HENRY LYONNET



Dans Le Figaro du 13 février dernier, M. Jules Truffier, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, a consacré un excellent article à la mémoire d’Henry Lyonnet. Nous en extrayons, avec la gracieuse autorisation de l’auteur, les lignes suivantes, où l’œuvre de ce « bénédictin » de l’histoire théâtrale est dignement louée.

« Henry Lyonnet (de son vrai nom Alfred Copin), l’un des premiers collaborateurs du Moliériste de Georges Monval, était devenu l’auteur d’innombrables livres concernant l’histoire des théâtres de France et de l’étranger. Le trésor de renseignements qu’il nous laisse consiste particulièrement dans son Dictionnaire des Comédiens français, inestimable encyclopédie en deux tomes in-4o de 700 pages, à deux colonnes, devenus rares, et dont un habile Mécène des lettres dramatiques nous devrait bien donner une édition nouvelle, considérablement augmentée, grâce aux documents considérables que Lyonnet lègue aux érudits de l’avenir.

« Il y a quelque trente ans, nous nous plaignions, lors de l’apparition de ce Dictionnaire, de l’absence de documents généraux, groupés et réunis sur notre théâtre en France, car si l’histoire des monuments, salles, entreprises, directions, etc., reste difficilement réalisable, l’histoire des pièces représentées se pourrait effectuer en recourant aux travaux d’un Johannidès et de ses émules, sans parler des archives inexplorées au Bureau des Théâtres passées à l’Arsenal. Il n’y faudrait qu’une longue patience et… la certitude de trouver un éditeur. Il en irait de même pour l’histoire des auteurs, grâce aux bulletins de notre Société de la rue Ballu ; et quant à l’histoire des comédiens, elle n’est plus qu’à compléter, après le premier travail accompli par Henry Lyonnet, et qu’il continuait en notes manuscrites. Ne désespérons donc pas de posséder un jour un « Ensemble » des connaissances théâtrales, digne d’un pays où l’art dramatique tient tant de place.

« D’autre part, les trop pesantes encyclopédies effrayant un peu le public, et les livres coûtant cher, mieux valait, d’abord, sérier les travaux et les offrir séparément, au fur et à mesure de leur apparition.

« C’est ce que fit notre sagace Lyonnet, qui profita de la célébration du tri-centenaire de Molière pour publier, après son Dictionnaire, ce « registre » plus détaillé, plus à notre portée que celui de La Grange, et fécond en renseignements de toutes sortes, le recueil des Premières de Molière, que devaient suivre les Premières de Corneille, de Racine, de Musset, de Victor Hugo, parus à la file, sans oublier les Premières de Marivaux, La Vie de Goldoni, qui ne sont point achevées, pas plus, hélas ! que le vaste recueil de la Comédie des Comédiens, que nous rêvions de publier ensemble.

« Mais que de volumes précieux Lyonnet laisse aux professionnels et amateurs de Melpomène et de Thalie ! Ce collectionneur regretté savait toutes les langues méditerranéennes ; il l’a prouvé dans : Le Théâtre en Espagne, À travers l’Espagne inconnue, La Vie aventureuse de Cervantès, Le « Cid » de Corneille, Les Excursions historiques et littéraires, Le Théâtre au Portugal, Le Théâtre en Italie, Pulcinella et Compagnie, Mademoiselle Molière, La Grande Armée (épopée napoléonienne), Les Comédiennes du XVIIIe siècle, Les Comédiens révolutionnaires, Au rideau et derrière la toile, La Dame aux Camélias… J’en passe, et des meilleurs, des plus riches en documents… »

M. Truffier note que Lyonnet disparaît « sans avoir été récompensé selon son œuvre » malgré tous les efforts d’amitiés dévouées. Nous comprenons son amertume légitime, comme nous nous expliquons l’agacement qu’il éprouve en face de certaines critiques. Pour nous, qui voudrions ne pas agir en héritiers ingrats, il nous arrivera plus d’une fois sans doute de mettre au point, comme il l’eût fait lui-même, de préciser, de corriger bien des choses dans le trésor documentaire que nous lègue ce laborieux. Du moins, nous le ferons avec respect, avec le sentiment que notre œuvre, si elle vaut quelque chose, n’aurait pas été possible sans la sienne. Notre société, qui ne put profiter de la vieille expérience de Lyonnet, ni de son ardeur restée si jeune, devait au moins à sa mémoire de la saluer comme celle d’un précurseur.