Calmann-Lévy (p. 262-265).



XV


Ils se voyaient tous les jours au théâtre et faisaient ensemble des promenades à pied.

Nanteuil jouait presque chaque soir et travaillait avec ardeur le rôle de Cécile. Elle retrouvait peu à peu la tranquillité, passait des nuits moins agitées, n’obligeait plus sa mère à lui tenir la main pendant qu’elle s’endormait, et n’étouffait plus dans des cauchemars. Une quinzaine de jours s’écoulèrent ainsi. Puis, un matin, tandis qu’assise devant sa toilette elle se peignait les cheveux, comme le temps était sombre, elle avança la tête vers la glace, et elle y vit, non pas son visage, mais celui du mort. Un filet de sang lui coulait d’un coin de la lèvre ; il riait et la regardait.

Alors elle se décida à faire ce qu’elle croyait utile et bon. Elle prit une voiture et alla le voir. En passant sur le boulevard Saint-Michel, elle avait acheté chez sa fleuriste une botte de roses. Elle les lui apportait. Elle se mit à genoux devant la petite croix noire qui marquait l’endroit où on l’avait mis. Elle lui parla. Et le pria d’être raisonnable, de la laisser tranquille. Elle lui demanda pardon de l’avoir traité autrefois avec dureté. On ne s’entend pas toujours dans la vie. Mais il devait comprendre maintenant et pardonner. A quoi lui servait-il de la tourmenter ? Elle ne demandait pas mieux que de garder de lui un bon souvenir. Elle irait le voir de temps en temps. Mais qu’il renonçât à la poursuivre et à l’effrayer.

Elle s’efforça de le flatter et de l’endormir par de douces paroles :

— Je comprends que tu aies voulu te venger. C’est naturel. Mais tu n’es pas méchant au fond. Ne sois plus fâché. Ne me fais plus peur. Ne viens plus. Je viendrai, moi, je viendrai souvent. Je t’apporterai des fleurs.

Elle avait bien envie de le tromper, de l’endormir par de fausses promesses, de lui dire : « Reste, ne t’agite plus, reste, et je te jure de ne plus rien faire qui te déplaise, je te promets d’obéir à ta volonté. » Mais elle n’osait pas mentir sur une tombe, et elle était sûre que ce serait inutile, que les morts savent tout.

Un peu lasse, elle prolongea quelques moments encore, plus mollement, ses supplications et ses prières, et elle s’aperçut que l’horreur que lui causaient les tombes, elle ne l’éprouvait pas, cette fois, et qu’elle n’avait pas peur du mort. Elle en chercha la raison et découvrit qu’il ne l’effrayait pas parce qu’il n’était pas là.

Et elle songea :

— Il n’est pas là ; il n’est jamais là ; il est partout, excepté là où on l’a mis. Il est dans les rues, dans les maisons, dans les chambres.

Et elle se leva désespérée, sûre maintenant de le rencontrer partout, excepté dans le cimetière.