Histoire d’une famille de soldats 1/A

Delagrave (p. iii-iv).

À Monsieur le Commandant Driant, à Tunis.



Mon Cher Commandant,


Je suis très touché de la pensée qui vous a fait désirer de mettre au début de ce livre le nom d’un vieux poète, enthousiaste ami de l’armée.

Bien que votre Jean Tapin prétende seulement inspirer des sentiments patriotiques à l’enfance, il sera lu avec émotion, croyez-le bien, par les hommes mûrs qui ont eu la douleur d’assister à nos désastres. Vous faites bien d’évoquer une fois de plus nos victoires d’il y a cent ans. Elles sont, pour les vieux, une consolation et, pour les jeunes, une espérance.

Cette « Guerre de Demain », que naguère vous nous décriviez d’avance en des fictions héroïques et ingénieuses, ne ressemblera pas, sans doute, aux guerres d’autrefois. Cependant l’on y reconnaîtra toujours le caractère intrépide du Français, tel que vous nous le montrez dans le petit Jean Tapin, le frère de Bara et du tambour d’Arcole.

Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de rappeler à la France ses fastes militaires et de lui redire quelle est, avant tout, une Nation de soldats. Car les heures que nous vivons sont affreuses. Après un quart de siècle d’expérience, nous constatons que la paix sans gloire et sans sécurité est loin d’être bienfaisante. Nos larmes de douleur et de honte ne lavent pas la boue que des mains sacrilèges jettent sur le drapeau, et nous en arrivons à souhaiter que les scandaleuses clameurs qui nous déshonorent soient étouffées par le martial roulement du tambour et par la voix imposante du canon.

Je vous serre la main.


François Coppée


Octobre 1898.