Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 3/Chapitre 8

LIVRE 3 CHAPITRE 8

CHAPITRE VIII.

Etat des Gaules. Campagne de quatre cens soixante & trois. Childéric se trouve à la bataille donnée auprès d’Orleans entre les Romains et les Visigots. Premiere expédition d’Audoagrius Roi des Saxons sur les bords de la Loire. Mort d’Egidius.


Egidius tout grand capitaine qu’il pouvoit être, auroit succombé cette campagne-là, si Severus et Ricimer eussent passé les Alpes pour se joindre dans les Gaules aux autres ennemis que notre général y eut à combattre. Mais les descentes que les Vandales d’Afrique faisoient journellement en Italie, y retinrent cet empereur et son ministre. Ils n’avoient point encore fait la paix avec ces barbares.

Je supplie ici le lecteur de vouloir bien, pour se faire une idée plus nette des évenemens dont je vais parler, se souvenir de l’état où les Gaules furent mises par la pacification qui s’y fit quand Attila se disposoit à les envahir. La confédération, ou si l’on veut, la république des Armoriques tenoit tout ce qui est entre l’ocean, le Loir et la Seine. La langue de terre qui est entre le Loir et la Loire étoit tenuë par les officiers du prince, qui par-là étoient maîtres du cours de la Loire jusqu’à la hauteur d’Angers seulement : car, comme nous le verrons, Nantes étoit encore sous le regne de Clovis, au pouvoir des Armoriques. Nous avons observé plusieurs fois qu’Aëtius avoit établi dans les environs d’Orleans une peuplade d’Alains, et nous venons de voir que lorsque Majorien fut tué, cet empereur étoit en marche pour se rendre dans les Gaules afin de les punir des hostilités qu’ils y avoient commises depuis peu. Les Visigots occupoient la plus grande partie de la seconde Aquitaine, la Novempopulanie et la premiere des Narbonoises, mais comme on le verra par plusieurs évenemens que nous rapporterons dans la suite, ils ne tenoient point alors la premiere Aquitaine. Du moins ils n’étoient point maîtres du Berri et de l’Auvergne. Ces deux cités, étoient encore certainement en ce tems-là au pouvoir des officiers de l’empire.

L’autorité de ces officiers étoit aussi reconnuë dans les autres provinces de la Gaule à l’exception toutefois, de la partie qu’en tenoient les Francs, les Bourguignons et les Allemands. Il seroit inutile de rappeller ici ce que nous avons déja dit concernant les lieux où ces barbares étoient cantonnés.

Tel étoit l’état des Gaules lorsqu’en quatre cens soixante et trois l’armée des Visigots commandée par Fréderic fils du roi Theodoric premier, et frere du roi Theodoric second actuellement regnant, s’avança jusques sous Orleans, laissant derriere elle, le Berri et d’autres païs ennemis. Cette marche hardie montre bien que les Visigots avoient des amis sur la Loire, et ces amis ne pouvoient être que la peuplade d’Alains établie dans ces quartiers. Elle devoit se déclarer naturellement contre Egidius qui faisoit profession d’être toujours l’ami et même de vouloir être le vengeur de Majorien, mort quand il étoit prêt de passer les Alpes pour venir la détruire. Ainsi nos Alains auront joint l’armée des Visigots lorsqu’elle se fut avancée jusques dans l’Orleanois, où étoient leurs quartiers. Probablement c’est de ces Alains qu’Idace dit dans un passage qui va bien-tôt être rapporté : Que ceux qui avoient joint l’armée de Fréderic, furent défaits avec elle. Audoagrius ou Adoacrius roi des Saxons devoit tandis que les Visigots attaqueroient Orleans, remonter la Loire sur sa flote qui étoit formidable, et venir après avoir débarqué au-dessous du pont de Cé, prendre la ville d’Angers. Quel parti les Visigots avoient-ils fait à Audoagrius ? Je l’ignore : mais, comme il agissoit contre le même ennemi qu’eux et dans le même tems qu’eux, je puis supposer qu’ils agissoient de concert, et la suite de l’histoire est très-favorable à cette supposition.

Il est sensible que le projet des Visigots étoit de se rendre maîtres du cours de la Loire et de séparer ainsi en deux, les provinces obéïssantes. Si après cela, Egidius se retiroit dans la partie de ces provinces qui étoit entre la Loire, la Somme et le Rhin, on lui enlevoit aisément la partie qui étoit entre la Loire et la Méditerranée. S’il se retiroit dans la premiere Lyonoise, il abandonnoit les Armoriques, et on les obligeoit eux et les habitans des provinces obéïssantes qui étoient au nord de la Loire, à se soumettre à l’empereur de Ricimer, à Severus dont les Visigots se disoient apparemment, les troupes auxiliaires.

Le projet des Visigots fut déconcerté par la bataille qu’Egidius et Childéric gagnerent contr’eux et qui se donna entre la Loire et le Loiret en quatre cens soixante et trois. » Frederic frere de Theodoric Roi des Visigots, dit Idace, s’étant mis en campagne pour attaquer Egidius qui, suivant ce que publie la Renommée, est une personne agréable à Dieu & par ses vertus& par ses œuvres, ce Prince a été défait ainsi que tous ceux qui l’avoient joint, & lui-même il a été tué sur la place. Cette bataille s’est donnée dans le Commandement Armorique. » Marius Aventicensis ajoute quelques circonstances au récit d’Idace. » Sous le Consulat de Balilus & de Bibianus, écrit l’Evêque d’Avanches, Egidius donna une bataille contre les Visigots auprès d’Orleans & sur le terrain. qui est entre la Loire & le Loiret. Frederic un des Rois des Visigots fut tué. » On ne sçauroit douter que nos deux croniqueurs ne parlent ici du même évenement. Le même prince ne sçauroit être tué dans deux actions differentes. Si Marius appelle roi, le Fredéric qui commandoit l’armée des Visigots et qu’Idace ne qualifie que de frere de roi, c’est, comme nous le dirons plus au long ailleurs, que l’usage commun étoit alors de donner le titre de roi aux enfans des rois. Nous verrons même qu’en France où la couronne ne tomboit point en quenoüille, on donnoit le nom de reines aux filles de nos rois, parce qu’elles étoient leurs filles. C’est ce que Monsieur De Valois a très-bien éclairci et ce que personne n’ignore. On ne sera pas non-plus surpris de voir qu’Idace mette dans le commandement Armorique le petit espace de terrain qui est entre la Loire et le Loiret, dès qu’on se rappellera ce que nous avons dit dans notre premier livre sur l’étenduë de ce commandement qui renfermoit la quatriéme Lyonnoise ou la province Senonoise dont étoit Orleans.

Aucun des deux auteurs qui viennent d’être cités ne dit pas, il est vrai, que Childéric étoit avec Egidius lorsque ce dernier gagna la bataille où Fréderic fut tué, mais on peut montrer par le témoignage de Gregoire de Tours, que ce roi des Francs s’y trouva en personne ; n’est-ce pas de cette bataille-là qu’il convient d’entendre ce que dit notre auteur quand il écrit. « Pour reprendre le fil de l’histoire, Childéric combattit dans les actions de guerre dont l’Orleanois fut le theâtre. » Ceci, je le sçais bien, veut être discuté plus au long. Déduisons donc nos preuves.

Gregoire de Tours après avoir raconté à la fin du douziéme chapitre du second livre de son histoire, le rétablissement de Childéric, laisse ce prince pour un tems et il employe les cinq chapitres qui suivent immédiatement le douziéme, au récit de plusieurs actions édifiantes et de quelques autres évenemens qui sont plutôt de l’histoire ecclesiastique que de l’histoire prophane. Ce n’est donc qu’au commencement du dix-huitiéme chapitre que Gregoire de Tours reprend l’histoire de Childéric, et il la reprend encore à la maniere dont notre Discours préliminaire dit que cet historien en usoit dans la narration des évenemens arrivés avant le baptême de Clovis, c’est-à-dire, en citant plûtôt ces évenemens, qu’en les racontant avec quelques détails. Voici le commencement de ce dix-huitiéme chapitre.

» Pour reprendre le fil de l’Histoire, Childéric se trouva aux combats qui se donnerent dans l’Orleanois. Audoagrius & ses Saxons débarquerent près d’Angers. Les maladies firent perir une grande partie du Peuple. Egidius mourut, & il laissa un fils qui s’appelloit Syagrius. Après la mort d’Egidius, Audoagrius reçut des otages de la Cité d’Angers & de plusieurs autres. » Nous rapporterons dans la suite le reste de ce passage. Expliquons ce qui vient d’en être traduit.

Il est rendu certain par ce qu’on vient de lire, que les combats donnés auprès d’Orleans et la descente d’Audoagrius en Anjou sont des évenemens arrivés entre le rétablissement de Childéric et la mort d’Egidius, c’est-à-dire, entre l’année quatre cens soixante et deux et l’année quatre cens soixante et quatre, qui, comme on va le voir, est suivant Idace, l’année où mourut Egidius. D’un autre côté il est constant par la cronique d’Idace et par les fastes de Marius Aventicensis que ce fut en quatre cens soixante et trois qu’Egidius gagna aux portes d’Orleans la bataille où les Visigots et ceux qui les avoient joints, c’est-à-dire, les Alains établis sur la Loire, furent défaits à plate couture. Ainsi le tems et le lieu où se donna cette bataille font croire que c’est d’elle dont Gregoire de Tours entend parler, lorsqu’il écrit : Pour reprendre le fil de l’histoire, Childéric se trouva aux combats donnés dans l’Orleanois.

Il est donc sensible par le récit d’Idace, par celui de Marius comme par celui de Gregoire de Tours confrontés ensemble et éclaircis l’un par l’autre ; que Fredéric s’étoit avancé jusques dans les quartiers des Alains ; qu’il y avoit été joint par ces barbares, et qu’il prétendoit se rendre maître d’Orleans à la faveur de la diversion que les Saxons devoient faire, mais que son armée après plusieurs rencontres, fut enfin taillée en pieces par Egidius et par Childéric, dans une bataille rangée. Les Visigots auront ensuite regagné leurs quartiers le mieux qu’ils auront pû, et les Alains auront été desarmés et dispersés. On aura voulu détruire entierement cette colonie, qui depuis cinquante ans qu’elle avoit été établie par Aëtius dans le centre des Gaules, n’avoit point cessé d’y commettre des violences, et qui par ses intelligences avec les étrangers, les avoit mises plus d’une fois dans un danger éminent. On aura donc pour l’extirper, transplanté nos Alains dans les provinces obéissantes, et dans les provinces confédérées, et l’on les y aura si bien esparpillés, s’il est permis d’user ici de ce mot, qu’il leur étoit impossible de commencer à s’attrouper en aucun endroit, sans y être aussi-tôt enveloppés. Voilà peut-être, pourquoi le nom propre d’Alain, est encore aujourd’hui si commun dans le duché de Bretagne, qui dans les tems dont il est ici question, étoit un des pays compris dans la confédération Armorique. Comme cette portion du commandement Maritime n’avoit point essuyé depuis long-tems les malheurs de la guerre, elle devoit être très-peuplée et l’on y aura relegué à proportion un plus grand nombre d’Alains que dans les autres contrées, parce qu’il y étoit plus aisé qu’il ne l’étoit ailleurs, de les réduire à vivre en paix dans les lieux où ils seroient distribués. Ceux qui avoient été pris les armes à la main, y furent envoyés comme captifs, et ceux qui s’étoient rendus, comme exilés.

L’observation que nous allons faire, fortifiera encore notre conjecture. Paulin de Perigueux comme on l’a déja lû dans le chapitre douziéme du second livre de cet ouvrage, écrivit son poëme sur les miracles operés par l’intercession de saint Martin, sous le pontificat de Perpetuus fait évêque de Tours vers l’année quatre cens soixante et deux, mais qui ne mourut que vers quatre cens quatre-vingt-onze. Notre poëte dédie son ouvrage à ce grand prélat, connu aujourd’hui en Touraine sous le nom de Saint Perpète. Ainsi les apparences sont que ce n’aura été qu’après l’année quatre cens soixante et trois, où nous en sommes, que Paulin aura composé le poëme dont nous parlons. Or Paulin en faisant mention des maux que les Alains avoient faits au pays, en parle comme d’un mal passé. Dans le tems où les Gaules avoient tant à souffrir des Huns qui servoient l’empire en qualité de ses Confédérés. voilà comment il s’explique dans des vers que nous avons rapportés. Ce qui est encore certain c’est qu’il n’est plus fait aucune mention des Alains de la Loire, dans l’histoire des tems posterieurs à l’année quatre cens soixante et trois.

Les Romains et les Francs eussent aussi chassé pour lors Audoagrius de l’Anjou, en le forçant l’épée à la main à se rembarquer comme nous verrons qu’ils l’y forcerent dix ans après, si la mort d’Egidius ne les en eût point empêchés ; mais cette mort qui devoit apporter un grand changement dans la Gaule, les réduisit à capituler avec ce roi des Saxons. Ils lui accorderent donc une forte contribution afin de l’engager à reprendre la route de son pays ; et pour sûreté du payement de la somme convenuë, ils lui donnerent des otages qu’il emmena sur ses vaisseaux. Notre histoire contient trente exemples de semblables compositions, conclues entre les pirates du nord et différentes contrées des Gaules où ils avoient fait des descentes.

Comme la necessité d’expliquer la narration de Gregoire de Tours m’a contraint à parler d’avance de la mort d’Egidius et de la retraite des Saxons, deux évenemens qui appartiennent à la fin de l’année quatre cens soixante et quatre dans laquelle je n’étois point encore entré ; j’avertis pour plus de clarté que je vais remonter au commencement de cette année quatre cens soixante et quatre. Je dirai donc en reprenant l’ordre chronologique, qu’Egidius voyant que Ricimer lui avoit mis les Saxons sur les bras, résolut de se liguer de son côté avec les Vandales d’Afrique et de les engager à concerter avec lui quelque entreprise capable d’operer une puissante diversion en faveur des Gaules. On peut bien croire qu’un citoyen aussi vertueux que les auteurs contemporains d’Egidius disent qu’il l’étoit, n’auroit pas recherché l’alliance des plus dangereux ennemis de l’empire, si Ricimer et les Visigots ne l’eussent point réduit dans une situation pareille à celle où étoit François Premier lorsqu’il fit venir à son secours la flotte du sultan des Turcs.

Tout mal instruits que nous sommes des évenemens du regne de Séverus, nous ne laissons pas de sçavoir qu’Egidius avoit encore un autre motif de prendre des liaisons avec les vandales d’Afrique. Theodoric Second, l’ami de Ricimer, négocioit alors en son nom et au nom de Séverus, un traité de paix avec les Sueves qui s’étoient emparés d’une partie de l’Espagne et contre qui le roi des Visigots faisoit actuellement la guerre au nom et sous les auspices de l’empire. Arborius reconnu pour maître de la milice des Gaules par tous les partisans de Séverus entroit même dans la négociation. Ainsi Egidius ne pouvoit pas douter que ses ennemis ne voulussent, en faisant la paix avec les Sueves, se mettre en état de pouvoir rappeller dans les Gaules une partie des troupes qu’ils avoient en Espagne, afin de lui faire la guerre avec plus de vigueur. Rien n’est plus autorisé par la loi naturelle, que d’opposer des alliés à des ennemis.

Egidius envoya donc des personnes de confiance à Carthage pour y traiter avec Genséric. Voici ce que dit Idace à ce sujet. » Au mois de Mai de la troisiéme année du regne de Séverus, c’est-à-dire, en l’année quatre cens soixante & quatre, les Envoyés du même Egidius dont nous avons parlé ci-dessus, se rendirent auprès des Vandales par la route de l’Ocean, & le mois de Septembre suivant ils revinrent dans les Gaules par la même route. » Egidius en faisant aller ses envoyés par la mer oceane, ne leur faisoit point prendre la voye la plus courte et la plus commode pour se rendre des Gaules à Carthage ; mais ce voyage-là, qu’il avoit apparemment dessein de tenir secret, se pouvoit cacher plus aisément que celui qu’ils auroient fait en s’embarquant dans un des ports des Gaules sur la mer Mediterannée. Il auroit fallu, s’ils eussent pris cette derniere route, qu’ils eussent traversé pour aller s’embarquer à Marseille, plusieurs provinces où Ricimer avoit des amis, et qu’ils se fussent encore exposés à être pris par ceux de ses vaisseaux qu’il faisoit croiser sur la côte des provinces Narbonoises.

Les Vandales prirent-ils des engagemens avec Egidius et firent-ils quelques mouvemens en sa faveur ? Les auteurs qui nous restent n’en disent rien. Il est à croire que la mort de ce généralissime arrivée peu de tems après le retour de ses envoyés rendit inutile tout ce qu’ils avoient traité à Carthage. Suivant Idace, ces envoyés ne furent de retour qu’au mois de septembre de l’année quatre cens soixante et quatre, et suivant ce même auteur, Egidius mourut avant le dix-neuviéme novembre de la même année, puisque, lorsqu’il mourut, on comptoit encore la troisiéme année du regne de Severus, qui avoit commencé son empire le dix-neuviéme novembre de l’année quatre cens soixante et un.

Idace écrit, en rapportant la mort d’Egidius, que les uns disoient que ce Romain avoit été empoisonné, les autres qu’il avoit été étranglé par quelque domestique gagné. Veritablement tout ce qu’on peut inferer des expressions qu’Idace employe, c’est qu’Egidius fut trouvé mort dans son lit, et que sa mort ne fut pas naturelle ; mais qu’il ne fut point averé s’il avoit été empoisonné ou s’il avoit été étouffé. Cet auteur contemporain ne s’expliqueroit pas comme il le fait, si notre Egidius eût été poignardé, ou si sa mort eût été une mort naturelle.

Suivant les apparences, ce Romain eut la même destinée que Scipion l’Emilien. On sçait que le destructeur de la ville de Carthage fut trouvé mort dans son lit, ayant à la gorge des meurtrissures capables de faire croire qu’il avoit été étranglé, et que par des raisons faciles à deviner, on ne fit point les recherches nécessaires pour découvrir la verité. Quoiqu’il en ait été, l’incertitude sur le genre de mort d’Egidius, dans laquelle nous sommes obligés à laisser le lecteur, ne paroîtra point surprenante à ceux qui ont étudié l’histoire du bas-empire. Vopiscus n’est-il pas réduit à dire, en parlant de la mort de l’empereur Tacite, qu’on ne sçavoit pas bien si la mort de ce prince avoit été violente ou naturelle.

Après la mort d’Egidius, ajoûte Idace, les Visigots se mirent en possession de plusieurs contrées qu’il défendoit contr’eux et qu’il prétendoit conserver à l’empire Romain ; quelles furent ces contrées que les Visigots envahirent immédiatement après la mort d’Egidius ? Peut-être fut-ce alors qu’ils étendirent leurs quartiers d’un côté jusqu’au bas-Rhône et d’un autre côté jusqu’à la basse-Loire, en occupant celle des cités de la seconde Aquitaine qu’ils ne tenoient pas encore. Les Visigots ne firent point alors de plus grandes acquisitions. Theodoric leur roi gardoit des mesures avec l’empire dont il se disoit l’allié quoiqu’il fut en guerre avec Egidius. La cronique d’Idace, où il est fait mention de la mort de Theodoric, ne dit point que ce prince ait jamais rompu avec l’empire. D’ailleurs on voit par la suite de l’histoire, que ce ne fut que sous le regne d’Euric le successeur de Theodoric, que les Visigots envahirent la premiere Aquitaine, Tours et quelques autres villes de la troisiéme Lyonoise et le pays qui s’appelle aujourd’hui la basse-Provence.

Comme nous trouvons en lisant l’histoire des tems subsequents à la mort d’Egidius, que l’autorité imperiale étoit en ces tems-là, rétablie dans les Gaules, il faut croire que la mort prématurée d’Egidius, qu’on peut regarder comme un coup de Ricimer, y fit cesser les troubles et la guerre civile. Egidius n’étant plus en vie, les Romains de son parti et leurs alliés auront reconnu après quelques négociations l’empereur Severus, et par-là ils auront fait leur paix avec les Visigots, qui n’avoient tiré l’épée, disoient-ils, que pour le service de ce prince.

Quel fut le successeur d’Egidius dans l’emploi de maître de la milice ? L’histoire ne le dit point positivement. Suivant le cours ordinaire des affaires d’Etat on aura mis en pleine possession de cet emploi Arborius, qui l’exerçoit déja en Espagne en qualité de successeur légitime de ce Nepotianus que Majorien avoit destitué pour installer à sa place Egidius. On aura fait patrice Gunderic roi des Bourguignons, que le pape Hilaire qualifie de maître de la milice dans une lettre écrite du vivant d’Egidius, et de laquelle nous avons parlé ci-dessus. Peut-être aussi Gunderic fut-il le successeur d’Egidius seulement dans les Gaules, tandis qu’Arborius continuoit d’exercer les fonctions de maître de la milice, dans l’Espagne.

Quelques auteurs modernes ont cru qu’après la mort d’Egidius la dignité de maître de l’une et de l’autre milice dans le diocèse de la préfecture des Gaules, avoit été conferée à son fils Syagrius. Cependant nous verrons dans la suite que Syagrius n’a jamais été maître de la milice dans le département de la préfecture des Gaules et qu’il ne succeda à son pere que dans l’emploi de comte ou de gouverneur particulier de la cité de Soissons, qu’Egidius avoit toujours gardé quoiqu’il fût revêtu d’une dignité bien superieure à cet emploi. D’autres écrivains ont cru que le comte Paulus dont il est parlé dans Gregoire de Tours, à l’occasion d’un évenement arrivé vers l’année quatre cens soixante et douze, comme d’un des chefs des troupes Romaines, avoit été le successeur d’Egidius dans l’emploi de maître de la milice ; mais je pense qu’ils se trompent aussi, parce que Gregoire de Tours en parlant de cet évenement où Paulus fut tué, ne le qualifie que de comte. Or vouloir que Gregoire de Tours se soit trompé et qu’il ait par erreur donné à Paulus en racontant sa mort, le titre de comte au lieu de celui de maître de la milice, c’est vouloir que des historiens François du dix-septiéme siécle se soient trompés sur le titre qui appartenoit à un de nos capitaines celebres, tué seulement quelque soixante ans avant qu’ils fussent au monde, et qu’ils ayent qualifié le mort de lieutenant géneral, au lieu de l’appeller ainsi qu’ils l’auroient dû, maréchal de France. Je conclus donc que ce qu’on peut imaginer de plus probable concernant le successeur d’Egidius, c’est que ce fut ou Gunderic ou bien Arborius dont nous venons de parler. ç’aura été à l’un des deux qu’aura succedé Chilpéric l’un des rois des Bourguignons que nous verrons maître de la milice dans quelques années.