E. Fasquelle (p. 43-46).
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IX


Elle ne savait pas tout encore du personnage auquel elle avait lié son sort. Mais elle n’eut pas longtemps à attendre : François Jarry, qui s’était affirmé si vite hargneux et brutal, se révéla bientôt, par surcroît, buveur et coureur. Ses dimanches se passaient au cabaret, où le vin et l’eau-de-vie faisaient flamber ses colères. Au logis il vécut sans gêne, en parfait goujat. Les servantes qui voulaient garder leur place devaient accepter les honteuses conditions du nouveau maître, qui, entre les quatre murs de sa ferme, agissait en chef de tribu.

Ce rustre était né vicieux. Maintenant qu’il avait satisfait son goût inné de paysan, sa passion de primitif pour la terre, il laissait prendre ses aises à sa grossièreté, il révélait sa nature double de rustique intéressé et de coureur de mauvais lieux. Il restait méfiant et avare, et il avait des poussées subites d’instincts qui le rendaient par moments l’esclave de l’alcool de l’auberge, de la bestialité sensuelle d’une fille de ferme.

Hermine, née sensitive, affinée encore par la maladie et par la douleur, ne comprenait pas cette vie si différente de sa vie de famille.

Elle osa se plaindre doucement.

— Si tu n’es pas contente, je n’te retiens pas, tu n’as qu’à fiche ton camp d’ici.

Telle fut la réponse.

— Mais je suis chez moi, — objecta naïvement Hermine.

Une gifle envoyée à toute volée lui meurtrit la figure, et désormais, pour le moindre prétexte, ce furent des cris, des insultes qui allaient jusqu’aux coups. Plusieurs fois, la femme battue et effrayée dut s’enfuir de chez elle, sa mère impuissante à la protéger, et se réfugier près des meules où elle passait la nuit.

Elle n’arrivait pas à juger ce qui lui arrivait : elle roulait mille projets confus dans sa tête, ne sachant à quel parti s’arrêter, songeant bien à s’enfuir n’importe dans quelle direction, vers une ville où les gens, peut-être, l’auraient protégée, vers la mer où il se trouverait sûrement un navire pour l’emporter au loin, dans un pays inconnu, qui aurait été pour elle le pays de l’oubli. La pensée de sa mère la retenait.

Elle passa ainsi, hors de chez elle, des heures sinistres. Ses vêtements furent traversés par la pluie. Elle avait peur de tous les bruits qu’elle entendait, cachée dans la paille, anxieuse de la première clarté de l’aube pour rentrer à la maison, au moment où son mari venait d’en sortir pour commencer le travail du jour.