E. Fasquelle (p. 23-28).
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IV


On la mit alors en classe dans la petite école du village. Faisant de rapides progrès, toujours la première, elle était une petite fille sage et appliquée, pétrie de bonnes dispositions.

Lorsqu’elle eut dix ans, et qu’elle fut définitivement jugée bien portante, sa mère la retira de l’école et la mit en pension à la ville voisine. Elle apprit le piano, le chant et la danse.

— Ce sera une distraction pour elle plus tard, — disait Mme Gilquin, — une paysanne peut bien posséder des arts d’agrément, pour se reposer du travail.

Hermine apprit aussi facilement ces arts d’agrément qu’elle avait appris les premiers principes de la lecture, de l’écriture, de l’orthographe, de la grammaire. Elle aimait la musique et les livres, elle avait la voix juste et jolie. Un sentiment poétique se développa en elle : elle voyait ce qui existait avec un ravissement des yeux et une délectation de l’esprit, qui surprenaient tout le monde.

Elle ne devint pas pour cela une prétentieuse de pensionnat. Son goût était fixé à ce qui était naturel, à ce qu’elle apprenait et concevait directement. Aussi, bien qu’elle ne montrât jamais d’ennui à la ville, les plus grands plaisirs de son temps d’études furent les vacances.

Quand elle revenait à la ferme, à la fin de juillet, elle se retrouvait à sa vraie place et découvrait qu’elle était foncièrement paysanne.

Son habitude des animaux s’était changée en un vif amour de toutes ces formes de la vie, qui sont encore à demi plongées dans la région obscure des sensations mal formulées. Il y a de l’irritation et de la douleur dans les mouvements et les cris des bêtes qui veulent se faire comprendre. Hermine se pencha vers ces ténèbres, et bientôt, sa volonté et sa patience lui firent entendre ce que s’acharnaient à dire toutes ces voix rauques et aiguës, et tous ces yeux brillants et plaintifs.

Aux vacances, la fillette était une petite reine attendue par tous, et qui rentre dans son domaine.

Les survivants de l’année précédente lui faisaient fête : les chiens qui accouraient, ivres de joie, au-devant d’elle, les vaches qui l’adulaient de leurs regards de velours et de leurs mélancoliques meuglements, les chats qui l’appelaient de loin de leurs miaous pleurards en se frottant nerveusement aux murailles, et tout le poulailler qui se précipitait, d’un seul mouvement, comme une armée multicolore aux rangs pressés.

Ceux qui étaient nés dans l’année venaient aussi, prévenus sans doute par les anciens, et d’ailleurs, Hermine avait vite fait de les connaître et de les apprivoiser.

Ces jours de vacances, de la fin de juillet au commencement d’octobre, et aussi les vacances plus courtes, de Pâques et d’autres jours de fête, restèrent à jamais délicieux dans le souvenir de la jeune fille.

À seize ans, Hermine revint définitivement chez les siens.

Sa mère, alors, s’appliqua à faire d’elle une bonne ménagère. Elle trouva sa fille docile, heureuse de rendre service, parfaite en tous points, acceptant tout des nécessités de la maison paysanne, se levant de bonne heure, préparant le repas de ses parents et des travailleurs qui allaient aux champs. Pour la récompenser, on lui acheta un piano, et elle fit, par sa musique et sa voix, l’admiration de ceux qui venaient l’entendre. Elle fut autorisée aussi à fréquenter le bal. Les jours de fête, conduite par sa mère et accompagnée d’amies, ayant confectionné elle-même une simple et jolie robe, elle était heureuse de quelques tours de valse.

On attendait toujours son entrée dans la salle de bal.

— Mam’zelle Hermine doit venir… Parie qu’elle sera la plus belle de toutes !

En effet, Hermine entrait, petite, mince, ses cheveux châtains coiffés en bandeaux, de vives couleurs de jeunesse aux joues, ses grands yeux bleus très doux regardant les gens avec bienveillance, habillée d’une robe de mousseline blanche ornée de rubans bleus, et vraiment elle était une apparition de candeur charmante, la petite vierge de la contrée.

La vie semblait donc s’annoncer pour elle toute remplie de jours paisibles et de joies.

Le fils d’un riche fermier du voisinage fréquentait la maison des Gilquin, s’occupait galamment d’Hermine. On supposait qu’à son retour du régiment, le mariage aurait lieu. Un jour, à table, quelqu’un en parla devant tous les travailleurs des champs rassemblés pour le repas du soir. Le père, la mère, et Hermine même, ne dirent pas non.

Mais le lendemain, qui était un premier janvier, il y eut une affreuse alerte à la ferme, et un terrible coup qui frappa les Gilquin.