Heures perdues/Avertissement

Imprimerie générale A. Côté (p. v-xii).

AVERTISSEMENT
DE LA
DEUXIÈME ÉDITION

En publiant cette nouvelle édition de mes Heures Perdues je sens le besoin de m’excuser auprès du public, tant le fait est inusité dans les annales de la poésie franco-canadienne. Quelques-uns seront peut-être tentés de considérer cette publication d’un deuxième mille comme un coup d’audace ou du moins comme une tentative osée, et seront portés à croire que j’ai cédé à l’appât du gain. À ceux-là, s’il s’en trouve, je déclare de suite que la question d’argent n’a pas été le mobile qui m’a poussé à cette ré-impression. La première édition étant épuisée, j’avais lieu d’être satisfait d’un si rapide écoulement et je n’aurais pas risqué les frais d’une deuxième si je n’avais pas eu à livrer près de deux cents exemplaires qui me sont demandés. J’ajouterai que l’accueil fait à la première apparition de l’ouvrage par le public, par la presse et par nombre d’écrivains éminents du Canada et de la France, n’a pas été non plus étranger à ma détermination.

Je suis loin de m’enorgueillir outre mesure de l’attitude bienveillante du public, car je la dois moins au mérite de mon œuvre qu’au réveil littéraire qui se manifeste et au goût des choses de l’esprit qui s’est singulièrement développé depuis quelques années. La poésie s’étant trouvée au berceau de tous les peuples, pourquoi ne saluerait-elle pas l’aube de nos destinées futures et ne bercerait-elle pas l’enfance de notre nationalité ?

À ce titre, le poète canadien mérite la faveur du public, et cette faveur, je remercie le lecteur de me l’avoir accordée.

Être admiré n’est rien, le tout est d’être aimé,

a dit le grand poète, Alfred de Musset. Aussi, ce n’est pas l’admiration que je recherche le plus. Que le public m’aime un peu, c’est là toute l’ambition permise à l’envergure de mon humble talent.

Adolphe Poisson.
Janvier 1895.

AU LECTEUR

CES vers que je te livre,
Ô lecteur indulgent,
Longtemps pourront-ils vivre
En ce siècle d’argent ?


Enfants de la chimère
Et du rêve brumeux,
Dans leur vol éphémère
Passeront-ils comme eux ?



Mais le néant envie
À l’insecte d’un jour
Son atome de vie,
De souffrance et d’amour !

 
La vie universelle
Ignore les instants,
Et pour Dieu l’étincelle
Doit luire aussi longtemps


Que l’étoile perdue
Au fond des cieux ardents,
Sillonnant l’étendue
Depuis des milliers d’ans.



Ô feuilles passagères,
Volez de mes cartons
Sur les ailes légères
Des frêles hannetons ;

Effleurez la bruyère,
Planez sur les sillons,
Partout où la lumière
Épand ses chauds rayons ;

Où vous porte la brise
Allez, mais que jamais
Votre aile ne se brise
Aux pics des hauts sommets.



La critique sévère,
De son dard acéré,
Peut changer en Calvaire
Le Parnasse sacré !


Comme un bouquet d’alcées
Effeuillez sans pitié
Ces fleurs de mes pensées
Écloses à moitié.


Au vent d’oubli qui passe,
De tant d’œuvres vainqueur,
Dispersez dans l’espace
Ces lambeaux de mon cœur !