Henri Meister (RDDM)

Revue des Deux Mondes5e période, tome 12 (p. 148-171).
HENRI MEISTER

Henri Meister, on le sait, a succédé à Grimm dans la publication de la Correspondance littéraire ; et la moitié de cette œuvre considérable lui appartient en propre. Mais sa personne, sa vie, sont restées dans l’ombre ; et son dernier éditeur regrettait que sa biographie n’eût pas encore été écrite. Les documens abondent cependant. Les arrière-neveux de Meister, MM. Reinhardt, de Winterthur, possèdent de riches archives de famille ; ils nous les ont libéralement ouvertes, et nous sommes ainsi en mesure de retracer la longue carrière de cet écrivain français, né et mort en pays allemand.


I

Le père d’Henri Meister appartenait à une famille patricienne de Zurich ; c’était un ecclésiastique protestant : il a exercé les fonctions de pasteur dans quelques-unes des petites églises du Refuge français en Allemagne : à Bayreuth, à Schwabach ; à Buckebourg, dans un des comtés (aujourd’hui principautés) de Lippe ; à Erlangen enfin. Il avait épousé en premières noces la fille d’un de ses collègues, le chapelain Crégut, qui était sorti de France à la révocation de l’Edit de Nantes ; elle lui avait donné deux filles, après sa mort, il se remaria avec une jeune Française, Marie Malherbe, née en Touraine, dont il eut un fils, Henri, né à Buckebourg le 6 août 1744.

« Dès l’âge de quatre ans, dit-il, je balbutiais dans trois langues : en français avec ma mère, en allemand avec les domestiques, avec mon père en latin ; et je m’applaudissais de la surprise que causait un savoir si précoce, aux étrangers qui venaient dans la maison… La langue française, dit-il plus loin, — nous copions ses notes autobiographiques, — était ma langue maternelle, et c’était encore celle que le goût de mon père et son exemple m’avaient engagé à cultiver de préférence. Je ne comprenais bien clairement que ce que je pouvais exprimer en français. Mais je croyais déjà m’être aperçu que, pour se faire écouter en allemand, il n’était pas indispensable de s’entendre parfaitement soi-même. »

Henri Meister parle de l’exemple que lui donnait son père ; celui-ci, en effet, tenait en français son Journal intime : la bibliothèque de Zurich possède cinquante-six volumes de ce journal (1726-1781). C’est en français qu’il a entretenu avec le professeur Necker, grand-père de Mme de Staël, une correspondance qui a été imprimée en 1740. La révocation de l’Edit de Nantes, en exilant quelques centaines de pasteurs français, qui devinrent à l’étranger autant de maîtres de langue, et en aboutissant à disperser dans mainte contrée de l’Allemagne des groupes de réfugiés français, avait contribué beaucoup à répandre l’usage de leur langue.

En 1758, aux approches de la soixantaine, le pasteur Meister était revenu s’établir au pays natal. Chargé de la paroisse de Kusnach, au bord du lac de Zurich, à deux lieues de la ville, il y passa les années de sa longue vieillesse. Son fils, qui avait commencé ses études à Erlangen, les poursuivit à Zurich. Un de ses maîtres fut le célèbre Bodmer, — « à la fois, dit-il, le Socrate de sa patrie et le patriarche de la littérature allemande, » — et disons aussi : un bon Suisse, qui déposa dans le cœur de son élève le germe de ce patriotisme qui se révéla plus tard, après les malheurs de l’invasion étrangère.

Henri Meister reçut les ordres sacrés le 26 avril 1763 : il n’avait pas encore dix-neuf ans accomplis. Si précoce qu’il eût été, il était bien jeune pour les fonctions du ministère évangélique. Aussi passa-t-il une année chez son père, continuant ses études, et s’exerçant à la prédication, en allemand et en français. Au printemps de 1764, il alla faire à Genève un séjour de quelques mois. Il y fit la connaissance de quelques hommes distingués : Abauzit, Charles Bonnet, de Saussure, le docteur Tronchin, les pasteurs Vernet et Vernes ; il y lia amitié avec Paul Moultou, le confident de Rousseau et l’un des correspondans de Voltaire. Meister lui-même rendit visite, lors de ce premier voyage, aux deux philosophes : à Rousseau d’abord, qu’il alla voir dans les montagnes du pays de Neuchâtel. Son jeune enthousiasme reçut un aimable accueil : pendant toute une après-midi, il accompagna Jean-Jacques dans sa promenade sur des sentiers de montagne, causant avec lui à bâtons rompus : « J’entrepris plusieurs fois, écrit-il à son père, de l’engager dans une conversation suivie ; il m’échappait toujours. » Meister se présenta aussi à Ferney, où Voltaire fit causer le jeune ecclésiastique zurichois sur l’histoire de son pays.

A Genève, Meister fit la connaissance de deux jolies personnes, qui ont joué un grand rôle dans sa vie : Mme de Vermenoux et Mlle Suzanne Curchod. Au moment de son arrivée, elles allaient partir pour Paris, en sorte que Meister ne les vit que peu de temps, à son grand déplaisir. Une jeune Rémoise, Julie Bondeli, lui écrivait à ce propos : « Quelque regret que vous ayez d’avoir perdu Mlle Curchod, je n’en ai aucun de vous l’avoir occasionné ; j’ai appris par vous qu’elle était toujours belle, et c’est ce que plusieurs femmes m’ont laissé ignorer. »

Quant à Mme de Vermenoux, une lettre de Meister à son père montre que d’elle aussi il avait gardé quelque souvenir : « Liotard a fait le portrait de Mme de Vermenoux, qui est divinement beau. C’est un présent qu’elle voulut faire à M. Tronchin, qui la guérit d’une maladie dangereuse. Elle y est représentée en Iphigénie, lorsqu’elle remercie Apollon de sa guérison. Avec quelle grâce elle étend ses mains pour remercier le dieu ! »

Après avoir passé l’été à Genève, Meister était revenu chez son père, au presbytère de Kusnach ; bientôt après, il avait accepté une place de précepteur dans une famille de Zurich. A la fin de l’hiver suivant, il reçut une lettre de Moultou, qui lui offrait une position analogue, et beaucoup plus séduisante, chez Mme de Vermenoux, qui avait un fils âgé de huit ans : « Elle vit à Paris, écrivait Moultou, dans une société charmante ; il y a beaucoup de gens de lettres dans sa maison. La place dont je vous parle est celle qu’avait Mlle Curchod. (On sait que celle-ci venait d’épouser M. Necker.) Que savez-vous si, à Paris, la fortune ne vous ouvrira pas une carrière plus brillante ? » — Ce pressentiment était juste, et toutes les perspectives qui s’ouvraient étaient riantes. Néanmoins une année entière se passa en pourparlers, en hésitations ; c’est seulement au mois de mai 1766 qu’Henri Meister arriva à Paris.

Dès lors et pendant quinze ans, le Journal et les lettres du vieux Meister nous permettent de suivre, presque jour par jour, les aventures et les idées de son fils. Le digne père lui-même est une personnalité intéressante : vrai philosophe chrétien, esprit large et cœur droit. On aime à voir de quelle main souple et ferme il maintient son autorité paternelle sur un jeune homme lancé au milieu d’un monde que lui-même ne connaît pas. Les idées nouvelles qui lui viennent de Paris l’intéressent toujours sans jamais l’étonner. Homme d’étude et de savoir, il se montre lecteur compétent et appréciateur judicieux de ces philosophes qui font alors tant de bruit. Quand son fils, en succédant à Grimm, devra s’adresser à l’élite de l’Europe, et lui parler de toutes les nouveautés de la littérature française, il n’aura qu’à écrire à ses correspondans du même ton dont il entretenait son père.

Chez Mme de Vermenoux, chez son amie Mme Necker, le jeune Meister eut bientôt l’occasion de voir lus écrivains célèbres de cette époque. « Le grand D’Alembert, dit-il, est un petit homme sec et blême, avec de grands yeux bleus, et les paupières extrêmement rouges ; sa voix faible est claire et perçante ; il parle comme il écrit, avec beaucoup de précision et de netteté ; sa conversation est réfléchie ; mais elle n’a ni l’abondance, ni la chaleur de Diderot. »

La curiosité de Meister l’entraînait en sens divers : les bibliothèques, les prédicateurs du carême, les plaidoiries des meilleurs avocats, de Gerbier notamment, les promenades dans les environs de Paris, l’occupaient tour à tour. Son jugement n’était pas encore formé ; on le voit quand il parle de Thomas, par exemple, à propos d’un médaillon qu’une Société suisse se proposait de faire graver en son honneur : « Madame Necker, dit-il, et tous ceux qui connaissent M Thomas, désirent passionnément que le patriotisme helvétique lui rende enfin l’hommage que nous lui avons promis depuis longtemps. La Société s’honorerait elle-même en témoignant publiquement son estime au premier génie de la France. »

Le séjour de Meister à Paris ne dura que dix-huit mois, après lesquels le précepteur et son élève partirent pour la Suisse, où ils demeurèrent près de deux ans. Ce départ peut s’expliquer par bien des raisons. Le séjour de la campagne pouvait être désirable pour le jeune Auguste de Vermenoux ; la santé de sa mère nécessitait des cures d’eaux, des déplacemens, qui devenaient plus faciles si son fils était établi au loin. Mais nous avons trouvé dans les papiers de Meister une feuille détachée, de date incertaine ; nous croyons que sa place chronologique est ici :


« J’avais osé lui dire, je ne sais plus sous quel voile, de combien de feux mon cœur brûlait pour elle. Tout aveugle qu’était ma jeune inexpérience, elle surprit dans les yeux de Germaine (c’est le prénom de madame de Vermenoux, celui qu’elle a donné à sa filleule, madame de Staël) la douce émotion que lui faisait éprouver l’ivresse des premiers transports d’une âme simple et neuve. Au doux regard qu’elle laissa tomber sur moi, j’osai me précipiter à ses pieds ; elle me permit de presser mes lèvres sur les siennes, et d’y recueillir une feuille de rose. Ce fut, ce jour-là, ma seule conquête. Obligé de m’éloigner presque au même instant… »


M. d’Haussonville a spirituellement raconté ici même, il y a vingt ans, comment cet amour, qui a commencé par une feuille de rose, a fini par une boîte de fer-blanc[1]. Mais ne peut-on pas imaginer qu’après cet incident, Mme de Vermenoux a senti que le pas était glissant, et que si elle ne rompait pas avec Meister, le plus sage était de l’éloigner ? Elle avait écrit au vieux pasteur : « Votre fils élèvera le mien, et je me charge de l’éducation du vôtre. » Elle avait assumé le rôle de Mentor, et elle se laissait aller à jouer celui d’Eucharis ; elle ne pouvait mieux faire que d’envoyer son Télémaque se promener sur les bords du lac de Zurich.

Il y était arrivé le 11 octobre 1767, et, dix jours après, nous lisons dans le Journal de son père : « Conversation très affectueuse ; vues matrimoniales pour mon fils. » Sur qui se dirigeaient ces vues paternelles ? Bien que la plume du vieux pasteur n’ait pas tracé le nom de la jeune fille, nous ne sommes point embarrassés pour la désigner. Henri Meister avait des sœurs, et ces sœurs des amies, parmi lesquelles nous distinguons Mlle Ursule Schulthess. Déjà longtemps auparavant, quand Henri n’avait que seize ans et elle douze, elle venait souvent en visite au presbytère de Kusnach, et s’asseyait à la table de famille. En ces rencontres amicales, qui s’étaient renouvelées pendant bien des saisons, l’attrait mutuel de deux jeunes cœurs avait trouvé l’occasion de se manifester. Dans une de ses nouvelles (Aline), Meister a esquissé les souvenirs idylliques qu’il avait gardés de ces temps d’adolescence, de l’éveil de ses sentimens, des premiers regards et des premiers baisers. Mais son voyage à Paris l’avait désorienté ; et, quand il revint au village, il n’était plus le même, tandis qu’Ursule n’avait pas changé. Elle fut piquée de son indifférence, précisément parce qu’elle ne la partageait pas. Un peu plus tard, en effet, quand elle fut mariée à un autre, au « tribun » Burkli, Moultou écrivait à Meister : « Mme Burkli est charmante, pleine de douceur, de grâce et d’ingénuité. Ou je me trompe fort, ou elle a eu, et a encore, plus que de l’amitié pour vous. »

Quand on sait que vieillie, devenue veuve, Ursule a vu Meister, qui avait dépassé la soixantaine, lui demander sa main et l’obtenir, et qu’alors ils vécurent heureux pendant un temps encore très long, on regrette ce dépit d’un jour qui les sépara quarante ans ; on voudrait qu’ils se fussent unis au vrai moment, quand ils étaient tous deux dans la fleur de la jeunesse. Que se passa-t-il dans ces instans rapides, qui décidèrent de toute leur vie ? Le Journal du vieux pasteur nous permet de le voir, au moins par échappées. Il mentionne Ursule, et ses sœurs et ses frères, chaque fois que ces amis de la famille se présentaient au presbytère. Le jour décisif fut le mercredi 28 octobre ; c’était un jour de vendange, un jour de fête :


L’automne laissait choir sa dernière corbeille.


Henri était allé à la rencontre de la jeune fille, et, le soir, il y eut une affluence inaccoutumée à la table de famille : les villageois qui avaient aidé à la vendange y avaient été invités ; amis et parens, jeunes personnes et jeunes hommes, le Journal énumère plus de vingt convives ; et pendant toute la journée, sur la pente de ces rians coteaux, dans l’éparpillement de la récolte, Ursule et Henri ont eu toute liberté de se parler. Ce qu’ils se sont dit, ils ne l’ont répété à personne ; mais, le samedi déjà, Ursule était fiancée à un autre. Dans les yeux de Meister, évidemment, elle avait lu la froideur, et son parti fut pris lestement. Elle faisait d’ailleurs un bon choix.

Pendant les mois qui suivirent, on la voit revenir au presbytère, tantôt avec son fiancé, quelquefois seule. En plein hiver, elle faisait deux lieues à pied pour rendre visite à son amie, à la sœur de notre Henri. Si Moultou ne s’est pas abusé sur les sentimens d’Ursule, que penserons-nous ? Elle avait aimé ; n’aimait-elle pas encore, et ne regrettait-elle pas de s’être trop pressée ?

Quoi qu’il en soit, d’autres soucis agitaient le père et le fils. Henri Meister avait vu les philosophes français, et lu leurs livres ; beaucoup de leurs idées étaient devenues les siennes ; il songeait en conséquence à renoncer au saint ministère ; son ami Moultou, qui allait prendre le même parti, l’y encourageait. Le vieux pasteur fut désolé quand son fils lui en parla ; et, comme celui-ci était très attaché à son père, il ne s’obstina pas dans un projet qu’il n’avait pas encore mûri.

En 1766, au moment de partir pour Paris, il avait publié à Zurich un petit recueil de ses premiers sermons (en allemand). De retour en Suisse, il fut appelé de nouveau à monter en chaire, à la campagne et à la ville, et il prêcha avec succès : son père était édifié ; quelques rivaux étaient jaloux. Il avait un talent précoce, la parole et la plume faciles.

On ne sait s’il avait rapporté de Paris ou si c’est dans son séjour à Kusnach qu’il rédigea un petit écrit : De l’origine, dus principes religieux, qu’il fit imprimer clandestinement en 1768, et qui ne fut d’abord communiqué qu’à quelques amis : essai juvénile, où Meister s’était attaché à établir que les idées religieuses ont une source humaine et naturelle, et que « la fourberie des prêtres de tous les siècles » y a mêlé bien des erreurs. « Ce joli ouvrage, écrivait Diderot à Grimm, est écrit avec tant de naturel et de douceur, qu’on serait tenté de le prendre pour l’ouvrage d’une femme, s’il était moins serré, ou s’il supposait moins de connaissances. » — Voilà ce qu’on en pensait à Paris ; à Zurich, l’effet fut tout autre, quand, après quelques mois, le bruit se répandit de cette attaque contre la religion révélée. L’émoi fut très vif ; on s’indigna ; et Lavater, autrefois aimé et admiré de Meister, fut un de ceux qui soufflaient le feu.

Henri Meister dut quitter le canton de Zurich, pour aller se réfugier dans un bailliage voisin, pendant qu’on lui faisait son procès. Son père fit face à l’orage avec autant de fermeté que de tristesse. Il était quiétiste : quand on est placé à ce point de vue, on s’accommode aisément des idées les plus larges et les plus libres. Dans le synode, en face de ses collègues, il ne renia ni son fils ni sa foi. Mais ni le respect que ce vieillard inspirait, ni les démarches du jeune homme, qui publia, au mois d’avril 1769, une édition abrégée et édulcorée de son petit ouvrage, rien ne put empêcher une condamnation Le 21 juin, Henri Meister fut banni à perpétuité, son nom et ses armes furent effacés du tableau des citoyens, et son livre brûlé par le bourreau sur la place publique.

Il partit pour Paris. Son père alla lui dire un adieu qui pouvait être éternel. On lit dans son Journal : « 30 juin 1769. Embrassé tendrement mon fils, qui se porte assez bien, Dieu merci… Concerté le plan de sa vie à Paris, et de la conduite que j’aurai à tenir dans ma triste situation. Réflexions accablantes. » Écoutons maintenant Voltaire, qui écrivait à Moultou, quelques jours après : « Mon cher philosophe, notre Zurichois ira loin, Il marche à pas de géant dans la carrière de la raison et de la vertu. Il a mangé hardiment du fruit de l’arbre de la science, dont les sots ne veulent pas qu’on se nourrisse ; et il n’en mourra pas. Un temps viendra où sa brochure sera le catéchisme des honnêtes gens. » — Ce n’est pas sur ce ton de chef de parti que Rousseau parla à Meister, quand il reçut sa visite à Paris, l’année suivante : « Il me dit que je n’étais pas le seul malheureux, mais que j’avais eu grand tort d’écrire si jeune ; et que je devais me souvenir que, dans quelques années d’ici, je serais bien jeune encore. »

En revenant à Paris avec son élève, Meister retrouva chez Mme de Vermenoux une situation agréable, -une vie facile et du loisir. C’était un homme d’avenir : on le sentait autour de lui, il était apprécié. Dans le salon de Mme Necker, il voyait les beaux esprits et les écrivains de l’époque. Il songeait à écrire une histoire de la Réformation, dans l’idée qu’il pourrait par là, à la fois intéresser le public français, et préparer les voies pour rentrer en grâce à Zurich, cet ouvrage étant fait pour plaire au pays de Zwingle. Son amour filial lui faisait mettre un grand prix à cette espérance.

Malgré ses idées philosophiques et le jugement qui l’avait frappé, il faisait encore fonction de ministre du saint Évangile : quand le jeune Louis-Auguste de Vermenoux vint faire à Genève sa première communion, au mois de septembre 1772 : ce sont les leçons de Meister qui Fy avaient préparé. Pendant le séjour qu’il fit en Suisse à cette occasion, Meister tenta des démarches à Zurich, qui reçurent bon accueil ; un mémoire apologétique qu’il présenta, les instances de ses amis, les bons offices de ses anciens maîtres, l’influence de quelques magistrats d’un esprit large et libéral, firent annuler la condamnation qui avait été prononcée contre lui trois ans auparavant. Il alla passer un mois auprès de son père ; mais il ne se décida point à chercher un établissement en Suisse. Paris l’avait séduit, et le moment approchait où il allait y trouver l’emploi de ses talens, dans la rédaction de la Correspondance littéraire.

Au moment où sa brochure et son procès avaient fait parler de lui, Diderot en avait fait un compte rendu ; Meister eut communication de ce morceau, qui avait été inséré, écrit-il à son père, « dans un journal manuscrit qu’un bel esprit de Paris envoie à toutes les cours d’Allemagne. » M. Tourneux a retrouvé récemment ces pages intéressantes, que Grimm avait, en effet, envoyées à ses abonnés.

Tous deux venus à Paris de pays allemands, tous deux fils de pasteurs, Meister et Grimm avaient une similitude d’origine qui facilita leurs relations, aussitôt qu’ils se connurent. Et, lorsque Grimm, dans les premières semaines de 1773, sur le point d’entreprendre un voyage qui devait durer plus d’une année, chercha à qui confier le soin de le remplacer dans ce qu’il appelait « sa boutique, » il fut heureusement inspiré en jetant les yeux sur Meister. Il l’introduisit auprès de ses augustes lecteurs, comme « un jeune homme plein de goût et de mérite, depuis plusieurs années à Paris, et qui cherchait à s’y fixer. » En faisant ce choix, Grimm s’assurait que son œuvre serait continuée dans le même esprit : s’il était appelé à la reprendre, c’était un grand avantage. Mais on sait que ses succès dans les cours, et surtout auprès de l’impératrice Catherine, changèrent à cette époque la direction de sa vie : aussi, à son retour, abandonna-t-il définitivement à son jeune ami la Correspondance littéraire, avec ses charges et ses bénéfices.

Meister n’avait pas la décision et le mordant qui caractérisaient Grimm ; son esprit avait moins de portée ; mais, comme lui, c’était un homme bien informé, un habitué des salons de Paris, en relations avec les meilleurs écrivains de l’époque, et à qui le souvenir de ses années d’étude et de jeunesse permettait de se placer sans peine au point de vue de l’étranger ; d’autre part, comme il ne faisait pas de voyages, et n’avait pas les aspirations et les arrière-pensées ambitieuses du baron de Grimm, les abonnés trouvaient en lui un homme qui était tout à son affaire, et qui apportait une régularité parfaite dans l’envoi de ses lettres. Enfin, Diderot et Mme d’Epinay, pendant les années qui leur restaient à vivre, paraissent avoir continué la collaboration intermittente que Grimm obtenait d’eux. En conséquence, le succès de la Correspondance littéraire ne diminua point : au contraire, pendant une quinzaine d’années, le nombre des abonnés ne fit qu’augmenter.


« Un des avantages, dit Meister, du métier auquel je vouai les plus belles années de ma vie fut de me procurer des relations avec les plus augustes personnages de l’Europe, avec Catherine le Grand, avec Gustave III, avec les rois de Pologne et de Prusse, avec l’illustre et malheureux duc de Brunswick, avec le grand-duc de Toscane, depuis empereur (Léopold II), avec les ducs de Deux-Ponts, de Saxe-Gotha, de Mecklembourg, avec les princes de Waldeck et d’Oldenbourg ; de plus intimes avec le margrave d’Anspach et ses deux célèbres amies, Mlle Clairon et milady Craven qu’il épousa dans la suite, et qui me combla de bontés pendant mon séjour en Angleterre. »


Meister avait vingt-huit ans quand il se chargea de la Correspondance littéraire ; il la continua pendant une quarantaine d’années. Avec moins de talent que Grimm, il s’appliqua avec plus de patience à un labeur souvent monotone. A partir de ce moment, sa biographie manque un peu d’intérêt et de variété. L’éducation du jeune Vermenoux était achevée, et Meister se vit offrir des places analogues et plus brillantes, auprès du prince de Saxe-Gotha, du prince de Brunswick. Mais il ne se soucia pas de s’éterniser dans la carrière de précepteur, et d’accepter des situations qui l’eussent tenu éloigné de Paris.

Il avait continué à demeurer chez Mme de Vermenoux ; après une longue intimité, il la vit mourir, — elle n’était plus jeune, — en 1783. Il avait perdu son père en 1781 : une douce fin avait couronné la vieillesse de ce digne homme. De nouveaux amis, de nouvelles liaisons remplaçaient pour Meister les liens que la mort avait ainsi brisés ; il était répandu dans le monde ; son caractère était heureux ; le travail remplissait d’ailleurs ses journées ; il s’absorbait dans son œuvre.

Quand la Correspondance littéraire parut imprimée dans l’année 1812, Meister en fut très surpris, contrarié même au premier abord ; il ne s’était pas douté, en la rédigeant, que la postérité pourrait un jour y prendre intérêt. Avant ce succès inattendu, en repassant sa vie, il secouait la tête en pensant aux années qu’il y avait employées. « Ce travail, disait-il, m’a fait gagner plus d’argent que ne m’en aurait rendu peut-être aucun autre ; mais il m’a fait perdre beaucoup de temps et m’a distrait de toute étude assez suivie pour développer le peu de talent que je pouvais avoir. Ce que j’avais gagné légèrement, je le dépensais de même. »

Quoi qu’il en soit, notre Zurichois avait trouvé à Paris une seconde patrie ; et, dans cette époque heureuse qui a précédé la Révolution, il a connu et savouré, lui aussi, « la douceur de vivre. » Il eût voulu voir durer toujours ces années paisibles du règne de Louis XVI, et ne jamais quitter le beau pays de France ; mais les mauvais jours arrivèrent, et bientôt tout fut bouleversé.

Beaucoup de Français et d’étrangers s’étaient enfuis dès les premiers troubles. Meister fit comme Mme de Staël : il s’attarda trop longtemps à Paris, où, à la fin, il se trouvait enfermé, « comme dans l’antre de Polyphème. Je lisais, dit-il, l’Enfer de Dante, où je voyais des scènes analogues à celles qui m’entouraient. Je n’ai pas le courage d’avouer quel charme trop puissant, et dont le souvenir m’est encore cher, m’avait retenu au milieu de tant d’horreurs et de dangers. » Ces derniers mots nous ramèneraient, si nous le voulions, au chapitre des amours de Meister ; nous en avons détaché plus haut deux pages gracieuses ; mais, au moment où nous sommes arrivés dans le récit de sa vie, notre homme a quarante-huit ans, et ses promenades dans les sentiers de Cythère ne sont plus si attrayantes à suivre : laissons-les, et rejoignons-le dans son voyage en Angleterre.

Il s’était mis en route le 10 septembre 1792, et réussit à gagner Boulogne, où il rencontra M. de Talleyrand, fort inquiet de s’y voir retenu depuis deux jours par des vents contraires. Arrivé en Angleterre, il n’y eut que des mésaventures : il se cassa le bras, et il acheva de perdre « la forêt de cheveux qui couvrait sa tête dans sa jeunesse. » Le climat du pays ne lui allait pas, et il ne trouvait pas à Londres le nid paisible et doux que son cœur, toujours sensible, et l’âge qu’il avait atteint, lui faisaient désirer. Il songea que, plus heureux que les autres émigrés, il pouvait rentrer dans sa patrie. Il partit donc pour Zurich, où il fut si bien accueilli qu’il s’y établit définitivement, sans plus songer dès lors à quitter cette ville. Il n’avait pas encore cinquante ans, et n’était qu’au milieu de sa carrière.

À la considérer dans son ensemble, la vie littéraire de Meister se partage en deux moitiés : dans la première, c’est un étranger naturalisé à Paris ; dans la seconde, c’est un ex-Parisien qui vit paisiblement à l’écart, toujours attentif au mouvement intellectuel de la France.


II

Une fois établi dans sa retraite de Zurich, Meister s’empressa de reprendre le travail de la Correspondance littéraire, que les orages de la Révolution lui avaient fait interrompre. Mais, quoiqu’il fût encore quelquefois aidé par des collaborateurs parisiens, Suard entre autres, ses lettres, datées de Zurich, n’offraient plus le même intérêt que lorsqu’il était l’écho des salons où il entendait parler chaque jour des ouvrages dont il rendait compte ; les écrivains nouveaux qui entraient dans la renommée, il ne les connaissait plus personnellement. D’ailleurs, à cette époque troublée, les événemens politiques et militaires dominaient toutes les préoccupations ; le nombre des abonnés n’était plus le même. Quelques-uns cependant demeuraient fidèles, puisque Meister pouvait dire : « J’ai retrouvé dans ma patrie une modeste aisance, qui suffit à mes désirs. » Il poursuivit la rédaction de ses feuilles jusqu’en 1812.

Au temps de ses débuts, et pendant bien des années encore après, Meister s’était donné tout entier à cette publication ; il écrivait sa Correspondance, qui demeurait manuscrite, et n’était lue qu’à l’étranger ; c’était tout. Il avait cependant un esprit fertile, et une grande facilité de plume. C’est en 1787 qu’il publia son premier livre : De la morale naturelle, qui eut aussitôt quatre éditions, et dont Wieland fit une traduction allemande, accompagnée de notes, et d’une préface louangeuse.

Dès lors, et durant quarante ans, jusqu’à sa mort, Meister ne cessa d’écrire et de publier. Réflexions morales, politique, voyages, prose et vers, on vit paraître maint volume : à vrai dire, ils étaient généralement de petit format et de mince épaisseur. Nous nous arrêterons au plus remarquable de ces nombreux ouvrages : Souvenirs de mon dernier voyage à Paris.

Meister avait fait ce voyage dans un moment historique, à l’époque où la Convention déposait ses pouvoirs, où le Directoire prit sa place ; il assista au 13 vendémiaire. Il était revenu, après trois ans d’absence, dans un pays bouleversé : à chaque pas, il était frappé du contraste du passé et du présent. Le lecteur pourra juger de son coup d’œil en lisant quelques-unes des observations piquantes qui sont répandues à poignées dans son livre :


« On a pillé, ravagé, détruit beaucoup de châteaux en France ; mais il y en avait un si grand nombre, que ceux qui subsistent encore ne permettent guère au voyageur de s’apercevoir que ce nombre ait diminué.

« Ce qui a été le moins épargné, ce sont les couvens, les abbayes, les cloches, et surtout les croix ; c’est une merveille, aujourd’hui, d’en rencontrer une. Sur la pointe des édifices publics, on les a remplacées le plus communément par le bonnet rouge, ou le drapeau tricolore. Le bruit des cloches, trop continuel, comme il l’est dans plusieurs pays catholiques, devient sans doute importun ; mais son absence totale a, je vous assure, quelque chose de triste et de sauvage.

« Concevez-vous, monsieur (ces Souvenirs sont écrits sous forme de lettres adressées à M. Féronce de Rothenkreuz, ministre du duc de Brunswick) l’extrême malheur d’un bon catholique au bord du Rhin, qui tous les jours entend la messe sur l’autre rive, et ne l’entend plus sur celle qu’il habite ! Je suis convaincu que cette seule circonstance a déterminé l’émigration d’une foule de pauvres Alsaciens.

« Les villes, entourées des moissons les plus abondantes, périssent de faim. Elles sont, ainsi que nous le disait un officier municipal de Nancy, comme Tantale au milieu des eaux. Depuis que la terrible loi du maximum est abolie, le cultivateur met à son blé le prix qu’il veut, et s’obstine à ne plus recevoir d’assignats. Le pauvre habitant des cités ne peut donc plus obtenir l’aliment le plus indispensable qu’en le payant de ses hardes, de ses meubles, de son linge.

« Combien croyez-vous, monsieur, que j’aie vu de chaises de poste, depuis Bourglibre — nom donné sous la Révolution à Saint-Louis, près de Bâle — jusqu’aux portes de Paris ? Deux, en y comprenant celle où j’étais, et pendant huit jours de route. Aussi, quelque modeste que fût notre suite (car nous n’avions qu’un domestique), presque partout on nous a fait l’honneur de nous prendre pour des députés[2].

« Ce que j’ai rencontré le plus souvent sur ma route, sans prendre aucune peine pour le chercher, c’est l’air du malaise, de l’inquiétude, de la fatigue, du mécontentement, joint à beaucoup d’indifférence sur le succès ou le non-succès du nouvel ordre de choses. Quoique cette révolution ait eu le mérite singulier d’intéresser, de passionner même un nombre prodigieux d’hommes, il est pourtant de fait que la majorité de la nation est demeurée neutre.

« Plus j’ai vu, réfléchi, calculé, plus je me suis convaincu de la vérité de ce que me disait mon hôtesse de Vesoul : « Ah ! monsieur, pour un que la Révolution enrichit, croyez qu’elle en appauvrit mille ! »

« La vente du mobilier des émigrés n’a pas été aussi profitable qu’il y avait lieu de le présumer. Les étrangers en ont tiré peut-être plus de parti que les nationaux. Ce qu’il y a de certain, c’est que tous les objets précieux ont été vendus fort au-dessous de leur prix.

« Dans l’auberge de Lunéville, mon compagnon de voyage et moi fûmes étonnés de l’élégance et de la fraîcheur de quelques ameublemens. La maîtresse du logis, ayant remarqué notre surprise, se pressa de nous dire : « Messieurs, ne craignez rien : il n’y a pas là de taches de sang ; ce n’est pas du bien volé. Non, Dieu nous en garde ! C’est à Nancy que nous avons fait acheter l’étoffe toute neuve, et c’est ici que nous avons fait faire le lit et les fauteuils, par un jeune ouvrier, établi depuis peu de temps dans cette ville. »

« Je n’oublierai jamais ni l’air, ni l’accent dont on répondit à mon compagnon de voyage, qui demandait quel était le propriétaire d’un très beau château, devant lequel notre chaise était arrêtée : « Eh ! monseigneur, c’est un ci-devant pouilleux. »

« Il est plus d’un district en France où l’on ne croit pas encore à la Révolution, où on ne l’envisage que comme une étrange calamité, dont les ravages ne sauraient durer. On tâche de s’y soustraire le plus que l’on peut, et on se renferme dans l’attente passive d’un ordre de choses moins malheureux.

« Il y a des quartiers de Paris qui paraissent entièrement déserts ; le plus abandonné est ce beau quartier du faubourg Saint-Germain où, dans des rues entières de palais, on ne voit plus que quelques hôtels occupés, par les administrations de la République. Si vous vous avisez d’entrer dans un de ceux sur le frontispice desquels on lit en grosses lettres, rouges ou noires : Propriété nationale à vendre, vous serez effrayé de l’état de dégradation où vous le trouverez ; la plupart sont dépouillés non seulement de meubles, de glaces, de lambris ; sous prétexte d’enlever les plombs des toits et le salpêtre des caves, on en a laissé ruiner toute la boiserie, et souvent même jusqu’aux murs.

« Le jour commençait à tomber. En passant près du dôme des Invalides, — cette magnifique maison de Dieu, qu’on a traitée comme celle d’un aristocrate ou d’un émigré, — j’aperçus un groupe considérable de grandes figures d’une blancheur éclatante, pressées les unes contre les autres, et comme parquées dans une bergerie. Je ne pus deviner d’abord ce que c’était ; en m’approchant, je reconnus les figures colossales, en marbre, des saints qui décoraient ci-devant les niches de ce superbe temple. Elles étaient exposées là en vente, comme tant d’autres objets de toute espèce que l’on voit sur toutes les places : mais ces pauvres saints, qui les voudrait ou qui les oserait acheter ?

« C’est vers dix heures du soir que la tristesse et le dénuement où se trouve Paris, doivent frapper un étranger qui le vit dans des temps plus heureux. Autrefois on courait aux soupers ou à d’autres plaisirs ; le roulement de mille et mille voitures faisait retentir le pavé de toutes les rues, du bruit de la joie et de la folie d’un peuple léger, frivole, content, paraissant du moins l’être. Aujourd’hui, passé la sortie des spectacles, c’est le silence qui règne dans tous les quartiers ; la rencontre d’une voiture est un événement ; il est rare même de rencontrer des gens à pied, si ce n’est des patrouilles.

« Il y a assez peu de fiacres : des gens, qui tenaient équipage autrefois, ne se déterminent pas aisément à payer cent francs pour une course, quoique, au cours du change actuel, ces cent francs ne représentent pas même vingt-quatre sous, en espèces.

« Presque tous les devans de maisons, toutes les grandes allées, dans les quartiers les plus fréquentés, sont devenus autant de magasins de meubles, de hardes, de tableaux, d’estampes, etc. Vous voyez presque partout le même étalage qu’on ne voyait ci-devant que sur le pont Saint-Michel, sur le quai de la Ferraille, et sous les piliers des Halles. La capitale du monde a l’air d’une immense friperie.

« La crainte de mourir de faim a fait imaginer toutes sortes de moyens de s’en préserver. Il n’est pas rare de voir à la porte d’une maison ou d’une boutique, tantôt une cage de lapins, tantôt une chèvre, assez mal nourrie, mais dont le lait peut devenir, dans le besoin, une ressource précieuse.

« Ce qui m’a frappé le plus généralement à Paris, c’est un caractère étrange d’incertitude, de déplacement, sur presque toutes les figures ; un air inquiet, défiant, tourmenté, souvent même hagard et convulsif. Je crois qu’un homme qui n’aurait jamais vu Paris, qui n’en aurait jamais entendu parler, le voyant aujourd’hui pour la première fois, serait tenté de lui faire le même compliment que fit un jour M. de Jussieu à je ne sais quel original : « Monsieur, je n’ai pas l’honneur de vous connaître ; mais je vous trouve bien changé. »


Ces constatations, ces jugemens sont-ils d’un esprit impartial ? Non assurément ; et Meister, dès l’abord, l’avoue lui-même. On ne peut voir, dit-il, qu’avec ses yeux, c’est-à dire avec ses préventions ; et il indique aussitôt, pour se mettre en règle avec ses lecteurs, le point de vue qui est le sien : « Je déteste et détesterai toujours les révolutions. »

Mme de Staël, grande amie de Meister, lui faisait la guerre sur ses idées politiques, et lui prêchait la prudence à l’égard du parti qui était au pouvoir dans ce Paris qu’elle aimait tant, et dont le séjour, malgré tout, lui paraissait si désirable. En feuilletant les lettres qu’elle écrivait à Meister vers ce temps, on la voit revenir à maintes reprises sur un point qui lui tenait à cœur :


Coppet, 1796 (janvier ou février). — Est-ce que vous feriez un ouvrage sur votre séjour à Paris ? Prenez-y garde : ne prenez pas la France du 13 vendémiaire pour la République française, et ne vous fermez pas la porte d’un pays que vous regretterez plus tôt que vous ne croyez. — Lausanne, 5 avril 1796 : Votre récit de votre premier voyage en France sera-t-il conçu de manière à vous rendre le second impossible ? Pensez-y ! Vous devriez me le montrer ; car j’ai beaucoup de délicatesse sur tout ce qui concerne la République :


Un souffle, un rien, tout nous fait peur
Quand il s’agit de ce qu’on aime.


Coppet, 10 octobre 1796. — Vous me demandez si je permets l’impression de votre Voyage à Paris ? Je vous demande de n’y pas mettre votre nom : il ne faut jamais se fermer la porte du paradis.


Cette sollicitude de Mme de Staël, ces recommandations répétées, sont un témoignage de l’amitié qu’elle a eue de tout temps pour Meister. Il avait été l’ami, le confident de M. et de Mme Necker ; il avait vécu dix-huit ans chez Mme de Vermenoux, la marraine de Mlle Necker ; il était pour Mme de Staël un vieil ami de famille, sûr, éprouvé. Quand elle était encore enfant, c’est lui qui rédigeait les vers qu’elle présentait à son père, le jour de sa fête ; quand elle eut vingt ans, et qu’elle s’essayait à écrire, elle communiquait à Meister ses premières ébauches, et il les envoyait à ses correspondans. C’était alors la mode de faire des folles, c’est-à-dire de petites nouvelles, dont l’héroïne était devenue folle par amour. Mme de Staël, au printemps de 1786, avait composé un morceau de ce genre, la Folle de la forêt de Sénart : « Voilà cette folle que vous désirez, monsieur, écrivait-elle à Meister ; je vous prie de me la renvoyer ; c’est ma seule copie. Mais je vous assure que je n’y mets précisément d’autre valeur que de ne la pas jeter au feu »

Les lettres de Mme de Staël à Meister s’étendent sur une durée de trente ans. Toujours intimes et confiantes, elles offrent un intérêt particulier au moment où tous deux viennent de se réfugier en Suisse. Dans sa retraite, — une maison de campagne à Promenthoux, au bord du lac Léman : M. Necker et sa famille ne se seraient pas sentis en sûreté au château de Coppet, trop voisin de la frontière, — Mme de Staël écrivait à Meister, le 2 décembre 1793, une lettre toute pleine et débordante des sentimens qui l’agitaient alors :


« Un seul bien reste dans cet affreux écroulement de l’univers, un seul fait encore vivre : c’est de recevoir et de donner du bonheur à ses amis. MM. de Montmorency et de Jaucourt sont chez moi depuis deux mois sous des noms suédois ; M. de Narbonne y arrive sous un nom espagnol. Berne le sait (le pays de Vaud était soumis au canton de Berne), Berne le tolère, parce que je vis absolument seule à la campagne, et qu’il est bien prouvé que c’est à la retraite la plus obscure que nous aspirons. Mais l’évêque d’Autun, que j’aime si tendrement, ne serait pas reçu ici, à cause de ses opinions ci-devant démocratiques. (On sait que c’est pour ce même motif que Talleyrand fut forcé de quitter l’Angleterre, peu de temps après.)

« Votre canton (Zurich) a des opinions plus populaires. Cette classe d’émigrés qui a voulu la Révolution, et s’est arrêtée où finissait le sacrifice et commençait l’oppression, cette classe si peu nombreuse parmi la noblesse, doit être plus agréable à l’esprit sage et modéré de votre canton. Ils sentiront aussi que ce parti doit fuir les lieux où il y a des rassemblemens d’émigrés de pire origine, et que, placés entre les deux extrêmes, ils doivent connaître le prix de cette conduite modérée dont les deux factions opposées se plaisent à leur faire un crime.

« Vous en savez, sur ces réflexions, mille fois plus que moi. Mais le fait est que je puis, comme femme d’un Suédois, d’un Suédois qui a une grande place dans son pays, et que le grand chancelier de Suède a recommandé comme ambassadeur à l’avoyer de Berne, louer une maison de campagne sur les bords du lac de Zurich, le printemps prochain : mais, si l’on devine que les deux Suédois qui habitent chez moi, qui n’en sortiront point, qui ne chercheront point la société, et ne passeront pas le jardin de ma maison ; si l’on devine que ces Suédois sont deux constitutionnels, deux hommes amis de la monarchie limitée, de la liberté dans l’ordre, me tourmentera-t-on ? Ou voudra-t-on bien croire l’ambassadrice de Suède, affirmant qu’elle n’a chez elle que des Suédois ? On y a consenti ici ; mais on ne m’a pas donné la permission pour l’évêque, et je ne me fixerai nulle part sans lui. Daignez donc me dire si je puis, avec quelque espoir de sécurité, louer ce printemps une maison à la campagne, et y inviter M. de Talleyrand. Dites-moi si Zurich veut caractériser la modération de ses opinions, en donnant un asile à des hommes persécutés pour cette même modération.

« Dites-moi enfin si je vous devrai le bonheur de passer l’été avec vous et vos amis. Si cela était impossible, je vous prierais alors de prendre quelques informations sur Schaffhouse. Cela me conviendrait bien moins ; mais enfin, ce dont j’ai besoin, c’est d’une maison qui me serve d’abri contre les injures de l’air, et de retraite contre les passions des hommes.

« Je n’ajouterai rien à cette lettre ; tant de sentimens se pressent au fond du cœur que, pour commencer, il faut être certain de pouvoir tout dire, et la vie et l’âme, et la parole et la pensée n’y suffisent pas. Croyez seulement que je sais et vous estimer, et vous aimer, et mettre au premier rang le plaisir de passer quelque temps avec vous. »


Les démarches de Meister ne purent obtenir la faveur que sollicitait Mme de Staël ; et, quelques semaines après, celle-ci prenait encore son vieil ami pour confident de ses peines.


« 19 février 1794. — J’ai vu dans la Gazette de Schaffhouse que l’évêque d’Autun avait été renvoyé d’Angleterre. Ce bruit m’a tellement bouleversée que je puis à peine tenir ma plume, à cause du tremblement que j’ai depuis cet instant. S’il venait ici, je serais trop heureuse ; mais il irait en Amérique. »


« 12 mars. — Ah ! l’Angleterre ! ils m’en ont ôté mon aimable, mon excellent ami ! Depuis la Révolution, voilà pour moi le plus grand des malheurs. En partant, il n’est pas un seul intérêt de ses amis dont il ne se soit tendrement occupé. C’est un caractère méconnu ; mais son esprit si orné, si charmant, est moins supérieur encore. Je ne sais rien qui me décidât à ne plus le revoir ; et peut-être d’autres raisons bientôt me forceront à le chercher. Je commence à détester l’Europe, et mon dernier essai pour mes amis sera Zurich. Moi, je traînerai plus longtemps ; mais qui peut consentir, à vingt-sept ans, à se détacher de tout le passé ? Comment aimer comme on aimait ? Comment avoir des sentimens qui valent des souvenirs ? Vous avez un tel charme dans la manière de vous intéresser, que je vous accable de moi. Cet été serait encore bien doux si je le passais avec vous et eux. »


Ces lettres de Mme de Staël témoignent de tout l’attrait que dans sa jeunesse lui savait inspirer M. de Talleyrand, qui depuis… L’été de 1794, au moins, ne trompa pas l’attente de Mme de Staël, qui l’espérait heureux et doux. Il lui apporta en juillet la nouvelle des événemens du 9 thermidor, et au mois de septembre, la rencontre de Benjamin Constant, « dont M. Suard vous a peut-être parlé comme d’un homme de beaucoup d’esprit, » écrivait-elle peu après à Meister.

En continuant à feuilleter cette correspondance, qui sera bientôt intégralement publiée, nous l’espérons, on y pourrait glaner bien des détails intéressans sur la vie de Mme de Staël et ses sentimens au temps du Directoire, sur ses premiers ouvrages, sur la composition du roman de Delphine : Meister fut appelé à fournir des renseignemens géographiques et autres sur l’abbaye du Paradis près de Schaffhouse, refuge de l’héroïne du roman, et sur les villes du voisinage, pour que Delphine pût y aller et en revenir avec quelque vraisemblance.

La politique et la guerre ont aussi leur place dans ces lettres. Nous avons vu que Mme de Staël avait pour la Révolution un faible, que Meister ne partageait point du tout. Ce fut l’inverse, quand Bonaparte parut sur la scène du monde. Bien vite, Meister se déclara pour lui. Quant au Premier Consul, quoique jamais il n’ait vu le littérateur zurichois, ce lui fut assez de jeter un coup d’œil sur ses écrits : pour ce meneur d’hommes, Meister fut aussitôt classé dans son esprit comme un pion, qu’il se réserva de faire avancer sur l’échiquier, au moment utile.

Meister ne semblait point préparé à jouer un rôle politique, et pourtant il s’en acquitta fort bien. Les malheurs de son pays avaient éveillé en lui le sentiment patriotique ; son désintéressement, son tact d’homme du monde, suppléèrent à l’expérience qui lui manquait.

La Suisse, envahie par les armées de la République française, avait été mise sens dessus dessous. Sur les collines qui entourent Zurich, de sanglans combats s’étaient livrés. Cette contrée heureuse et paisible avait été foulée aux pieds par la soldatesque. La vieille constitution du pays avait été renversée, sans qu’une nouvelle eût réussi à s’établir solidement. Tout était à réorganiser : ce fut l’affaire du Premier Consul.

Quelques jours après le Dix-huit brumaire, au mois de décembre 1799, Meister avait envoyé à Paris un mémoire où, s’adressant « au héros, au sage, au génie protecteur qui venait de sauver la France », il lui demandait de « tracer lui-même les principaux traits du gouvernement qui pourrait s’adapter le mieux à nos ressources, au vrai principe de notre vie. »

Bonaparte remarqua ce mémoire ; il est tout simple qu’il en ait noté l’auteur comme un homme à employer dans l’occasion. Aussi ne partageons-nous pas l’étonnement que Meister semble exprimer dans une page de ce qu’il appelle l’Inventaire de mes vanités :


« J’étais déjà bien près, dit-il, d’accomplir mon douzième lustre, lorsque l’homme le plus extraordinaire de notre siècle et de beaucoup d’autres, trouva bon de me nommer président de la commission constituante de mon canton, je ne sais trop pourquoi, si ce n’est parce qu’il avait été assez content de quelques idées répandues dans mon volume : Sur la Suisse, à la fin du XVIIIe siècle.

« Il y avait alors environ quarante ans que j’avais risqué de m’y voir brûlé comme athée. Je n’en occupai pas moins, cinq à six semaines, la première chaise curule de notre petite république ; et il n’eût tenu qu’à moi de l’occuper plus longtemps, si je n’avais pas eu le bon sens de préférer, aux vanités d’une magistrature qui m’eût fait périr de chagrin ou d’ennui, mes études, mon repos et mon indépendance. »


L’année suivante cependant, étant allé à Paris, Meister put rendre encore quelques services à son pays, en plaidant auprès de plusieurs personnages politiques la cause des magistrats zurichois compromis à ce moment par suite des troubles qui avaient éclaté dans leur canton. « Un des souvenirs les plus intéressans de mon voyage, dit-il, est celui d’une longue conversation que j’eus avec Fouché. Je vis en lui, comme il le disait lui-même, un volcan éteint ; et je n’admirai pas moins la sagesse et la modération que la profondeur et la sagacité de ses vues, sur tous les objets dont il lui plut de m’entretenir. »

Cette estime si entière, pour un homme tel que Fouché, nous aide à comprendre que Benjamin Constant, dans son Journal intime, témoigne peu de sympathie à l’égard de Meister : « un homme, dit-il, dont toute la vie s’est passée avec les philosophes du XVIIIe siècle, et qui leur doit le petit nombre d’idées qu’il a. Avec cela, la faiblesse de son caractère lui fait désirer de ne pas être en opposition avec le torrent du jour. Meister[3] n’a pas assez de valeur pour être philosophe. » C’est à propos des Études sur l’homme dans le monde et dans la retraite (Paris, 1804) et du compte rendu que le Mercure avait fait de ce livre de Meister, que Benjamin Constant maltraite ainsi le vieil ami de Mme de Staël ; il avait eu maintes fois l’occasion de le rencontrer, à Lausanne et à Coppet.

Meister, à soixante ans, n’était pas encore marié. Nous avons déjà parlé d’Ursule Schulthess, de cette idylle au bord du lac, dans les vignes du presbytère, et de son brusque dénouement. On se rappelle qu’Ursule avait épousé le « tribun » Burkli. Un long temps s’était écoulé depuis lors, et l’âge était venu, sans qu’elle eût perdu le don de plaire. Croyons-en le baron de Staël, qui écrivait à Meister en 1794 : « Vous m’avez dit, monsieur, que vous voyez souvent Mme Burkli ; je vous prie de lui faire agréer mes hommages. Je suis enchanté d’avoir fait la connaissance de cette aimable femme, dont l’âme, la tournure et l’esprit, ont tant d’harmonie et de charme. Je fais des vœux sincères pour qu’elle soit toujours heureuse. »

Quelques années après, M. Burkli était mort ; sa veuve était mère de famille et grand’mère, et Meister avait repris avec elle les amicales relations d’autrefois. En la revoyant toujours aimable, il n’avait qu’un seul mot à changer aux vers de Maynard :


Huit lustres ont suivi le jour que tu me pris,
Et j’ai fidèlement aimé ta belle tête
Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.


Dans une de ses Cinq nouvelles helvétiennes (Paris, 1805), il avait esquissé, en le romançant, le récit de ce qui s’était passé entre elle et lui dans leurs jeunes années. Mme de Staël avait lu et compris ce morceau ; et quand Meister et son amie se furent décidés à passer leur vieillesse ensemble : « J’avais deviné votre secret, lui écrivait-elle ; mais je voulais attendre d’en être sûre. On me dit que vous êtes marié : je vous en félicite ; c’est un beau soir que cette union, qui est précédée par les souvenirs de toute la vie. »

Il ne nous reste plus qu’à parcourir rapidement les dernières années de la vie de Meister, en y signalant les faits les plus notables.

La Correspondance de Grimm et Diderot parut en 1812. Le public ignora longtemps la grande part que Meister y avait prise. Sainte-Beuve lui-même, qui le mentionne en passant, le qualifie secrétaire de Grimm. Ce sont MM. Tourneux et Scherer qui ont mis son rôle en son vrai jour. Meister n’a pas été le secrétaire, il a été le successeur de Grimm. Mais c’est lui-même qui, lors de la publication de la Correspondance littéraire, a tenu à s’effacer, à rester dans l’ombre.

Quand Mme de Staël partit pour la Russie, au printemps de 1812, elle aurait voulu, en passant à Zurich, y rencontrer Meister :


« Je m’étais fait un triste plaisir, my dear sir, lui écrit-elle, de vous dire adieu en allant aux eaux, et M. Schlegel est allé vous chercher, pour vous confier (sous le sceau du plus grand secret) que j’étais là. Mon espoir a été déçu ; je ne vous verrai point : c’est une émotion douce et douloureuse que je perds. Ne me nommez à personne. Quand reviendrai-je ici ? Le monde et moi, nous ne savons pas ce que nous deviendrons. »


Une fois Mme de Staël établir en Suède, et plus tard en Angleterre, ses lettres ne pouvaient plus arriver à Zurich. Mais en 1814, Meister alla la revoir, et elle lui écrivait de Coppet, en 1815 :


« Joseph m’a écrit que l’empereur était content de ma conduite pendant son adversité, et m’invitait à revenir à Paris. Je reste ici cependant. Il n’y a plus de Paris, il n’y a plus rien que les souvenirs du passé, et vous savez quelle place vous y tenez dans mon cœur ! » Et quelques jours après : « M’approuvez-vous d’avoir refusé d’aller à Paris ? »


Dans la carrière de Meister un dernier succès fut celui qu’il obtint auprès du poète Foscolo. En 1815, au moment où disparut pour longtemps l’espoir des patriotes italiens, de voir leur pays arriver à l’indépendance, Foscolo s’était réfugié en Suisse, et il passa toute une année dans les environs de Zurich : c’est alors qu’il connut Meister. Les lettres amicales et presque filiales qu’il lui a adressées à cette époque ont été publiées par M. Adolphe Tobler, un des maîtres de la philologie romane. Dans une lettre de 1817, à ses libraires Orell, encore inédite, Foscolo écrivait : « M. Meister m’est cher comme ami, comme maître et comme père. Souvent, en désirant la mort, je m’afflige de ne pouvoir pas expirer dans ses bras : c’est à lui seul que je voudrais confier mes dernières volontés et mes manuscrits. J’avais l’intention de lui faire une surprise en lui envoyant un bel exemplaire de son Euthanasie (un des ouvrages publiés par Meister dans sa vieillesse) que j’ai tournée de mon mieux en italien… » — Voilà qui montre que Meister avait le don de plaire. Cinquante ans auparavant, quand il s’était présenté à Jean-Jacques Rousseau, sa jeunesse avait été bien accueillie du philosophe misanthrope ; et, devenu vieux, il n’avait pas perdu, on le voit, le charme qui distinguait sa personne.

La plus belle vieillesse arrive un jour à sa fin. Dans le cours de sa quatre-vingt-troisième année, Meister mourut frappé d’un coup d’apoplexie, le 10 novembre 1826. Il avait quitté Paris depuis plus de trente ans, et sa mort n’y fit pas de bruit : il était oublié. Sa longue vie l’avait fait survivre à ses contemporains ; et, quoiqu’il eût continué à écrire et à publier, la nouvelle génération ne le connaissait plus.

Henri Meister, comme Béat de Murait, le baron de Besenval et Bonstetten,. a été un de ces Suisses allemands qui, au XVIIIe siècle, ont su se faire une place avec quelque succès parmi les littérateurs français. Dans les temps qui ont suivi, Berne et Zurich ont vu naître d’autres écrivains, Jérémias Gotthelf, Gottfried Keller : mais alors le sentiment germanique s’était réveillé, et ces derniers n’ont pas été, comme les autres, infidèles à la langue allemande.


PAUL USTERI ET EUGENE RITTER.

  1. Mme de Vermenoux, qui mourut le 27 décembre 1783, dans la ville de Montpellier, avait légué son cœur à Meister, en lui faisant jurer qu’il ordonnerait par son testament que ce cœur fût un jour enseveli avec lui dans le même cercueil.
    Quand Meister fut décédé, en 1826, et qu’on eut ouvert son testament, sa veuve et ses autres hoirs, pour obéir à ses dernières volontés, se mirent en quête de ce cœur de Mme de Vermenoux. On ne sut pas d’abord ce qu’il était devenu. Mais un vieux serviteur du défunt, Johann Schaeppi, se rappela une petite boite en fer-blanc, que son maître emportait religieusement avec lui dans ses voyages ; elle avait été reléguée au grenier ; on la retrouva, on l’ouvrit : elle contenait un cœur en effet. On le plaça en conséquence à côté du cadavre, et on l’enterra avec lui dans le cimetière de Zurich.
  2. Meister avait fait voyage avec le général de Montesquiou.
  3. L’éditeur du Journal intime de Benjamin Constant a mal lu à cet endroit (page 85) le manuscrit qu’il a reproduit. Au lieu du nom de notre Henri Meister, il a imprimé en effet : De Maistre !