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Hippolyte, tragédie tournée de Sénèque


HIPPOLYTE
TRAGEDIE TOURNEE DE SENEQUE
PAR
JEAN YEUWAIN MONTOIS
1591


Argument modifier

Hippolyte fils de Thésée, et d’Antiope Royne des Amazones, s’estant (resolu de fuir toutes sales voluptés) voué au célibat, vivoit chastement, s’exerceant continuellement à la chasse, pour n’estre si facilement surpris par les cauteleuses mignotises des femmes, dont il avoit tout le sexe en horreur. Mais Phedre sa maratre, estant tres ardamment esprise de son amour, à-cause de son excellente beauté, et enhardie par l’absence de Thesée, (qui estoit descendu aux enfers avec Pirithois, pour ravir Proserpine) luy découvre son mal, le sollicita et requerant d’amour. Luy n’y voulant condescendre, ains le reprenant tres-aigrement ; elle change l’amour en hayne et faict calomnieusement à-croire à son mary, qu’il l’avoit forcée : Parquoy le Jouvenceau, pour eviter la fureur de son pere, qui le vouloit occire, monte sur son chariot, et s’enfuit. Mais Thesée sachant qu’il ne pouvoit le r’attaindre, prie son pere Egée dieu marin, que pour s’aquiter des trois souhaits, dont il luy avoit promis les effects, il face mourir Hippolyte. Egée envoyë un grand monstre marin, lequel espouvante les chevaux de telle sorte, qu’ilz trainent leur maistre tombé, et lié entre les traits, parmy les rochers, et le déchirent en pièces. Finalement, Phedre confessant sa traitresse calomnie, et detestant son crime, se tuë misérablement sur le corps démembré d’Hippolyte.


Entreparleurs modifier

Hippolyte. Phedre.
La nourrice. Le chœur.
Thésée. Le messager.


Acte premier modifier

<Scène 1> modifier

HIPPOLYTE.

Allés, enceignés moy ces forés ombrageuses.
Questés par-cy par-là, sur les cimes rameuses
Des mons Cecropiëns ; et entre maint rocher,
Dont le pied ferme-dur sçait les flots écacher,
Au val Thryasiën, de la vite riviere, (5)
Qui le choque d’une onde écumeusement fiere.
Sur ces tertres bossus les uns aillent montans,
Qu’une neige glacée enfarine en tous tams ;
Les autres par deçà, où les branches fueillues
Des aunes, dans ce bois, s’avoisinent des nuës ; (10)
Où un Zephire doux la rousée espandant,
Leur robe printanniere aux pres nuds va rendant ;
Où le tortu Meandre à flós paresseux baigne
Trop areneusement l’inegale campaigne.
Vous, par où Marathon en sa forét conduit, (15)
Par ce gauche sentier, à l’endroit où de nuict,
Vont viander le bout de l’herbe r’ajeunie,
Ces bestes que l’on dit bestes de compagnie.
Et vous tirés la part où l’Autan chaleureux,
Réchauffe par son souffle ardamment dangeureux, (20)
L’Acarnaniën dur. Que quelque autre se jette
Sur le mielleux coupeau du fleurissant Hymete.
Et tandis que ceux-cy leurs pas imprimeront
Au sable Aphidneän ; ces autres dresseront
L’embusche du costé, qui regarde l’Eubéë, (25)
Où au rivage ondeux de la mer recourbéë,
Le promontoire casse en écumant les flots ;
Car il est demeuré jà long temps en repos.
Si quelcun veut gaigner par une prise belle
Quelque gloire ! c’est luy que Philippes apelle : (30)
Car là un grand sanglier, cogneu des laboureurs
Par mainte et mainte playë, a fait que dans leurs cœurs
Un effroy pàlissant au moindre bruit se glisse.
Vous laschés ces chiens muts. Que cétuy departisse
Les relais. Que ces chiens de Crete aillent tendans (35)
D’un col pelé la lesse. A ces Spartains ardans
A la proyë, et hardis, il faut qu’on acourcisse
Le trait, affin que mieux retenir on les puisse.
Vous de ces chiens d’attaque, et forts dogues aussy,
Et de toute la meute ayés tout le soucy. (40)
Le temps viendra bien tost que la beste lancéë,
Resonnera d’abois mainte roche creuséë.
Mais qu’ore le limier d’un bien-flairant naseau
Prenne l’aer, çà et là d’un étressy museau
Cerchant la beste au giste, or’ qu’encore est mesléë (45)
La nuict au jour naissant, que la terre est mouilléë
De vitale rouséë, et qu’on peut aisément
Les traces remarquer. L’un porte vitement
Mains rets tissus-à-iour, en sous-courbant l’échine :
L’autre mains las sutils. Pren céte jaueline. (50)
Toy d’une et d’autre main, va roidement fourrer
D’un épieu large, au flanc de la beste, le fer.
Vous de cors trantranans, de cris, et de hu’rië,
R’animés moy la meute, effroyés la furie
De la courante beste ; et toy victorieux, (55)
De ce courbe couteau desentraillant, joyeux,
Ta prise, apréte aux chiens la curée agreable.
Ore masle déesse, ore sois favorable
A ton compagnon cher, toy (dy-je) dont s’estend
Par tout le monde ombreux le regne, à qui se rend (60)
D’un trait mortellement attainte, toute fere
Que le flot vagabond d’Araxe desaltere,
Et que l’Astre cornu sur sa glace soutient.
Au milieu de sa fuite, icy ton trait retient
Une biche Cretoise : Il prive là de vië, (65)
Un lyon qui faisoit trembler la Getulie.
Estant icy lasché de plus legere main,
Sa vitesse previent la vitesse du daim ;
Et là mainte tigresse à la peau bigarréë,
Va tendant la poitrine à la flesche aceréë,
Qui des sauvages bœufs ore se fiche és ôs,
Or’ des buffles velus va déchirant les dos.
Et bref, par les chams seuls toute beste paissante,
Soit par les chauds desers du pauvre Garamante,
Soit en la profondeur d’un bois Hyrcaniën, (75)
Soit sur les hauts sommés Pyreneäns, ou bien
Du change-toict Sarmate en la campagne nuë,
Ou és riches forets de l’Arabe cognuë,
Craind, Diane, ton arc. Si à quelque veneur,
Qui tousjours humblement celebrant ton honneur, (80)
Agreable te soit rendu, tu favorises :
Ses rets heureusement tendus sont pleins de prises.
Ses las ne sont rompus ny de piés, ny de dens.
De gibiers sont chargés ses chariots tremblans.
Ses chiens ont le museau teint du sang de leur proyë, (85)
Et sa troupe rustique en long triomphe, et joyë,
Aux loges s’en retourne. Oh ! j’enten les abbois
(Signe de ta faveur) qui m’apellent aux bois.
Je suivray ce sentier, dont la longueur plaisante,
De l’esperé gibier ne fraudera l’attente. (90)

<Scène II.> modifier


PHEDRE.

O grand’ Crete qui tiens souz ton royal pouvoir,
Tant de mers qu’à-lentour les vens font émouvoir
Et couvres de vaisseaux tous les ports, où Nerée
Au navigage estend son eschine azuréë,
Jusque auprès du rivage Assyriën ; pourquoy (95)
En un palais haÿ et des miens et de moy,
Femme à mon ennemy, et tenue en hostage,
Me contrains-tu passer (malheureuse) mon age
En angoisseux tourmens, pleurs, et soucis ? Voilà
Que mon espoux fidel, errant deçà, delà, (100)
Seule ici m’abandonne, à sa femme estiméë
Moins qu’un cheveul, gardant sa foy accoustuméë.
Il chemine, hardy, par l’obscure épesseur
Des tenebres du lac, qui à son traverseur
Va bouchant tout chemin de retour par derriere ; (105)
Gendarme aventurier d’un amant temeraire.
Il s’en va compagnon d’un jeune furieux,
De son throne arracher la Royne des bas lieux ;
Sans craindre le danger auquel il se hazarde :
Sans que d’un tel forfait la honte le retarde. (110)
Le pere d’Hippolyte ainsi s’en va cerchant
Par delà l’Acheron, l’adultere meschant
Dans la couche d’autruy. Mais mon âme affligéë
Est bien d’une douleur plus mordante rongée.
Par le repos nuital, ny le sommeil profond (115)
Mes soucis langoureux jamais ne se deffont.
En ma poitrine ainsy se nourrit, croit, s’allume
Ce mal qui trop ardent mes entrailles consume ;
Comme en l’antre Aetnëan se nourrit, et s’accroit
La vapeur qu’ondoyer en flamme aprés on voit. (120)
Plus je ne vay sur toy, gaze Palladiënne,
L’esguille en main, traceant une histoire ancienne ;
Et le fuseau me chet des mains. Plus je ne veux
Aller au temple offrir des presens, ny des vœux ;
Ny entre les autels, mesléë au chœur des Dames, (125)
Secouër au secret sacrifice, les flammes ;
Et plus de te prier chastement n’ay soucy,
Déesse gardienne à céte Terre icy.
Il me plait d’arrester à la course volante,
Ore un chevreul, et or’ la biche tost-fuyante, (130)
Or’ jetter de main soupple un javelot virant.
Mais, las ! à quoy vas-tu, pauvre cœur, aspirant ?
Et pourquoy, furieuse, aime-je les bocages ?
Je sçay, me souvenant des maternelles rages,
Que tousjours notre amour se desnature és bois. (135)
Las ! mere, j’ay pitié de ton mal : tu aimois
(Esprise d’une ardeur nullement decelable,)
D’un farouche troupeau le Guide in-accointable.
Cét adultere-là impatient du joug,
Bien qu’il fust indomtable, et revesche, à tout coup (140)
D’ire ardent ; toutesfois il aimoit quelque chose.
Mais la peste que j’ay dans les veines enclose,
Las ! quel dieu, quel Dedale ingenieux pourroit
Son ardeur alentir ? Quand le retour seroit
Permis mesme à celuy, qui jadis eut la cure, (145)
D’enfermer notre Monstre en la demeure obscure,
Dont le sortir n’estoit à nul entrant permis :
Encor, encor en vain par luy seroit promis
Secours à noz malheurs. Venus ayant en haine.
La race du Soleil, ore vange sa chaine, (150)
Et celle de son Mars emprisonné, sur nous.
Elle (de plus, en plus enfiellant son courroux)
Va chargeant de reproche, et d’horrible infamië,
Sans cesse de Phebus la lignée ennemië.
Des filles de Minos une encore n’a point (155)
Jouy d’honneste amour, ains est tousjours espoind
Leur esprit furieux d’une rage insenséë.

LA NOURRICE.

Race de Juppiter, noble espouze à Thesée,
Arrache vitement hors de ton chaste sein,
L’execrable penser d’un si meschant dessein. (160)
Estouffe cète flamme, et fuy cète esperance
Qui t’enfielle ton miel. Cèl qui fait résistence
Et, vaillamment, soutient de l’amour furieux
Le premier - rude assaut ; seur, et victorieux
Il triomphe de luy. Mais celuy-là qui couve (165)
Et nourrit en flatant, le mal que doux il trouve
A son commencement ; tard refuse à porter
L’encollé joug pesant, qu’il ne peut rejetter
Puis je n’ignore point qu’à grand’ peine se laisse
Fléchir l’orgueil royal, que la verité blesse. (170)

PHEDRE.

Je veux (soit bien, soit mal) me soumettre au hazard ;
L’espoir d’un butin riche enhardit le soldart.

LA NOURRICE.

Il faut premier vouloir faire au mal resistence,
Et suivre le Devoir : Puis avoir cognoissance
De combien le forfait sera grief, et meschant ; (175)
Honte nous va souvent de forfaire empeschant.
Hé ! qu’esse que tu veus, miserable, entreprendre ?
Et pourquoy plus infame encore veus-tu rendre
Ton infame maison, ta mere surmontant ?
L’execrable peché que tu vas projettant, (180)
Plus qu’un monstre est vilain. De la laideur infame
D’un monstre affreux on donne à Nature le blame ;
Mais la meschanceté ne l’impute qu’aux mœurs.
Que si tu crois la tienne estre vuide de peurs,
Et loin de tout danger, pource que souz le monde (185)
Thesée (à son ami trop fidel) vagabonde :
Tu te vas decevant. Mais bien, pose le cas,
Que ton mary plongé dedans les flots là-bas
Du Lethe oblivieux, perdant toute memoire,
Ne repasse jamais la rive d’Ombre noire : (190)
Quoy ? ton pere qui va son domaine estendant
Sur tant de larges mers, et justement rendant
A cent peuples le droit, penses-tu qu’il ne puisse
Decouvrir aisément ce tant énorme vice ?
Le soin des parens vient de prés tout esplucher. (195)
Croyons que nous pourrons toutesfois luy cacher
Cét inceste vilain, par trompeuse cautelle :
Peus-tu tromper celuy, qui sa lumiere belle
Sur tout ce monde espand ? Et le pere des Dieux
Qui fait crouler la terre, eslançant (furieux) (200)
Des foudres Ætnëans le feu qui tourbillonne,
D’une main qui d’esclérs rebrillans s’environne ?
Peus-tu (donque) esperer de te cacher aux yeux
De tes tous-jours-veillans, et tout-voyans Aÿeux ?
Mais, bien que tous les Dieux à souhait favorables, (205)
Souffrent que pour celer ces amours detestables,
Un secret si forceant, ne soit onque éventé,
Quoy qu’on trouve en tels cas peu de fidelité :
Cuides-tu que tu peus fuir la syndereze,
Qui, bourrelle, jamais un moment à ton aise (210)
Ne te laissera vivre ; ains fera que ton cœur
Tousjours voyant ton fait, de soy-mesme aura peur ?
Le crime eschape bien quelque fois la vengeance,
Mais il n’est jamais franc d’angoisse, et desfiance.
Refrene, je te prie, et domte la fureur (215)
De céte paillardise, ayant d’un crime horreur
Que jamais n’a commis la plus barbare Terre :
Non les chams par lesquels le Gete cruel erre :
Non le neigeux Caucase, autour duquel espars
Les Scythes mi-brutaux vaguent en mille pars. (220)
Souvien-toy de ta mere, et crain qu’autre te touche
Que ton espoux. Tu veux au filz rendre ta couche
Et au pere commune, affin de recevoir
Une charge mesléë, estrange, horrible à voir
En ton sale amarry : va donc, et par luxure (225)
Infame, de tout point renverse la nature.
D’où vient qu’ore si peu d’affreux monstres on voit ?
D’où vient que la prison, qui ton frere enserroit
Reste vuide ? Faut-il que raconter on oyë
Des in-acoutumés prodiges, et qu’on voyë (230)
Violer de Nature aussi souvent les loix,
Que d’aimer la Cretoise entreprendra de fois ?

PHEDRE.

Je sçay tout estre vray, ce que tu viens de dire ;
Mais mon tourment me force, et fait suivre le pire.
Las ! Nourrice, je sçay qu’en un malheur certain (235)
Je me plonge, et mon cœur s’efforce, bien qu’en vain,
D’aprocher, et de suivre un conseil salutaire ;
Mais il est rejetté rudement en arrière,
Comme le nocher tasche malgré l’effort
Des flots et d’Aquilon pousser sa nef au port ; (240)
Il se travaille en vain, car elle est rejettéë
Par la fureur du vent, et par l’onde emportée.
Où règne la fureur, Raison n’a point de lieu.
En mon esclave cœur domine un puissant Dieu,
Qui tost-volant, se rend sujette toute terre ; (245)
Qui brule Jupiter, et Mars-allume-guerre.
Ce forgeron boiteux, qui à recourbés bras
Martelle sur la foudre à-trois-pointes, n’est pas,
Attisant sa fournaise avecque son Sterope,
Tant échauffé du feu de l’Æthneänne crope, (250)
Que du feu de ce Dieu, qui trop plus est adroit
A décocher un trait, que Phebus tire-droit,
Dont le cœur bien souvent d’une flesche il entame.
Bref le ciel, et la terre il brule de sa flamme.

LA NOURRICE.

Amour n’est pas un Dieu, la seule volupté, (255)
Pour se rendre plus libre, a feint la Deïté,
Dont elle va masquant céte cruelle rage.
Ha ! vrayement c’est bien dit, un enfançon volage
Courra par tout le monde, et volant dans les cieux,
Se fera, trespetit, maitre des plus grans Dieux ! (260)
Quelque fol insensé, celà s’est fait à-croire,
Qui feint Venus déesse, et d’un carquois d’yvoire,
Et d’un arc, ce faux dieu nous arme faussement.
Celuy qu’un sort prospere enfle superbement,
Et qui s’estant laissé fondre en delices molles, (265)
S’escoule en mille excés, et en despences folles,
D’une luxure lasche est aisément gaigné ;
Mal fier, dont est tousjours l’orgueil accompaigné
D’une grande Fortune. Adonc la friandise,
Veut que ses mets exquis mainte sauce déguise, (270)
Et le confus desordre embrouille sa maison.
D’où vient que céte peste emplit de sa poison
Les palais delicats, plustost que la logette
D’un simple laboureur, on d’un berger honeste ?
D’où vient que lon te voit souz le chaume leger, (275)
Sainte Pudicité, tousjours présque loger ?
Et que cil à qui n’est le sort doux, ny prospere,
Se contentant de peu, ses appetits modere ;
Les riches, au contraire, et les Rois plus puissans,
De la juste Raison vont les bornes passans ? (280)
» Celuy-là duquel est extreme la puissance,
» Veut de tout faire avoir, contre tout droit, licence.
Mais toy dans un haut throne assise, n’ignorant
Celà que ta grandeur noble va requerant,
De ton espoux sceptré crain le retour, et l’ire. (285)

PHEDRE.

Je porte en moy d’Amour le trespuissant Empire.
Je ne crain nulz retours. Celuy qui une fois,
Passant le seuil gardien du chien à-triple-voix,
Entre en la maison basse, et tousjours tenebreuse ;
Ne revoit plus du ciel la voute lumineuse. (290)

LA NOURRICE.

Ne le croy : Car jaçoit que Cerbere horriblant
Sa hure serpentine, et sa rage doublant,
Ferme du fier Pluton le royaume ; Théséë
Seul trouvera l’issuë aux autres deniéë,

PHEDRE.

Peut estre que pitié fleschira son courroux. (295)

LA NOURRICE.

A sa femme pudique il ne fut rendu doux,
Lors que sa main du sang d’Antiope fut teinte.
Mais posons que pitié donne à son ame atteinte :
Qui pourroit amollir le diamantin cœur
De ce rogue, intraitable, et sauvage veneur ? (300)
Le nom, le nom (sans plus) de la femme l’ennuië.
Il donne au celibat tout le cours de sa vië.
Mesme (tant il est dur) cète Amazoniën
Prefere un chant funebre, au chant Hymeneniën.

PHEDRE.

Soit qu’il soit estendu sur la croupe neigeuse (305)
D’un tertre, ou que sa plante agilement venteuse
Les sommés raboteux foule des rochers droits,
Qu’il grimpe sur un mont, qu’il brosse par les bois :
Par tout je le suivray.

NOURRICE.

C’est bien dit, pour t’attendre,
Il s’arrestera court, et (doux) se viendra rendre (310)
Amadouable à toy. Il se despouillera
De sa honte pudique, et puis se veautrera
D’une sale Vênus en la bourbe vilaine.
Te peus tu seule rendre exempte de sa haine ?
Toute autre en ton despit, peut estre, il veut haïr. (315)

PHEDRE.

Mais ne le sçauroit-on par priere amollir ?

LA NOURRICE.

Cétuy-cy ne fera de ta priere comte,
Il est farouche.

PHEDRE.

Amour les plus farouches domte.

LA NOURRICE.

Il te fuira.

PHEDRE.

S’il fuit, jusques aux derniers flots
Des plus lointaines mers, je l’iray sans repos (320)
Poursuivvant çà, et là.

NOURRICE.

Souvien-toy de ton pere.

PHEDRE.

Je veux me souvenir ensemble de ma mere.

LA NOURRICE.

Mais il fuit tout le sexe.

PHEDRE.

Et c’est pourquoy je croy
Que nulle autre n’aura part en luy, sinon moy.

LA NOURRICE.

Ton mary reviendra.

PHEDRE.

Accompagné j’espere (325)
De son cher Pyrithois.

NOURRICE.

Icy sera ton pere.

PHEDRE.

Pere doux à ma sœur.

NOURRICE.

Par ces miens cheveux blans
Ce sein las à porter des soucis accablans
Le faix non-soutenable, et ces cheres mamelles
Que le tendre coral de tes levres nouvelles (330)
A touché tant de fois, humble, je te requier,
De toy-mesme t’ayder, arestant le cours fier
De ta folle fureur. Vouloir estre guerië,
Est de ta guarison la plus grande partië.

PHEDRE.

Encor n’ay-je chassé, de mon cœur genereux (335)
Toute honte ; obeïr, Nourrice, je te veux.
Mon renom non-souillé tienne sa candeur pure.
Etouffons cét amour qui point le frein n’endure.
Un seul échapatoire, en ce mal m’est laissé ;
Suivons notre mary : Soit ores devancé (340)
Ce crime par ma mort.

NOURRICE.

Ah ! nourriture chere,
Garde que contre toy n’arme ta main meurtriere
L’inhumain desespoir. Rabaisse un peu ton cœur ;
Ren l’amoureux desir sur cétuy-cy vainqueur.
J’estime que tu sois pour ce digne de vië (345)
Pourquoy tu crois la mort devoir estre choisië.

PHEDRE.

Ma mort est arrestéë, il reste seulement
D’en trouver la façon. L’iray-je estroitement
D’un licol estouffant ce col ? Me tireray-je
L’ame d’un fer pointu ? Me precipiteray-je (350)
Du plus haut de la tour Palladiënne en bas ?
Ha ! redoublons la force et du cœur, et du bras :
Armons de notre honneur la main defenseresse.

LA NOURRICE.

Et cuides-tu qu’ainsy nostre blanche vieillesse
Te laissera perir d’un trespas si hasté ? (355)
Refrain de ta fureur l’impetuosité.
On ne peut renouër le filet de la vië,
Que la Parque a rompu.

PHEDRE.

Celle qui est saisië,
D’un desir obstiné de se desanimer ;
Nulle forte raison ne sçaurait luy fermer, (360)
Du trépas trop longtemps attendu, le passage
Tousjours ouvert à tous.

NOURRICE.

Las ! de mon dernier age,
Madame, seul soulas ; unique-doux confort
De mes ennuis plus durs ; puis que contre l’effort
De ton mal effrené, ta resistence est vaine : (365)
» Mesprise le Renom. La Renommée à-peine
» Nous raporte le vray. qu’encore bassement
» Elle va murmurant ; mais le faux hautement
» A rebours elle entonne en sa trompe bruyante,
» Aux pires favorable, aux vertueux nuisante. (370)
Sondons, sondons le cœur revesche, sans pitié,
Roy d’in-apointable, et fiere inimitié,
De ce Jouvenceau rogue ; et soit la charge mienne,
De le rendre autant tien, qu’amour t’a faite sienne,
Luy faisant dépouiller sa dure cruauté, (375)
Par le charme pipeur d’un parleur affaité.

CHŒUR.

La déesse qui est née
De la grand’mer forcenéë,
Mere des deux Cupidons,
Violentement entame (380)
De trais pointus, et enflame
Noz cœurs de cuisans brandons :


Mais son lascif Enfant pousse
En nous sa flesche moins douce
D’une plus forte roideur (385)
Et verse dans nos moëlles,
Par noz peu-cautes prunelles,
Une plus bouillante ardeur.
Et combien que sa blessure,
Ne soit de large ouverture ; (390)
Toutesfois furtivement
Son feu cruel nous dévore
Tendons, veines, nerfs encore,
Au dedans totalement.


Jamais en repos une heure (395)
Cet Archerot ne demeure,
Ains va, leger, épandant
Par continuelle guerre,
Sur tous les coins de la terre,
Maint, et maint trait tout ardant. (400)
La region qui premiere,
Voit la brillante lumiere
Du Cynthien rougissant ;
Et celle qui dedans l’onde,
Luy voit de sa tresse blonde (405)
Plonger le thresor luisant :


Celle sur laquelle amasse
La neige froide, et la glace,
Par son Oursale froideur,
L’amy sifflant d’Orythië ; (410)
Avec l’Australe partië,
Sentent de ses feux l’ardeur.


D’une furieuse flamme,
Violemment il enflamme
Les jeunes d’age, et de sens : (415)
D’une flamme ridicule
Les vieux encore il rebrule,
Moins chargés de sens, que d’ans.


Et ce pendant que se farde
Une pucelle mignarde, (420)
Joignant à Nature, l’art ;
Tout-à-coup elle s’étonne,
Que sa poitrine bouillonne
D’un mal incogneu, qui l’ard.
Dès que son feu vient éprendre (425)
Les Dieux, il les fait descendre
Souz la Celeste rondeur ;
Et demeurans sur la terre,
Prendre une forme étrangere,
Qui démente leur grandeur. (430)


Le filz plus grand que Cybelle,
Souz mainte forme nouvelle
S’est caché cent, et cent fois :
Or’ se couvrant du plumage
De l’oiseau blanc, qui presage (435)
Sa fin d’une douce voix :


Or’ d’un taureau doux-farouche
Prenant le front, et la bouche,
Il a le dos estendu
A la belle Agenoride, (440)
Qui montant dessus, ne cuide
Qu’un Dieu tel se soit rendu :


Mais luy chargé de sa proyë.
Des piés ramant, s’est fait voyë
Au travers du flot mutin ; (445)
Non sans avoir l’ame attainte,
D’une soucieuse crainte
Pour son riche-beau butin.


Ainsy qu’un berger champétre
Apollon a mené paitre (450)
Le troupeau Thessaliën,
Et d’une flute inegale
Sonné la chanson rurale,
Sur le bord Amphrysiën.
La déesse vagabonde (455)
Qui tout le ténébreux monde
Argente de sa clarté,
D’amour bruléë, à son frere
(Quitant la nuict brune-clére)
Laissa son char argenté. (460)


Son frere aprend à conduire
Les moreaux, et voyë élire
Pour faire un plus petit tour ;
Mais tandis que l’essieu tremble
Souz sa charge, la nuict emble (465)
La plus grande part du jour.


Le fort Amphytrionide
Aimant la belle Eurytide,
Son carquois plus ne portoit ;
Ainsy frizant sa chevelure, (470)
Et roignant sa barbe dure,
Portoit l’esmeraude au doigt.


Et ce Tu-monstre invincible,
Jettant du lyon terrible
A bas l’effroyable peau, (475)
De sa main puissante, et forte,
Qui portoit sa masse torte,
Tourna mesme le fuzeau.


La Perse, avec Lydië
A veu (tant abatardië (480)
Fut sa generosité)
Souz l’habit mol d’une femme,
Son espaule (ô grand diffame !)
Qui soutint le ciel vouté.


Tout cela que de la Terre, (485)
L’enceignante mer enserre
De ses lons bras à grand tour ;
Et tout ce haut monde encore,
Qui de mille astres se dore,
Se voit sujet à l’amour. (490)
Ses sagettes aceréës
Vont les troupes azuréës
Des Nereïdes blessant ;
Et quand elles sont atteintes,
Leurs flammes se sont esteintes (495)
Dedans le flot blanchissant.


Mille troupes écailléës,
Dessous les ondes saléës,
Il va de son feu bruler ;
Mille bandes empluméës (500)
De son feu sont alluméës,
Dedans le vague de l’aer.


Combien pour la vache belle
Est la guerre apre, et cruelle,
Que les taureaux s’entrefont, (505)
Qui vont ardans de furië,
Sur quelque verde prairië,
S’entre-choquanz front à front ?


Les cerfs peureux s’entr’assaillent
Et corne à corne bataillent, (510)
Au temps du rut chaleureux ;
Et pour la biche fuyarde,
A tout danger se hazarde,
Sans plus craindre chacun d’eux.


La montagneuse Armenië, (515)
L’Inde, et la froide Hyrcanië,
Tremblent de crainte, et d’horreur,
Alors que sont agitéës
Les tigresses mouchetéës
D’une amoureuse fureur. (520)


Adonc le fier lyon rouë
Les yeux ardans, et secouë
Sa grand’jube, en rugissant.
Adonc le sanglier terrible
Ses dens aiguise, et s’horrible (525)
D’escume tout blanchissant.


Lors les bestes forétieres,
Epouvantablement fieres,
Fremissent étrangement ;
Et de leurs bruyans murmures, (530)
Toutes les forês obscures
Resonnent confusément.


Nature forte, et feconde,
Range à sa loy tout le monde,
Sans que rien soit exemté ; (535)
Et de la haine plus grande,
Si tost qu’amour le commande,
S’adoucit la cruauté.


Mais qui feroit resistence,
A la rude violence, (540)
Du Paphiën brule-cœur ;
Puisque des maratres mesme,
La dureté plus extreme
Cede à ce petit vainqueur ?

Acte second modifier

<Scène 1> modifier


PHEDRE., LA NOURRICE., HIPPOLYTE.

PHEDRE.

Nourrice, comte moy de ta charge l’issuë. (545)
De quel front a esté l’ambassade receuë ?
Où est-il ? Qui l’arreste ?


NOURRICE.

Il n’y a plus d’espoir
Qu’adoucy son tourment cruel se puisse voir.
Ore ne peut plus estre en son ame estoufféë,
La flamme dont elle est ardamment échaufféë. (550)
Elle brule au dedans d’une secrette ardeur,
Qui luy va devorant cruellement le cœur :
Mais jaçoit que son feu soit caché, son visage
N’en découvre que trop la violente rage.
Par ses yeux rejaillit le feu de son amour ; (555)
Ses yeux, à qui déplait la lumiere du jour.
Un seul moment ne peut mesme chose luy plaire.
Celà qu’ore elle veut, soudain luy va déplaire,
Or’ elle veut que l’or de ses cheveux épars,
Au gré d’un petit vent flote de toutes pars : (560)
Or’ qu’ils soient mignardés, d’une façon plus gente,
Or’ qu’ils soient refrizés : Mais rien ne la contente.
D’un mal impatient son esprit agité
Fait qu’ore soit deçà, ore delà jetté
Et l’un, et l’autre bras ; ore croisés ensemble. (565)
Or’ la teste lui panche, et son menton s’assemble
A l’yvoire neigeux de sa poitrine, et or’
A-peine la dresse, et puis repanche encor.
Elle se va trainant d’une alleure tardive,
Comme estant de langueur ja plus morte, que vive. (570)
Elle ne permet pas qu’un sommeil gratieux,
Pour charmer son ennuy, vienne siller ses yeux ;
Ains depuis que le ciel de mille feux se dore
Jusqu’à tant qu’aparoit la roussoyante Aurore,
Elle soupire, et plaind, et de tristes sanglots, (575)
Une mer gemissante elle verse à grands flots.
Les mets plus savoureux sont aluyne en sa bouche.
Le vin doux n’est que fiel,quand sa levre le touche.
Un épineux soucy a tout rangé, gasté,
Pillé l’honneur plus beau de sa jeune beauté. (580)
Ore n’est plus sa jouë, ainsi qu’elle estoit, belle.
Or’ blémit le coral de sa levre jumelle.
Ore ont perdu ses yeux ce qu’ilz avoient de beau ;
Ses yeux qui ressembloient au radieux flambeau
De son luisant Ayeul : Yeux, qui tristes s’écoulent (585)
En deux tiedes ruisseaux, qui sur sa face roulent
Incessamment, ainsy que du coupeau d’un mont
On voit couler en bas la neige qui se fond,
Lorsqu’une tiede pluyë a lasché sa froidure.
Mais au haut du palais se fait ample ouverture : (590)
Elle va reclinant sur son siège doré,
Son chef qui ja n’est plus royalement paré ;
Et si, tant fierement sa rage la tempéte,
Tous ornemens royaux loin d’elle elle rejette.

PHEDRE.

Servantes, ostés moy ces robes sur qui l’or (595)
Est joint à mainte perle, et mains rubis encor.
Soit loin, soit loin de moy la pourpre Tyriënne.
Que des Seres lointains nul ore ne me vienne
Offrir de ses rameaux la plus riche toison :
Je hay plus tout cela qu’une noire poison. (600)
Que ce carcan perleux plus mon col n’enrichisse.
Qu’avec le diamant l’escarboucle ne luise
Sur moy, et qu’à l’oreille, au moindre mouvement,
Ne me brandille plus la perle d’orient.
Que plus de moy ne laisse en l’aêr par où je passe (605)
L’Assyrien parfum une odorante trace ;
Et que plus mes cheveux ne soient entortillés,
Mais sans ordre, et sans art, au vent éparpillés.
D’une estroite ceinture, il faut que je retrousse
Cette robe legere, et qu’à gauche une trousse (610)
Pleine de traits aigus me pende proprement.
Il faut que céte dextre élance roidement
Le Thessalique dard. D’Hippolyte severe
Telle jadis estoit la belliqueuse mere
Telle qu’elle fut veuë, alors qu’ayant laissé (615)
De la plus froide mer le rivage glacé,
Et le bord fluctueux de la Tane cornuë,
Elle est avec sa troupe en l’Attique venuë :
Troupe que dextrement elle alloit conduisant
Ayant d’un grand pavois, courbé comme un Croissant, (620)
Le flanc gauche couvert ; et sans estre ageancéë,
D’un nœud seul sur le chef la tresse r’amasséë :
Telle, telle je veux des forets traverser
L’effroyable épesseur.