E. Fasquelle (p. 107-110).
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XXIII


Le chemin retrouvé, elle descendit presque en courant le flanc du ravin, passa le ruisseau sur les pierres plates, se trouva, de l’autre côté, à l’ombre, se laissa gagner par la fraîcheur de l’eau et l’apaisement de la lumière. Elle ne put y tenir, but l’eau limpide au creux de sa main, mangea un morceau de pain qu’elle avait dans sa poche, but encore à longs traits, puis s’assit sur une pierre, regarda passer le ruisseau.

Combien de temps resta-t-elle, à demi pensante, à demi endormie ? Elle n’aurait pu le dire. Elle avait la sensation qu’elle était abandonnée, seule au monde, repoussée de partout. Elle revoyait la vieille à profil d’aigle qui l’avait si durement éconduite. Elle frissonnait en songeant que tout à l’heure il lui faudrait retrouver François Jarry, qui, sans doute, l’interrogerait brutalement, et peut-être, la battrait. Elle ne trouverait pas de protection auprès de sa mère, de plus en plus abattue et triste, qui ne quittait plus sa chambre, ne savait plus rien de ce qui se passait dans la ferme. Oui, Hermine était bien seule.

Elle sentit à ce moment une caresse sur sa main, la caresse d’une gueule haletante et d’une langue de chien. Elle ouvrit les yeux et sourit à Pyrame, le gardien des troupeaux de son père, un vieux chien de berger, gris de poil, haut sur pattes, les flancs maigres, qui courait sans cesse autour de la maison, toujours inquiet de la brebis égarée, de l’agneau retardataire. Sa tâche du matin achevée, il était parti à la recherche d’Hermine, et il lui frottait maintenant les bras et les jambes de ses pattes rudes, pour lui dire de s’en venir avec lui, et il approchait du triste visage de femme sa bonne gueule compatissante et expressive, ses yeux jaunes comme de l’or.

Hermine, malgré l’état de navrement où elle se trouvait, répondit gentiment à l’être fraternel qui surgissait ainsi brusquement devant elle. Elle le caressa à son tour, lui gratta le front, lui prit la patte, lui parla doucement. Elle se leva. L’animal fit autour d’elle des bonds désordonnés et joyeux. Hermine lui dit de boire. Il se précipita, lappa l’eau comme s’il voulait dessécher le ruisseau, puis revint vers sa maîtresse qui lui donna sa dernière croûte de pain, et tous deux enfin partirent, refirent le chemin qu’Hermine avait fait seule à l’aube.

Pyrame courait devant, revenait, entourait Hermine de cercles, sautait, se multipliait, pour hâter le retour au bercail de la brebis perdue. L’innocente bête ne se doutait pas qu’elle ramenait cette brebis vers un maître aussi dur et inexorable qu’un boucher. Mais il en est toujours ainsi du chien et de la brebis, en marche vers l’abattoir, l’un qui encourage, l’autre qui accepte, tous deux ignorants du destin.