Heures d’hiver (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 83-84).
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HEURES D’HIVER


Les molosses d’hiver, le gel, le vent, la neige,
Ô mon vieux cœur de lassitude et de souci,
Ils hurlent à la mort, écoute ! et leur cortège
S’enfuit, avec des pleurs, vers le néant. Voici,
Qu’ils ululent sinistrement et qu’on ulule
Vers eux, parmi les lourds échos du crépuscule,
En réponse, là-bas.
L’horizon ? c’est du sang,
Du pus et de la lèpre et de la pourriture.
Et toi, mon cœur piteux, caduque et vieillissant,
Et toi, mon incurable et nocturne blessure,
Tu sens aussi ces chiens rués, à travers toi.


Oh cet interminable et novembral aboi
Des chiens, des mauvais chiens, hurleurs au clair de lune,
Comme ils geignent ton deuil et combien longuement
Raillent leurs cris, leurs cris de hargue et de rancune,
Tes naufrages d’espoir vers le renoncement.

L’arbre des pleurs, ainsi que les sorbiers d’automne,
S’érige en tes songes et, rouge, les festonne
Et laisse choir ses fruits et ses larmes de soir,
À lente pluie et longue — avec mélancolie !
Les lacs de tes ennuis, où se viennent asseoir,
Pour y mirer les yeux fixes de leur folie,
Et ton vouloir et ton orgueil et ton tourment,
Ainsi que d’immenses linceuils, immensément,
Par les plaines et les plaines se continuent.
Le souvenir en toi déchaîne ses douleurs
Et vous mêlez vos voix que les sanglots obstruent
Mais les échos toujours repoussent ces douleurs
Les voix de ces douleurs et de ces pleurs — ailleurs !