Harmonies poétiques et religieuses/éd. 1860/Le Retour/Commentaire

Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 513-514).
COMMENTAIRE

DE LA DIX-SEPTIÈME HARMONIE



Le comte Xavier de Maistre est le frère cadet du fameux comte de Maistre, le philosophe des Soirées de Saint-Pétersbourg. J’en ai parlé dans les Confidences, je n’ai rien à en dire ici : c’est une renommée à débattre entre les philosophes des deux écoles. Comme écrivain, il est incontesté ; car il est ce qui fait qu’on est, c’est-à-dire original.

Le comte Xavier, à qui s’adresse cette Harmonie, est l’auteur de deux livres charmants, quoique de tons très-divers : le Voyage autour de ma chambre, et le Lépreux de la cité d’Aoste. Le Voyage est un badinage ; le Lépreux est une larme, mais une larme qui coule toujours. Cet écrivain est le Sterne et le J.-J. Rousseau de la Savoie ; moins affecté que le premier, moins déclamateur que le second. C’est un génie familier, un causeur du coin du feu, un grillon du foyer champêtre. Je ne l’avais jamais vu. Les orages de la première révolution piémontaise l’avaient jeté en Russie ; il s’y était marié. Il revenait en Savoie après vingt-cinq ans d’absence. Allié de sa famille, ami de son neveu, j’appris son retour ; je lui adressai de Florence ce salut amical d’un inconnu.

Je l’ai vu depuis, en 1842, en France, chez madame de Marcellus, son amie et sa fille de cœur, digne d’une telle adoption. C’est un vieillard faible et gracieux, de quatre-vingts ans, sans aucun signe de découragement de la vie ou de décrépitude de corps. Finesse, sensibilité douce, sourire semi-sérieux et indulgent sur les choses humaines, tolérance qui vient de l’intelligence sur toutes les opinions honnêtes : voilà l’homme. Ajoutez-y un son de voix sonore et lointain comme un souvenir, et ces conversations à demi-voix où toutes les années écoulées repassent en anecdotes devant la mémoire, une modestie qui s’ignore elle-même, et un talent remarquable pour la peinture de paysage. C’est ce qu’on appelle, dans la langue française, un amateur en littérature et en tableaux ; mais un amateur immortel, grand artiste sans art, grand écrivain sans école ; la nature en tout, c’est-à-dire le souverain maître. Dans la littérature du cœur, le Lépreux de la cité d’Aoste tient sa place à côté de Paul et Virginie ; il n’y a rien de supérieur dans la langue, car l’écrivain qui arrive aux larmes arrive à tout. Le pathétique est le sommet du génie ; le didactique n’est qu’une leçon ; l’épique n’est qu’un récit ; la polémique n’est que du raisonnement, le lyrique n’est que l’enthousiasme ; mais le pathétique, c’est le cœur.