Eugène Ardant et Cie (p. 91-96).

v. — La Lecture.


« Voici d’abord pour vous, mes chères petites » Et M. Dorigny plaça devant ses filles l’Institutrice.

— Ah ! papa ! quel bonheur ! ce livre est de mademoiselle Ulliac Trémadeure, et nous aimons tant ses livres !

— Vous avez raison, mes enfants ; ils amusent, instruisent et rendent meilleur.

— J’ai tant pleuré en lisant Laideur et Beauté ! s’écria Laure.

— Et moi aussi, ajouta vite Amélie.

— eh bien ! vous pleurerez encore en lisant l’Institutrice.

— Vous l’avez donc lue, papa ?

— Oui, mes amis ; si quelque chose aide à former le cœur, l’esprit et le jugement des enfants, c’est la lecture, et par conséquent le choix des livres ; on ne saurait y apporter trop d’attention et de sollicitude.

J’ai été témoin plus d’une fois, à l’époque du jour de l’an, de la manière dont les parents et les amis s’y prennent pour acheter les livres qu’ils veulent donner en cadeau. La plupart d’entre eux ne désignent pas un ouvrage au libraire, parce qu’ils ne se sont pas occupés de s’informer s’il en est qui conviennent plus les uns que les autres aux enfants ; ils en ignorent même jusqu’aux titres, et lorsqu’ils sont dans le magasin du libraire, ils se contentent de lui demander de leur choisir un livre, et le libraire prend le premier venu ; on le lui paie, on l’emporte, on le donne à l’enfant, et l’enfant reçoit souvent ainsi des livres qui ne convenaient nullement, ou à son âge, ou à sa position dans le monde : quelquefois, et cela est bien autrement grave, il en reçoit qui, au lieu de développer en lui les bonnes dispositions de son cœur ou de son esprit, ne servent qu’à fausser l’un et corrompre l’autre.

Les livres de madame Guizot, de mademoiselle Ulliac Trémadeure, ceux de madame Desbordes Valmore, n’auront jamais ces inconvénients-là ; on peut les acheter sans crainte et les donner à ses enfants sans les lire, on est sûr d’avance qu’ils ne contiennent que les leçons de la plus douce et de la plus saine morale.

— Ah, cher papa ! est-ce que vous nous apportez un livre de madame Desbordes Valmore ? nous avons l’Album du Jeune âge ; c’est un recueil de vers délicieux : nous les savons tous par cœur ; nous serions bien heureux de lire quelque chose fait encore par elle.

— Oui, mes enfants, les deux petits volumes que voici sont d’elle ; mais ils conviennent surtout à Auguste ; vous en jugerez par le titre : le Livre des Petits enfants.

— Mais, je ne suis plus un petit enfant ! s’écrie Auguste en riant.

— Tu prendras, malgré cela, mon cher Auguste, un plaisir infini à lire ces contes ; et tu me croiras sur parole quand tu sauras que, moi qui ne suis plus un petit enfant. je les ai lus d’un bout à l’autre, sans pouvoir les quitter. Cet ouvrage est l’un des plus attachants et des plus utiles que l’on puisse offrir aux enfants ; chaque histoire vaut une leçon.

— Voyons les images, cher papa.

— Les voici, il y en a une à chaque volume.

— Oh ! je veux lire ces histoires aussi, moi, s’écrièrent Laure et Amélie ; voilà des titres charmants, cela doit être bien amusant.

J’ai pris l’Institutrice et les Contes aux jeunes personnes de madame Laure Bernard, pour toi, mon Amélie ; et voici, continua M. Dorigny, en se tournant vers Laure, un ouvrage de madame Guizot. Il te fera plaisir, ma chère Laure ; je sais combien tu aimes tout ce que cette femme d’un mérite supérieur a bien voulu écrire pour la jeunesse. Tu ne connais pas une Famille, cet ouvrage manquait à ta collection. Vous avez chacune, mes chères filles, deux volumes ; votre frère en a trois, mais ils sont bien petits, et les vôtres en feraient quatre comme les siens.

— Quels sont ceux qui vous ont coûté le plus d’argent, cher papa ?

— Les vôtres, mesdemoiselles ; les in-18 ne sont jamais aussi chers que les in-12. À présent, mes amis, il s’agit de ne pas lire tout d’un trait ces volumes ; il faut consacrer la soirée à la lecture, et lire tout haut chacun à votre tour : n’avoir pas de mauvaises inflexions de voix, et vous n’épuiserez pas tous trois à la fois, dans l’espace de quatre à cinq jours, la plus douce ressource que vous puissiez trouver, après le travail, contre l’ennui.

— Nous ferons ce que vous voudrez, cher papa ; mais nous allons commencer, n’est-ce pas ?

— Oui, mes enfants ; asseyons-nous. Et d’abord nous allons voir les images de l’Institutrice et des Contes aux Enfants.

— Oh ! qu’elles sont folles !… Par quelle histoire faut-il commencer, cher papa ?

— Choisissez, mes amis.

— Eh bien ! lisons un des contes du livre des Petits Enfants.

— Oui ! oui !

— Et lequel ? demande Amélie.

— Nous allons chercher dans la table, reprit Laure ; voulez-vous la Poupée-Monstre, le Petit Gâté, le Sonneur aux portes, le Petit Bègue.

Le Petit Bègue ! s’écria Auguste ; cela doit être bien amusant ; j’ai un de mes camarades qui ne peut parler que comme cela. Mon… mon… sieur, monsieur. Ma… a… a… dame, madame. Oh ! c’est bien drôle, cela fait bien rire.

— Il ne bégayera bientôt plus, Auguste, car ses parents se sont décidés à l’envoyer chez M. Colombat de l’Isère, ce médecin si habile à guérir les maladies de la voix et les mauvaises prononciations ; il a fait des cures bien autrement admirables et difficiles que ne le sera celle de ton petit camarade. Lorsque tu auras lu l’histoire du Petit Bègue, j’espère que tu ne trouveras plus le bégaiement si drôle et si amusant, et que tu comprendras qu’il ne faut jamais se moquer des infirmités, quel que soit le côté ridicule qu’elles puissent offrir.

Laure commença la lecture du Petit Bègue, et on l’écouta dans le plus grand silence ; mais plus elle avançait et plus son frère et sa sœur se pressaient contre elle, laissant échapper des exclamations d’indignation, à chaque méchanceté que les écoliers faisaient au pauvre René, dont ils se moquaient sans cesse, parce qu’il était laid et qu’il bégayait.

« Tu es fatiguée, ma chère Laure, interrompit M. Dorigny en prenant le livre ; je suis d’ailleurs bien aise de vous lire moi-même la fin de cette histoire. »

M. Dorigny lut l’intéressante histoire de René Bègue-Bête, comme l’appelaient ses camarades, et lorsqu’il arriva à l’instant si effrayant où il se jette à l’eau, sans savoir nager, pour sauver celui de ses camarades qui l’avait le plus tourmenté, les enfants perdirent la respiration à force de partager la frayeur de tous ceux qui criaient au bord de la rivière : Au secours ! et lorsque René reparut, tirant près lui Achille, qu’il venait de sauver de la mort, ils fondirent en larmes : M. Dorigny lui-même était ému ; il continua, et lut comment René, retrouvant tout à coup l’usage de la parole, raconta la manière dont il a lutté contre l’eau en nageant comme un chien par instinct, sa joie inexprimable lorsqu’il s’aperçoit que cette crise affreuse lui a délié la langue, et qu’ils s’écrie, au moment où tout l’école l’emporte en triomphe : « Oh ! je parlerai donc comme un autre, à présent ; on ne se moquera plus de moi ! » À ces mots, Auguste, se jeta dans les bras de son père, et y cacha sa tête, tout honteux, tout désolé d’avoir pu se moquer de son petit camarade, parce qu’il bégayait.

— Eh bien ! mes enfants, que dites-vous de René ?… Et M. Dorigny posa le livre.

— Oh ! papa, s’écrièrent Laure et Amélie, les yeux baignés de larmes, nous voudrions bien le connaître ; quel beau caractère ! risquer sa vie pour un méchant enfant qui lui avait fait tant de mal !

— Il faut toujours se venger du mal en faisant le bien : cette histoire vous a donc beaucoup intéressés ?

— Oui, papa, et tellement que nous avons cru un instant voir Achille et René se débattre dans l’eau : il y a tant de vérité dans cette scène ! nous ne respirions plus en vous écoutant.

— Est-ce qu’elles sont toutes aussi jolies que cela, les histoires de ce livre ?

— Oui, mes enfants, il y en a même de plus jolies encore ; mais vous avez pris au hasard.

— Quel plaisir ! s’écria Auguste ; et il est à moi ce joli livre ! et j’en achèterai un pareil à Delriau !

— On est bien heureux, dit Laure, de pouvoir écrire si bien, et les dames qui s’occupent ainsi de travailler pour nous instruire et pour nous amuser sont bien bonnes.

— Elles remplissent un des premiers devoirs de leur sexe, reprit M. Dorigny ; c’est une noble tâche, moins facile à exécuter qu’on ne pense.

— Au surplus, on ne s’est jamais tant occupé de la jeunesse qu’on le fait à présent. Les enfants ont aujourd’hui des journaux, des bibliothèques d’éducation, des libraires, qui ne publient que des livres à leur usage.

— J’approuve peu les journaux, du moins quelques-uns des journaux qu’on met entre leurs mains… Il ne suffit pas toujours qu’une chose soit amusante, mes enfants, il faut surtout qu’elle soit faite dans le but de vous offrir une leçon salutaire, ou de vous offrir l’exemple d’un beau trait, d’une action louable. Puisque vous êtes déjà abonnées au Journal des Jeunes personnes, je crois que les livres vous feront plus de plaisir qu’un second journal, et je vous achèterai au premier de l’an un ouvrage qui aura, je crois, un grand succès. Il a pour titre la Vie des Enfants célèbres.

— Oh ! papa, que cela doit être curieux ! Merci, merci ! quand serons-nous au premier de l’an ?

— Dans trois mois, mes enfants.

— Quel bonheur ! et dans dix-huit, non, dans dix-sept jours, nous verrons Delriau !