elle la preuve que le pays ne voulait ni d’une restauration orangiste, ni d’une annexion française. Le prince d’Orange s’attendait à voir les populations acclamer ses troupes : elles les virent passer en silence[42]. Les complicités achetées sur lesquelles il comptait ne parvinrent à provoquer aucun mouvement. Il n’y en eut pas davantage sur le passage du maréchal Gérard. Et cette persistance du sentiment national au milieu de la défaite, n’en est que plus caractéristique.

En arrêtant les troupes hollandaises, la France n’avait agi qu’en mandataire de l’Europe. Mais si Louis-Philippe ne pouvait songer et ne songeait pas à conserver la Belgique, il était ravi d’autre part du facile succès que ses armes venaient de remporter. Palmerston enrageait de voir Léopold, à peine débarqué de Londres, faire figure devant l’Europe de protégé du roi des Français. Dans sa malveillance il allait jusqu’à soupçonner le cabinet de Paris, d’avoir provoqué l’attaque de Guillaume[43]. Il était prêt à tout pour l’empêcher de tirer parti d’une intervention que les circonstances l’avait obligé à tolérer. Soutenu par l’opinion britannique, il déclarait le 15 août au Parlement que la guerre éclaterait, si les Français n’évacuaient promptement la Belgique. L’armistice conclu par Gérard le 29 avec la Hollande, ne laissait plus de prétextes pour prolonger l’occupation. Louis-Philippe le rappela en septembre. Il dut renoncer à l’espoir de faire démolir une partie au moins de la barrière des forteresses construites en 1815 sur l’ordre de l’Europe, par le roi des Pays-Bas. Il fallut se contenter là dessus, d’une promesse de Léopold. Mais il tait à la France le prestige d’avoir victorieusement défendu la neutralité belge, qui cessait d’apparaître ainsi comme tournée contre elle. La réorganisation militaire du jeune royaume se fit aussi à son avantage. Ce furent des officiers français qui l’accomplirent et dont beaucoup, au grand dépit de Palmerston, restèrent au service de la Belgique.

Si les événements du mois d’août avaient profité à la France, ils avaient en revanche discrédité la Belgique aux yeux du monde. À la Conférence de Londres, on ne se faisait pas faute de traiter les Belges de couards et Léopold d’incapable[44]. Palmerston s’inquiétait du danger de laisser au pouvoir de ces vaincus, au cas d’une guerre contre la France, des forteresses aussi importantes que Maestricht et Luxembourg. Ainsi l’Angleterre elle-même ne voulait plus des XVIII articles qu’elle avait tant contribué à faire adopter. « Ils ont péri, disait Lebeau, dans les plaines de Louvain »[45]. Le roi de Prusse, l’empereur d’Autriche et surtout le tsar à qui l’écrasement de la révolution polonaise laissait les mains libres, travaillaient ouvertement en faveur de Guillaume. Seul Louis-Philippe soutenait encore la cause des Belges. On en arriva à se mettre d’accord le 14 octobre, sur vingt-quatre articles que la Conférence, une fois de plus, et cette fois pour s’y tenir, déclara « décisions finales et irrévocables ».

Ils accordaient à la Belgique la partie wallonne du Luxembourg y compris les environs d’Arlon, la partie allemande devant revenir au roi de Hollande qui la posséderait à titre de grand-duc et de membre de la Confédération germanique. En compensation des territoires luxembourgeois qu’il perdait, il recevait Maestricht plus toute la portion du Limbourg située sur la rive droite de la Meuse, ainsi que Ruremonde et Venloo. Des stipulations réglaient l’écoulement des eaux belges à travers la Flandre Zélandaise, la libre circulation sur les rivières, la construction d’une route vers l’Allemagne à travers le Limbourg. À titre d’intervention dans la liquidation des dettes des Pays-Bas, la Belgique était astreinte au paiement d’une rente de 8.800.000 florins. Les Puissances la soumettaient enfin au régime de la neutralité perpétuelle sous leur garantie.

Pour les Belges, c’était tomber de haut. Fallait-il donc se résigner à abandonner ces « frères » des régions limbourgeoises et luxembourgeoises que le traité des XVIII articles donnait la possibilité de conserver à la patrie commune ? Mais que faire sinon courber la tête ? Comment oser encore parler de guerre sans se couvrir de honte ? Sur qui compter d’ailleurs en cas de refus ? En France, les républicains se taisaient et le gouvernement se ralliait aux décisions de l’Europe. On se voyait acculé à l’inévitable. Les Chambres, à peine réunies, allaient débuter dans la vie politique en expiant les fautes du Congrès. Elles se résignèrent à sanctionner les résultats de la défaite dont elles n’étaient pas plus responsables que le roi. Le 1er novembre, la Chambre des Représentants ratifiait le traité des XXIV articles ; le Sénat faisait de même deux jours plus tard. Le 15, Sylvain van de Weyer en signait le texte à Londres avec les plénipotentiaires des cinq cours représentées à la Conférence.

Elles avaient compté sur l’adhésion de Guillaume. Mais conséquent avec lui-même, il repoussa un arrangement si différent des bases de séparation acceptées par lui au mois de février et auxquelles il avait résolu de se tenir. L’idée de reconnaître l’indépendance des Belges qu’il venait de battre, était insupportable à l’orgueil de cet entêté. Il ne parlait de leur roi qu’en l’appelant « le Léopold » ou « Monsieur Léopold », et il avouait que son gosier se refusait à prononcer le nom de Belgique[46]. Au reste il se sentait encouragé par la sympathie des trois cours du Nord. Devant le résultat « final et irrévocable » de la Conférence, elles éprouvaient maintenant le remords d’avoir pactisé avec le libéralisme et de la « protection qu’elles avaient accordée à une révolution ». Le tsar reprochait à ses plénipotentiaires d’avoir outrepassé leurs instructions en sacrifiant un souverain « étroitement uni à sa maison par des liens de parenté et d’affection ». On oubliait, depuis qu’elles étaient passées, les terreurs provoquées par l’imminence de la guerre générale. Metternich rejetait tous les torts sur la Prusse, qui n’avait pas osé prendre dès le début une attitude assez énergique ; « si elle l’eût fait, cette révolution se serait terminée d’une manière aussi honteuse que les mouvements insurrectionnels qui avaient éclaté à la même époque en Italie ».

Mais il était trop tard. On s’était lié les mains. À tout prendre, on avait obtenu l’essentiel en empêchant la France de s’emparer de la Belgique. Sans doute, il était regrettable d’avoir dû consacrer une indépendance révolutionnaire sur les instances des deux Puissances libérales. Guillaume ne pouvait exiger cependant de ses protecteurs qu’ils missent leur épée à son service : ils l’entouraient de bons procédés, empêchaient qu’il ne lui fût fait violence, cherchaient par une insistance touchante et comique à lui faire signer l’odieux traité. Ils n’obtenaient que des rebuffades. Il fallut bien se résigner enfin à abandonner un roi qui se targuait vraiment trop d’une légitimité fallacieuse et parlait de la Belgique comme s’il l’avait recueillie dans l’héritage de ses ancêtres au lieu de la tenir de la complaisance de l’Europe[47]. Ce qui lui avait été donné pouvait lui être repris. Il en fit l’amère expérience. Lassées de son obstination, l’Autriche et la Prusse se décidaient, le 18 avril 1832, à ratifier le traité des XXIV articles ; le 4 mai, la Russie les imitait, tout en formulant quelques réserves.

Il ne restait plus qu’à amener la Belgique et la Hollande à s’arranger. La première continuait à occuper le Limbourg et le Luxembourg, la seconde, à maintenir ses troupes dans la citadelle d’Anvers et dans les forts de Lillo et de Liefkenshoek. Ni l’une ni l’autre ne se montraient disposées à traiter. Lord Palmerston intervint, peut-être à la sollicitation de Léopold, pour ouvrir la voie à des négociations. Le « thème » qu’il suggéra fut accepté comme base de pourparlers par le gouvernement de Bruxelles. Pour la première fois, il faisait preuve d’habileté politique. Se doutant bien que Guillaume se déroberait, il tenait à se donner le beau rôle en affirmant son esprit de conciliation. Le général Goblet, chargé le 18 septembre du portefeuille des affaires étrangères, eut la satisfaction de faire prendre acte par la Conférence, le 1er octobre, du refus de négocier du cabinet de La Haye. Il appartenait dès lors à la Belgique de réclamer la garantie des Puissances quant à l’exécution des XXIV articles. Le bon droit était de son côté et l’on ne pouvait plus taxer d’outrecuidance la décision des Chambres de prendre les mesures nécessaires si le statu quo se prolongeait au delà du 3 novembre. La réorganisation de l’armée, à laquelle le roi avait poussé de toutes ses forces, leur permettait de parler ainsi. Pour couper court à ce nouveau danger de guerre, la France et l’Angleterre résolurent d’agir sans retard. Dans leur impuissance d’empêcher l’exécution d’un traité qu’elles venaient de ratifier, les trois cours du Nord se confinèrent dans une abstention boudeuse.

Le 22 octobre, les cabinets de Londres et de Paris requéraient le roi des Belges et le roi des Pays-Bas de faire évacuer par leurs troupes avant le 12 novembre, les territoires occupés par elles au mépris des stipulations du traité des XXIV articles. En cas de refus du roi des Pays-Bas, l’embargo serait mis en France et en Angleterre sur les vaisseaux hollandais, des croisières arrêteraient tous ceux qui seraient rencontrés en mer et une escadre franco-anglaise bloquerait les côtes de la Hollande. De plus « si le 15 novembre il se trouvait encore des troupes hollandaises sur le territoire belge, un corps français entrerait en Belgique dans le but de forcer les troupes hollandaises à évacuer le dit territoire » moyennant le désir exprimé par le roi des Belges.

Le 2 novembre, le gouvernement belge donnait l’engagement qu’on lui demandait. Nul n’ignorait que Guillaume refuserait le sien. Il ne restait qu’à sacrifier à son entêtement le commerce hollandais et la garnison d’Anvers. Les représailles maritimes entrèrent en vigueur le 5 novembre. Le 15, un corps français aux ordres du maréchal Gérard franchissait la frontière belge.

Le siège d’Anvers commença le 19. Pour bien souligner le caractère européen de l’intervention de la France, il avait été décidé que les troupes belges n’agiraient pas si les Hollandais s’abstenaient de les attaquer. Elles assistèrent en spectateurs aux opérations. Décidé à s’épargner jusqu’aux apparences d’un conflit avec la France, Guillaume avait imposé la même attitude à ses forces massées dans le Brabant septentrional. Le vieux général Chassé était donc condamné à une lutte sans espoir pour le prestige du roi. Le siège d’Anvers ne fut en réalité qu’une cruelle parade d’amour-propre. De commun accord on s’entendit pour épargner la ville. Les Français n’attaquèrent la citadelle que par l’extérieur, et Chassé s’abstint dès lors d’infliger à la population un nouveau bombardement. Le 23 décembre, après une très vigoureuse défense, il signait une capitulation permettant à ses troupes, qui furent internées en France, de sortir de la forteresse avec les honneurs de la guerre. Quelques jours après, Gérard évacuait la Belgique, laissant en possession de Guillaume les forts de Lillo et de Liefkenshoek qui, ne se trouvant pas sous le commandement de Chassé, n’avaient pu être compris dans la capitulation[48].

L’irritation provoquée en Hollande par les mesures maritimes auxquelles l’obstination du roi avait contraint la France et l’Angleterre de recourir, obligea bientôt celui-ci à faire un pas en arrière. Le 21 mai 1833, il se résignait à signer une convention avec les plénipotentiaires des Puissances, par laquelle, moyennant la cessation de l’embargo sur ses navires et la remise en liberté de la garnison d’Anvers, il s’engageait à ne point rouvrir les hostilités contre la Belgique et à laisser l’Escaut entièrement libre « aussi longtemps que les relations entre la Hollande et la Belgique ne seront pas réglées par un traité définitif ». Cet arrangement ne mettait pas le gouvernement belge en possession des forts de Lillo et de Liefkenshoek. Mais par cela même, il lui permettait de continuer à occuper le Luxembourg et le Limbourg. La compensation était trop belle pour n’être pas saisie avec empressement. La situation provisoire qu’elle établissait donnait aux Belges toutes les satisfactions auxquelles l’application des XXIV articles les eût obligés de renoncer. On ne peut supposer que Guillaume ait consenti de tels avantages à ses adversaires pour le vain plaisir de ne pas leur rendre deux petits forts inutiles. Mais buté à sa résolution de ne pas traiter avec eux, il ne pouvait en outre se résigner à croire qu’ils parviendraient à durer. Il les voyait destinés à l’anarchie et à revenir tôt ou tard sous sa couronne. En attendant, il était bien résolu à soutenir plus que jamais les manœuvres des Orangistes. Et qui sait d’ailleurs si une guerre générale ne finirait pas par éclater et par justifier son attitude ?

Entre la France et l’Angleterre qui l’avaient si efficacement soutenue, la Belgique se trouvait dans une position très délicate. Il fallait se garder de donner prise au soupçon de pencher vers l’une au détriment de l’autre, et les susceptibilités contradictoires de Londres et de Paris rendaient la tâche assez malaisée. La promesse faite par Léopold à Louis-Philippe de démolir un certain nombre des forteresses bâties en 1815 avait irrité Palmerston aussi bien que les cabinets de Berlin, de Vienne et de Pétersbourg. Le 15 novembre, le jour même de la signature des XXIV articles, une convention, d’où la France était exclue, était présentée à van de Weyer. Elle limitait la démolition aux ouvrages de Menin, d’Ath, de Mons, de Philippeville et de Mariembourg. Un article secret substituait le roi des Belges au roi des Pays-Bas dans l’obligation de laisser, en cas de guerre, les troupes des Puissances contractantes occuper les forteresses conservées. Quoique la neutralité et la souveraineté de la Belgique fussent déclarées intactes, il n’en apparaissait pas moins qu’on entendait restreindre l’une et l’autre par défiance de la France. Pour Léopold c’était une humiliation. Il se résigna à y consentir (14 décembre 1831). Au reste tout cela resta lettre morte. Le pays ne devait plus connaître de guerre avant 1914, et les progrès de l’art militaire rendirent bientôt les vieilles forteresses complètement inutiles. Personne ne protesta quand, en 1860, le gouvernement les fit jeter bas, lors de l’exécution d’un nouveau système de défense nationale appuyé sur Anvers[49].

Pour enlever à Léopold son caractère exclusivement anglais, il avait été entendu entre les cabinets de Londres et de Paris, qu’il épouserait une princesse française. Son mariage avec la fille aînée de Louis-Philippe, Louise-Marie d’Orléans, fut célébré en grande pompe à Compiègne, le 9 août 1832, dernière et suprême affirmation de l’entente franco-anglaise qui avait imposé aux Puissances absolutistes l’indépendance de la Belgique.

Elle n’était pas de nature à diminuer leur mauvaise humeur et elles ne se firent pas faute de la manifester. L’occupation de la citadelle de Luxembourg par des troupes prussiennes, au nom de la Confédération germanique, fit naître, entre le général commandant la place et les autorités belges qui occupaient le reste du territoire, des incidents assez vifs. Le drapeau belge fut abattu dans plusieurs communes ; en 1832, le gouverneur de la province fut enlevé par des bandes à l’instigation de Saxe-Weimar. En 1835, un conflit plus grave surgit de la prétention émise par le gouvernement de Berlin d’empêcher la construction d’une ligne de défense contre la Hollande, entre Anvers et Hasselt. Grâce à l’intervention de la France et de l’Angleterre toutes ces brimades firent plus de bruit que de mal[50].

La malveillance prussienne trouvait d’autre part des occasions ou des prétextes de se manifester dans l’intérêt passionné avec lequel les catholiques belges suivaient les péripéties qui mettaient aux prises, dans les provinces rhénanes, le cabinet de Berlin avec l’Église. Leur presse applaudissait bruyamment aux revendications de leurs coreligionnaires demandant la « liberté comme en Belgique ». Des paroles imprudentes étaient reprochées aux autorités ecclésiastiques. Von Arnim, le ministre prussien à Bruxelles, accusait le clergé belge de vouloir fomenter une révolution en Allemagne. Les rêveries de Bartels, de de Potter et de ses amis sur la constitution d’une fédération républicaine de la Belgique et de la Rhénanie lui semblaient l’indice d’un complot démagogique, et il dénonçait Bruxelles comme « le point de réunion des révolutionnaires et des réfugiés politiques de tous les pays ». La violente campagne des journaux catholiques lors de l’arrestation, en 1837, de l’archevêque de Cologne, Mgr. Droste von Vischering, contre l’absolutisme prussien, déchaînait par contre-coup la presse protestante contre la Belgique. Le ministère était assailli de remontrances et, pour la première fois, obligé de répondre par un non-possumus constitutionnel aux demandes de refréner la liberté de la presse et de la parole[51]. Et à cela s’ajoutaient les déclamations de Maurice Arndt et des patriotes germaniques contre l’abominable révolution qui avait arraché à l’Allemagne, grâce aux intrigues de la France, un pays sur lequel elle possédait des droits historiques et que le caractère teutonique de la langue flamande l’obligeait à revendiquer comme sien[52].

L’Autriche n’était guère mieux disposée que la Prusse. En 1832, elle n’avait pas encore daigné envoyer un ministre à Bruxelles et Léopold se plaignait à Metternich de « l’interdit que l’on a mis sur la Belgique »[53]. Il n’eut pas à se féliciter du représentant qui lui arriva de Vienne, le comte de Dietrichstein, fougueux conservateur, aristocrate insolent, qui se permettait de faire des scènes aux ministres et au roi lui-même, s’abstenait avec ostentation de paraître à la célébration des fêtes nationales et pactisait publiquement avec les Orangistes[54].

Si gênant qu’il fût, ce mauvais vouloir n’était pas dangereux. Sauf le roi de Hollande, tout le monde redoutait trop la guerre pour qu’il en pût être question autrement qu’en paroles. Et il n’y avait pas plus de chances de la voir éclater à l’intérieur du pays que sur les frontières. Les subventions versées aux Orangistes l’étaient en pure perte. Leur impopularité s’attestait en 1834 par la brutale réaction que le peuple de Bruxelles opposait à leurs menées.

Guillaume finit par comprendre qu’il se leurrait en comptant sur l’anarchie ou sur une conflagration européenne pour lui rendre la Belgique. Les dépenses militaires que son expectative obstinée imposaient à la Hollande lui valaient une impopularité croissante. La menace des États-Généraux de refuser le budget l’eût couvert d’une telle confusion qu’il se décida brusquement à franchir le pas. Le 11 mars 1838, il faisait connaître à Londres son intention de signer le traité des XXIV articles.

Cette déclaration inattendue et à laquelle pourtant ils auraient dû s’attendre, plongea les Belges dans une stupeur qui tourna tout de suite à l’indignation. En cédant à l’Europe, Guillaume faisait de nouveau de l’Europe l’arbitre de leur sort. Ce qui était pour lui une cruelle humiliation était pour eux un déchirement bien plus cruel encore. Ils s’étaient si bien accoutumés au provisoire qu’ils le considéraient comme définitif. La perspective de se séparer des Luxembourgeois et des Limbourgeois, qui s’étaient soulevés comme eux, avaient siégé comme eux au Congrès, avaient fait avec eux la constitution, étaient représentés au même titre qu’eux dans les Chambres, dans l’administration et jusque dans le ministère, leur apparaissait monstrueuse et inique. Monstrueuse, puisqu’elle foulait aux pieds le droit sacré des citoyens de disposer d’eux-mêmes ; inique, puisqu’elle allait condamner 400,000 catholiques à repasser sous le joug d’un souverain ou, pour employer le langage d’alors, d’un despote protestant[55]. Comme aux premiers jours de la révolution, la passion patriotique ranimait la passion républicaine et la passion religieuse. Les républicains s’efforçaient de soulever le peuple des villes, le clergé, celui des campagnes. Le duc de Beaufort s’emportait jusqu’à dire qu’on lâcherait la foule contre les ministres s’ils cédaient[56]. Le journal Le Belge excitait l’armée à désobéir à ses chefs[57]. La fureur poussait les uns à exiger l’invasion de la Hollande ; les autres assuraient que les soldats catholiques de la Confédération germanique refuseraient de tirer sur les Belges. Soit pour contenter l’opinion, soit pour influencer la Conférence, le gouvernement mettait l’armée sur pied de guerre, faisait acheter des chevaux, prenait des officiers polonais à son service. Les protestations des Limbourgeois et des Luxembourgeois, les pétitions dont ils inondaient le Parlement surchauffaient encore une exaspération d’autant plus contagieuse qu’elle s’inspirait de sentiments plus généreux et plus sincères. Au milieu de la confusion générale, les Orangistes faisaient chorus avec les républicains[58], si bien que l’on pouvait se demander si le trône lui-même n’allait pas sombrer dans la crise. Deux ministres épouvantés démissionnaient.

Pour profonde et générale qu’elle fût, cette agitation n’en était pas moins sans issue. L’Europe opposait cette fois un front unique aux objurgations des Belges. Louis-Philippe avait fait vainement à La Haye une démarche officieuse pour amener Guillaume à se désister du Limbourg et du Luxembourg. La défiance qu’il avait réveillée chez Palmerston l’avait tout de suite amené à récipiscence. On ne pouvait donc compter sur le roi des Français, et de la France elle-même, où leur impuissance contraignait maintenant les républicains au silence, pas un appui à attendre. Inutilement Léopold suppliait sa nièce, la reine Victoria, d’intervenir. Il n’en recevait que des conseils de soumission et dans son dépit il parlait d’abdiquer. L’unique concession de la Conférence, celle de réduire à cinq millions de florins le montant de la rente prévue par le traité des XXIV articles, faisait mieux ressortir sa résolution de ne pas céder sur tout le reste et apparaissait à bien des gens comme un outrage. L’outrance des discours prononcés aux Chambres irritait les Puissances. Le roi de Prusse et l’empereur d’Autriche rappelaient leurs ministres de Bruxelles. Palmerston lui-même perdait patience et menaçait de laisser occuper le Limbourg et le Luxembourg par les troupes de la Confédération germanique.

Le discours du trône en affirmant, le 13 novembre 1838, que les droits du pays seraient défendus « avec persévérance et courage », fit croire ou laissa affecter de croire que le roi irait jusqu’à tirer l’épée. Quelques jours plus tard, la Conférence lui répondait par son protocole du 6 décembre, déclarant pour la dernière fois que ses décisions étaient irrévocables. Le 1er février 1839, Guillaume y donnait son adhésion, passant ainsi du côté des Puissances dont il avait si longtemps repoussé les avances.

Dès lors, la situation de la Belgique devenait bien plus mauvaise qu’elle ne l’avait été sept ans auparavant lorsqu’elle avait rejeté les bases de séparation admises par Guillaume. Aujourd’hui, en effet, c’était un traité accepté par elle qu’elle refusait d’accomplir parce que, contre son attente, la partie adverse s’y ralliait. L’acquiescement de Guillaume la plaçait en face de cette alternative : ou céder, ou se préparer à tenir seule tête à toute l’Europe. Le 19 février, le comte de Theux déposait sur le bureau de la Chambre un projet de loi ratifiant l’odieux traité. Durant quinze séances, un débat furieux mit aux prises le ministère et une opposition exaspérée. Gendebien, au milieu des acclamations, déposait son mandat de député, plutôt que de consentir à l’abandon de tant de compatriotes « sacrifiés à la peur ». Un de ses collègues fut frappé d’apoplexie au moment où il se déclarait pour l’inévitable. Mais les industriels, les gens d’affaires et les gens d’ordre aspiraient à la fin d’une crise qu’ils accusaient de ruiner le pays. Quantité de conseils communaux pétitionnaient pour l’acceptation. La décision de la Chambre était certaine d’avance. Le 19 mars, un vote de résignation adoptait le projet du gouvernement par 58 voix contre 42.

Les traités définitifs de la Belgique avec les Puissances et la Hollande furent signés à Londres, le 19 avril suivant (1839) ; c’en était fait. L’Europe sanctionnait la dissolution de ce royaume des Pays-Bas qu’elle avait créé en 1815 et l’existence du nouvel État qui prenait place sur la carte. Il devait rester jusqu’à la paix de Versailles, dans sa neutralité et dans son territoire, tel qu’elle venait de le reconnaître, sinon tout à fait tel qu’il avait prétendu s’imposer à elle. On aboutissait en somme à une transaction. Guillaume n’obtenait pas les bases de séparation ; la Belgique renonçait à la moitié du Luxembourg et à toutes les terres limbourgeoises de la rive droite de la Meuse.



  1. Ce chapitre ne donne qu’un croquis sommaire des faits dont il me suffit de rappeler que l’on trouvera l’exposé détaillé d’après les sources dans les ouvrages excellents de F. De Lannoy, Histoire diplomatique de l’indépendance belge (Bruxelles, 1930) et de A. De Ridder, Histoire diplomatique du traité du 19 avril 1839 (Bruxelles, 1920).
  2. Voy. dans Colenbrander, Gedenkstukken der algemeene geschiedenis van Nederland, van 1795 tot 1840, 10e partie, t. III, p. 451, ses curieuses confidences à Gourieff. Il voudrait établir entre la Hollande et la Belgique des relations analogues à celles de la Russie et de la Pologne, ou de la Suède et de la Norwège. Il accorderait alors au prince d’Orange la vice-royauté de la Belgique « qui prendrait le titre de royaume de Bourgogne ». Mais il repousse toute idée d’un État belge séparé, même sous un prince de la maison de Nassau.
  3. J. Lebeau, Souvenirs personnels, p. 201 (Bruxelles, 1883).
  4. Revue des Deux-Mondes, 1910, t. LVI, p. 336.
  5. Voy. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 472 et suiv.
  6. C’est ce que Kaunitz avait fort bien compris en 1787 lors du projet de Joseph II de constituer la Belgique en État indépendant au profit du duc de Deux-Ponts, Voy. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 232.
  7. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 423.
  8. Gedenkstukken, loc. cit., t. II, p. 69.
  9. Huyttens, Discussions du Congrès national, t. I, p. 645, t. II. pp. 20, 195. Il fut encore question dans le public des candidatures d’Achille Murat, fils de l’ex-roi de Naples, du duc de Lucques, de Gustave de Suède et du roi de Saxe.
  10. D’après Stuart, l’ambassadeur anglais à Paris, Gendebien aurait suscité la candidature de Leuchtenberg dès avant le 1er novembre 1830. Gedenkstukken, loc. cit., t. II, p. 92.
  11. Il était le fils aîné d’Eugène de Beauharnais et d’Amélie, fille du roi de Bavière, qui, à la mort de Napoléon Ier, l’avait fait duc de Leuchtenberg. Il servait dans l’armée bavaroise. D’après Thureau-Dangin, Histoire de la monarchie de juillet, t. I, p. 175, son nom aurait été mis en avant par le duc de Bassano. Il mourut en 1835, quelques jours après avoir épousé la reine de Portugal.
  12. Une lettre de Wallez à de Celles (de Guichen, La Révolution de 1830, p. 302) exprime bien les sentiments de ceux que l’on appelait les Nemouriens : « Tout autre arrangement nous ramène les Nassau, et ceux qui spéculent sur nos divisions intestines pour nous jeter dans les bras de la France moyennant une réunion sans aucun pacte, seront déçus dans leur espoir. La nation ne veut pas de cette fusion qui, entre autres fléaux, nous ferait tomber des nues de sauterelles d’Égypte sous forme de fonctionnaires et d’employés, le rebut des tribunaux de Paris, plus un système intolérable de centralisation, d’entraves politiques et religieuses, en un mot les vexations et les avanies hollandaises par une nation plus puissante ». Il faut remarquer cependant, qu’en deux points du pays, autour de Verviers et de Mons, des industriels, par espoir de se procurer le marché français, firent pétitionner en janvier pour une réunion à la France. Voy. Huyttens, Discussions, t. II, pp. 27, 66, 70, 80, 102, 131, 145, 182.
  13. D’après Talleyrand, Mémoires, t. IV, p. 486, lord Grey en aurait été le véritable auteur. Palmerston fit auprès de Guillaume des démarches pour l’amener à abandonner à Orange la souveraineté de la Belgique, mais il ne put vaincre l’obstination du vieux roi, que la proclamation de son fils ne fit qu’exaspérer. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 451 et suiv. Cf. Ibid., p. 38. La proclamation était assez habile, Orange venait, disait-il, se placer devant la nation belge, et assurait l’Église de son appui, mais il insistait trop sur les Puissances et ne disait pas un mot de la constitution. Son effet fut seulement d’attirer l’attention du Congrès sur le péril orangiste et de hâter l’élection d’un roi. Le lendemain du jour où elle avait paru, le congressiste Mac Lagan était rappelé à l’ordre pour avoir proposé la candidature d’Orange. Le 7, son collègue, P. de Ryckere, qui avait jadis voté l’exclusion des Nassau, donnait sa démission, convaincu qu’il était, disait-il, que la seule solution pour sortir du gâchis était le choix du prince d’Orange. Huyttens, Discussions, t. II, pp. 147, 196.
  14. Gedenkstukken, loc. cit., t. IV, pp. 416, 419, 423. Le gouvernement de La Haye envoya 40,000 florins à un agent.
  15. Huyttens, Discussions, t. III, p. 115.
  16. Gedenkstulcicen, loc. cit., t. IV, p. 424.
  17. Voyez les très intéressants détails fournis par les Gedenkstukken, loc. cit., t. IV, pp. 423 et suiv., 434, 474. Cf. C. Buffin, Documents inédits sur la Révolution belge (Bruxelles, 1910), t. I, p. 316, t. II, p. 372.
  18. Sur cet aventurier originaire de Charleville et établi à Liège comme médecin au moment de la révolution de 1830, voy. une curieuse notice d’Ad. D[ubois], dans la Flandre judiciaire du 15 décembre 1897.
  19. La grande prospérité industrielle de Gand sous le régime hollandais y avait, par les fabricants, généralisé l’orangisme dans la bourgeoisie. En décembre 1830, la Société industrielle y avait organisé un pétitionnement contre le « morcellement » du pays. P. Claeys, Histoire du théâtre à Gand, t. II, p. 365.
  20. D’après Gendebien, il aurait entrepris plus de cinquante membres du Congrès. Huyttens, Discussions, t. III, p. 208. Sur son attitude voy. les curieux détails publiés par A. De Ridder dans la Revue Catholique des idées et des faits, 29 novembre et 6 décembre 1929, où il se disculpe du reproche d’avoir travaillé pour Leuchtenberg.
  21. Voy. l’article du comte H. d’Ursel sur la candidature du duc de Leuchtenberg, dans la Revue Catholique des idées et des faits, 1929, p. 7 et suiv.
  22. Sur les intrigues de Bresson voy. Gedenkstukken, loc. cit., t. II, pp. 156, 166, et surtout, dans les Mémoires de Guizot, t. VIII, p. 206, la lettre qu’il lui écrivit en 1844 pour expliquer sa conduite. « J’ai pris sur moi, dit-il, une immense responsabilité : j’ai fait élire M. le duc de Nemours, et je n’hésite pas à reconnaître que je l’ai fait sans l’assentiment du roi et de son ministre ».
  23. Expression de Lebeau, Souvenirs, p. 120.
  24. Lebeau, Souvenirs, p. 126.
  25. Belliard, Mémoires, t. II, p. 225.
  26. A. Warzée, Essai historique et critique sur les journaux belges (Gand, 1845), p. 203.
  27. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 671.
  28. Sur ce mouvement, voir surtout une curieuse lettre de l’Orangiste Charles Morel, l’un des directeurs de la Société Générale, dans Gedenkstukken, loc. cit., t. IV, p. 47 et suiv. Add. Ibid., pp. 423, 432, 434, 469. Il semble (p. 481) que Ponsonby était d’accord avec ses organisateurs. Le but était de ramener le pays au roi sous le régime de la séparation administrative.
  29. Gedenkstukken, loc. cit., t. IV, p. 479.
  30. Ibid., p. 439.
  31. Huyttens, Discussions, t. III, pp. 6, V, 172 ; Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 472. Sur la participation de Gendebien à sa formation, voy. Jules Garsou, Alexandre Gendebien, sa vie, ses mémoires (Bruxelles, 1930).
  32. Elle avait pris pour modèle l’Association nationale créée à Paris dans les derniers jours du ministère Laffilte par les « patriotes », pour combattre à outrance l’étranger et les Bourbons. Thureau-Dangin, Monarchie de juillet, 2e édit., t. I, p. 415.
  33. E. de Guichen, La révolution de 1830, p. 373.
  34. Sur ces projets de partage, dont aucun ne prit naturellement une forme officielle, voy. Delannoy, op. cit., p. 162 et suiv. Cf. Gedenkstukken, loc cit., t. II, p. 462. Voy. aussi H. L. Bulwer, Life of Palmerston, t. II, 2e édit. (Londres, 1870), p. 69.
  35. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 438.
  36. Lebeau, Souvenirs, p. 280, dit qu’à ce moment le parti républicain et le parti français se confondent. Cf. Ibid., pp. 299, 302, 309.
  37. Les bases de séparation assignant à la Hollande son statut national de 1790 n’avaient pu lui attribuer ces enclaves qu’elle ne possédait pas alors. Elle ne les obtint que par un traité avec la France, le 5 janvier 1800. C’est J.-B. Nothomb, qui s’avisa de cette particularité qui avait évidemment échappé à l’attention de la Conférence. En interprétant le texte des bases dans sa lettre sinon dans son esprit, il fournissait l’échappatoire que tout le monde désirait.
  38. Le Congrès ne fut d’ailleurs dissous, comme assemblée législative, que le jour de la réunion des Chambres.
  39. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 480.
  40. Sur cette campagne, voy. surtout : P.-A. Huybrecht, Histoire politique et militaire de la Belgique, 1830-1831 (Bruxelles, 1856) ; J. den Beer Portugael, De tiendaagsche veldtocht (La Haye, 1906) ; A. Martinet, Léopold Ier et l’intervention française en 1831 (Bruxelles, 1905).
  41. Le 9 août, le prince d’Orange écrit qu’on a trouvé des écharpes oranges dans les coffres de Daine, den Beer Portugael, op. cit., p. 437.
  42. Le 4 août, il croyait que 13.000 hommes armés allaient se déclarer pour lui entre Liège et Verviers. Ibid., p. 435.
  43. Bulwer, loc. cit., p. 97.
  44. Bulwer, loc. cit., p. 101. D’après la lettre de Palmerston qu’il publie, Talleyrand aurait profité de la déroute des Belges pour les déclarer incapables de maintenir leur indépendance et indiquer que la meilleure solution serait le partage de leur pays entre la France, la Prusse et la Hollande et l’érection d’Anvers en port franc.
  45. L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, t. I, p. 487.
  46. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, pp. 494, 539, 405. Au mois d’avril 1832, Léopold ayant fait envoyer en Hollande des tableaux appartenant à Guillaume qui se trouvaient au château de Laeken, celui-ci les renvoya avec une lettre déclarant que son intention n’était pas de recevoir « une partie de ses effets qu’on semblait vouloir déplacer ». Ibid., p. 273. Pour lui, Léopold n’était qu’un « préfet français ». Ibid., p. 494.
  47. Matuszewic remarque fort justement, le 21 octobre 1831, que « la Belgique ne lui a jamais appartenu à titre héréditaire ni à titre de conquête comme la Pologne appartient à l’empereur ». Ce sont les Puissances qui la lui ont donnée en vertu de leur droit de conquête « et non d’un droit quelconque qui lui fût propre ». Elles peuvent donc en disposer sans violer le principe de la légitimité. Gedenkstukken, loc. cit., t. III, p. 496.
  48. A. Martinet, La seconde intervention française et le siège d’Anvers (Bruxelles, 1908).
  49. F. De Lannoy, La convention des forteresses de 1831. (Revue Générale. 15 mars 1925). Cf. K. Hampe, Das belgische Bollwerk (Berlin 1918).
  50. L. Verhulst, L’enlèvement du gouverneur du Luxembourg J. B. Thorn à Schoenfelz. (Revue Générale, 1913) ; A. De Ridder, La Belgique et la Prusse en conflit, 1834-1838 (Bruxelles, 1919).
  51. L. Schwahn, Die Beziehungen der katholischen Rheinlande and Belgiens in den Jahren 1830-1840 (Strasbourg, 1914) ; H. Schörs, Rheinische Katholiken und belgische Parteien zur Zeit der Kölner Wirren. (Annalen des historischen Vereins für den Niederrhein, 1926).
  52. Voy. entre autres la brochure d’Arndt, Belgien und was daran hängt (Leipzig, 1834).
  53. A. De Ridder, dans Revue catholique des idées et des faits, 7e an., no 28, p. 3.
  54. A. De Ridder, Les débuts de la légation d’Autriche à Bruxelles. Lettres du comte de Dietrichstein, 1833-1834. (Bulletin de la Commission Royale d’histoire, 1928).
  55. D’après le ministre français à Bruxelles, Boislecomte, l’opposition s’explique surtout par la passion religieuse des catholiques. Gedenkstukken, loc cit., t. II, p. 455. Le « parti libéral ou industriel » est, dit-il, beaucoup plus froid parce qu’il craint la guerre. Ibid., p. 456. Les démocrates font rage, mais sont peu puissants. Ibid., p. 457.
  56. Ibid., p. 455.
  57. Ibid., t. I, p. 548.
  58. Ibid., p. 520.