Hermann chanté par les bardes
HERMANN CHANTÉ PAR LES BARDES
Asseyons-nous, ô Bardes, sur ce rocher couvert de mousse antique, et célébrons Hermann : qu’aucun ne s’approche d’ici et ne regarde sous ce feuillage, qui ne recouvre le plus noble fils de la patrie.
Car il gît là dans son sang, lui, l’effroi secret de Rome, alors même qu’elle entraînait sa Trusnelda captive, avec des danses guerrières et des concerts victorieux !
Non, ne le regardez pas, vous pleureriez de le voir étendu dans son sang ; et la lyre ne doit point résonner plaintive, mais chanter la gloire de l’immortel.
Ma jeune chevelure est blonde encore : ce n’est que de ce jour que je porte l’épée, de ce jour que j’ai saisi la lyre et la lance… et il faut que je chante Hermann !
Ô pères, n’exigez pas trop d’un jeune homme : je veux essuyer mes joues humides avec ma blonde chevelure, avant d’oser chanter le plus noble des fils de Mana.
Oh ! je verse des pleurs de rage ; et je ne les essuierai pas : coulez, inondez mes joues, larmes de la colère.
Vous n’êtes pas muettes ; amis, écoutez leur langage : « Malédiction sur les Romains ! » Écoute, Héla[1] : Que nul des traîtres qui l’ont égorgé ne périsse dans les combats !
Voyez-vous le torrent sauvage se précipiter sur les rochers ? il roule parmi ses eaux des pins déracinés et les apporte au bûcher du héros.
Bientôt Hermann ne sera que poussière, il reposera dans un tombeau d’argile, et à sa cendre nous joindrons l’épée sur laquelle il jura la perte du conquérant.
Arrête, esprit du mort, toi qui vas rejoindre Siegmar, et vois comme le cœur de ton peuple n’est rempli que de toi.
Oh ! que Trusnelda ignore que son Hermann est étendu là dans son sang ! Ne dites pas à cette noble femme, à cette mère infortunée que le père de son Trumeliko n’est plus.
Celui qui l’apprendrait à cette femme, qui marcha un jour enchaînée devant le char de triomphe du vainqueur, celui-là aurait un cœur de Romain !
Et quel père t’a engendrée, malheureuse fille ? Un Segestes, qui aiguisait dans l’ombre le glaive de la trahison. Ne le maudissez pas… Héla déjà l’a condamné.
Segestes est un nom qui doit être banni de vos chants ; que l’oubli descende sur lui : qu’il reploie ses lourdes ailes et sommeille sur sa poussière !
Les cordes qui frémissent du nom d’Hermann seraient souillées si elles répétaient le nom du traître, même pour l’accuser.
Hermann ! Hermann ! Les bardes font retentir de ton nom l’écho des forêts mystérieuses ; toi, si cher à tous les nobles cœurs ! toi, le chef des braves, le libérateur de la patrie !
Ô bataille de Winsfeld, sœur de la bataille de Cannes, je t’ai vue les cheveux épars et sanglants, le feu de la vengeance dans les yeux, apparaître parmi les harpes du Valhalla !
Le fils de Drusus voulait en vain effacer les traces de ton passage en cachant dans la vallée de la mort les blancs ossements des vaincus…
Nous ne l’avons pas voulu, et nous avons bouleversé leurs sépulcres, afin que ces débris témoignent d’un si grand jour et qu’aux fêtes du printemps ils entendent nos chants de victoire !
Il voulait, notre héros, donner encore des sœurs à Cannes, à Varus des compagnons de mort ! sans les princes et leur lenteur jalouse, Cœcina eût déjà rejoint son chef Varus.
Il y avait dans l’âme d’Hermann une pensée plus grande encore… Près de l’autel de Thor, à minuit, environné de chants de guerre, il se recueillit dans son âme et résolut de l’accomplir.
Et il y pensait parmi vos divertissements, pendant cette danse hardie des épées dont notre jeunesse se fait un jeu.
Le rocher vainqueur des tempêtes raconte qu’il est une montagne dans l’Océan du Nord qui annonce longtemps, par des tourbillons de fumée, qu’elle vomira de hautes flammes et d’immenses rochers ! …
Ainsi Hermann préludait par ses premiers combats à franchir les Alpes neigeuses, et à s’en aller descendre dans les plaines de Rome ;
Pour mourir là !… ou pour monter à cet orgueilleux capitole, jusqu’au tribunal de Jupiter, et demander compte à Tibère et aux ombres de ses ancêtres de l’injustice de leurs guerres !
Mais pour accomplir tout cela, il fallait qu’il portât l’épée de commandement à la tête des princes ses rivaux… C’est pourquoi ils ont conspiré sa perte… Et le voici étendu dans son sang, celui dont le cœur renfermait une pensée si patriotique !
As-tu compris, Héla ! mes pleurs de rage ? As-tu écouté leurs prières, Héla ! vengeresse Héla ?
Dans les campagnes dorées du Walhalla, Siegmar rajeuni recevra son jeune Hermann, une palme à la main, et accompagné de Thuiskon et de Mana…
Siegmar accueillera son fils avec tristesse ; car Hermann ne pourra plus aller au tribunal de Jupiter accuser Tibère et les ombres de ses ancêtres !
- ↑ Divinité des enfers.