E. Fasquelle (p. 73-76).
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XVII


Peu à peu, Hermine souhaita mieux connaître cette vie possible, qui s’était enfuie loin d’elle alors qu’elle était ignorante du présent autant que de l’avenir : elle voulut savoir quelque chose de l’existence de Jean, avant son entrée à la ferme des Gilquin. Elle se mit en tête de revivre ces jours qui avaient été interrompus par la cruelle souffrance d’aimer sans espoir.

Elle se fit alors subtile et rusée pour obtenir des uns et des autres, sans éveiller l’attention, des renseignements sur Jean, sur les personnes qui l’avaient connu, sur les parents qui pouvaient lui avoir survécu.

Ce fut tout d’abord en pure perte. Il y avait déjà, depuis le drame, plusieurs années qui étaient tombées à l’abîme de l’oubli. Tout ce qu’elle cherchait était du passé mort, enterré dans l’immense fosse commune de l’éternité, sous la terre indifférente qui recouvre tous nos espoirs, tous nos sentiments, tous nos actes, tout ce qui a été pendant un moment et qui ne sera jamais plus.

À peine, ici ou là, se souvenait-on du jeune homme, et encore, c’était plutôt la catastrophe de sa disparition, de sa mort sinistre à la ferme, qui était restée dans le souvenir. De lui, on ne savait presque plus rien.

— O l’était un grand, — disaient les uns, — qu’avait l’air bé triste !

— O l’était un p’tit, — affirmaient les autres, — qu’était tréjous gai, raide plaisant !

Il ne pouvait être à la fois grand et petit, mais on avait pu le voir triste et gai tour à tour.

— L’y avait de bés yeux bleus, — disait-on encore.

— Un peu noirs, — rectifiaient de mieux informés.

Hermine apprit pourtant que Jean allait parfois visiter le père Bazoge, qui avait vécu avec une femme du village, de bonne humeur et de mœurs légères, surnommée la Guillerette.

Le père Bazoge était mort depuis un an. Hermine se rendit donc chez Geneviève, dite la Guillerette, qui vivait maintenant avec le père Nallier. Elle lui demanda si elle se souvenait du pauvre enfant que l’on avait trouvé pendu à une poutre du grenier des Gilquin.

— Le père Bazoge était parrain d’un frère à Jean, et si ma mémoire ne me fait point défaut, Jean était du village de La Roche, o l’est tout ce que je puis vous dire, — répondit l’interrogée.

Hermine remercia la Guillerette et retourna chez elle. Toute la nuit, les yeux fermés, ne dormant pas, elle songea à ce village de La Roche où était né Jean, où il avait joué, où il avait été à l’école, où il y avait peut-être encore des gens qui l’avaient connu, des parents même ! Qui sait ?…