Librarie Hachette (p. 212-217).

XII

Maintenant, mes amis, il va falloir quitter le pays, les vieilles Baraques-du-Bois-des-Chênes et tous les braves gens que nous connaissons.

Le lendemain, vers dix heures, nous étions déjà dans la vallée du Graufthal, de l’autre côté de la montagne, sous les rochers. C’est là que tous les volontaires du canton devaient se réunir avant d’aller à Bitche, et puis à Wissembourg, et puis plus loin ; les premiers villages arrivés devaient attendre les autres.

Nous étions partis de bonne heure, à cause de la chaleur qu’on sentait déjà venir au petit jour. Marguerite, Chauvel, maître Jean, mon père et toute la ville, hommes, femmes, enfants, nous avaient suivis jusqu’à cette première halte. Nous campions au revers du chemin sablonneux, dans l’ombre des hêtres, nos fusils en faisceaux, et la grande vallée devant nous à perte de vue, avec sa rivière bordée de saules et ses forêts parsemées de rochers, dans les airs.

Combien de fois depuis cinquante ans je me me suis arrêté dans ce chemin, à regarder et à rêver aux anciens temps ! Je revoyais tout, et je me disais :

« C’est ici qu’on s’est embrassé pour la dernière fois ! C’est-là que ce pauvre Jacques, ou ce malheureux Jean-Claude, le fusil sur l’épaule, s’est retourné pour serrer la main de son père, en criant : « À l’année prochaine ! »

C’est par ce sentier que sont arrivés ceux de Saint-Jean-des-Choux, et par cet autre ceux de Mittelbronn ; leur tambour bourdonnait depuis longtemps sous bois, et tout à coup ils sortirent de ce bouquet de sapins, les grands chapeaux au bout de leurs baïonnettes. Alors les cris de « vive la Nation ! » remplirent la vallée.

Ah ! que ces temps sont loin de nous ! et pourtant les arbres, les rochers, les broussailles, vivent encore, le lierre grimpe toujours aux rochers ; mais où sont ceux qui criaient, qui s’embrassaient et promettaient de revenir, où sont-ils ? Quand on songe à tous les camarades restés couchés le long de la Moselle, de la Meuse, du Rhin et dans les broussailles de l’Argonne, il faut reconnaître que le Seigneur a veillé sur nous.

Enfin si je vous dis cela, c’est pour vous peindre ces rassemblements du mois de juillet 1792 ; partout ailleurs on faisait les mêmes choses, partout les volontaires s’attendaient avant de partir.

Marguerite, assise près de moi dans les bruyères sur le bord du chemin, découvrait un petit panier de pain, de viande et de vin qu’elle avait apporté ; car on ne pouvait rien avoir au Graufthal, l’auberge du vieux Becker n’existait pas encore, et toutes les femmes de la ville, sachant qu’il fallait attendre, avaient apporté leurs provisions.

Chauvel, mon père, maître Jean et trois ou quatre officiers municipaux stationnaient dans le chemin au-dessous, à l’ombre des chênes, et nous regardaient de loin ; ils avaient Compris que nous avions beaucoup de choses à nous dire et que nous serions contents d’être seuls. Marguerite me recommandait d’écrire chaque fois que je pourrais ; elle me regardait avec amour ; elle ne pleurait pas, comme beaucoup d’autres ; elle était ferme et savait bien que, dans des moments pareils, il ne faut pas décourager ceux qui parlent.

« Pendant que tu seras loin, disait-elle avec douceur, je penserai toujours à toi !… et tu n’auras pas besoin de t’inquiéter de ton père… c’est aussi le mien… je l’aime… rien ne lui manquera. »

Moi, debout devant elle, je l’écoutais dans l’admiration et je prenais courage. Jamais l’espérance de revenir ne m’a quitté, même au milieu des plus grands périls ; quand beaucoup d’autres se laissaient abattre par la pluie, la neige, le froid, la faim, la misère, je me cramponnais, je voulais revoir Marguerite ; son amour m’a soutenu.

À côté de nous, contre une roche, était assise la famille du père Gouin, l’entrepreneur des fourrages ; ce iveux, la mère et les sœurs se lamentaient, le père disait que ses deux fils aurait dû lui demander son consentement ; qu’ils n’avaient pas besoin de partir tous les deux ; qu’à son âge il ne pouvait pas continuer ses affaires tout seul. Enfin c’était triste, et ces garçons devaient perdre confiance.

Heureusement, ailleurs des vieux tenaient d’autres discours à la jeunesse ; ils ne parlaient que de patrie et de liberté.

Mais c’est à l’arrivée de M. le curé Christophe que les cris de « vive la nation ! » roulèrent dans les échos de Fallberg et de la Bande-Noire ! On aurait cru que les vieilles montagnes se mettaient à vivre et qu’elles criaient avec nous d’une cime à l’autre, en levant leurs grands bras de chênes et de sapins ; tout en frémissait.

M. le curé Christophe nous amenait les volontaires de Lutzelbourg ; il venait aussi bénir nos drapeaux. Je le vis de bien loin, et je le reconnus sous les roches de Bichelberg, comme il descendait le chemin tournant avec mon frère Étienne, qu’il tenait par la main. Je n’avais pas eu le temps d’aller embrasser ce pauvre enfant ; il venait donc et trottait en boitant, comme il pouvait.

Alors, pendant le roulement des cris, je descendis jusque sur le pont de la Zinsell. Il pouvait être onze heures ; la chaleur était si grande dans cette vallée et l’air si lourd, que toute la rivière brillait de petits poissons à la chasse des mouches qui tombaient par milliers de la rive, et les truites filaient dans l’ombre des oseraies comme des éclairs. Sur le pont en dos d’âne, M. le curé Christophe, la figure couverte de sueur, me tendit ses grosses mains en disant :

« Je suis content de toi, Michel. Je sais ton bonheur et je sais aussi que tu le mérites. »

Et puis Étienne me sauta dans les bras, et nous remontâmes ensemble du côté de la maison forestière, où se réunissait le conseil général de la commune. Étienne courut embrasser Marguerite et mon père ; Chauvel et maître Jean avec les maires des villages vinrent serrer la main de M. le curé.

Tous les volontaires des environs se trouvaient alors réunis à cinq ou six cent ; il ne manquait plus que ceux de la haute montagne, et l’on venait à peine de se rassembler, que leur tambour résonnait au loin et qu’on criait :

« Les voilà ! »

Ceux-là venaient les derniers ; ils avaient eu cinq lieues à faire de plus que nous : c’étaient tous des bûcherons, des charbonniers schlitteurs, des flotteurs, des gaillards trapus, qui s’étaient déjà choisi pour chef le sabotier Claude Hullin, le même qui s’était si terriblement défendu en 1814 contre les alliés. Le colporteur Marc Divès, avec son grand feutre, ses pantalons de toile, ses pieds nus, son bâton de houx et sa petite blouse serrée aux reins avec sa cravate, était parmi eux ; et d’une demi-lieue on l’entendait déjà parler, crier, appeler les traînards, imiter le chant du coucou et du pivert ; on le voyait faire tourbillonner sa longue trique, et, pour couper au court dans la grande prairie, traverser la rivière avec de l’eau jusqu’au cuisses. Les autres le suivirent ; c’était le meilleur rafraîchissement qu’on pouvait prendre.

Enfin, après l’arrivée de Hullin et de ses compagnons, Jean Rat et les deux fils Léger, engagés dans les tambours, commencèrent le roulement et l’on vit que le grand moment approchait.

Ceux qui vont de Phalsbourg à la Petite Pierre connaissent ce gros bloc de roche, à gauche du chemin, au milieu de la prairie. On ne comprend pas comment il peut être là dans les prés. Cette masse a bien sûr roulé d’en haut, mais quand ? Personne ne peut le savoir ; c’était peut-être avant les hommes. Et bien c’est sur cette roche, entouré de tous les volontaires et des autres gens accourus en foule de la ville et des villages, au milieu d’un grand silence, que M. le curé Christophe, après nous avoir rappelé nos devoirs de soldats chrétiens, bénit nos drapeaux ; chaque village avait le sien ; on les réunit en faisceaux, et lui, les bras étendus, les bénit tous : il les bénit en latin, à la manière de l’Église.

Mais aussitôt après Chauvel monta sur cette même roche, comme officier municipal et président du club ; il fit avancer le drapeau du bataillon, un grand drapeau tricolore, avec le bonnet de paysan en laine rouge au bout, et, les mains étendues, il le bénit à la manière constitutionnelle, en disant :

« Vieux bonnet du paysan de France, si longtemps penché vers la terre ; bonnet que nos malheureux pères ont trempé de leurs sueurs ; bonnet du serf, sur lequel le seigneur et les évêques ont posé le pied pendant mille ans, redresse-toi ! marche au milieu des batailles !… Que les enfants et les petits enfants de ceux qui t’on porté dans la servitude, te portent à travers les baïonnettes de nos ennemis !… Qu’ils te tiennent haut ; qu’ils ne te laissent jamais pencher, et que tu deviennes l’épouvante de ceux qui veulent rattacher le peuple à la glèbe ; que ta vue les fasse frémir, et que les siècles apprennent que de l’abaissement le plus grand, par la fermeté, le courage, les vertus de tes défenseurs, tu es arrivé à la plus haute gloire ! »

Après cela, Chauvel tout pâle, se tournant vers ceux qui l’écoutaient en frémissant, s’écria :

« Volontaires, enfants du peuple, vous jurez de défendre ce drapeau jusqu’à la mort ?… ce drapeau qui vous représente la patrie et la liberté ; ce drapeau qui vous rappelle les souffrances de vos anciens ; vous le jurez ?… Répondez-moi !… »

Et tous ensemble nous répondîmes comme le tonnerre :

« Nous le jurons !

— C’est bien, dit-il alors, au nom de la patrie j’accepte votre serment ; elle se repose sur vous et vous bénit tous ! »

Il dit ces choses avec force, mais simplement ; sa voix s’étendait au loin et chacun pouvait l’entendre.

Après cela Chauvel descendit de la roche ; et presque aussitôt un grand nombre de gens qui n’étaient pas les proches parents des volontaires, se mirent en route pour leurs villages : car un gros nuage gris s’avançait de la Petite-Pierre, et, par la chaleur qu’il faisait, on pensait qu’une averse allait venir.

Chauvel fit battre le rappel, et comme nous étions formés en cercle autour de lui, de maître Jean et des maires, il nous dit que les élections de nos officiers et sous-officiers, décrétées par l’Assemblée législative, se feraient par nous-mêmes à notre arrivée au camp ; mais qu’en attendant il était bon de nous nommer un chef pour maintenir l’ordre dans la marche, la distribution des logements, l’heure des départs et le reste. Il nous conseillait donc d’en choisir un, et cela se fit tout de suite. Les montagnards avaient choisi le sabotier Hullin ; ils criaient :

« Hullin ! »

Tout le monde répéta le même nom, et Hullin fut notre chef jusqu’au camp de Rixheim. Il n’avait pas grand’chose à faire que nous presser, et, quand nous arrivions quelque part, d’aller à la mairie demander les logements et les vivres.

Mais à cette heure il est temps que je vous parle de la séparation. Vers midi, comme le ciel devenait toujours plus sombre, et qu’on entendait ce grand frémissement des bois où toutes les feuilles tremblent sans le moindre coup de vent, lorsqu’un orage s’approche. Hullin, qui se trouvait parmi les maires, descendit dans le chemin et fit battre le rappel. En ce moment chacun comprit que c’était le départ ; les maires, Chauvel, M. le curé Christophe, mon père, tout le monde descendait dans le chemin au pied de la côte. Moi, je regardai Marguerite un instant, comme pour la conserver dans mon cœur durant ces trois ans où je ne la verrais plus. Elle me regardait aussi, les veux troubles. Je lui tenais la main et je sentais qu’elle voulait me retenir.

« Allons, lui dis-je, embrassons-nous. »

Et je l’embrassai ; elle était toute pâle et ne disait rien. Je pris mon sac dans les bruyères et, je le bouclai ; Chauvel, mon père, Étienne et maître Jean étaient arrivés. Nous nous embrassâmes. J’avais donné mes quatre-vingts livres de prime au père, pour payer la pension d’Étienne à, Lutzelbourg, et, comme j’embrassais maître Jean, je sentis qu’il glissait quelque chose dans la poche de ma veste ; c’étaient deux louis, qui m’ont rendu service plus tard.

Il était temps de partir, sans cela le courage m’aurait manqué. Je pris mon fusil en disant :

« Adieu !…, adieu tous !… adieu ! »

Mais au même instant Marguerite me cria : « Michel ! » d’une voix qui me traversa le cœur. Je revins, et, comme elle pleurait, je lui dis :

« Allons, Marguerite, du courage, c’est la patrie qui veut ça ! »

Je n’avais plus une goutte de sang ; tout autour de nous des gens pleuraient ; les femmes sont terribles !

Marguerite alors se raffermit ; elle me dit en me serrant :

« Défends-toi bien ! »

Et je descendis vite, sans plus rien dire aux autres ; je ne regardai même plus de leur côté.

Presque tous les volontaires étaient en bas dans le chemin ; ceux qui restaient encore arrivèrent, et l’on partit par trois, par quatre, comme on était.

De grosses gouttes d’eau tombaient déjà ; on sentait cette bonne odeur de la pluie dans la poussière chaude ; et comme nous tournions le coude du chemin qui monte à la Petite-Pierre, l’averse commença par un éclair ; mais le plus fort de l’orage avait passé la montagne, il était à Saverne, en Alsace, et cette grande pluie nous fit du bien.

Le même jour, à trois heures du soir, nous passâmes à la Petite-Pierre sans nous arrêter. Ce n’est qu’à trois ou quatre lieues plus loin qu’on fit halte, près de grandes verreries, au milieu des bois.

J’avais rêvé pendant toute la route ; je n’avais pas même regardé mes compagnons ; tant d’autres idées me passaient par la tête ! Mais alors, sous une sorte de grande halle ouverte où l’on nous avait allumé du feu, pendant que les gens nous apportaient du pain et de la bière, Marc Divès, assis près de moi, me posa la main sur l’épaule en me disant :

« C’est dur, Michel de quitter le pays ! »

Et je le regardai, je fus content de le reconnaître ; malgré cela je ne lui répondis rien. Personne n’avait envie de causer ; et tout de suite après avoir cassé sa croûte de pain et vidé sa cruche, on s’étendit à droite et à gauche, l’oreille sur le sac, entre les pilliers de ce grand hangar.

C’est un bonheur de la jeunesse de pouvoir dormir, de pouvoir oublier un instant ses misères ; cela n’arrive plus aux vieillards.

Mais le lendemain de grand matin, Hullin criait déjà :

« En route, camarades, en route ! »

Et tout le monde se levait ; on bouclait son sac. Dehors il tombait une forte rosée, les grosses gouttes clapotaient sur les tuiles, on regardait ce temps, et quelques anciens soldats qui se trouvaient parmi nous, avant de se passer la bretelle du fusil sur l’épaule, serraient leur mouchoir autour de la batterie.

Nous allions partir, lorsque sur notre droite déboucha tout à coup une longue file de volontaires à cheval du Bas-Rhin. C’étaient des dragons nationaux, comme on les appelait dans ce temps : des fils de bons paysans, de brasseurs, de maîtres de poste, de bouchers, de fermiers, enfin des gens à leur aise, qui montaient leurs propres chevaux ; et, sauf trois ou quatre anciens soldats, qui portaient leurs vieux uniformes, ces Alsaciens avaient encore, l’un son large tricorne et ses grosses bottes à clous luisants, l’autre son petit gilet rouge, sa veste courte, son bonnet à queue de renard et ses hautes guêtres de toile à boutons d’os. La seules chose qui les faisait reconnaître comme dragons, c’était le grand sabre à fourreau de cuir, grosse coquille et patin large de trois doigts, qui ballottait à leur ceinture et sonnait contre leur étrier.

On ne pouvait voir de plus beaux hommes ni de meilleurs cavaliers, ils avaient tous l’air joyeux et décidé.

En nous apercevant sous le hangar, leur commandant fit tirer le sabre, et tous ensemble se mirent alors à chanter une chanson que personne de nous ne connaissait encore, mais que nous devions entendre bientôt sur les champs de bataille :

Allons, enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé !

Quel chant dans un moment pareil ! Il nous rendit presque fous !… Les cris de : « Vive la nation ! » ne finissaient plus. Et comme ces Alsaciens défilaient devant les verreries, le maître en sortit avec sa femme et ses filles, pour les prier de s’arrêter. Nous étions pressés autour d’eux ; nous les tenions par la bride, par la main, et nous criions :

« Il faut fraterniser, braves Alsaciens, il faut fraterniser ; descendez… Vive la nation ! »

Mais leur chef, un grand gaillard de six pieds dit qu’ils avaient l’ordre d’arriver à Sarrebruck le soir même, et ils repartirent en chantant.

Jamais on ne se figurera notre enthousiasme après avoir entendu cette chanson ; c’était comme le cri de la patrie en danger. Quand nous repartîmes de là, je puis le dire, chacun de nous avait un nouveau courage. Moi, je m’écriais dans mon âme :

« Maintenant tout ira bien, nous avons la chanson que Chauvel demandait pour remplacer la Carmagnole ; quelque chose de grand et de fort comme le peuple. »

Ce qui me revient encore, c’est le grand mouvement des hameaux et des villages au milieu de ces montagnes ; le tocsin bourdonnait de tous les côtés ; à chaque embranchement de notre chemin, des files de volontaires, leur petit paquet d’habits dans un mouchoir au bout du bâton, passaient en nous criant tout joyeux : « Vaincre ou mourir ! »

Nous leur répondions ensemble ; et d’autres bandes plus loin, dans les chemins de traverse, s’en mêlaient aussitôt ; cela s’étendait quelquefois à une demi-lieue. Tout le pays était sur pied ; quand il s’agit de défendre les véritables intérêts du peuple, il sortirait, je crois, des hommes de la poussière :

En arrivant à la petite ville de Bitche, nous trouvâmes ses rues, ses places et ses auberges tellement encombrées de monde, qu’il fallut camper dehors, au milieu des jardins et des prés, avec une foule d’autres villages, Hullin entra seul faire sa déclaration à la municipalité et demander des vivres.

Alors je regarda cette vieille ville a moitié française et à moitié allemande, qui ressemble beaucoup à Saverne, et son fort, au-dessus, où l’on monte par des sentiers et des poternes qui s’enfilent jusqu’à six cents pieds dans le ciel. Là-haut les canons vous regardent à deux et trois lieues dans la plaine. Je connaissais sur les remparts l’uniforme rouge des pauvres « Allons, enfants de la patrie ! » (Page 214.)
« Allons, enfants de la patrie ! » (Page 214.)
soldats de Châteaux-Vieux ; ils avaient juré de mourir jusqu’au dernier, plutôt que de rendre la citadelle ; et ces braves gens ont tenu parole, pendant que leur bourreau, M. le marquis de Bouillé, montrait le chemin de la France aux Prussiens.

On nous fit à Bitche notre première distribution, et nous repartîmes de là jusqu’au camp de Rixheim, entre Wissembourg et Landau.

Il fallut marcher tout ce jour sans relâche au soleil ; car nous avions dépassé les bois, et seulement de loin en loin on trouvait un peu d’ombre le long des vergers. Bien d’autres détachements à pied et à cheval, à droite et à gauche, devant et derrière, suivaient la même direction.

Les files de voitures qui conduisaient des vins et des munitions ne manquaient pas non plus, on ne voyait que cela ; mais quelle poussière, et qu’on aurait été content de recevoir une bonne averse comme la veille !

Nous arrivâmes à lixheim sur les neuf heures du soir, et nous trouvâmes le cantonnement dans la joie : un premier engagement de cavalerie venait d’avoir lieu le matin, nos dragons nationaux avaient culbuté les Ébenhussards et les dragons de Lubgowitz, conduits par des officiers émigrés, et qui voulaient couper un convoi de vivres en route pour Landau. Cette affaire avait été chaude. Custine commandait la charge.

Mais dans le village de Rixheim, les gens parlaient surtout avec attendrissement d’un Le pauvre enfant n’avait pas cessé de battre de la main gauche. (Page 217.)
Le pauvre enfant n’avait pas cessé de battre de la main gauche. (Page 217.)
pauvre petit tambour du bataillon de chasseurs volontaires de Strasbourg, qui le premier avait découvert les Ébenhussards au loin sur la route, et s’était mis à battre la générale. Un ébenhussard lui avait abattu la main droite en passant, et le pauvre enfant n’avait pas cessé de battre de la main gauche ; il avait fallu l’écraser sous les pieds des chevaux !

Voilà comment la guerre entrait chez nous !

Mais à cette heure j’ai besoin de reprendre haleine. Il faut aussi que j’aille voir deux anciens camarades, qui vivent encore dans la montagne, et qui me rafraîchiront la mémoire. C’est pourquoi, mes amis, nous allons en rester là quelque temps. Cette première guerre de la république vaut bien la peine qu’on y pense avant de la raconter ; et puis tant d’autres grandes choses se sont passées dans le même temps, qu’il faut mettre de l’ordre dans tout, ramasser ses vieux papiers et ne rien écrire qui ne soit reconnu juste et vrai par les honnêtes gens.

Enfin, si Dieu me conserve la santé, cela viendra bientôt.