Hernani (Hetzel, 1889)/Texte entier
L’auteur de ce drame écrivait, il y a peu de semaines, à propos d’un poète mort avant l’âge :
« …Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui combattent ? Sans doute, il est triste de voir un poète de vingt ans qui s’en va, une lyre qui se brise, un avenir qui s’évanouit ; mais n’est-ce pas quelque chose aussi que le repos ? N’est-il pas permis à ceux autour desquels s’amassent incessamment calomnies, injures, haines, jalousies, sourdes menées, basses trahisons ; hommes loyaux auxquels on fait une guerre déloyale ; hommes dévoués qui ne voudraient enfin que doter le pays d’une liberté de plus, celle de l’art, celle de l’intelligence ; hommes laborieux qui poursuivent paisiblement leur œuvre de conscience, en proie d’un côté à de viles machinations de censure et de police, en butte de l’autre, trop souvent, à l’ingratitude des esprits mêmes pour lesquels ils travaillent ; ne leur est-il pas permis de retourner quelquefois la tête avec envie vers ceux qui sont tombés derrière eux, et qui dorment dans le tombeau ? Invideo, disait Luther dans le cimetière de Worms, invideo, quia quiescunt.
« Qu’importe toutefois ? Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu’on nous veuille faire le présent, l’avenir sera beau. Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est, à tout prendre, et c’est là sa définition réelle, si l’on ne l’envisage que sous son côté militant, que le libéralisme en littérature. Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l’œuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l’art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d’un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d’intelligences près (lesquelles s’éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d’aujourd’hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l’élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d’examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu’ils ont fait eux-mêmes et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. Ce principe est celui du siècle, et prévaudra. Les ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l’ancien régime de toutes pièces, société et littérature, chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu’ils auront échafaudé. Et, en définitive, leurs efforts de réaction auront été utiles. En révolution, tout mouvement fait avancer. La vérité et la liberté ont cela d’excellent que tout ce qu’on fait pour elles et tout ce qu’on fait contre elles les sert également. Or, après tant de grandes choses que nos pères ont faites et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique ? À peuple nouveau, art nouveau. Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre et personnelle et nationale, cette France actuelle, cette France du dix-neuvième siècle à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance[1]. »
Qu’on pardonne à l’auteur de ce drame de se citer ici lui-même ; ses paroles ont si peu le don de se graver dans les esprits, qu’il aurait souvent besoin de les rappeler. D’ailleurs, aujourd’hui, il n’est peut-être point hors de propos de remettre sous les yeux des lecteurs les deux pages qu’on vient de transcrire. Ce n’est pas que ce drame puisse en rien mériter le beau nom d’art nouveau, de poésie nouvelle, loin de là ; mais c’est que le principe de la liberté en littérature vient de faire un pas ; c’est qu’un progrès vient de s’accomplir, non dans l’art, ce drame est trop peu de chose, mais dans le public ; c’est que, sous ce rapport du moins, une partie des pronostics hasardés plus haut viennent de se réaliser.
Il y avait péril, en effet, à changer ainsi brusquement d’auditoire, à risquer sur le théâtre des tentatives confiées jusqu’ici seulement, au papier qui souffre tout ; le public des livres est bien différent du public des spectacles, et l’on pouvait craindre de voir le second repousser ce que le premier avait accepté. Il n’en a rien été. Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n’a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l’art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. Cette voix haute et puissante du peuple, qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique : tolérance et liberté.
Maintenant, vienne le poëte ! il y a un public.
Et cette liberté, le public la veut telle qu’elle doit être, se conciliant avec l’ordre, dans l’état, avec l’art, dans la littérature. La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n’est pas complète. Que les vieilles règles de d’Aubignac meurent avec les vieilles coutumes de Cujas, cela est bien ; qu’à une littérature de cour succède une littérature de peuple, cela est mieux encore ; mais surtout qu’une raison intérieure se rencontre au fond de toutes ces nouveautés. Que le principe de liberté fasse son affaire, mais qu’il la fasse bien. Dans les lettres, comme dans la société, point d’étiquette, point d’anarchie : des lois. Ni talons rouges, ni bonnets rouges.
Voilà ce que veut le public, et il veut bien. Quant à nous, par déférence pour ce public qui a accueilli avec tant d’indulgence un essai qui en méritait si peu, nous lui donnons ce drame aujourd’hui tel qu’il a été représenté. Le jour viendra peut-être de le publier tel qu’il a été conçu par l’auteur[2], en indiquant et en discutant les modifications que la scène lui a fait subir. Ces détails de critique peuvent ne pas être sans intérêt ni sans enseignements, mais ils sembleraient minutieux aujourd’hui ; la liberté de l’art est admise, la question principale est résolue, à quoi bon s’arrêter aux questions secondaires ? Nous y reviendrons du reste quelque jour ; et nous parlerons aussi, bien en détail, en la ruinant par les raisonnements et par les faits, de cette censure dramatique qui est le seul obstacle à la liberté du théâtre, maintenant qu’il n’y en a plus dans le public. Nous essaierons, à nos risques et périls et par dévouement aux choses de l’art, de caractériser les mille abus de cette petite inquisition de l’esprit, qui a, comme l’autre saint office, ses juges secrets, ses bourreaux masqués, ses tortures, ses mutilations, et sa peine de mort. Nous déchirerons, s’il se peut, ces langes de police dont il est honteux que le théâtre soit encore emmailloté au dix-neuvième siècle.
Aujourd’hui il ne doit y avoir place que pour la reconnaissance et les remerciements. C’est au public que l’auteur de ce drame adresse les siens, et du fond du cœur. Cette œuvre, non de talent, mais de conscience et de liberté, a été généreusement protégée contre bien des inimitiés par le public, parce que le public est toujours aussi, lui, consciencieux et libre. Grâces lui soient donc rendues, ainsi qu’à cette jeunesse puissante qui a porté aide et faveur à l’ouvrage d’un jeune homme sincère et indépendant comme elle ! C’est pour elle surtout qu’il travaille, parce que ce serait une gloire bien haute que l’applaudissement de cette élite de jeunes hommes, intelligente, logique, conséquente, vraiment libérale en littérature comme en politique, noble génération qui ne se refuse pas à ouvrir les deux yeux à la vérité et à recevoir la lumière des deux côtés.
Quant à son œuvre en elle-même, il n’en parlera pas. Il accepte les critiques qui en ont été faites, les plus sévères comme les plus bienveillantes, parce qu’on peut profiter à toutes. Il n’ose se flatter que tout le monde ait compris du premier coup ce drame, dont le Romancero general est la véritable clef. Il prierait volontiers les personnes que cet ouvrage a pu choquer de relire le Cid, Don Sanche, Nicomède, ou plutôt tout Corneille et tout Molière, ces grands et admirables poëtes. Cette lecture, si pourtant elles veulent bien faire d’abord la part de l’immense infériorité de l’auteur d’Hernani, les rendra peut-être moins sévères pour certaines choses qui ont pu les blesser dans la forme ou dans le fond de ce drame. En somme, le moment n’est peut-être pas encore venu de le juger. Hernani n’est jusqu’ici que la première pierre d’un édifice qui existe tout construit dans la tête de son auteur, mais dont l’ensemble peut seul donner quelque valeur à ce drame. Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour la fantaisie qui lui a pris de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte presque moresque à sa cathédrale gothique.
En attendant, ce qu’il a fait est bien peu de chose, il le sait. Puissent le temps et la force ne pas lui manquer pour achever son œuvre. Elle ne vaudra qu’autant qu’elle sera terminée. Il n’est pas de ces poëtes privilégiés qui peuvent mourir ou s’interrompre avant d’avoir fini, sans péril pour leur mémoire ; il n’est pas de ceux qui restent grands, même sans avoir complété leur ouvrage, heureux hommes dont on peut dire ce que Virgile disait de Carthage ébauchée :
Pendent opera interupta, minæque
Murorum ingentes !
HERNANI
HERNANI.
DON CARLOS.
DON RUY GOMEZ DE SILVA.
DOÑA SOL DE SILVA.
LE DUC DE BAVIÈRE.
LE DUC DE GOTHA.
LE DUC DE LUTZELBOURG.
DON SANCHO.
DON MATIAS.
DON RICARDO.
DON GARCI SUAREZ.
DON FRANCISCO.
DON JUAN DE HARO.
DON GIL TELLEZ GIRON.
Premier Conjuré.
Un Montagnard.
IAQUEZ.
DOÑA JOSEFA DUARTE.
Une Dame.
ACTE PREMIER
LE ROI
Scène Première
Serait-ce déjà lui.
Dérobé.
Vite, ouvrons.
Bonjour, beau cavalier.
Quoi ! Seigneur Hernani, ce n’est pas vous ! — Main-forte !
Au feu !
Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte !
Suis-je chez doña Sol ? fiancée au vieux duc
De Pastraña, son oncle, un bon seigneur, caduc,
Vénérable et jaloux ? dites ! La belle adore
Un cavalier sans barbe et sans moustache encore,
Et reçoit tous les soirs, malgré les envieux,
Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux.
Suis-je bien informé ?
Elle se tait. Il la secoue par le bras.
Vous répondrez peut-être.
Vous m’avez défendu de dire deux mots, maître.
Aussi n’en veux-je qu’un. — Oui, — non. — Ta dame est bien
Doña Sol De Silva ? Parle.
Oui. — Pourquoi ?
Le duc, son vieux futur, est absent à cette heure ?
Oui.
Sans doute elle attend son jeune ?
Oui.
Que je meure !
Oui.
Duègne, c’est ici qu’aura lieu l’entretien ?
Oui.
Cache-moi céans.
Vous !
Moi.
Pourquoi ?
Pour rien.
Moi, vous cacher !
Ici.
Jamais.
Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.
Vous êtes donc le diable ?
Oui, duègne.
Entrez ici.
Cette boîte ?
Va-t’en, si tu n’en veux pas.
Le manche du balai qui te sert de monture ?
Un homme ici !
Qu’attendait ta maîtresse ?
De doña Sol. — Seigneur, fermez vite la porte.
Si vous dites un mot, duègne, vous êtes morte.
Qu’est cet homme ? Jésus mon Dieu ! si j’appelais ?…
Qui ? Hors madame et moi, tout dort dans le palais.
Bah ! l’autre va venir. La chose le regarde.
Il a sa bonne épée, et que le ciel nous garde
De l’enfer !
Pesant la bourse.
Après tout, ce n’est pas un voleur.
Scène II
puis HERNANI.
Josefa !
Madame ?
Hernani devrait être ici.
Ouvre avant qu’il ne frappe, et fais vite, et sois prompte.
Hernani !
Enfin ! et cette voix qui parle est votre voix !
Pourquoi le sort mit-il mes jours si loin des vôtres ?
J’ai tant besoin de vous pour oublier les autres !
Jésus ! Votre manteau ruisselle ! Il pleut donc bien ?
Je ne sais.
Vous devez avoir froid !
Ce n’est rien.
Ôtez donc ce manteau.
Dites-moi, quand la nuit vous êtes endormie,
Calme, innocente et pure, et qu’un sommeil joyeux
Entr’ouvre votre bouche et du doigt clôt vos yeux,
Un ange vous dit-il combien vous êtes douce
Au malheureux que tout abandonne et repousse ?
Vous avez bien tardé, seigneur ! Mais dites-moi
Si vous avez froid.
Ah ! quand l’amour jaloux bouillonne dans nos têtes,
Quand notre cœur se gonfle et s’emplit de tempêtes,
Qu’importe ce que peut un nuage des airs
Nous jeter en passant de tempête et d’éclairs !
Allons ! donnez la cape, — et l’épée avec elle.
Non. C’est une autre amie, innocente et fidèle.
— Doña Sol, le vieux duc, votre futur époux,
Votre oncle, est donc absent ?
Oui, cette heure est à nous.
Cette heure ! et voilà tout. Pour nous, plus rien qu’une heure
Après, qu’importe ? il faut qu’on oublie ou qu’on meure.
Ange ! une heure avec vous ! une heure, en vérité
À qui voudrait la vie, et puis l’éternité !
Hernani !
Comme un larron qui tremble et qui force une porte,
Vite, j’entre, et vous vois, et dérobe au vieillard
Une heure de vos chants et de votre regard ;
Et je suis bien heureux, et sans doute on m’envie
De lui voler une heure, et lui me prend ma vie !
Calmez-vous.
Josefa, fais sécher le manteau.
Venez là.
Donc le duc est absent du château ?
Comme vous êtes grand !
Il est absent.
Ne pensons plus au duc.
Ce vieillard ! Il vous aime, il va vous épouser !
Quoi donc ! Vous prit-il pas l’autre jour un baiser ?
N’y plus penser !
Un baiser d’oncle ! Au front ! Presque un baiser de père !
Non, un baiser d’amant, de mari, de jaloux.
Ah ! Vous serez à lui, madame ! Y pensez-vous ?
Ô l’insensé vieillard, qui, la tête inclinée,
Pour achever sa route et finir sa journée,
A besoin d’une femme, et va, spectre glacé,
Prendre une jeune fille ! ô vieillard insensé !
Pendant que d’une main il s’attache à la vôtre,
Ne voit-il pas la mort qui l’épouse de l’autre ?
Il vient dans nos amours se jeter sans frayeur !
Vieillard, va-t’en donner mesure au fossoyeur !
— Qui fait ce mariage ? On vous force, j’espère !
Le roi, dit-on, le veut.
Est mort sur l’échafaud, condamné par le sien.
Or, quoiqu’on ait vieilli depuis ce fait ancien,
Pour l’ombre du feu roi, pour son fils, pour sa veuve,
Pour tous les siens, ma haine est encor toute neuve !
Lui, mort, ne compte plus. Et tout enfant, je fis
Le serment de venger mon père sur son fils.
Je te cherchais partout, Carlos, roi des Castilles !
Car la haine est vivace entre nos deux familles.
Les pères ont lutté sans pitié, sans remords,
Trente ans ! Or, c’est en vain que les pères sont morts !
Leur haine vit. Pour eux la paix n’est point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue.
Ah ! c’est donc toi qui veux cet exécrable hymen !
Tant mieux. Je te cherchais, tu viens dans mon chemin !
Vous m’effrayez.
Il faut que j’en arrive à m’effrayer moi-même !
Écoutez. L’homme auquel, jeune, on vous destina,
Ruy de Silva, votre oncle, est duc de Pastraña,
Riche-homme d’Aragon, comte et grand de Castille.
À défaut de jeunesse, il peut, ô jeune fille,
Vous apporter tant d’or, de bijoux, de joyaux,
Que votre front reluise entre des fronts royaux,
Et pour le rang, l’orgueil, la gloire et la richesse,
Mainte reine peut-être envîra sa duchesse !
Voilà donc ce qu’il est. Moi, je suis pauvre, et n’eus,
Tout enfant, que les bois où je fuyais pieds nus.
Peut-être aurais-je aussi quelque blason illustre
Qu’une rouille de sang à cette heure délustre ;
Peut-être ai-je des droits, dans l’ombre ensevelis,
Qu’un drap d’échafaud noir cache encor sous ses plis
Et qui, si mon attente un jour n’est pas trompée,
Pourront de ce fourreau sortir avec l’épée.
En attendant, je n’ai reçu du ciel jaloux
Que l’air, le jour et l’eau, la dot qu’il donne à tous.
Ou du duc ou de moi souffrez qu’on vous délivre,
Il faut choisir des deux, l’épouser, ou me suivre.
Je vous suivrai.
Proscrits dont le bourreau sait d’avance les noms,
Gens dont jamais le fer ni le cœur ne s’émousse,
Ayant tous quelque sang à venger qui les pousse ?
Vous viendrez commander ma bande, comme on dit ?
Car, vous ne savez pas, moi, je suis un bandit !
Quand tout me poursuivait dans toutes les Espagnes,
Seule, dans ses forêts, dans ses hautes montagnes,
Dans ses rocs où l’on n’est que de l’aigle aperçu,
La vieille Catalogne en mère m’a reçu.
Parmi ses montagnards, libres, pauvres et graves,
Je grandis, et demain, trois mille de ses braves,
Si ma voix dans leurs monts fait résonner ce cor,
Viendront… Vous frissonnez. Réfléchissez encor.
Me suivre dans les bois, dans les monts, sur les grèves,
Chez des hommes pareils aux démons de vos rêves,
Soupçonner tout, les yeux, les voix, les pas, le bruit,
Dormir sur l’herbe, boire au torrent, et la nuit
Entendre, en allaitant quelque enfant qui s’éveille,
Les balles des mousquets siffler à votre oreille.
Être errante avec moi, proscrite, et, s’il le faut,
Me suivre où je suivrai mon père, — à l’échafaud.
Je vous suivrai.
Le duc n’a pas de tache au vieux nom de son père.
Le duc peut tout. Le duc vous offre avec sa main
Trésors, titres, bonheur…
Hernani, n’allez pas sur mon audace étrange
Me blâmer. Êtes-vous mon démon ou mon ange ?
Je ne sais, mais je suis votre esclave. Écoutez.
Allez où vous voudrez, j’irai. Restez, partez,
Je suis à vous. Pourquoi fais-je ainsi ? je l’ignore.
J’ai besoin de vous voir, et de vous voir encore
Et de vous voir toujours. Quand le bruit de vos pas
S’efface, alors je crois que mon cœur ne bat pas,
Vous me manquez, je suis absente de moi-même ;
Mais dès qu’enfin ce pas que j’attends et que j’aime
Vient frapper mon oreille, alors il me souvient
Que je vis, et je sens mon âme qui revient !
Ange !
Sous ma fenêtre. Allez, je serai brave et forte.
Vous frapperez trois coups.
Maintenant ?
Monseigneur, qu’importe ? Je vous suis.
Non, puisque vous voulez me suivre, faible femme,
Il faut que vous sachiez quel nom, quel rang, quelle âme,
Quel destin est caché dans le pâtre Hernani.
Vous vouliez d’un brigand, voulez-vous d’un banni ?
Quand aurez-vous fini de conter votre histoire ?
Croyez-vous donc qu’on soit à l’aise en cette armoire ?
Quel est cet homme ?
Ô ciel ! Au secours !
Doña Sol ! Vous donnez l’éveil aux yeux jaloux.
Quand je suis près de vous, veuillez, quoi qu’il advienne,
Ne réclamer jamais d’autre aide que la mienne.
À don Carlos.
Que faisiez-vous là ?
Je ne chevauchais pas à travers la forêt.
Qui raille après l’affront s’expose à faire rire
Aussi son héritier.
Parlons franc. Vous aimez madame et ses yeux noirs,
Vous y venez mirer les vôtres tous les soirs,
C’est fort bien. J’aime aussi madame, et veux connaître
Qui j’ai vu tant de fois entrer par la fenêtre,
Tandis que je restais à la porte.
Je vous ferai sortir par où j’entre, seigneur.
Nous verrons. J’offre donc mon amour à madame.
Partageons. Voulez-vous ? J’ai vu dans sa belle âme
Tant d’amour, de bonté, de tendres sentiments,
Que madame, à coup sûr, en a pour deux amants.
Or, ce soir, voulant mettre à fin mon entreprise,
Pris, je pense, pour vous, j’entre ici par surprise,
Je me cache, j’écoute, à ne vous celer rien ;
Mais j’entendais très mal et j’étouffais très bien.
Et puis, je chiffonnais ma veste à la française.
Ma foi, je sors !
Et veut sortir.
Monsieur, c’est comme il vous plaira.
En garde !
Hernani ! ciel !
Calmez-vous, señora.
Dites-moi votre nom.
Hé ! dites-moi le vôtre !
Je le garde, secret et fatal, pour un autre
Qui doit un jour sentir, sous mon genou vainqueur,
Mon nom à son oreille, et ma dague à son cœur !
Alors, quel est le nom de l’autre ?
En garde ! Défends-toi !
Ciel ! on frappe à la porte !
Qui frappe ainsi ?
C’est le duc qui revient !
Malheureuse !
On se battait. Voilà de belles équipées !
Que faire ?
Doña Sol, ouvrez-moi !
N’ouvrez pas.
Saint Jacques monseigneur ! tirez-nous de ce pas !
Cachons-nous.
Dans l’armoire ?
Nous y tiendrons tous deux.
Grand merci, c’est trop large.
Fuyons par là.
Bonsoir. Pour moi, je reste ici.
Ah ! Tête et sang ! Monsieur, vous me paierez ceci !
À doña Sol.
Si je barricadais l’entrée ?
Ouvrez la porte.
Que dit-il ?
Ouvrez donc, vous dis-je !
Je suis morte !
Scène III
barbe et cheveux blancs ; en noir. Valets avec des flambeaux.
Des hommes chez ma nièce à cette heure de nuit !
Venez tous ! Cela vaut la lumière et le bruit.
À doña Sol.
Par saint Jean d’Avila, je crois que, sur mon âme,
Nous sommes trois chez vous ! C’est trop de deux, madame.
Aux deux jeunes gens.
Mes jeunes cavaliers, que faites-vous céans ? —
Quand nous avions le Cid et Bernard, ces géants
De l’Espagne et du monde allaient par les Castilles
Honorant les vieillards et protégeant les filles.
C’étaient des hommes forts et qui trouvaient moins lourds
Leur fer et leur acier, que vous votre velours.
Ces hommes-là portaient respect aux barbes grises,
Faisaient agenouiller leur amour aux églises,
Ne trahissaient personne, et donnaient pour raison
Qu’ils avaient à garder l’honneur de leur maison.
S’ils voulaient une femme, ils la prenaient sans tache,
En plein jour, devant tous, et l’épée, ou la hache,
Ou la lance à la main. — Et quant à ces félons
Qui le soir, et les yeux tournés vers leurs talons,
Ne fiant qu’à la nuit leurs manœuvres infâmes,
Par derrière aux maris vol l’honneur des femmes,
J’affirme que le Cid, cet aïeul de nous tous,
Les eût tenus pour vils et fait mettre à genoux,
Et qu’il eût, dégradant leur noblesse usurpée,
Souffleté leur blason du plat de son épée !
Voilà ce que feraient, j’y songe avec ennui,
Les hommes d’autrefois aux hommes d’aujourd’hui.
— Qu’êtes-vous venus faire ici ? C’est donc à dire
Que je ne suis qu’un vieux dont les jeunes vont rire ?
On va rire de moi, soldat de Zamora ?
Et quand je passerai, tête blanche, on rira ?
Ce n’est pas vous du moins qui rirez !
Duc…
Quoi ! vous avez l’épée, et la dague, et la lance,
La chasse, les festins, les meutes, les faucons,
Les chansons à chanter le soir sous les balcons,
Les plumes au chapeau, les casaques de soie,
Les bals, les carrousels, la jeunesse, la joie,
Enfants, l’ennui vous gagne ! À tout prix, au hasard,
Il vous faut un hochet. Vous prenez un vieillard.
Ah ! vous l’avez brisé, le hochet ! mais Dieu fasse
Qu’il vous puisse en éclats rejaillir à la face !
Suivez-moi !
Seigneur duc…
Messieurs, avons-nous fait cela pour rire ? Quoi !
Un trésor est chez moi. C’est l’honneur d’une fille,
D’une femme, l’honneur de toute une famille,
Cette fille, je l’aime, elle est ma nièce, et doit
Bientôt changer sa bague à l’anneau de mon doigt,
Je la crois chaste et pure, et sacrée à tout homme,
Or il faut que je sorte une heure, et moi qu’on nomme
Ruy Gomez De Silva, je ne puis l’essayer
Sans qu’un larron d’honneur se glisse à mon foyer !
Arrière ! lavez donc vos mains, hommes sans âmes,
Car, rien qu’en y touchant, vous nous tachez nos femmes.
Non. C’est bien. Poursuivez. Ai-je autre chose encor ?
Et vous pourrez demain vous vanter par la ville
Que jamais débauchés, dans leurs jeux insolents,
N’ont sur plus noble front souillé cheveux plus blancs !
Monseigneur…
Ma hache, mon poignard, ma dague de Tolède !
De cela qu’il s’agit. Il s’agit de la mort
De Maximilien, empereur d’Allemagne.
Raillez-vous ?… — Dieu ! le roi !
Le roi !
Le roi d’Espagne !
Oui, Carlos. — Seigneur duc, es-tu donc insensé ?
Mon aïeul l’empereur est mort. Je ne le sai
Que de ce soir. Je viens, tout en hâte, et moi-même,
Dire la chose à toi, féal sujet que j’aime,
Te demander conseil, incognito, la nuit,
Et l’affaire est bien simple, et voilà bien du bruit !
Mais pourquoi tarder tant à m’ouvrir cette porte ?
Belle raison ! tu viens avec toute une escorte !
Quand un secret d’état m’amène en ton palais,
Duc, est-ce pour l’aller dire à tous tes valets ?
Altesse, pardonnez ! l’apparence…
Je t’ai fait gouverneur du château de Figuère,
Mais qui dois-je à présent faire ton gouverneur ?
Pardonnez…
Donc l’empereur est mort.
Est mort ?
Duc, tu m’en vois pénétré de tristesse.
Qui lui succède ?
François Premier, de France, est un des concurrents.
Où vont se rassembler les électeurs d’empire ?
Ils ont choisi, je crois, Aix-La-Chapelle, ou Spire,
Ou Francfort.
N’a-t-il pensé jamais à l’empire ?
Toujours.
C’est à vous qu’il revient.
Je le sais.
Fut archiduc d’Autriche, et l’empire, j’espère,
Aura ceci présent, que c’était votre aïeul,
Celui qui vient de choir de la pourpre au linceul.
Et puis, on est bourgeois de Gand.
Je le vis, votre aïeul. Hélas ! seul je surnage
D’un siècle tout entier. Tout est mort à présent.
C’était un empereur magnifique et puissant.
Rome est pour moi.
Le pape veut ravoir la Sicile, que j’ai,
Un empereur ne peut posséder la Sicile,
Il me fait empereur ; alors, en fils docile.
Je lui rends Naple. Ayons l’aigle, et puis nous verrons
Si je lui laisserai rogner les ailerons.
Qu’avec joie il verrait, ce vétéran du trône,
Votre front déjà large aller à sa couronne !
Ah ! seigneur, avec vous nous le pleurerons bien,
Cet empereur très grand, très bon et très chrétien !
Le saint-père est adroit. — Qu’est-ce que la Sicile ?
C’est une île qui pend à mon royaume, une île,
Une pièce, un haillon, qui, tout déchiqueté,
Tient à peine à l’Espagne et qui traîne à côté.
— Que ferez-vous, mon fils, de cette île bossue
Au monde impérial au bout d’un fil cousue ?
Votre empire est mal fait ; vite, venez ici,
Des ciseaux ! et coupons ! — Très saint-père, merci !
Car de ces pièces-là, si j’ai bonne fortune,
Je compte au saint-empire en recoudre plus d’une,
Et, si quelques lambeaux m’en étaient arrachés,
Rapiécer mes états d’îles et de duchés !
Consolez-vous ! il est un empire des justes
Où l’on revoit les morts plus saints et plus augustes !
Ce roi François Premier, c’est un ambitieux !
Le vieil empereur mort, vite il fait les doux yeux
À l’empire ! A-t-il pas sa France très chrétienne ?
Ah ! la part est pourtant belle, et vaut qu’on s’y tienne !
L’empereur mon aïeul disait au roi Louis :
— Si j’étais Dieu le père, et si j’avais deux fils,
Je ferais l’aîné dieu, le second roi de France. —
Au duc.
Crois-tu que François puisse avoir quelque espérance ?
C’est un victorieux.
La bulle d’or défend d’élire un étranger.
À ce compte, seigneur, vous êtes roi d’Espagne ?
Je suis bourgeois de Gand.
A fait monter bien haut le roi François premier.
L’aigle qui va peut-être éclore à mon cimier
Peut aussi déployer ses ailes.
Sait-elle le latin ?
Mal.
D’Allemagne aime fort qu’on lui parle latin.
Ils se contenteront d’un espagnol hautain ;
Car il importe peu, croyez-en le roi Charles,
Quand la voix parle haut, quelle langue elle parle.
— Je vais en Flandre. Il faut que ton roi, cher Silva,
Te revienne empereur. Le roi de France va
Tout remuer. Je veux le gagner de vitesse.
Je partirai sous peu.
Sans purger l’Aragon de ces nouveaux bandits
Qui partout dans nos monts lèvent leurs fronts hardis ?
J’ordonne au duc d’Arcos d’exterminer la bande.
Donnez-vous aussi l’ordre au chef qui la commande
De se laisser faire ?
Eh ! quel est ce chef ? son nom ?
Je l’ignore. On le dit un rude compagnon.
Bah ! je sais que pour l’heure il se cache en Galice,
Et j’en aurai raison avec quelque milice.
De faux avis alors le disaient près d’ici.
Faux avis ! — Cette nuit tu me loges.
Altesse !
Demain, sous ma fenêtre, à minuit, et sans faute.
Vous frapperez des mains trois fois.
Demain.
Mon bon poignard !
Monsieur. Vous me seriez suspect pour cent raisons.
Mais le roi don Carlos répugne aux trahisons.
Allez. Je daigne encor protéger votre fuite.
Qu’est-ce seigneur ?
Il part. C’est quelqu’un de ma suite.
Scène IV
Oui, de ta suite, ô roi ! de ta suite ! — J’en suis !
Nuit et jour, en effet, pas à pas, je te suis.
Un poignard à la main, l’œil fixé sur ta trace
Je vais. Ma race en moi poursuit en toi ta race.
Et puis, te voilà donc mon rival ! Un instant
Entre aimer et haïr je suis resté flottant,
Mon cœur pour elle et toi n’était point assez large,
J’oubliais en l’aimant ta haine qui me charge ;
Mais puisque tu le veux, puisque c’est toi qui viens
Me faire souvenir, c’est bon, je me souviens !
Mon amour fait pencher la balance incertaine
Et tombe tout entier du côté de ma haine.
Oui, je suis de ta suite, et c’est toi qui l’as dit !
Va, jamais courtisan de ton lever maudit,
Jamais seigneur baisant ton ombre, ou majordome
Ayant à te servir abjuré son cœur d’homme,
Jamais chiens de palais dressés à suivre un roi
Ne seront sur tes pas plus assidus que moi !
Ce qu’ils veulent de toi, tous ces grands de Castille,
C’est quelque titre creux, quelque hochet qui brille,
C’est quelque mouton d’or qu’on se va pendre au cou ;
Moi, pour vouloir si peu je ne suis pas si fou !
Ce que je veux de toi, ce n’est point faveurs vaines,
C’est l’âme de ton corps, c’est le sang de tes veines,
C’est tout ce qu’un poignard, furieux et vainqueur,
En y fouillant longtemps peut prendre au fond d’un cœur.
Va devant ! je te suis. Ma vengeance qui veille
Avec moi toujours marche et me parle à l’oreille.
Va ! je suis là, j’épie et j’écoute, et sans bruit
Mon pas cherche ton pas et le presse et le suit.
Le jour tu ne pourras, ô roi, tourner la tête
Sans me voir immobile et sombre dans ta fête ;
La nuit tu ne pourras tourner les yeux, ô roi,
Sans voir mes yeux ardents luire derrière toi !
ACTE DEUXIÈME
LE BANDIT
Un patio du palais de Silva. À gauche, les grands murs du palais, avec une fenêtre à balcon. Au-dessous de la fenêtre, une petite porte. À droite et au fond, des maisons et des rues. — Il est nuit. On voit briller çà et là, aux façades des édifices, quelques fenêtres encore éclairées.
Scène Première
Voilà bien le balcon, la porte… mon sang bout.
Où je n’en voudrais pas, hors à cette fenêtre
Où j’en voudrais !
Et vous l’avez laissé partir !
Comme tu dis.
Et peut-être c’était le major des bandits !
Qu’il en soit le major ou bien le capitaine,
Jamais roi couronné n’eut mine plus hautaine.
Son nom, seigneur ?
Hernani, peut-être ?
Oui.
C’est lui !
Le chef !
De ses propos vous reste-t-il mémoire ?
Hé ! je n’entendais rien dans leur maudite armoire !
Mais pourquoi le lâcher lorsque vous le tenez ?
Comte de Monterey, vous me questionnez !
J’en veux à sa maîtresse et non point à sa tête.
J’en suis amoureux fou ! Les yeux noirs les plus beaux,
Mes amis ! deux miroirs ! deux rayons ! deux flambeaux !
Je n’ai bien entendu de toute leur histoire
Que ces trois mots : — Demain, venez à la nuit noire !
Mais c’est l’essentiel. Est-ce pas excellent ?
Pendant que ce bandit, à mine de galant,
S’attarde à quelque meurtre, à creuser quelque tombe.
Je viens tout doucement dénicher sa colombe.
Altesse, il eût fallu, pour compléter le tour,
Dénicher la colombe en tuant le vautour.
Comte, un digne conseil ! vous avez la main prompte !
Sous quel titre plaît-il au roi que je sois comte ?
C’est méprise !
Le roi m’a nommé comte.
Bien.
À Ricardo.
J’ai laissé tomber ce titre… Ramassez.
Merci, seigneur !
Beau comte ! un comte de surprise !
Les deux seigneurs causent sur le devant.
Mais que fera le roi, la belle une fois prise ?
Il la fera comtesse, et puis dame d’honneur.
Puis, qu’il en ait un fils, il sera roi.
Allons donc ! un bâtard ! Comte, fût-on altesse,
On ne saurait tirer un roi d’une comtesse !
Il la fera marquise alors, mon cher marquis.
On garde les bâtards pour les pays conquis,
On les fait vice-rois. C’est à cela qu’ils servent.
Dirait-on pas des yeux jaloux qui nous observent ?…
Enfin, en voilà deux qui s’éteignent ! allons !
Messieurs, que les instants de l’attente sont longs !
Qui fera marcher l’heure avec plus de vitesse ?
C’est ce que nous disons souvent chez votre altesse.
Cependant que chez vous mon peuple le redit.
Quand t’allumeras-tu ? — Cette nuit est bien sombre.
Doña Sol, viens briller comme un astre dans l’ombre !
À don Ricardo
Est-il minuit ?
Minuit bientôt.
Pourtant ! À tout moment l’autre peut survenir.
On voit son ombre se dessiner sur les vitraux lumineux.
Mes amis ! un flambeau ! son ombre à la fenêtre !
Jamais jour ne me fut plus charmant à voir naître.
Hâtons-nous ! faisons-lui le signal qu’elle attend :
Il faut frapper des mains trois fois. Dans un instant,
Mes amis, vous allez la voir ! — Mais notre nombre
Va l’effrayer peut-être… Allez tous trois dans l’ombre
Là-bas, épier l’autre. Amis, partageons-nous
Les deux amans ; tenez, à moi la dame, à vous
Le brigand.
Grand merci !
Sortez vite, et poussez au drôle une estocade.
Pendant qu’il reprendra ses esprits sur le grès,
J’emporterai la belle, et nous rirons après.
N’allez pas cependant le tuer ! c’est un brave
Après tout, et la mort d’un homme est chose grave.
Scène II
Est-ce vous, Hernani ?
Diable ! ne parlons pas !
Je descends.
Hernani !
précipitamment vers elle.
Dieu ! ce n’est point son pas !
Doña Sol !
Ce n’est point sa voix ! Ah ! malheureuse !
Eh ! quelle voix veux-tu qui soit plus amoureuse ?
C’est toujours un amant, et c’est un amant roi !
Le roi !
Car celui dont tu veux briser la douce entrave,
C’est le roi ton seigneur, c’est Carlos ton esclave !
Au secours, Hernani !
Ce n’est pas ton bandit qui te tient, c’est le roi !
Non. Le bandit, c’est vous ! N’avez-vous pas de honte ?
Ah ! pour vous à la face une rougeur me monte.
Sont-ce là les exploits dont le roi fera bruit ?
Venir ravir de force une femme la nuit !
Que mon bandit vaut mieux cent fois ! Roi, je proclame
Que si l’homme naissait où le place son âme,
Si Dieu faisait le rang à la hauteur du cœur,
Certe, il serait le roi, prince, et vous le voleur !
Madame…
Oubliez-vous que mon père était comte ?
Je vous ferai duchesse.
Allez ! c’est une honte !
Il ne peut être rien entre nous, don Carlos.
Mon vieux père a pour vous versé son sang à flots.
Moi, je suis fille noble, et de ce sang jalouse.
Trop pour la favorite, et trop peu pour l’épouse !
Princesse ?
Portez votre amourette, ou je pourrais fort bien,
Si vous m’osez traiter d’une façon infâme,
Vous montrer que je suis dame, et que je suis femme !
Eh bien, partagez donc et mon trône et mon nom.
Venez, vous serez reine, impératrice !…
C’est un leurre. Et d’ailleurs, altesse, avec franchise,
S’agit-il pas de vous, s’il faut que je le dise,
J’aime mieux avec lui, mon Hernani, mon roi,
Vivre errante, en dehors du monde et de la loi,
Ayant faim, ayant soif, fuyant toute l’année,
Partageant jour à jour sa pauvre destinée,
Abandon, guerre, exil, deuil, misère et terreur,
Que d’être impératrice avec un empereur !
Que cet homme est heureux !
Quoi ! pauvre, proscrit même !
Qu’il fait bien d’être pauvre et proscrit, puisqu’on l’aime !
Moi je suis seul ! Un ange accompagne ses pas !
— Donc vous me haïssez ?
Je ne vous aime pas.
Eh bien, que vous m’aimiez ou non, cela n’importe !
Vous viendrez, et ma main plus que la vôtre est forte.
Vous viendrez ! je vous veux ! Pardieu, nous verrons bien
Si je suis roi d’Espagne et des Indes pour rien !
Seigneur ! oh ! par pitié ! — Quoi ! Vous êtes altesse,
Vous êtes roi. Duchesse, ou marquise, ou comtesse,
Vous n’avez qu’à choisir. Les femmes de la cour
Ont toujours un amour tout prêt pour votre amour.
Mais mon proscrit, qu’a-t-il reçu du ciel avare ?
Ah ! vous avez Castille, Aragon et Navarre,
Et Murcie, et Léon, dix royaumes encor,
Et les Flamands, et l’Inde avec les mines d’or !
Vous avez un empire auquel nul roi ne touche,
Si vaste que jamais le soleil ne s’y couche !
Et quand vous avez tout, voudrez-vous, vous, le roi,
Me prendre, pauvre fille, à lui qui n’a que moi ?…
Viens ! Je n’écoute rien. Viens ! Si tu m’accompagnes,
Je te donne, choisis, quatre de mes Espagnes.
Dis, lesquelles veux-tu ? Choisis !
Je ne veux rien de vous, que ce poignard, seigneur !
Avancez maintenant ! faites un pas !
Je ne m’étonne plus si l’on aime un rebelle !
Pour un pas, je vous tue, et me tue…
Hernani !
Taisez-vous !
Un pas ! tout est fini.
Madame, à cet excès ma douceur est réduite !
J’ai là pour vous forcer trois hommes de ma suite…
Vous en oubliez un !
Scène III
Que volontiers je l’eusse été chercher plus loin !
Hernani, sauvez-moi de lui !
Mon amour !
Avoir laissé passer ce chef de bohémiens !
Appelant.
Monterey !
Et ne réclamez pas leur épée impuissante.
Pour trois qui vous viendraient, il m’en viendrait soixante.
Soixante dont un seul vous vaut tous quatre. Ainsi
Vidons entre nous deux notre querelle ici.
Quoi ! vous portiez la main sur cette noble fille !
C’était d’un imprudent, seigneur roi de Castille,
Et d’un lâche !
Pas de reproche !
Mais quand un roi m’insulte et pour surcroît me raille,
Ma colère va haut et me monte à sa taille,
Et, prenez garde, On craint, lorsqu’on me fait affront,
Plus qu’un cimier de roi la rougeur de mon front !
Vous êtes insensé si quelque espoir vous leurre.
Écoutez. Votre père a fait mourir le mien,
Je vous hais. Vous avez pris mon titre et mon bien,
Je vous hais. Nous aimons tous deux la même femme,
Je vous hais, je vous hais, — oui, je te hais dans l’âme.
C’est bien.
Je n’avais qu’un désir, qu’une ardeur, qu’un besoin,
Doña Sol ! — Plein d’amour, j’accourais… Sur mon âme !
Je vous trouve essayant contre elle un rapt infâme !
Quoi ! vous que j’oubliais, sur ma route placé !
Seigneur, je vous le dis, vous êtes insensé !
Don Carlos, te voilà pris dans ton propre piége,
Ni fuite ni secours ! je te tiens et t’assiége !
Seul, entouré partout d’ennemis acharnés,
Que vas-tu faire ?
Allons ! vous me questionnez !
Va, va ! Je ne veux pas qu’un bras obscur te frappe.
Il ne sied pas qu’ainsi ma vengeance m’échappe.
Tu ne seras touché par un autre que moi.
Défends-toi donc.
Frappez. Mais pas de duel.
Qu’hier encor ta dague a rencontré la mienne.
Je le pouvais hier. J’ignorais votre nom,
Vous ignoriez mon titre. Aujourd’hui, compagnon,
Vous savez qui je suis et je sais qui vous êtes.
Peut-être.
Pas de duel. Assassinez-moi : faites !
Crois-tu donc que pour nous il soit des noms sacrés ?
Çà, te défendras-tu ?
Hernani recule. Don Carlos fixe des yeux d’aigle sur lui.
Ah ! vous croyez, bandits, que vos brigades viles
Pourront impunément s’épandre dans les villes ?
Que teint de sangs, chargés de meurtres, malheureux !
Vous pourrez après tout faire les généreux,
Et que nous daignerons, nous, victimes trompées,
Anoblir vos poignards du choc de nos épées ?
Non, le crime vous tient. Partout vous le traînez.
Nous, des duels avec vous ! arrière ! assassinez.
Va-t’en donc !
Le roi se tourne à demi vers lui et le regarde avec hauteur.
Nous aurons des rencontres meilleures.
Va-t’en.
Je serai, moi le roi, dans le palais ducal.
Mon premier soin sera de mander le fiscal,
A-t-on fait mettre à prix votre tête ?
Oui.
Je vous tiens de ce jour sujet rebelle et traître,
Je vous en avertis. Partout je vous poursuis.
Je vous fais mettre au ban du royaume.
Déjà.
Bien !
C’est un port.
Je vous fais mettre au ban de l’empire.
J’ai le reste du monde où je te braverai.
Il est plus d’un asile où ta puissance tombe.
Et quand j’aurai le monde ?
Alors j’aurai la tombe.
Je saurai déjouer vos complots insolents.
La vengeance est boiteuse, elle vient à pas lents,
Mais elle vient.
Ce bandit !
Ne me rappelle pas, futur césar romain,
Que je t’ai là, chétif et petit dans ma main,
Et que si je serrais cette main trop loyale
J’écraserais dans l’œuf ton aigle impériale !
Faites.
Car dans nos rangs pour toi je crains quelque couteau.
Pars tranquille à présent. Ma vengeance altérée
Pour tout autre que moi fait ta tête sacrée.
Monsieur, vous qui venez de me parler ainsi,
Ne demandez un jour ni grâce ni merci !
Scène IV
Maintenant, fuyons vite.
D’être dans mon malheur toujours plus raffermie,
De n’y point renoncer, et de vouloir toujours
Jusqu’au fond, jusqu’au bout, accompagner mes jours.
C’est un noble dessein, digne d’un cœur fidèle !
Mais, tu le vois, mon dieu, pour tant accepter d’elle,
Pour emporter joyeux dans mon antre avec moi
Ce trésor de beauté qui rend jaloux un roi,
Pour que ma doña Sol me suive et m’appartienne,
Pour lui prendre sa vie et la joindre à la mienne,
Pour l’entraîner sans honte encore et sans regrets,
Il n’est plus temps ; je vois l’échafaud de trop près.
Que dites-vous ?
Va me punir d’avoir osé lui faire grâce.
Il fuit ; déjà peut-être il est dans son palais.
Il appelle ses gens, ses gardes, ses valets,
Ses seigneurs, ses bourreaux…
Eh bien, hâtons-nous donc alors ! fuyons ensemble !
Ensemble ! non, non ; l’heure en est passée ! Hélas !
Doña Sol, à mes yeux quand tu te révélas,
Bonne, et daignant m’aimer d’un amour secourable,
J’ai bien pu vous offrir, moi, pauvre misérable,
Ma montagne, mon bois, mon torrent ; — ta pitié
M’enhardissait, — mon pain de proscrit, la moitié
Du lit vert et touffu que la forêt me donne ;
Mais t’offrir la moitié de l’échafaud ! pardonne,
Doña Sol ! l’échafaud, — c’est à moi seul !
Vous me l’aviez promis !
Où la mort vient peut-être, où s’approche dans l’ombre
Un sombre dénoûment pour un destin bien sombre,
Je le déclare ici, proscrit, traînant au flanc
Un souci profond, né dans un berceau sanglant,
Si noir que soit le deuil qui s’épand sur ma vie,
Je suis un homme heureux et je veux qu’on m’envie ;
Car vous m’avez aimé ! car vous me l’avez dit !
Car vous avez tout bas béni mon front maudit !
Hernani !
Qui me mit cette fleur au bord du précipice !
Et ce n’est pas pour vous que je parle en ce lieu,
Je parle pour le ciel qui m’écoute, et pour Dieu.
Souffre que je te suive.
Que d’arracher la fleur en tombant dans l’abîme.
Va, j’en ai respiré le parfum, c’est assez !
Renoue à d’autres jours tes jours par moi froissés.
épouse ce vieillard. C’est moi qui te délie ;
Je rentre dans ma nuit. Toi, sois heureuse, oublie !
Non, je te suis, je veux ma part de ton linceul !
Je m’attache à tes pas.
Oh ! Laisse-moi fuir seul.
Hernani ! tu me fuis. Ainsi donc, insensée,
Avoir donné sa vie et se voir repoussée,
Et n’avoir, après tant d’amour et tant d’ennui,
Pas même le bonheur de mourir près de lui.
Je suis banni ! je suis proscrit ! je suis funeste !
Ah ! vous êtes ingrat !
Tu le veux, me voici. Viens, oh ! viens dans mes bras !
Je reste, et resterai tant que tu le voudras.
Oublions-les : restons. —
Chante-moi quelque chant comme parfois le soir
Tu m’en chantais, avec des pleurs dans ton œil noir.
Soyons heureux ! buvons, car la coupe est remplie,
Car cette heure est à nous et le reste est folie.
Parle-moi, ravis-moi. N’est-ce pas qu’il est doux
D’aimer et de sentir qu’on vous aime à genoux ?
D’être deux ? d’être seuls ? et que c’est douce chose
De se parler d’amour la nuit quand tout repose ?
Oh ! laisse-moi dormir et rêver sur ton sein,
Doña Sol ! mon amour ! ma beauté !
Entends-tu ? le tocsin !
Qu’on sonne.
S’allume !
Nous aurons une noce aux flambeaux.
C’est la noce des morts ! La noce des tombeaux !
Rendormons-nous !
Débouchent dans la place en longues cavalcades !
Alerte, monseigneur !
Ah ! tu l’avais bien dit !
Au secours !
Me voici. C’est bien !
Mort au bandit !
Ton épée…
À doña Sol.
Adieu donc !
Où vas-tu ?
Dieu ! laisser mes amis ! que dis-tu ?
Me brisent.
Souviens-toi que si tu meurs, je meurs !
Un baiser !
Mon époux ! mon Hernani ! mon maître !
Hélas ! c’est le premier !
C’est le dernier peut-être.
ACTE TROISIÈME
LE VIEILLARD
Scène Première
Enfin ! c’est aujourd’hui ! dans une heure on sera
Ma duchesse ! plus d’oncle ! et l’on m’embrassera !
Mais m’as-tu pardonné ? J’avais tort, je l’avoue.
J’ai fait rougir ton front, j’ai fait pâlir ta joue :
J’ai soupçonné trop vite, et je n’aurais point dû
Te condamner ainsi sans avoir entendu.
Que l’apparence a tort ! Injustes que nous sommes !
Certes, ils étaient bien là, les deux beaux jeunes hommes !
C’est égal. Je devais n’en pas croire mes yeux.
Mais que veux-tu, ma pauvre enfant ? quand on est vieux !
Vous reparlez toujours de cela. Qui vous blâme ?
Moi ! J’eus tort. Je devais savoir qu’avec ton âme
On n’a point de galants lorsqu’on est doña Sol,
Et qu’on a dans le cœur de bon sang espagnol.
Certes, il est bon et pur, monseigneur, et peut-être
On le verra bientôt.
De soi-même, amoureux comme je suis de toi,
Et vieux. On est jaloux, on est méchant, pourquoi ?
Parce que l’on est vieux. Parce que beauté, grâce,
Jeunesse, dans autrui, tout fait peur, tout menace.
Parce qu’on est jaloux des autres, et honteux
De soi. Dérision ! que cet amour boiteux
Qui nous remet au cœur tant d’ivresse et de flamme,
Ait oublié le corps en rajeunissant l’âme !
— Quand passe un jeune pâtre, — oui, c’en est là ! — souvent,
Tandis que nous allons, lui chantant, moi rêvant,
Lui dans son pré vert, moi dans mes noires allées,
Souvent je dis tout bas : — Ô mes tours crénelées,
Mon vieux donjon ducal, que je vous donnerais,
Oh ! que je donnerais mes blés et mes forêts,
Et les vastes troupeaux qui tondent mes collines,
Mon vieux nom, mon vieux titre et toutes mes ruines,
Et tous mes vieux aïeux qui bientôt m’attendront,
Pour sa chaumière neuve, et pour son jeune front ! —
Car ses cheveux sont noirs ; car son œil reluit comme
Le tien, tu peux le voir et dire : Ce jeune homme !
Et puis, penser à moi qui suis vieux. Je le sais !
Pourtant j’ai nom Silva, mais ce n’est plus assez !
Oui, je me dis cela. Vois à quel point je t’aime !
Le tout, pour être jeune et beau comme toi-même !
Mais à quoi vais-je ici rêver ? Moi, jeune et beau !
Qui te dois de si loin devancer au tombeau !
Qui sait ?
N’ont pas d’amour si grand qu’il ne s’use en paroles.
Qu’une fille aime et croie un de ces jouvenceaux,
Elle en meurt, il en rit. Tous ces jeunes oiseaux,
À l’aile vive et peinte, au langoureux ramage,
Ont un amour qui mue ainsi que leur plumage.
Les vieux, dont l’âge éteint la voix et les couleurs,
Ont l’aile plus fidèle, et, moins beaux, sont meilleurs.
Nous aimons bien. Nos pas sont lourds ? nos yeux arides ?
Nos fronts ridés ? Au cœur on n’a jamais de rides.
Hélas ! quand un vieillard aime, il faut l’épargner.
Le cœur est toujours jeune et peut toujours saigner.
Oh ! mon amour n’est point comme un jouet de verre
Qui brille et tremble ; oh ! non, c’est un amour sévère,
Profond, solie, sûr, paternel, amical,
De bois de chêne, ainsi que mon fauteuil ducal !
Voilà comme je t’aime, et puis je t’aime encore
De cent autres façons, comme on aime l’aurore,
Comme on aime les fleurs, comme on aime les cieux !
De te voir tous les jours, toi, ton pas gracieux,
Ton front pur, le beau feu de ta douce prunelle,
Je ris, et j’ai dans l’âme une fête éternelle.
Hélas !
Lorsqu’un homme s’éteint, et, lambeau par lambeau,
S’en va, lorsqu’il trébuche au marbre de la tombe,
Qu’une femme, ange pur, innocente colombe,
Veille sur lui, l’abrite, et daigne encor souffrir.
L’inutile vieillard qui n’est bon qu’à mourir.
C’est une œuvre sacrée et qu’à bon droit on loue
Que ce suprême effort d’un cœur qui se dévoue,
Qui console un mourant jusqu’à la fin du jour,
Et, sans aimer peut-être, a des semblants d’amour !
Ah ! tu seras pour moi cet ange au cœur de femme
Qui du pauvre vieillard réjouit encor l’âme,
Et de ses derniers ans lui porte la moitié,
Fille par le respect et sœur par la pitié.
Loin de me précéder, vous pourrez bien me suivre,
Monseigneur. Ce n’est pas une raison pour vivre
Que d’être jeune. Hélas ! je vous le dis, souvent
Les vieillards sont tardifs, les jeunes vont devant,
Et leurs yeux brusquement referment leur paupière,
Comme un sépulcre ouvert dont retombe la pierre.
Oh ! les sombres discours ! Mais je vous gronderai,
Enfant ! un pareil jour est joyeux et sacré.
Comment, à ce propos, quand l’heure nous appelle,
N’êtes-vous pas encor prête pour la chapelle ?
Mais, vite ! habillez-vous. Je compte les instants.
La parure de noce !
Il sera toujours temps.
Non pas.
Que veut Iaquez ?
Un homme, un pèlerin, un mendiant, n’importe,
Est là qui vous demande asile.
Le bonheur entre avec l’étranger qu’on reçoit.
Qu’il vienne. — Du dehors a-t-on quelques nouvelles ?
Que dit-on de ce chef de bandits infidèles
Qui remplit nos forêts de sa rébellion ?
C’en est fait d’Hernani ; c’en est fait du lion
De la montagne.
Dieu !
Quoi ?
Le roi, dit-on, s’est mis lui-même à leur poursuite.
La tête d’Hernani vaut mille écus du roi
Pour l’instant ; mais on dit qu’il est mort.
Hernani ?
On peut se réjouir maintenant, chère belle !
Allez donc vous parer, mon amour, mon orgueil !
Aujourd’hui, double fête !
Oh ! Des habits de deuil.
Fais-lui vite porter l’écrin que je lui donne.
Et grâce à ses doux yeux, et grâce à mon écrin,
Belle à faire à genoux tomber un pèlerin.
À propos, et celui qui nous demande un gîte ?
Dis-lui d’entrer, fais-lui nos excuses, cours vite.
Le duc se lève et va à sa rencontre.
Scène II
Paix et bonheur à vous !
Mon hôte !
N’es-tu pas pèlerin ?
Oui.
Tu viens d’Armillas ?
On se battait par là.
N’est-ce pas ?
Je ne sais.
Que devient-il ? sais-tu ?
Seigneur, quel est cet homme ?
Tu ne le connais pas ? tant pis ! la grosse somme
Ne sera point pour toi. Vois-tu, ce Hernani,
C’est un rebelle au roi, trop longtemps impuni.
Si tu vas à Madrid, tu le pourras voir pendre.
Je n’y vais pas.
Sa tête est à qui veut la prendre.
Qu’on y vienne !
Où vas-tu, bon pèlerin ?
Je vais à Saragosse.
D’un saint ? de Notre-Dame ?
Oui, duc, de Notre-Dame.
Del Pilar ?
Del Pilar.
Pour ne point acquitter les vœux qu’on fait aux saints.
Mais, le tien accompli, n’as-tu d’autres desseins ?
Voir le pilier, c’est là tout ce que tu désires ?
Oui, je veux voir brûler les flambeaux et les cires,
Voir Notre-Dame au fond du sombre corridor,
Luire en sa châsse ardente, avec sa chape d’or,
Et puis m’en retourner.
Je suis Ruy De Silva.
Mon nom ?…
Si tu veux. Nul n’a droit de le savoir ici.
Viens-tu pas demander asile ?
Oui, duc.
Sois le bienvenu. Reste, ami, ne te fais faute
De rien. Quant à ton nom, tu te nommes mon hôte.
Qui que tu sois, c’est bien ! et, sans être inquiet,
J’accueillerais Satan, si Dieu me l’envoyait.
Scène III
Voici ma Notre-Dame à moi. L’avoir priée
Te portera bonheur.
Venez. — Quoi ! pas d’anneau ! pas de couronne encor !
Qui veut gagner ici mille carolus d’or ?
Je suis Hernani !
Ciel ! vivant !
Qu’on cherche.
Au duc.
Vous vouliez savoir si je me nomme
Perez ou Diego ? — Non ! je me nomme Hernani.
C’est un bien plus beau nom, c’est un nom de banni,
C’est un nom de proscrit ! Vous voyez cette tête ?
Elle vaut assez d’or pour payer votre fête !
Aux valets.
Je vous la donne à tous. Vous serez bien payés !
Prenez ! liez mes mains, liez mes pieds, liez !
Mais non, c’est inutile, une chaîne me lie
Que je ne romprai point.
Malheureuse !
Çà, mon hôte est un fou !
Votre hôte est un bandit.
Oh ! ne l’écoutez pas.
J’ai dit ce que j’ai dit.
Mille carolus d’or ! monsieur, la somme est forte,
Et je ne suis pas sûr de tous mes gens.
Tant mieux si dans le nombre il s’en trouve un qui veut.
Aux valets
Livrez-moi ! vendez-moi !
Vous prendre au mot.
Je vous dis que je suis le proscrit, le rebelle,
Hernani !
Taisez-vous !
Hernani !
Oh ! tais-toi !
On se marie ici ! Je veux en être, moi !
Mon épousée aussi m’attend.
Que la vôtre, seigneur, mais n’est pas moins fidèle.
C’est la mort !
Par pitié !
Hernani ! mille carolus d’or !
C’est le démon !
Riche alors, de valet tu redeviendras homme.
Frère, à toucher ta tête ils risqueraient la leur.
Fusses-tu Hernani, fusses-tu cent fois pire,
Pour ta vie au lieu d’or offrît-on un empire,
Mon hôte ! Je te dois protéger en ce lieu,
Même contre le roi, car je te tiens de Dieu.
S’il tombe un seul cheveu de ton front, que je meure !
À doña Sol.
Ma nièce, vous serez ma femme dans une heure ;
Rentrez chez vous. Je vais faire armer le château,
J’en vais fermer la porte.
Oh ! Pas même un couteau !
Scène IV
Je vous fais compliment ! Plus que je ne puis dire
La parure me charme et m’enchante, et j’admire !
Le collier est d’un beau travail, — le bracelet
Est rare, — mais cent fois, cent fois moins que la femme
Qui sous un front si pur cache ce cœur infâme !
Un peu de votre amour ? mais, vraiment, c’est pour rien !
Grand Dieu ! trahir ainsi ! n’avoir pas honte, et vivre !
Au lieu de l’or, verre et plomb, diamants déloyaux,
Faux saphirs, faux bijoux, faux brillants, faux joyaux !
Ah ! s’il en est ainsi, comme cette parure,
Ton cœur est faux, duchesse, et tu n’es que dorure !
Il n’oserait tromper, lui, qui touche au tombeau.
Rien n’y manque.
Couronne de duchesse, anneau d’or… — À merveille !
Grand merci de l’amour sûr, fidèle et profond !
Le précieux écrin !
— C’est le poignard, qu’avec l’aide de ma patronne
Je pris au roi Carlos, lorsqu’il m’offrit un trône
Et que je refusai, pour vous qui m’outragez !
Oh ! laisse qu’à genoux dans tes yeux affligés
J’efface tous ces pleurs amers et pleins de charmes,
Et tu prendras après tout mon sang pour tes larmes !
Hernani ! je vous aime et vous pardonne, et n’ai
Que de l’amour pour vous.
Et m’aime ! Qui pourra faire aussi que moi-même,
Après ce que j’ai dit, je me pardonne et m’aime ?
Oh ! je voudrais savoir, ange au ciel réservé,
Où vous avez marché, pour baiser le pavé !
Ami !
Dis-moi : Je t’aime ! Hélas ! rassure un cœur qui doute,
Dis-le moi ! car souvent avec ce peu de mots
La bouche d’une femme a guéri bien des maux.
Croire que mon amour eût si peu de mémoire !
Que jamais ils pourraient, tous ces hommes sans gloire,
Jusqu’à d’autres amours, plus nobles à leur gré,
Rapetisser un cœur où son nom est entré !
Hélas ! j’ai blasphémé ! Si j’étais à ta place,
Doña Sol, j’en aurais assez, je serais lasse
De ce fou furieux, de ce sombre insensé
Qui ne sait caresser qu’après qu’il a blessé.
Je lui dirais : Va-t-en ! — Repousse-moi, repousse !
Et je te bénirai, car tu fus bonne et douce,
Car tu m’as supporté trop longtemps, car je suis
Mauvais, je noircirais tes jours avec mes nuits,
Car c’en est trop enfin, ton âme est belle et haute
Et pure, et si je suis méchant, est-ce ta faute ?
Épouse le vieux duc ! il est bon, noble, il a
Par sa mère Olmedo, par son père Alcala.
Encore un coup, sois riche avec lui, sois heureuse !
Moi, sais-tu ce que peut cette main généreuse
T’offrir de magnifique ? une dot de douleurs.
Tu pourras y choisir ou du sang ou des pleurs.
L’exil, les fers, la mort, l’effroi qui m’environne,
C’est là ton collier d’or, c’est ta belle couronne,
Et jamais à l’épouse un époux plein d’orgueil
N’offrit plus riche écrin de misère et de deuil.
Épouse le vieillard, te dis-je ; il te mérite !
Eh ! qui jamais croira que ma tête proscrite
Aille avec ton front pur ? qui, nous voyant tous deux,
Toi calme et belle, moi violent, hasardeux,
Toi paisible et croissant comme une fleur à l’ombre,
Moi heurté dans l’orage à des écueils sans nombre,
Qui dira que nos sorts suivent la même loi ?
Non. Dieu qui fait tout bien ne te fit pas pour moi.
Je n’ai nul droit d’en haut sur toi, je me résigne.
J’ai ton cœur, c’est un vol ! je le rends au plus digne.
Jamais à nos amours le ciel n’a consenti.
Si j’ai dit que c’était ton destin, j’ai menti.
D’ailleurs, vengeance, amour, adieu ! mon jour s’achève.
Je m’en vais, inutile, avec mon double rêve,
Honteux de n’avoir pu ni punir ni charmer,
Qu’on m’ait fait pour haïr, moi qui n’ai su qu’aimer !
Pardonne-moi ! fuis-moi ! ce sont mes deux prières ;
Ne les rejette pas, car ce sont les dernières.
Tu vis et je suis mort. Je ne vois pas pourquoi
Tu te ferais murer dans ma tombe avec moi.
Ingrat !
— Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure ! —
J’ai pris vos meilleurs fils, pour mes droits, sans remords
Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts !
C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne.
Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne
Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu,
Et, si leurs yeux s’ouvraient, ils verraient le ciel bleu !
Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?
Doña Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi !
C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi !
Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,
Tout me quitte, il est temps qu’à la fin ton tour vienne,
Car je dois être seul. Fuis ma contagion.
Ne te fais pas d’aimer une religion !
Oh ! par pitié pour toi, fuis ! — Tu me crois peut-être
Un homme comme sont tous les autres, un être
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi. Je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.
Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme et profond,
Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond !
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal,
Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !
Grand Dieu !
Que le mien. Mon bonheur ! voilà le seul prodige
Qui lui soit impossible. Et toi, c’est le bonheur !
Tu n’es donc pas pour moi, cherche un autre seigneur,
Va, si jamais le ciel à mon sort qu’il renie
Souriait… n’y crois pas ! ce serait ironie !
Épouse le duc !
Vous aviez déchiré mon cœur, vous le brisez !
Ah ! vous ne m’aimez plus !
C’est toi ! l’ardent foyer d’où me vient toute flamme,
C’est toi ! Ne m’en veux pas de fuir, être adoré !
Je ne vous en veux pas. Seulement j’en mourrai.
Mourir ! pour qui ? pour moi ? Se peut-il que tu meures
Pour si peu ?
Voilà tout.
Et c’est encor ma faute ! et qui me punira ?
Car tu pardonneras encor ! Qui te dira
Ce que je souffre au moins lorsqu’une larme noie
La flamme de tes yeux dont l’éclair est ma joie !
Oh ! mes amis sont morts ! Oh ! je suis insensé !
Pardonne. Je voudrais aimer, je ne le sai.
Hélas ! j’aime pourtant d’une amour bien profonde ! —
Ne pleure pas ! mourons plutôt ! — Que n’ai-je un monde ?
Je te le donnerais ! Je suis bien malheureux !
Vous êtes mon lion superbe et généreux !
Je vous aime.
Si l’on pouvait mourir de trop aimer !
Monseigneur ! je vous aime, et je suis toute à vous.
Oh ! qu’un coup de poignard de toi me serait doux !
Ah ! ne craignez-vous pas que Dieu ne vous punisse
De parler de la sorte ?
Tu le veux. Qu’il en soit ainsi ! — J’ai résisté.
Scène V
Voilà donc le paîment de l’hospitalité !
Dieu ! le duc !
Tous deux se détournent comme réveillés en sursaut.
— Bon seigneur, va-t’en voir si ta muraille est haute,
Si la porte est bien close et l’archer dans sa tour,
De ton château pour nous fais et refais le tour,
Cherche en ton arsenal une armure à ta taille,
Ressaie à soixante ans ton harnais de bataille !
Voici la loyauté dont nous paîrons ta foi !
Tu fais cela pour nous, et nous ceci pour toi !
Saints du ciel ! j’ai vécu plus de soixante années,
J’ai vu bien des bandits aux âmes effrénées,
J’ai souvent, en tirant ma dague du fourreau
Fait lever sur mes pas des gibiers de bourreau,
J’ai vu des assassins, des monnayeurs, des traîtres,
De faux valets à table empoisonnant leurs maîtres,
J’en ai vu qui mouraient sans croix et sans pater,
J’ai vu Sforce, j’ai vu Borgia, je vois Luther,
Mais je n’ai jamais vu perversité si haute
Qui n’eût craint le tonnerre en trahissant son hôte !
Ce n’est pas de mon temps. Si noire trahison
Pétrifie un vieillard au seuil de sa maison,
Et fait que le vieux maître, en attendant qu’il tombe,
A l’air d’une statue à mettre sur sa tombe.
Maures et castillans ! Quel est cet homme-ci ?
Il lève les yeux et les promène sur les portraits qui entourent la salle.
Ô vous, tous les Silva qui m’écoutez ici,
Pardon si devant vous, pardon si ma colère
Dit l’hospitalité mauvaise conseillère !
Duc…
Qui voyez ce qui vient du ciel et de l’enfer,
Dites-moi, messeigneurs, dites, quel est cet homme ?
Ce n’est pas Hernani, c’est Judas qu’on le nomme !
Oh ! tâchez de parler pour me dire son nom !
Seigneur duc…
Mais, mieux encor que moi, vous lisez dans son âme.
Oh ! ne l’écoutez pas ! C’est un fourbe ! Il prévoit
Que mon bras va sans doute ensanglanter mon toit,
Que peut-être mon cœur couve dans ses tempêtes
Quelque vengeance, sœur du festin des sept têtes,
Il vous dira qu’il est proscrit, il vous dira
Qu’on va dire Silva comme l’on dit Lara,
Et puis qu’il est mon hôte, et puis qu’il est votre hôte…
Mes aïeux, mes seigneurs, voyez, est-ce ma faute ?
Jugez entre nous deux !
Si jamais vers le ciel noble front s’éleva,
Si jamais cœur fut grand, si jamais âme haute,
C’est la vôtre, seigneur ! c’est la tienne, ô mon hôte !
Moi qui te parle ici, je suis coupable, et n’ai
Rien à dire, sinon que je suis bien damné.
Oui, j’ai voulu te prendre et t’enlever ta femme,
Oui, j’ai voulu souiller ton lit, oui, c’est infâme !
J’ai du sang. Tu feras très bien de le verser,
D’essuyer ton épée, et de n’y plus penser.
Seigneur, ce n’est pas lui ! Ne frappez que moi-même !
Taisez-vous, doña Sol. Car cette heure est suprême.
Cette heure m’appartient. Je n’ai plus qu’elle. Ainsi
Laissez-moi m’expliquer avec le duc ici.
Duc, crois aux derniers mots de ma bouche ; j’en jure,
Je suis coupable, mais sois tranquille, — elle est pure !
C’est là tout. Moi coupable, elle pure ; ta foi
Pour elle, un coup d’épée ou de poignard pour moi.
Voilà. — Puis fais jeter le cadavre à la porte
Et laver le plancher, si tu veux, il n’importe !
Ah ! moi seule ai tout fait. Car je l’aime.
Je l’aime, monseigneur !
Vous l’aimez !
À Hernani.
Tremble donc !
Qu’est ce bruit ?
Avec un gros d’archers et son héraut qui sonne.
Dieu ! le roi ! Dernier coup !
La porte est close, et veut qu’on ouvre.
Ouvrez au roi.
Il est perdu !
Monsieur, venez ici.
Est à toi, livre-la, seigneur. Je la tiens prête.
Je suis ton prisonnier.
Seigneur, pitié pour lui !
Son altesse le roi !
Scène VI
Mon cousin, que ta porte est si bien verrouillée ?
Par les saints ! je croyais ta dague plus rouillée !
Et je ne savais pas qu’elle eût hâte à ce point,
Quand nous te venons voir, de reluire à ton poing !
Avons-nous des turbans ? serait-ce qu’on me nomme
Boabdil ou Mahom, et non Carlos, répond !
Pour nous baisser la herse et nous lever le pont ?
Seigneur…
Prenez les clés ! saisissez-vous des portes !
Deux officiers sortent, plusieurs autres rangent les soldats en triple haie dans la salle, du roi à la grande porte. Don Carlos se tourne vers le duc.
Ah ! vous réveillez donc les rébellions mortes ?
Pardieu ! si vous prenez de ces airs avec moi,
Messieurs les ducs, le roi prendra des airs de roi,
Et j’irai par les monts, de mes mains aguerries,
Dans leurs nids crénelés, tuer les seigneuries !
Altesse, les Silva sont loyaux…
Réponds, duc, ou je fais raser tes onze tours !
De l’incendie éteint il reste une étincelle,
Des bandits morts il reste un chef. — Qui le recèle ?
C’est toi ! Ce Hernani, rebelle empoisonneur,
Ici, dans ton château, tu le caches !
C’est vrai.
Entends-tu, mon cousin ?
Vous serez satisfait.
Chercher mon prisonnier.
C’est l’aîné, c’est l’aïeul, l’ancêtre, le grand homme !
Don Silvius, qui fut trois fois consul de Rome.
On lui garde à Toro, près de Valladolid,
Une châsse dorée où brûlent mille cierges.
Il affranchit Léon du tribut des cent vierges.
S’exila pour avoir mal conseillé le roi.
Le roi, fuyait à pied, et sur sa plume blanche
Tous les coups s’acharnaient, il cria : Christoval !
Christoval prit la plume et donna son cheval.
Roi d’Aragon.
Continuez.
Grand-maître de Saint-Jacque et de Calatrava.
Son armure géante irait mal à nos tailles.
Il prit trois cents drapeaux, gagna trente batailles,
Conquit au roi Motril, Antequera, Suez,
Nijar, et mourut pauvre. — Altesse, saluez.
Près de lui, Gil son fils, cher aux âmes loyales.
Toute noble maison tient à Silva, seigneur.
Sandoval tour à tour nous craint ou nous épouse.
Manrique nous envie et Lara nous jalouse.
Alencastre nous hait. Nous touchons à la fois
Du pied à tous les ducs, du front à tous les rois !
Vous raillez-vous ?
Don Jayme, dit le Fort. Un jour, sur son passage,
Il arrêta Zamet et cent maures tout seul.
— J’en passe, et des meilleurs. —
Il vécut soixante ans, gardant la foi jurée,
Même aux juifs.
À l’avant-dernier.
Ce vieillard, cette tête sacrée,
C’est mon père. Il fut grand, quoiqu’il vînt le dernier.
Les maures de Grenade avaient fait prisonnier
Le comte Alvar Giron son ami. Mais mon père
Prit pour l’aller chercher six cents hommes de guerre,
Il fit tailler en pierre un comte Alvar Giron,
Qu’à sa suite il traîna, jurant par son patron
De ne point reculer que le comte de pierre
Ne tournât front lui-même et n’allât en arrière.
Il combattit, puis vint au comte, et le sauva.
Mon prisonnier !
Voilà donc ce qu’on dit, quand dans cette demeure
On voit tous ces héros…
Mon prisonnier sur l’heure !
Ce portrait, c’est le mien. — Roi don Carlos, merci !
Car vous voulez qu’on dise en le voyant ici :
« Ce dernier, digne fils d’une race si haute,
Fut un traître, et vendit la tête de son hôte ! »
Duc, ton château me gêne et je le mettrai bas !
Car vous me la paîriez, altesse, n’est-ce pas ?
Duc, j’en ferai raser les tours pour tant d’audace,
Et je ferai semer du chanvre sur la place.
Mieux voir croître du chanvre où ma tour s’éleva
Qu’une tache ronger le vieux nom de Silva.
Aux portraits.
N’est-il pas vrai, vous tous ?
Et tu m’avais promis…
Aux portraits.
N’est-il pas vrai, vous tous ?
Montrant sa tête.
Je donne celle-ci.
Au roi.
Prenez-la.
La tête qu’il me faut est jeune, il faut que morte
On la prenne aux cheveux ? La tienne ! que m’importe ?
Le bourreau la prendrait par les cheveux en vain.
Tu n’en a pas assez pour lui remplir les mains.
Altesse, pas d’affront ! ma tête encore est belle,
Et vaut bien, que je crois, la tête d’un rebelle.
La tête d’un Silva, vous êtes dégoûté !
Livre-nous Hernani !
J’ai dit.
De cave, ni de tour…
Comme moi. Seul il sait le secret avec moi.
Nous le garderons bien tous deux.
Je suis le roi !
Hors que de mon château démoli pierre à pierre,
On ne fasse ma tombe, on n’aura rien.
Menace, tout est vain ! — Livre-moi le bandit,
Duc ! ou tête et château, j’abattrai tout.
J’ai dit.
Eh bien donc, au lieu d’une, alors j’aurai deux têtes.
Au duc d’Alcala.
Jorge, arrêtez le duc.
Un mauvais roi !
Grand dieu ! que vois-je ? doña Sol !
Altesse, tu n’as pas le cœur d’un espagnol !
Madame, pour le roi, vous êtes bien sévère.
C’est vous qui m’avez mis au cœur cette colère.
Un homme devient ange ou monstre en vous touchant.
Ah ! quand on est haï, que vite on est méchant !
Si vous aviez voulu, peut-être, ô jeune fille,
J’étais grand, j’eusse été le lion de Castille !
Vous m’en faites le tigre avec votre courroux.
Le voilà qui rugit, madame, taisez-vous !
Ton scrupule après tout peut sembler légitime.
Sois fidèle à ton hôte, infidèle à ton roi,
C’est bien, je te fais grâce et suis meilleur que toi.
— J’emmène seulement ta nièce comme otage.
Seulement !
Moi, Seigneur !
Oui, vous.
Ô la grande clémence ! ô généreux vainqueur,
Qui ménage la tête et torture le cœur !
Belle grâce !
Il me faut l’un des deux.
Ah ! vous êtes le maître !
Sauvez-moi, monseigneur !
La tête de mon oncle ou l’autre !… moi plutôt !
Au roi.
Je vous suis.
Il faudra bien enfin s’adoucir, mon infante !
Qu’emportez-vous là ?
Rien.
Un joyau précieux ?
Oui.
Voyons !
Vous verrez.
Doña Sol ! — Puisque l’homme ici n’a point d’entrailles,
À mon aide ! croulez, armures et murailles !
Alors, mon prisonnier !
Vous tous !
Oui.
Dieu !
Ta nièce !
Prends-la donc ! et laisse-moi l’honneur !
Adieu, duc !
Roi, pendant que tu sors joyeux de ma demeure,
Ma vieille loyauté sort de mon cœur qui pleure.
Scène VII
Sors.
Il s’agit maintenant de me rendre raison.
Choisis, et faisons vite. — Allons donc, ta main tremble !
Un duel ! Nous ne pouvons, vieillard, combattre ensemble.
Pourquoi donc ? As-tu peur ? N’es-tu point noble ? Enfer !
Noble ou non, pour croiser le fer avec le fer,
Tout homme qui m’outrage est assez gentilhomme !
Vieillard…
Viens me tuer ou viens mourir, jeune homme.
Mourir, oui. Vous m’avez sauvé malgré mes vœux.
Donc, ma vie est à vous. Reprenez-la.
Tu veux ?
Aux portraits.
Vous voyez qu’il le veut.
Oh ! c’est à toi, seigneur, que je fais la dernière.
Parle à l’autre Seigneur.
Frappe-moi. Tout m’est bon, dague, épée ou poignard.
Mais fais-moi, par pitié, cette suprême joie !
Duc ! Avant de mourir, permets que je la voie !
La voir !
Une dernière fois ! rien qu’une seule fois !
L’entendre !
Mais déjà par la mort ma jeunesse est saisie,
Pardonne-moi. Veux-tu, dis-moi, que, sans la voir,
S’il le faut, je l’entende ? et je mourrai ce soir.
L’entendre seulement ! contente mon envie !
Mais, oh ! qu’avec douceur j’exhalerais ma vie,
Si tu daignais vouloir qu’avant de fuir aux cieux
Mon âme allât revoir la sienne dans ses yeux !
— Je ne lui dirai rien. Tu seras là, mon père.
Tu me prendras après.
Est-il donc si profond, si sourd et si perdu,
Qu’il n’ait entendu rien ?
Je n’ai rien entendu.
Il a fallu livrer doña Sol ou toi-même.
À qui, livrée ?
Au roi.
Vieillard stupide ! il l’aime !
Il l’aime !
Il nous l’enlève ! il est notre rival !
Ô malédiction ! — Mes vassaux ! À cheval !
À cheval ! poursuivons le ravisseur !
La vengeance au pied sûr fait moins de bruit en route.
Je t’appartiens. Tu peux me tuer. Mais veux-tu
M’employer à venger ta nièce et sa vertu ?
Ma part dans ta vengeance ! oh ! fais-moi cette grâce,
Et, s’il faut embrasser tes pieds, je les embrasse !
Suivons le roi tous deux. Viens, je serai ton bras,
Je te vengerai, duc. Après, tu me tueras.
Alors, comme aujourd’hui, te laisseras-tu faire ?
Oui, duc.
Qu’en jures-tu ?
La tête de mon père.
Voudras-tu de toi-même un jour t’en souvenir ?
Écoute, prends ce cor. — Quoi qu’il puisse advenir,
Quand tu voudras, seigneur, quel que soit le lieu, l’heure,
S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure,
Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins.
Tout sera fait.
ACTE QUATRIÈME
LE TOMBEAU
Scène Première
C’est ici.
Que je vais dans ma main les tenir tous ensemble !
Ah ! monsieur l’électeur de Trèves, c’est ici !
Vous leur prêtez ce lieu ? Certe, il est bien choisi !
Un noir complot prospère à l’air des catacombes.
Il est bon d’aiguiser les stylets sur des tombes.
Pourtant, c’est jouer gros. La tête est de l’enjeu,
Messieurs les assassins ! et nous verrons. — Pardieu !
Ils font bien de choisir pour une telle affaire
Un sépulcre, — ils auront moins de chemin à faire.
À don Ricardo.
Ces caveaux sous le sol s’étendent-ils bien loin ?
Jusques au château fort.
C’est plus qu’il n’est besoin.
D’autres, de ce côté, vont jusqu’au monastère
D’Altenheim…
Bien. — Une fois encor, comte, redites-moi
Les noms et les griefs, où, comment, et pourquoi.
Gotha.
Il veut un allemand d’Allemagne à l’Empire.
Hohenbourg.
L’enfer avec François que le ciel avec moi.
Don Gil Tellez Giron.
Il se révolte donc contre son roi, l’infâme !
On dit qu’il vous trouva chez Madame Giron
Un soir que vous veniez de le faire baron.
Il veut venger l’honneur de sa tendre compagne.
C’est donc qu’il se révolte alors contre l’Espagne.
— Qui nomme-t-on encore ?
Le révérend Vasquez, évêque d’Avila.
Est-ce aussi pour venger la vertu de sa femme ?
Puis Guzman De Lara, mécontent, qui réclame
Le collier de votre ordre.
Si ce n’est qu’un collier qu’il lui faut, il l’aura.
Le duc de Lutzelbourg. Quant aux plans qu’on lui prête…
Le duc de Lutzelbourg est trop grand de la tête.
Juan de Haro, qui veut Astorga.
Ont toujours fait doubler la solde du bourreau.
C’est tout.
Cela ne fait que sept, et je n’ai pas mon compte.
Ah ! je ne nomme pas quelques bandits, gagés
Par Trève ou par la France…
Dont le poignard, toujours prêt à jouer son rôle,
Tourne aux plus gros écus, comme l’aiguille au pôle !
Pourtant j’ai distingué deux hardis compagnons,
Tous deux nouveaux venus. Un jeune, un vieux.
Le plus jeune a vingt ans.
C’est dommage.
Le vieux, soixante au moins.
Et l’autre ne l’a plus. Tant pis. J’en prendrai soin.
Le bourreau peut compter sur mon aide au besoin.
Ah ! loin que mon épée aux factions soit douce,
Je la lui prêterai si sa hache s’émousse,
Comte, et pour l’élargir, je coudrai, s’il le faut,
Ma pourpre impériale au drap de l’échafaud.
— Mais serai-je empereur seulement ?
À cette heure assemblé, délibère.
Ils nommeront François premier, ou leur Saxon,
Leur Frédéric le Sage ! — Ah ! Luther a raison,
Tout va mal ! — Beaux faiseurs de majestés sacrées !
N’acceptant pour raisons que les raisons dorées !
Un Saxon hérétique ! un comte palatin
Imbécile ! un primat de Trèves libertin !
— Quant au roi de Bohême, il est pour moi. — Des princes
De Hesse, plus petits encor que leurs provinces !
De jeunes idiots ! des vieillards débauchés !
Des couronnes, fort bien ! mais des têtes ? cherchez !
Des nains ! que je pourrais, concile ridicule,
Dans ma peau de lion emporter comme Hercule !
Et qui, démaillotés du manteau violet,
Auraient la tête encor de moins que Triboulet !
— Il me manque trois voix, Ricardo ! tout me manque !
Oh ! je donnerais Gand, Tolède et Salamanque,
Mon ami Ricardo, trois villes à leur choix,
Pour trois voix, s’ils voulaient ! Vois-tu pour ces trois voix
Oui, trois de mes cités de Castille ou de Flandre,
Je les donnerais ! — sauf, plus tard, à les reprendre !
Don Ricardo salue profondément le roi et met son chapeau sur sa tête.
— Vous vous couvrez ?
Ambitieux de rien ! — Engeance intéressée !
Comme à travers la nôtre ils suivent leur pensée !
Basse-cour où le roi, mendié sans pudeur,
À tous ces affamés émiette la grandeur !
Le reste, rois et ducs ! qu’est cela ?
Qu’ils prendront votre altesse.
J’ai du malheur en tout. — S’il fallait rester roi !
Bast ! empereur ou non, me voilà grand d’Espagne.
Sitôt qu’ils auront fait l’empereur d’Allemagne,
Quel signal à la ville annoncera son nom ?
Si c’est le duc de Saxe, un seul coup de canon.
Deux, si c’est le français. Trois, si c’est votre altesse.
Et cette doña Sol ! Tout m’irrite et me blesse !
Comte, si je suis fait empereur, par hasard,
Cours la chercher. Peut-être on voudra d’un césar !
Votre altesse est bien bonne !
Je n’ai point dit encor ce que je veux qu’on pense.
— Quand saura-t-on le nom de l’élu ?
Dans une heure au plus tard.
— Mais écrasons d’abord ce ramas qui conspire,
Et nous verrons après à qui sera l’empire.
— Ce Corneille Agrippa pourtant en sait bien long !
Dans l’océan céleste il a vu treize étoiles
Vers la mienne du nord venir à pleines voiles.
J’aurai l’empire, allons ! — Mais d’autre part on dit
Que l’abbé Jean Trithème à François l’a prédit.
— J’aurais dû, pour mieux voir ma fortune éclaircie,
Avec quelque armement aider la prophétie !
Toutes prédictions du sorcier le plus fin
Viennent bien mieux à terme et font meilleure fin
Quand une bonne armée, avec canons et piques,
Gens de pied, de cheval, fanfares et musiques,
Prête à montrer la route au sort qui veut broncher,
Leur sert de sage-femme et les fait accoucher.
Lequel vaut mieux, Corneille Agrippa ? Jean Trithème ?
Celui dont une armée explique le système,
Qui met un fer de lance au bout de ce qu’il dit,
Et compte maint soudard, lansquenet ou bandit,
Dont l’estoc, refaisant la fortune imparfaite,
Taille l’événement au plaisir du prophète.
— Pauvres fous ! qui, l’œil fier, le front haut, visent droit
À l’empire du monde et disent : J’ai mon droit.
Ils ont force canons, rangés en longues files,
Dont le souffle embrasé ferait fondre des villes,
Ils ont vaisseaux, soldats, chevaux, et vous croyez
Qu’ils vont marcher au but sur les peuples broyés…
Bast ! au grand carrefour de la fortune humaine,
Qui mieux encor qu’au trône à l’abîme nous mène,
À peine ils font trois pas, qu’indécis, incertains,
Tâchant en vain de lire au livre des destins,
Ils hésitent, peu sûrs d’eux-même, et dans le doute
Au nécromant du coin vont demander leur route !
À don Ricardo.
— Va-t’en. C’est l’heure où vont venir les conjurés.
Ah ! la clef du tombeau ?
Au comte de Limbourg, gardien capitulaire,
Qui me l’a confiée et fait tout pour vous plaire.
Fais tout ce que j’ai dit ! tout !
Altesse !
Il faut trois coups de canon, n’est-ce pas ?
Carlos, resté seul, tombe dans une profonde rêverie. Son bras se croisent, sa tête fléchit sur sa poitrine ; puis il se relève et se tourne vers le tombeau.
Scène II
Charlemagne, pardon ! ces voûtes solitaires
Ne devraient répéter que paroles austères.
Tu t’indignes sans doute à ce bourdonnement
Que nos ambitions font sur ton monument.
— Charlemagne est ici ! Comment, sépulcre sombre,
Peux-tu sans éclater contenir si grande ombre ?
Es-tu bien là, géant d’un monde créateur,
Et t’y peux-tu coucher de toute ta hauteur ?
— Ah ! c’est un beau spectacle à ravir la pensée,
Que l’Europe, ainsi faite, et comme il l’a laissée !
Un édifice, avec deux hommes au sommet,
Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet.
Presque tous les états, duchés, fiefs militaires,
Royaumes, marquisats, tous sont héréditaires,
Mais le peuple a parfois son pape ou son césar,
Tout marche, et le hasard corrige le hasard.
De là vient l’équilibre, et toujours l’ordre éclate.
Électeurs de drap d’or, cardinaux d’écarlate,
Double sénat sacré, dont la terre s’émeut,
Ne sont là qu’en parade, et Dieu veut ce qu’il veut.
Qu’une idée, au besoin des temps, un jour éclose,
Elle grandit, va, court, se mêle à toute chose,
Se fait homme, saisit les cœurs, creuse un sillon ;
Maint roi la foule aux pieds ou lui met un bâillon ;
Mais qu’elle entre un matin à la diète, au conclave,
Et tous les rois soudain verront l’idée esclave,
Sur leurs têtes de rois que ses pieds courberont,
Surgir, le globe en main, ou la tiare au front.
Le pape et l’empereur sont tout. Rien n’est sur terre
Que pour eux et par eux. Un suprême mystère
Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits,
Leur fait un grand festin des peuples et des rois,
Et les tient sous sa nue, où son tonnerre gronde,
Seuls, assis à la table où Dieu leur sert de monde.
Tête à tête ils sont là, réglant et retranchant,
Arrangeant l’univers comme un faucheur son champ.
Tout se passe entre eux deux. Les rois sont à la porte,
Respirant la vapeur des mets que l’on apporte,
Regardant à la vitre, attentifs, ennuyés,
Et se haussant, pour voir, sur la pointe des pieds.
Le monde au-dessous d’eux s’échelonne et se groupe.
Ils font et défont. L’un délie et l’autre coupe.
L’un est la vérité, l’autre est la force. Ils ont
Leur raison en eux-même, et sont parce qu’ils sont.
Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire,
L’un dans sa pourpre, et l’autre avec son blanc suaire,
L’univers ébloui contemple avec terreur
Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l’empereur !
— L’empereur ! l’empereur ! être empereur ! — Ô rage,
Ne pas l’être — et sentir son cœur plein de courage ! —
Qu’il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau !
Qu’il fut grand ! De son temps c’était encor plus beau.
Le pape et l’empereur ! ce n’était plus deux hommes.
Pierre et César ! en eux accouplant les deux Romes,
Fécondant l’une et l’autre en un mystique hymen,
Redonnant une forme, une âme au genre humain,
Faisant refondre en bloc peuples et pêle-mêle
Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle,
Et tous deux remettant au moule de leur main
Le bronze qui restait au vieux monde romain !
Oh ! quel destin ! — Pourtant cette tombe est la sienne !
Tout est-il donc si peu que ce soit là qu’on vienne ?
Quoi donc, avoir été prince, empereur et roi !
Avoir été l’épée, avoir été la loi !
Géant, pour piédestal avoir eu l’Allemagne !
Quoi ! pour titre césar et pour nom Charlemagne !
Avoir été plus grand qu’Annibal, qu’Attila,
Aussi grand que le monde !… et que tout tienne là !
Ah ! briguez donc l’empire, et voyez la poussière
Que fait un empereur ! Couvrez la terre entière
De bruit et de tumulte ; élevez, bâtissez
Votre empire, et jamais ne dites : C’est assez !
Taillez à larges pans un édifice immense !
Savez-vous ce qu’un jour il en reste ? ô démence !
Cette pierre ! Et du titre et du nom triomphants ?
Quelques lettres à faire épeler des enfants !
Si haut que soit le but où votre orgueil aspire,
Voilà le dernier terme !… — Oh ! l’empire ! l’empire !
Que m’importe ? j’y touche, et le trouve à mon gré.
Quelque chose me dit : Tu l’auras ! — Je l’aurai. —
Si je l’avais !… — Ô ciel ! être ce qui commence !
Seul, debout, au plus haut de la spirale immense !
D’une foule d’états l’un sur l’autre étagés
Être la clef de voûte, et voir sous soi rangés
Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales ;
Voir au-dessous des rois les maisons féodales,
Margraves, cardinaux, doges, ducs à fleurons ;
Puis, évêques, abbés, chefs de clans, hauts barons ;
Puis, clercs et soldats ; puis, loin du faîte où nous sommes,
Dans l’ombre, tout au fond de l’abîme, — les hommes.
— Les hommes ! c’est-à-dire une foule, une mer,
Un grand bruit, pleurs et cris, parfois un rire amer,
Plainte qui, réveillant la terre qui s’effare,
À travers tant d’écho nous arrive fanfare !
Les hommes ! — Des cités, des tours, un vaste essaim,
De hauts clochers d’église à sonner le tocsin ! —
La pyramide énorme appuyée aux deux pôles,
Flots vivants, qui toujours l’étreignant de leurs plis,
La balancent, branlante, à leur vaste roulis,
Font tout changer de place et, sur ses hautes zones,
Comme des escabeaux font chanceler les trônes,
Si bien que tous les rois, cessant leurs vains débats,
Lèvent les yeux au ciel… Rois ! regardez en bas !
— Ah ! le peuple ! — océan ! — onde sans cesse émue,
Où l’on ne jette rien sans que tout ne remue !
Vague qui broie un trône et qui berce un tombeau !
Miroir où rarement un roi se voit en beau !
Ah ! si l’on regardait parfois dans ce flot sombre,
On y verrait au fond des empires sans nombre,
Grands vaisseaux naufragés, que son flux et reflux
Roule, et qui le gênaient, et qu’il ne connaît plus !
— Gouverner tout cela ! — Monter, si l’on vous nomme,
À ce faîte ! Y monter, sachant qu’on n’est qu’un homme !
Avoir l’abîme là !… — Pourvu qu’en ce moment
Il n’aille pas me prendre un éblouissement !
Oh ! d’états et de rois mouvante pyramide,
Ton faîte est bien étroit ! Malheur au pied timide !
À qui me retiendrais-je ? Oh ! si j’allais faillir
En sentant sous mes pieds le monde tressaillir !
En sentant vivre, sourdre et palpiter la terre !
— Puis, quand j’aurai ce globe entre mes mains, qu’en faire ?
Le pourrai-je porter seulement ? Qu’ai-je en moi ?
Être empereur, mon Dieu ! j’avais trop d’être roi !
Certe, il n’est qu’un mortel de race peu commune
Dont puisse s’élargir l’âme avec la fortune.
Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ?
Qui me conseillera ?
Ah ! puisque Dieu, pour qui tout obstacle s’efface,
Prend nos deux majestés et les met face à face,
Verse-moi dans le cœur, du fond de ce tombeau,
Quelque chose de grand, de sublime et de beau !
Oh ! par tous ses côtés fais-moi voir toute chose.
Montre-moi que le monde est petit, car je n’ose
Y toucher. Montre-moi que sur cette Babel
Qui du pâtre à César va montant jusqu’au ciel,
Chacun en son degré se complaît et s’admire,
Voit l’autre par-dessous et se retient d’en rire.
Apprends-moi tes secrets de vaincre et de régner,
Et dis-moi qu’il vaut mieux punir que pardonner !
— N’est-ce pas ? — S’il est vrai qu’en son lit solitaire
Parfois une grande ombre au bruit que fait la terre
S’éveille, et que soudain son tombeau large et clair
S’entr’ouvre, et dans la nuit jette au monde un éclair.
Si cette chose est vraie, empereur d’Allemagne,
Oh ! dis-moi ce qu’on peut faire après Charlemagne !
Parle ! dût en parlant ton souffle souverain
Me briser sur le front cette porte d’airain !
Ou plutôt, laisse-moi seul dans ton sanctuaire
Entrer, laisse-moi voir ta face mortuaire,
Ne me repousse pas d’un souffle d’aquilons,
Sur ton chevet de pierre accoude-toi. Parlons.
Oui, dusses-tu me dire, avec ta voix fatale,
De ces choses qui font l’œil sombre et le front pâle !
Parle, et n’aveugle pas ton fils épouvanté,
Car ta tombe sans doute est pleine de clarté !
Ou, si tu ne dis rien, laisse en ta paix profonde
Carlos étudier ta tête comme un monde ;
Laisse qu’il te mesure à loisir, ô géant.
Car rien n’est ici-bas si grand que ton néant !
Que la cendre, à défaut de l’ombre, me conseille !
S’il était là, debout et marchant à pas lents !
Si j’allais ressortir avec des cheveux blancs !
Entrons toujours !
Hors moi, d’un pareil mort éveiller la demeure ?
Qui donc ?
Entrons !
Scène III
Ad augusta.
Per angusta.
Nous protègent.
Les morts nous servent.
Dieu nous garde.
Qui vive ?
Ad augusta.
Per angusta.
Il vient encor quelqu’un.
Qui vive ?
Ad augusta.
Per angusta.
Fais le rapport. — Amis, l’ombre attend la lumière.
Amis, Charles D’Espagne, étranger par sa mère,
Prétend au saint-empire.
Il aura le tombeau.
Qu’il en soit de son front comme de ce flambeau !
Que ce soit !
Mort à lui !
Qu’il meure !
Qu’on l’immole !
Son père est allemand.
Sa mère est espagnole.
Il n’est plus espagnol et n’est pas allemand.
Mort !
Le nommer empereur ?
Eux ! lui ! jamais !
Amis ! frappons la tête et la couronne est morte !
S’il a le saint empire, il devient, quel qu’il soit,
Très auguste, et Dieu seul peut le toucher du doigt.
Le plus sûr, c’est qu’avant d’être auguste il expire.
On ne l’élira point !
Il n’aura pas l’empire !
Combien faut-il de bras pour le mettre au linceul ?
Un seul.
Combien faut-il de coups au cœur ?
Un seul.
Qui frappera ?
Nous tous.
Ils font un empereur ; nous, faisons un grand-prêtre.
Tirons au sort.
Frappe comme un romain, meure comme un hébreu !
Il faut qu’il brave roue et tenailles mordantes,
Qu’il chante aux chevalets, rie aux lampes ardentes,
Enfin que pour tuer et mourir, résigné,
Il fasse tout !
Quel nom ?
Hernani.
— Je te tiens, toi que j’ai si longtemps poursuivie,
Vengeance !
Oh ! cède-moi ce coup !
Oh ! ne m’enviez pas ma fortune, seigneur !
C’est la première fois qu’il m’arrive bonheur.
Tu n’as rien. Eh bien, tout, fiefs, châteaux, vasselages,
Cent mille paysans dans mes trois cents villages,
Pour ce coup à frapper, je te les donne, ami !
Non !
Vieillard !
Aux rouilles du fourreau ne jugez point la lame.
À Hernani.
Tu m’appartiens !
Ma vie à vous ! la sienne à moi.
Eh bien, écoute, ami. Je te rends ce cor.
La vie ? — Eh, que m’importe ? Ah ! je tiens ma vengeance !
Avec Dieu dans ceci je suis d’intelligence.
J’ai mon père à venger… peut être plus encor !
— Elle, me la rends-tu ?
Jamais ! Je rends ce cor.
Non !
Réfléchis, enfant !
Duc ! laisse-moi ma proie.
Eh bien ! maudit sois-tu de m’ôter cette joie !
Frère ! avant qu’on ait pu l’élire, il serait bien
D’attendre dès ce soir Carlos…
Je sais comment on pousse un homme dans la tombe.
Que toute trahison sur le traître retombe,
Et Dieu soit avec vous ! — Nous, comtes et barons,
S’il périt sans tuer, continuons ! Jurons
De frapper tour à tour et sans nous y soustraire,
Carlos qui doit mourir.
Jurons !
Sur quoi, mon frère ?
Jurons sur cette croix !
Qu’il meure impénitent !
Scène IV
Messieurs, allez plus loin ! L’empereur vous entend.
Silence et nuit ! l’essaim en sort et s’y replonge.
Croyez-vous que ceci va passer comme un songe,
Et que je vous prendrai, n’ayant plus vos flambeaux,
Pour des hommes de pierre assis sur leurs tombeaux ?
Vous parliez tout à l’heure assez haut, mes statues !
Allons ! relevez donc vos têtes abattues,
Car voici Charles-Quint ! Frappez, faites un pas !
Voyons, oserez-vous ? — Non, vous n’oserez pas.
Vos torches flamboyaient sanglantes sous ces voûtes.
Mon souffle a donc suffi pour les éteindre toutes !
Mais voyez, et tournez vos yeux irrésolus,
Si j’en éteins beaucoup, j’en allume encor plus.
Accourez, mes faucons, j’ai le nid, j’ai la proie !
Aux conjurés.
J’illumine à mon tour. Le sépulcre flamboie,
Regardez !
Aux soldats.
Venez tous, car le crime est flagrant.
À la bonne heure ! Seul il me semblait trop grand.
C’est bien. J’ai cru d’abord que c’était Charlemagne,
Ce n’est que Charles-Quint.
Au marquis d’Almuñan.
Amiral de Castille, ici ! — Désarmez-les.
Majesté !
Je te fais alcade du palais.
Deux électeurs, au nom de la chambre dorée,
Viennent complimenter la majesté sacrée.
Qu’ils entrent.
Bas à Ricardo.
Doña Sol.
Majesté très sacrée, empereur ! dans vos mains
Le monde est maintenant, car vous avez l’empire.
Il est à vous, ce trône où tout monarque aspire !
Frédéric, duc de Saxe, y fut d’abord élu,
Mais, vous jugeant plus digne, il n’en a pas voulu.
Venez donc recevoir la couronne et le globe.
Le saint empire, ô roi, vous revêt de la robe,
Il vous arme du glaive, et vous êtes très grand.
J’irai remercier le collège en rentrant.
Allez, messieurs. Merci, mon frère de Bohême,
Mon cousin de Bavière. Allez. J’irai moi-même.
Charles, du nom d’amis nos aïeux se nommaient,
Mon père aimait ton père, et leurs pères s’aimaient.
Charles, si jeune en butte aux fortunes contraires,
Dis, veux-tu que je sois ton frère entre tes frères ?
Je t’ai vu tout enfant, et ne puis oublier…
Roi de Bohême ! eh bien, vous êtes familier !
Vivat !
Empereur ! au refus de Frédéric le Sage !
Des soldats ! l’empereur ! Ô ciel ! coup imprévu !
Hernani !
Doña Sol !
Elle ne m’a point vu !
Madame !…
J’ai toujours son poignard !
Mon amie !
Silence, tous !
Aux conjurés.
Votre âme est-elle raffermie ?
Il convient que je donne au monde une leçon.
Lara le castillan et Gotha le saxon,
Vous tous ! que venait-on faire ici ? parlez.
La chose est toute simple, et l’on peut vous la dire.
Nous gravions la sentence au mur de Balthazar.
Paix !
À don Ruy Gomez.
Vous traître, Silva !
Lequel de nous deux, sire ?
Nos têtes et l’empire ! il a ce qu’il désire.
À l’empereur.
Le manteau bleu des rois pouvait gêner vos pas.
Le pourpre vous va mieux. Le sang n’y paraît pas.
Mon cousin de Silva, c’est une félonie
À faire du blason rayer ta baronnie !
C’est haute trahison, don Ruy, songes-y bien.
Les rois Rodrigue font les comtes Julien.
Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte.
Le reste…
Il est sauvé !
À don Carlos.
Puisqu’il s’agit de hache ici, que Hernani,
Pâtre obscur, sous tes pieds passerait impuni,
Puisque son front n’est plus au niveau de ton glaive,
Puisqu’il faut être grand pour mourir, je me lève.
Dieu qui donne le sceptre et qui te le donna
M’a fait duc de Segorbe et duc de Cardona,
Marquis de Monroy, comte Albatera, vicomte
De Gor, seigneur de lieux dont j’ignore le compte.
Je suis Jean D’Aragon, grand-maître d’Avis, né
Dans l’exil, fils proscrit d’un père assassiné
Par sentence du tien, roi Carlos de Castille !
Le meurtre est entre nous affaire de famille.
Vous avez l’échafaud, nous avons le poignard.
Donc le ciel m’a fait duc, et l’exil montagnard.
Mais puisque j’ai sans fruit aiguisé mon épée
Sur les monts et dans l’eau des torrents retrempée,
Couvrons-nous, grands d’Espagne !
Ont le droit de tomber couvertes devant toi !
Aux prisonniers.
— Silva, Haro, Lara, gens de titre et de race,
Place à Jean d’Aragon ! ducs et comtes, ma place !
Aux courtisans et aux gardes.
Je suis Jean d’Aragon, roi, bourreaux et valets !
Et si vos échafauds sont petits, changez-les !
Ciel !
En effet, j’avais oublié cette histoire.
Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire.
L’affront que l’offenseur oublie en insensé,
Vit, et toujours remue au cœur de l’offensé.
Donc je suis, c’est un titre à n’en point vouloir d’autres,
Fils de pères qui font choir la tête des vôtres !
Sire, pardon ! pitié ! Sire, soyez clément !
Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant,
Mon époux ! En lui seul je respire. Oh ! je tremble.
Sire, ayez la pitié de nous tuer ensemble !
Majesté ! je me traîne à vos sacrés genoux !
Je l’aime ! Il est à moi comme l’empire à vous !
Oh ! grâce !
Don Carlos la regarde immobile.
Quel penser sinistre vous absorbe ?
Allons, relevez-vous, duchesse de Segorbe,
Comtesse Albatera, marquise de Monroy…
À Hernani.
— Tes autres noms, don Juan ?
Qui parle ainsi ? le roi ?
Non, l’empereur.
Grand Dieu !
Duc, voilà ton épouse.
Juste Dieu !
Je sais. Mais Aragon peut épouser Silva.
Ce n’est pas ma noblesse.
Oh ! ma haine s’en va !
Éclaterai-je ? oh ! non ! Fol amour ! douleur folle !
Tu leur ferais pitié, vieille tête espagnole !
Vieillard, brûle sans flamme, aime et souffre en secret,
Laisse ronger ton cœur. Pas un cri. L’on rirait.
Ô mon duc !
Je n’ai plus que de l’amour dans l’âme.
Ô bonheur !
Laisse régner l’esprit, que longtemps tu troublas.
Tes amours désormais, tes maîtresses, hélas !
C’est l’Allemagne, c’est la Flandre, c’est l’Espagne.
À la place du cœur il n’a qu’un écusson.
Ah ! vous êtes César !
Don Juan, ton cœur est digne.
Montrant doña Sol.
Il est digne aussi d’elle.
— À genoux, duc !
Par saint Étienne, duc, je te fais chevalier.
Celui que je n’ai pas, qui manque au rang suprême,
Les deux bras d’une femme aimée et qui vous aime !
Ah ! tu vas être heureux ; moi, je suis empereur.
Aux conjurés.
Je ne sais plus vos noms, messieurs. Haine et fureur,
Je veux tout oublier. Allez, je vous pardonne !
C’est la leçon qu’au monde il convient que je donne.
Ce n’est pas vainement qu’à Charles premier, roi,
L’empereur Charles-Quint succède, et qu’une loi
Change, aux yeux de l’Europe, orpheline éplorée,
L’altesse catholique en majesté sacrée.
Gloire à Carlos !
Moi seul je reste condamné.
Et moi !
Mais, comme lui, je n’ai point pardonné !
Qui donc nous change tous ainsi ?
Honneur à Charles-Quint !
Laissez-nous seuls tous deux.
Scène V
Il s’incline vers le tombeau.
Es-tu content de moi ?
Ai-je bien dépouillé les misères du roi,
Charlemagne ? Empereur, suis-je bien un autre homme ?
Puis-je accoupler mon casque à la mitre de Rome ?
Aux fortunes du monde ai-je droit de toucher ?
Ai-je un pied sûr et ferme, et qui puisse marcher
Dans ce sentier, semé des ruines vandales,
Que tu nous as battu de tes larges sandales ?
Ai-je bien à ta flamme allumé mon flambeau ?
Ai-je compris la voix qui parle en ton tombeau ?
— Ah ! j’étais seul, perdu, seul devant un empire,
Tout un monde qui hurle, et menace, et conspire,
Le danois à punir, le saint père à payer,
Venise, Soliman, Luther, François premier,
Mille poignards jaloux, luisant déjà dans l’ombre,
Des pièges, des écueils, des menaces sans nombre,
Vingt peuples dont un seul ferait peur à vingt rois,
Tout pressé, tout pressant, tout à faire à la fois,
Je t’ai crié : — Par où faut-il que je commence ?
Et tu m’as répondu : — Mon fils, par la clémence !
ACTE CINQUIÈME
LA NOCE
Scène Première
Ma foi, vive la joie et vive l’épousée !
Saragosse ce soir se met à la croisée.
Et fait bien ! on ne vit jamais noce aux flambeaux
Plus gaie, et nuit plus douce, et mariés plus beaux !
Bon empereur !
Nous allions avec lui tous deux cherchant fortune,
Qui nous eût dit qu’un jour tout finirait ainsi ?
J’en étais.
Aux autres.
Écoutez l’histoire que voici.
Trois galants, un bandit que l’échafaud réclame,
Puis un duc, puis un roi, d’un même cœur de femme
Font le siège à la fois. L’assaut donné, qui l’a ?
C’est le bandit.
L’amour et la fortune, ailleurs comme en Espagne,
Sont jeux de dés pipés. C’est le voleur qui gagne !
Moi, j’ai fait ma fortune à voir faire l’amour.
D’abord comte, puis grand, puis alcade de cour,
J’ai fort bien employé mon temps, sans qu’on s’en doute.
Le secret de monsieur, c’est d’être sur la route
Du roi…
Faisant valoir mes droits, mes actions.
Vous avez profité de ses distractions.
Que devient le vieux duc ? Fait-il clouer sa bière ?
Marquis, ne riez pas ! car c’est une âme fière.
Il aimait doña Sol, ce vieillard. Soixante ans
Ont fait ses cheveux gris, un jour les a faits blancs.
Il n’a pas reparu, dit-on, à Saragosse.
Vouliez-vous pas qu’il mît son cercueil de la noce ?
Et que fait l’empereur ?
Est triste. Le Luther lui donne de l’ennui.
Ce Luther, beau sujet de soucis et d’alarmes !
Que j’en finirais vite avec quatre gendarmes !
Le Soliman aussi lui fait ombre.
Soliman, Neptunus, le diable et Jupiter,
Que me font ces gens là ? Les femmes sont jolies,
La mascarade est rare, et j’ai dit cent folies !
Voilà l’essentiel.
Je ne suis plus le même un jour de fête, et croi
Qu’un masque que je mets me fait une autre tête,
En vérité !
Que n’est-ce alors tous les jours fête ?
Messeigneurs, n’est-ce pas la chambre des époux ?
Nous les verrons venir dans l’instant.
Croyez-vous ?
Hé ! sans doute !
Tant mieux. L’épousée est si belle !
Que l’empereur est bon ! Hernani, ce rebelle
Avoir la toison d’or ! marié ! pardonné !
Loin de là, s’il m’eût cru, l’empereur eût donné
Lit de pierre au galant, lit de plume à la dame.
Que je le crèverais volontiers de ma lame,
Faux seigneur de clinquant recousu de gros fil !
Pourpoint de comte, empli de conseils d’alguazil !
Que dites-vous là ?
À don Ricardo.
Il me chante un sonnet de Pétrarque à sa belle.
Avez-vous remarqué, messieurs, parmi les fleurs,
Les femmes, les habits de toutes les couleurs,
Ce spectre, qui, debout contre une balustrade,
De son domino noir tachait la mascarade ?
Oui, pardieu !
Qu’est-ce donc ?
C’est don Prancasio, général de la mer.
Non.
Il n’a pas quitté son masque.
C’est le duc de Soma qui veut qu’on le regarde.
Rien de plus.
Non. Le duc m’a parlé.
Que ce masque ? — Tenez, le voilà.
Marchent, voici leur pas.
Messeigneurs, dans ses yeux j’ai vu luire une flamme !
Si c’est le diable, il trouve à qui parler.
Nous viens-tu de l’enfer ?
Je n’en viens pas, j’y vais.
Tous le suivent des yeux avec une sorte d’effroi.
La voix est sépulcrale autant qu’on le peut dire.
Baste ! ce qui fait peur ailleurs, au bal fait rire.
Quelque mauvais plaisant !
Qui vient nous voir danser, en attendant l’enfer,
Dansons !
C’est à coup sûr quelque bouffonnerie.
Nous le saurons demain.
Que devient-il ?
Plus rien.
Rêvant.
C’est singulier.
Marquise, dansons-nous celle-ci ?
Vous savez, avec vous, que mon mari les compte.
Raison de plus. Cela l’amuse apparemment.
C’est son plaisir. Il compte, et nous dansons.
C’est singulier !
Voici les mariés. Silence !
Scène II
Chers amis !
Ton bonheur fait le nôtre, excellence !
Saint Jacques, monseigneur ! C’est Vénus qu’il conduit !
D’honneur, on est heureux un pareil jour la nuit !
Qu’il va se passer là de gracieuses choses !
Être fée, et tout voir, feux éteints, portes closes,
Serait-ce charmant ?
Il est tard. Partons-nous ?
Dieu vous garde !
Soyez heureux !
Scène III
Enfin !
Cher amour !
C’est… qu’il est tard, ce me semble.
Ange ! il est toujours tard pour être seuls ensemble.
Ce bruit me fatiguait. N’est-ce pas, cher seigneur,
Que toute cette joie étourdit le bonheur ?
Tu dis vrai. Le bonheur, amie, est chose grave.
Il veut des cœurs de bronze et lentement s’y grave.
Le plaisir l’effarouche en lui jetant des fleurs.
Son sourire est moins près du rire que des pleurs.
Dans vos yeux, ce sourire est le jour.
Oh ! je suis ton esclave ! Oui, demeure, demeure !
Fais ce que tu voudras. Je ne demande rien.
Tu sais ce que tu fais ! ce que tu fais est bien !
Je rirai si tu veux, je chanterai. Mon âme
Brûle. Eh ! dis au volcan qu’il étouffe sa flamme,
Le volcan fermera ses gouffres entr’ouverts,
Et n’aura sur ses flancs que fleurs et gazons verts.
Car le géant est pris, le Vésuve est esclave,
Et que t’importe à toi son cœur rongé de lave ?
Tu veux des fleurs ? c’est bien ! Il faut que de son mieux
Le volcan tout brûlé s’épanouisse aux yeux !
Oh ! que vous êtes bon pour une pauvre femme,
Hernani de mon cœur !
Ah ! ne me nomme plus de ce nom, par pitié !
Tu me fais souvenir que j’ai tout oublié !
Je sais qu’il existait autrefois, dans un rêve,
Un Hernani dont l’œil avait l’éclair du glaive,
Un homme de la nuit et des monts, un proscrit,
Sur qui le mot vengeance était partout écrit,
Un malheureux traînant après lui l’anathème !
Mais je ne connais pas ce Hernani. — Moi, j’aime
Les prés, les fleurs, les bois, le chant du rossignol.
Je suis Jean d’Aragon, mari de doña Sol !
Je suis heureux !
Je suis heureuse !
Les haillons qu’en entrant j’ai laissés à la porte ?
Voici que je reviens à mon palais en deuil.
Un ange du Seigneur m’attendait sur le seuil.
J’entre, et remets debout les colonnes brisées,
Je rallume les feux, je rouvre les croisées,
Je fais arracher l’herbe au pavé de la cour,
Je ne suis plus que joie, enchantement, amour.
Qu’on me rende mes tours, mes donjons, mes bastilles,
Mon panache, mon siège au conseil des Castilles,
Vienne ma doña Sol rouge et le front baissé,
Qu’on nous laisse tous deux, et le reste est passé !
Je n’ai rien vu, rien dit, rien fait. Je recommence,
J’efface tout, j’oublie ! Ou sagesse ou démence,
Je vous ai, je vous aime, et vous êtes mon bien !
Que sur ce velours noir ce collier d’or fait bien !
Vous vîtes avant moi le roi mis de la sorte.
Je n’ai pas remarqué. Tout autre, que m’importe ?
Puis, est-ce le velours ou le satin encor ?
Non, mon duc, c’est ton cou qui sied au collier d’or.
Vous êtes noble et fier, monseigneur.
Un moment ! — Vois-tu bien, c’est la joie ! et je pleure !
Viens voir la belle nuit.
Le temps de respirer et de voir seulement.
Tout s’est éteint, flambeaux et musique de fête.
Rien que la nuit et nous. Félicité parfaite !
Dis, ne le crois-tu pas ? sur nous, tout en dormant,
La nature à demi veille amoureusement.
Pas un nuage au ciel. Tout, comme nous, repose.
Viens, respire avec moi l’air embaumé de rose !
Regarde. Plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.
La lune tout à l’heure à l’horizon montait
Tandis que tu parlais, sa lumière qui tremble
Et ta voix, toutes deux m’allaient au cœur ensemble,
Je me sentais joyeuse et calme, ô mon amant,
Et j’aurais bien voulu mourir en ce moment !
Ah ! qui n’oublierait tout à cette voix céleste ?
Ta parole est un chant où rien d’humain ne reste.
Et, comme un voyageur, sur un fleuve emporté,
Qui glisse sur les eaux par un beau soir d’été
Et voit fuir sous ses yeux mille plaines fleuries,
Ma pensée entraînée erre en tes rêveries !
Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond.
Dis, ne voudrais-tu point voir une étoile au fond ?
Ou qu’une voix des nuits, tendre et délicieuse,
S’élevant tout à coup, chantât ?…
Tout à l’heure on fuyait la lumière et les chants !
Le bal ! mais un oiseau qui chanterait aux champs !
Un rossignol perdu dans l’ombre et dans la mousse,
Ou quelque flûte au loin !… Car la musique est douce,
Fait l’âme harmonieuse, et, comme un divin chœur,
Éveille mille voix qui chantent dans le cœur !
Ah ! Ce serait charmant !
Ah ! malheureuse !
Ton bon ange, sans doute !
Don Juan, je reconnais le son de votre cor !
N’est-ce pas ?
De moitié ?
De moitié, tu l’as dit.
Oh ! que j’aime bien mieux le cor au fond des bois !
Et puis, c’est votre cor, c’est comme votre voix.
Ah ! le tigre est en bas qui hurle, et veut sa proie !
Don Juan, cette harmonie emplit le cœur de joie.
Nommez-moi Hernani ! nommez-moi Hernani !
Avec ce nom fatal je n’en ai pas fini !
Qu’avez-vous ?
Le vieillard !
Qu’avez-vous ?
— Ne le voyez-vous pas ?
Qu’est-ce que ce vieillard ?
Le vieillard !
Je t’en supplie, oh ! dis, quel secret te déchire ?
Qu’as-tu ?
Je l’ai juré !
Juré ?
Il s’arrête tout à coup, et passe la main sur son front.
Épargnons-la.
Haut.
Moi, rien. De quoi t’ai-je parlé ?
Vous avez dit…
Je souffre un peu, vois-tu. N’en prends pas d’épouvante.
Te faut-il quelque chose ? ordonne à ta servante.
Il le veut ! il le veut ! Il a mon serment !
Ce devrait être fait ! — Ah !…
Tu souffres donc bien ?
Une blessure ancienne, et qui semblait fermée,
Se rouvre…
À part.
Éloignons-la.
Écoute. Ce coffret qu’en des jours — moins heureux —
Je portais avec moi…
Eh bien, qu’en veux-tu faire ?
Un flacon qu’il renferme
Contient un élixir qui pourra mettre un terme
Au mal que je ressens. — Va !
J’y vais, mon seigneur.
Scène IV
Voilà donc ce qu’il vient faire de mon bonheur !
Voici le doigt fatal qui luit sur la muraille !
Oh ! Que la destinée amèrement me raille !
Hé bien ?… — Mais tout se tait. Je n’entends rien venir.
Si je m’étais trompé ?…
Hernani s’arrête pétrifié.
Scène V
« Quand tu voudras, vieillard, quel que soit le lieu, l’heure,
« S’il te passe à l’esprit qu’il est temps que je meure,
« Viens, sonne de ce cor, et ne prends d’autres soins.
« Tout sera fait. » — Ce pacte eut les morts pour témoins.
Eh bien, tout est-il fait ?
C’est lui !
Je viens, et je te dis qu’il est temps. C’est mon heure.
Je te trouve en retard.
Que feras-tu de moi ? Parle.
Du fer ou du poison. Ce qu’il faut, je l’apporte.
Nous partirons tous deux.
Soit.
Prions-nous ?
Qu’importe ?
Que prends-tu ?
Le poison.
Oh ! s’il te reste un cœur, duc, ou du moins une âme,
Si tu n’es pas un spectre échappé de la flamme,
Un mort damné, fantôme ou démon désormais,
Si Dieu n’a point encor mis sur ton front : jamais !
Si tu sais ce que c’est que ce bonheur suprême
D’aimer, d’avoir vingt ans, d’épouser quand on aime,
Si jamais femme aimée a tremblé dans tes bras,
Attends jusqu’à demain ! Demain tu reviendras !
Simple qui parle ainsi ! Demain ! demain ! — Tu railles !
Ta cloche a ce matin sonné tes funérailles !
Et que ferais-je, moi, cette nuit ? J’en mourrais.
Et qui viendrait te prendre et t’emporter après ?
Seul descendre au tombeau ! Jeune homme, il faut me suivre !
Eh bien, non ! et de toi, démon, je me délivre !
Je n’obéirai pas.
Sur quoi donc m’as-tu fait ce serment ? — Ah, sur rien.
Peu de chose après tout ! La tête de ton père !
Cela peut s’oublier. La jeunesse est légère.
Mon père ! Mon père !… — Ah ! j’en perdrai la raison !
Non, ce n’est qu’un parjure et qu’une trahison.
Duc !
Se font jeu maintenant de fausser leurs paroles,
Adieu !
Ne t’en va pas.
Alors…
Scène VI.
Je n’ai pu le trouver, ce coffret.
Dans quel moment !
À ma voix ! — Que tiens-tu dans ta main ? quel soupçon !
Que tiens-tu dans ta main ? réponds.
Grand Dieu !
Vous me trompiez, don Juan !
J’ai promis de mourir au duc qui me sauva.
Aragon doit payer cette dette à Silva.
Vous n’êtes pas à lui, mais à moi. Que m’importe
Tous vos autres serments ?
À don Ruy Gomez.
Duc, l’amour me rend forte.
Contre vous, contre tous, duc, je le défendrai.
Défends-le, si tu peux, contre un serment juré.
Quel serment ?
J’ai juré.
Cela ne se peut pas ! Crime ! attentat ! folie !
Allons, duc !
Le duc a ma parole, et mon père est là-haut !
Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même
Arracher leurs petits qu’à moi celui que j’aime !
Savez-vous ce que c’est que doña Sol ? Longtemps,
Par pitié pour votre âge et pour vos soixante ans,
J’ai fait la fille douce, innocente et timide,
Mais voyez-vous cet œil de pleurs de rage humide ?
Craignez-vous pas le fer quand l’œil a menacé ?
Prenez garde, don Ruy ! — Je suis de la famille,
Mon oncle ! Écoutez-moi. Fussé-je votre fille,
Malheur si vous portez la main sur mon époux !
Grâce ! Hélas ! monseigneur, je ne suis qu’une femme,
Je suis faible, ma force avorte dans mon âme,
Je me brise aisément. Je tombe à vos genoux !
Ah ! je vous en supplie, ayez pitié de nous !
Doña Sol !
Notre douleur s’emporte à de vives paroles,
Vous le savez. Hélas ! vous n’étiez pas méchant !
Pitié ! vous me tuez, mon oncle, en le touchant !
Pitié ; je l’aime tant !
Vous l’aimez trop !
Tu pleures !
Non, non, je ne veux pas, mon amour, que tu meures !
Non, je ne le veux pas.
Je vous aimerai bien aussi, vous.
De ces restes d’amour, d’amitié, — moins encore,
Croyez-vous apaiser la soif qui me dévore ?
Montrant Hernani.
Il est seul ! il est tout ! Mais moi, belle pitié !
Qu’est-ce que je peux faire avec votre amitié ?
Ô rage ! il aurait, lui, le cœur, l’amour, le trône,
Et d’un regard de vous il me ferait l’aumône !
Et s’il fallait un mot à mes vœux insensés,
C’est lui qui vous dirait : — Dis cela, c’est assez ! —
En maudissant tout bas le mendiant avide
Auquel il faut jeter le fond du verre vide !
Honte ! dérision ! Non. Il faut en finir,
Bois !
Il a ma parole, et je dois la tenir.
Allons !
Oh ! pas encor ! Daignez tous deux m’entendre.
Le sépulcre est ouvert, et je ne puis attendre.
Un instant ! — Mon seigneur ! Mon don Juan ! — Ah ! tous deux,
Vous êtes bien cruels ! Qu’est-ce que je veux d’eux ?
Un instant ! voilà tout, tout ce que je réclame ! —
Enfin, on laisse dire à cette pauvre femme
Ce qu’elle a dans le cœur !… — Oh ! laissez-moi parler !
J’ai hâte.
Que vous ai-je donc fait ?
Ah ! son cri me déchire.
Vous voyez bien que j’ai mille choses à dire !
Il faut mourir.
Tout ce que tu voudras, tu le feras.
Puisque je n’ai céans affaire qu’à deux femmes,
Don Juan, il faut qu’ailleurs j’aille chercher des âmes.
Tu fais de beaux serments par le sang dont tu sors,
Et je vais à ton père en parler chez les morts !
— Adieu…
Veux-tu me voir faussaire, et félon, et parjure ?
Veux-tu que partout j’aille avec la trahison
Écrite sur le front ? Par pitié, ce poison.
Rends-le-moi ! Par l’amour, par notre âme immortelle !…
Tu veux ?
Elle boit.
Tiens, maintenant !
Ah ! c’était donc pour elle ?
Prends, te dis-je !
Vois-tu, misérable vieillard ?
Ne te plains pas de moi, je t’ai gardé ta part.
Dieu !
Toi ! Tu n’as pas le cœur d’une épouse chrétienne.
Tu ne sais pas aimer comme aime une Silva.
Mais j’ai bu la première et suis tranquille. — Va !
Bois si tu veux !
Hélas ! qu’as-tu fait, malheureuse ?
C’est toi qui l’as voulu.
C’est une mort affreuse !
Non. Pourquoi donc ?
Ce philtre au sépulcre conduit.
Devions-nous pas dormir ensemble cette nuit ?
Qu’importe dans quel lit ?
Mon père, tu te venges
Sur moi qui t’oubliais !
Ah ! jette loin de toi ce philtre ! — Ma raison
S’égare. Arrête ! Hélas ! mon don Juan, ce poison
Est vivant ! ce poison dans le cœur fait éclore
Une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore !
Oh ! je ne savais pas qu’on souffrît à ce point !
Qu’est-ce donc que cela ? c’est du feu ! Ne bois point !
Oh ! tu souffrirais trop !
Pouvais-tu pas choisir d’autre poison pour elle ?
Que fais-tu ?
Qu’as-tu fait ?
Dans mes bras.
Non.
Je suis bien pâle, dis, pour une fiancée ?
Ah !
La fatalité s’accomplit.
Ô tourment ! doña Sol souffrir, et moi le voir !
Calme-toi. Je suis mieux. — Vers des clartés nouvelles
Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes.
Partons d’un vol égal vers un monde meilleur.
Un baiser seulement, un baiser !
Ô douleur !
Oh ! béni soit le ciel qui m’a fait une vie
D’abîmes entourée et de spectres suivie,
Mais qui permet que, las d’un si rude chemin,
Je puisse m’endormir, ma bouche sur ta main !
Qu’ils sont heureux !
Souffres-tu ?
Rien, plus rien.
Vois-tu des feux dans l’ombre ?
Pas encor.
Voici…
Mort !
Il dort. C’est mon époux, vois-tu. Nous nous aimons.
Nous sommes couchés là. C’est notre nuit de noce.
D’une voix qui s’éteint.
Ne le réveillez pas, seigneur duc de Mendoce.
Il est las.
Plus près… plus près encor…
Morte ! — Oh ! je suis damné !
- ↑ Lettre aux éditeurs des poésies de M. Dovalle
- ↑ Ce jour, prédit par l’auteur, est venu. Nous donnons dans cette
édition Hernani tout entier, tel que le poëte l’avait écrit, avec les développements de passion, les détails de mœurs et les saillies de caractères que la représentation avait retranchés. Quant à la discussion critique que l’auteur indique, elle sortira d’elle-même, pour tous les lecteurs, de la comparaison qu’ils pourront faire entre l’Hernani tronqué du théâtre et l’Hernani de cette édition. Espérons tout des progrès que le public des théâtres fait chaque jour.
Mai 1836.(Note de l’éditeur.)