Happe-Chair (Lemonnier)/Chapitre XXXI

Louis-Michaud (p. 286-304).
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XXXI



À quelque temps de là, Péquillot mourut et Huriaux passa contremaître à sa place.

Ce fut une révolution dans son existence : il tenait à son four comme à un compagnon des bons et des mauvais jours. À eux deux ils avaient eu des folies de jeunesse ; la chanson de ses vingt ans tout un temps s’était mêlée au crépitement du feu ; dans la gaieté et l’entrain de son travail, l’énorme four alors béait hilare, comme une bouche qui rit. Plus tard, aux heures noires, cette cavité enflammée qu’il labourait de ses ringards avait ressemblé à son rouge cœur saignant où, avec des ringards bien autrement actifs, le malheur constamment remuait la souffrance. Le four brûlait, grondait, ronflait, avait l’air d’une âme en peine ; et lui, penché dessus, semblait l’attiser de son ennui, y brasser sa douleur, rouler dans la colère et le vent des flammes, au lieu de la balle, l’objet de ses rancœurs. Et jamais cet ami-là ne l’avait trahi.

En lâchant son four, c’était donc tout une part de lui-même qu’il quittait. Il faisait peau neuve dans une condition meilleure, c’est vrai, mais il rompait les habitudes du passé, il abdiquait une vieille affection solide qui, jusque-là lui avait occupé l’esprit et les bras. Cependant quel ouvrier eût été assez stupide pour refuser un avancement ? Une considération déjà haute s’attache au titre de contremaître, presque un maître lui-même. Puis le salaire est immuable, en dehors des hauts et des bas de la fabrication ; on a un traitement à l’année comme un employé. Péquillot, avec l’augmentation qu’il touchait depuis deux ans, se faisait deux cents en plus des deux mille, une somme ! Et il espérait bien un jour atteindre au même chiffre. Enfin, une autre raison avait coupé court à ses regrets : avec les cent soixante-huit francs qu’il palperait à chaque fin de mois, il allait pouvoir boucher les trous, laver ses dettes, assurer un sort à Mélie. Un orgueil le prenait à l’idée de la petite poussant dans une demi-aisance, habillée comme une fille de bourgeois, fréquentant une école payante. Tant qu’il avait convoité un garçon, il s’était, par orgueil de son métier, complu dans le souhait d’en faire un manouvrier comme lui. Mais pour sa fille, des ambitions lui venaient, il la rêvait instruite, appliquée à des travaux qui ne lui gâteraient pas les mains, avec des manières de demoiselle. Quand elle irait sur ses vingt ans, on verrait à lui trouver un brave garçon qui aurait un emploi sûr et qui l’épouserait pour sa bonne mine. Peut-être même qu’en se serrant un peu, on lui amasserait d’ici là un peu d’argent à remotis pour entrer en ménage Et la tête montée par cette chaleur de paternité, il finissait par ne plus penser qu’à la belle fille sage qu’elle serait plus tard, oubliant presque les turpitudes de sa vie présente avec cette Clarinette qui était cause de tous ses malheurs.

Ces espérances lui étaient un soutien dans les ennuis toujours croissants de sa misérable existence. Deux semaines environ avant sa nomination au poste de contremaître, le notaire avait vendu la petite maison du Saut-du-Leu. La dette remboursée, il lui était resté un peu moins de quatre cents francs qui avaient servi à régler Malchair, les autres fournisseurs et le propriétaire. Jamais il n’avait été plus malheureux : même les plus sombres crises de leur ménage n’étaient rien à côté de cette douleur de voir sombrer le lopin que lui avaient transmis les siens. C’était comme un morceau de la chair maternelle qu’il aurait laissé vendre aux enchères : l’argent qu’il en avait tiré lui avait brûlé les mains, non moins que sil eût mis le couteau au flanc de la digne longévité et en eût senti couler sur ses doigts les gouttes de sang tiède. Fini son rêve d’aller mourir là-bas ! Un autre planterait ses choux dans cette terre nourrie de la sueur des parents ; un autre fermerait les yeux dans la petite chambre où traînait toujours le souvenir de sa mère à l’agonie. Et cet autre était un inconnu, un homme de la campagne venu de plus de six lieues de là, pas même une connaissance chez qui de temps en temps il aurait pu se payer un peu l’illusion des jours anciens.

Le soir de la vente, ils eurent, Clarinette et lui, une querelle nouvelle ; elle lui lança à la tête un fer à polir qui lui fendit l’oreille ; et il lui broya le cou entre ses paumes jusqu’à lui faire tirer une langue plus dure qu’un caillou. C’était elle qui, encore une fois d’ailleurs, avait commencé ; elle avait raillé sa peine noire, s’était amusée de ce malheur plus grand que les autres, qui était pour lui comme la rupture du dernier lien avec le temps heureux de sa vie ; et pendant près d’une semaine, à toute heure du jour, la maison avait retenti d’une éternelle reprise de leurs deux hargnes.

À la nouvelle qu’il remplaçait Péquillot, un saisissement la prit. Alors qu’elle croyait tout aplani entre eux, brusquement il sortait de son obscurité d’ouvrier, commençait son ascension sociale vers l’autorité et le commandement. Son dépit s’exhala dans cette sortie brutale qu’elle lui décocha :

— Te v’là à présent pire qu’un domestique ! T’es comme un chien à l’ chaîne ! C’est pu un métier d’homme, ça !

Il haussa les épaules, jugeant la réponse inutile, mais triste, songea à la démoralisation survenue chez cette Clarinette, autrefois si toquée de grandeurs. Aux bons jours de leur vie, elle l’eût serré dans ses bras, pour ce coup de fortune qui le mettait au-dessus des autres. À présent, toute ambition étouffée, elle descendait la pente, roulait à de basses fréquentations, s’amichait avec cette Ronche, une torpiaude qui se piquait le nez à boire le schnick comme un homme, avec d’autres encore, toutes gouines mal famées et pas plus propres que la maîtresse du massier.

Cependant, comme ces commerces risquaient de lui nuire dans l’estime de la gérance, il se décida un jour à lui faire entendre raison. Elle s’était à demi brouillée avec la femme de Piéfert, ne voyait plus du tout la grande Philomène. D’ailleurs le malheur arrivé à Simonard avait relâché les anciens liens, même entre les hommes. Le vieux chauffeur, les reins cassés, avait tout juste à présent la force de se traîner de sa chaise au seuil de la maison. Quant à Piéfert, sa nature tranquille eût suffi à l’écarter d’un ménage toujours en train de se harpailler. Quelquefois, mais le dimanche seulement, pour ne point rompre tout à fait avec Huriaux, il entrait vider un pinte, on battait une demi-heure les cartes, puis, la porte fermée sur ses talons, le café retombait au vide et au silence. Au fond, Piéfert et les autres jalousaient ce poste qui le grandissait au-dessus d’eux ; les femmes surtout montaient leurs maris contre ce Huriaux, leur égal d’autrefois, et qui maintenant, par un tour de faveur, marchait de pair avec les chefs. Jacques, lui, eût voulu que Clarinette se rabibochât avec Zoé-Évangéline et la Philomène. À la bonne heure des relations comme celles-là ; c’étaient de bonnes ménagères, bien vues du Culot. Et il la poussait aussi à se lier avec des femmes de contremaîtres et de surveillants, un petit monde qui tenait le haut du pavé et avec lequel il était de leur commun intérêt de demeurer en bon accord.

Mais la Rinette le rembarra crûment, raillant cette fierté qui le prenait tout à coup. Rien ne l’empêcherait d’en agir à sa tête : ce n’était pas lui qui la ferait changer. Il l’avait prise, cette fois, par la douceur, avait cherché à la ramener à la raison, se violentant pour lui parler en ami ; et de nouveau il échouait contre sa revêche opiniâtreté.

Alors, plus que jamais, la zizanie prit possession de la maison. Du monde s’attroupait en plein midi devant la porte pour s’amuser du bruit de leurs querelles, l’oreille tendue aux injures qu’ils se renvoyaient ; et les cris montaient à travers les escaliers, les voix perçaient les plafonds, toute cette sale dispute finalement allait crever sur le pavé parmi les curiosités de la rue.

Un jour, comme à bout, il lui reprochait ses coquineries avec Ginginet et Gaudot, elle se campa devant lui, les poings sur les hanches ; et de sa porte, Patraque l’entendit qui hurlait :

— J’ t’ai fait cocu cor’ avec ben d’autres !

Tout de suite après, elle lui vida dans les jambes une hottée de noms, sans s’arrêter, allant jusqu’à inventer des copulations avec des hommes qu’elle connaissait à peine, dans un étalage furieux de hontes imaginaires pour mieux l’accabler. Et elle lui crachait tous les mâles du Culot, se déshabillait dans un stupre sans trêve, incitant en lui l’idée d’un monstrueux coït vautré par les champs, la maison, la rue, avec une foule qui s’était repue de sa chair, Capitte, Zinque, Miche, le Rouchat, Carbonel, Péquillot, Tricot, Guenne, Simonard, Piéfert, les morts et les vivants, les vieux et les jeunes, tout un immense rut qui depuis le commencement de leur mariage ne l’avait plus lâchée.

L’énormité de ce vice tranquillisa Huriaux : dans sa frénésie à entasser l’ordure, elle avait dépassé la mesure. Il haussa les épaules, grimpa à l’étage pour échapper à ses poursuites, impuissant à refréner ce flux effrayant de noms et d’outrages. Mais d’en bas elle continuait à remplir l’escalier de ses gueulées. Et tout à coup. Patraque cessa d’entendre sa voix et la vit passer derrière le comptoir où elle se mit à boire à même les bouteilles.

Depuis quelque temps son goût de la boisson n’était plus un mystère pour personne. Des voisins l’avaient aperçue zigzaguant à travers les trottoirs, les jambes cassées, rouge et dépeignée, avec le flasque battement de paupières des ivresses mûres. « V’là qu’elle est cor’ eun’ fois bue ! » disaient les commères en riant. Et on plaignait généralement Huriaux, obligé de « trimer à côté d’une pareille soûlée ». Cependant, jusqu’alors elle s’était observée, ne buvant qu’après qu’il avait quitté le logis ; au retour, il la trouvait dégrisée, toute veule de sa boisson cuvée. Mais petit à petit, elle ne se gêna plus : elle lui lâchait à la face son odeur enflammée d’alcool, écroulée dans sa graisse comme un paquet mou. À deux, avec la Ronche, elles battaient les petits débits, buvant debout au comptoir, parmi les hommes qui les patrouillaient : et quelquefois Phrasie les rejoignant, elles se payaient des tournées de choses fortes, demeuraient ensemble des heures à rire, la bouche pâteuse, en se cognant lourdement de l’épaule. Elle aussi, la Phrasie, tournait à la crapule. Depuis la grève, elle n’avait plus repris le travail ; pendant une semaine, on l’avait vue rouler les cabarets avec un houilleur, un amant qui, le soir même où elle avait été portée en triomphe, avait abusé d’elle après l’avoir grisée. Et une liaison s’en était suivie qui avait duré quinze jours ; ils avaient été se loger à la ville, courant les beuglants et briffant sur une part d’héritage, une couple de cents francs fraîchement échus au charbonnier. Puis celui-ci l’avait brusquement quittée avec un louis de dettes à payer ; et elle avait été bien aise de « s’en sortir » au prix d’un mois de son temps et de son travail, pendant lequel le patron, un vieux paillard mangé de chancres, l’avait employée comme il avait voulu. Une flemme l’avait prise ensuite : elle s’était tout à fait débauchée, attirant des inconnus chez sa mère, une octogénaire impotente et sourde, qui leur abandonnait une part de son lit.

Un soir, Huriaux, en rentrant de l’usine, trouva la Rinette étendue en travers du carreau, une large crevasse à la tête, par laquelle coulait le sang. Il se rappela cet autre jour où, avec un grand saisissement, il avait eu la preuve qu’elle buvait. C’était le premier pas, alors, le premier glissement sur la pente ; mais depuis, elle avait roulé toujours plus bas, pour leur honte à tous deux ; et il songeait à cette dérision du sort, qui lui avait donné à lui, le sobre par excellence, une ivrognesse pour femme. Du pied il remua cette masse lourde suant son alcool, et comme elle ne bougeait pas, tout à coup une espérance, une joie lui monta du plus profond de son être. Si c’était fini ! si la vie était partie par le trou de son crâne ! Il se baissa, la palpa de ses mains, très pâle, les yeux énormes ; mais la peau était chaude, ses doigts s’enfoncèrent dans la chair grasse, toute molle ; et il ressentit en dedans de lui une détresse noire, avec une envie de pleurer et de se tordre les bras devant cette réalité qui le décevait.

Le lendemain, quelqu’un du voisinage lui apprit la nouvelle ; une bande de gamins s’était acharnée après la Rinette, ivre ; on lui avait jeté des pierres ; une demi-brique l’avait atteinte à la tête.

C’était une honte nouvelle ajoutée aux autres ; bientôt il ne pourrait plus faire un pas dans le Culot sans être montré au doigt. Lui, le contremaître, l’homme du devoir, qui devait sa position à sa vaillance et à son travail, il traînerait partout l’horreur d’une vie déshonorée. La boue maintenant menaçait de le submerger ; il ne savait plus comment sortir de cet égout qui un jour lui passerait par-dessus la tête. Alors il désespéra de nouveau, crut la vie finie, pendant toute une semaine eut la pensée de s’exterminer. Là-bas, à Happe-Chair, le volant surtout l’attirait ; l’immense et prodigieuse rotation l’emplissait d’un vertige de mort ; il avait envie de se ruer dans le tourbillon, tête en avant. Même il n’aurait eu qu’à se laisser choir ; une fois tombé dans le trou, en une seconde les rayons l’eussent saisi, broyé, déchiqueté, moulu comme une graine dans un moulin à café. Et il songeait à l’apaisement de n’être plus, dans cette foudroyante dispersion de ses os, de son cœur et de sa cervelle projetés en tous sens comme les éclaboussures d’une pluie. Puis l’idée de sa Mélie l’arrêta ; il se sentit devenir lâche à la peur de l’abandonner ; toute sa force et sa résolution croulaient devant cette souffrance de la petite créature traînée aux débauches de la mère, commençant comme celle-ci finissait, dans le mépris et l’ignominie. Ce jour-là, rentré au logis, il la baisa follement, la roula dans son giron, d’un emportement presque sauvage.

Il prit l’habitude de l’emmener, la journée finie. À deux ils se rendaient chez Simonard, chez Piéfert, chez Carbonel, chez Lambilotte. La souffrance de ses autres tendresses trahies l’avait rapproché d’eux ; il cédait à la nécessité de se rattacher aux hommes dans l’écroulement de sa vie : et comme ils le voyaient très malheureux, l’ancienne amitié était revenue, ils l’accueillaient avec plaisir. Il portait Mélie dans ses bras, quelquefois la promenait à la main, réglant sur ses petits pas trébuchants sa large démarche d’homme. Et une fois chez eux, il leur racontait ses chagrins, se vidait dans des confidences qui lui faisaient du bien.

— Faut bien qu’on ouvre de temps en temps sa soupape, disait-il, sans quoé on crèverait.

Les femmes surtout l’avaient pris en pitié. Cet homme doux et fort qui pleurait sa peine avec des larmes chaudes, remuait en elles le goût des consolations. La grande Philomène lui faisait du café, l’entourait de dorlotements, mettait des mots caressants sur sa plaie. Comme les vieilles gens stériles, elle n’aimait pas les enfants ; leur turbulence gênait sa tranquillité ordonnée de ménagère, toujours préoccupée de la bonne tenue de la maison. Elle redoutait aussi leur manie de toucher aux objets, de farfouiller dans tous les coins, comme elle disait. Mais avec Mélie, elle avait d’étonnantes tolérances. La petite, d’ailleurs ne ressemblait pas aux autres enfants de son âge : on l’asseyait sur un bout de tapis à terre, une chiffe dans les doigts et elle en avait pour des heures à s’amuser, riant toute seule, battant des mains, gigotant les pieds en l’air, sans jamais se plaindre, habituée à ce que personne ne prit attention à elle. Sûrement, il leur aurait fallu une crapaude comme celle-là, point « brayourde », toujours contente, tétant des demi-jours un suçon comme une vraie mamelle. Sa maternité brehaigne s’agitait, au fond de ses entrailles que rien n’avait pu féconder, devant ce morceau de chair pouparde, poussé dans le malheur et la discorde ; et elle la lavait, lui ôtait les poux de la tête, allait ensuite acheter du sucre de pomme à la boutique, sénilement amusée de ses rires qui lui trouaient les joues de fossettes. Quelle canaille, cette Clarinette ! Pendant des semaines, elle la laissait dans ses linges sales ; sa peau était toute bleue des coups qu’elle se donnait contre les chaises et les tables ; les pissats lui avaient crevassé ses petites fesses de gerçures vives ; presque toujours c’était Huriaux qui était obligé de guéer les pauvres chemises à trous, les penaillons de robes qui par endroits lui faisaient les membres nus. Philomène, tout en décrassant Mélie, lâchait des injures à la mauvaise mère : il faudrait une loi pour punir de pareilles créatures ; on jetait en prison de pauvres diables qui n’en avaient pas fait autant. Et, très adroite à la couture, elle se mit à tailler des chemises, des jupons, un petit trousseau, que Clarinette, furieuse, mit en pièces.

Simonard, lui, avait terriblement décliné. Sa vie semblait finie ; quand on lui parlait de l’avenir, il secouait la tête avec un rire cruel pour ce corps qui ne fonctionnait plus.

— J’vaux pus seulement une pipe de tabac. Autant aller pourrir dans l’ terre à canadas.

Il marchait l’échine pliée en deux, ses paumes à plat sur ses reins, très lentement ; mais tout de suite la lassitude le prenait, il était obligé de se rasseoir ; et, pour tuer le temps qui le tuait, par besoin de s’occuper à quelque chose, dans le désœuvrement des jours longs, il employait les activités inutiles de ses puissantes mains calleuses à des besognes de femme, tricotait des bas, le dos enfoncé dans des coussins. Son humeur violente avait tourné à l’aigre ; il gémissait constamment, entre ses dents mâchonnait d’interminables soliloques, usant les dernières forces de son rude organisme à taquiner Philomène, en un recommencement sans trêve de chamailleries à propos de tout. Presque toujours elle se contentait de hausser les épaules ; son pauvre homme était bien assez malheureux comme ça, sans lui chercher encore querelle ; et elle l’entourait de ses tendresses de vieille épouse, pleine de pitié pour le compagnon malheureux tombé sur le chemin, avec un peu des gâteries d’une mère pour un enfant infirme.

Un jour, Huriaux leur arriva très sombre. Il se laissa tomber sur une chaise, la tête dans les poings. Non, ça ne pouvait pas continuer plus longtemps ! Rien qu’à l’idée de vivre encore avec elle, des idées mauvaises lui venaient : il l’aurait massacrée. Et il leur conta que Clarinette s’était renippée des pieds à la tête ; elle avait trouvé du crédit aux Ciseaux d’or, une boutique d’aunages ; Mme Pierlot, la marchande, lui avait fourni l’étoffe d’une robe de mérinos, un coupon de soie pour une autre robe, un châle en laine, tout un fonds de toilette. Justement il sortait de là ; il avait vu les Pierlot et s’était plaint qu’on eût vendu à sa femme sans savoir qui payerait. Mais ils s’étaient montrés étonnés, croyant l’affaire arrangée entre la Rinette et lui ; la Rinette d’ailleurs s’était fait ouvrir des crédits partout. Et c’était vrai : il avait couru à toutes les boutiques que les Pierlot lui avaient indiquées : elle s’était acheté une broche en or chez l’horloger, deux paires de bottines au cordonnier, des chemises de fine toile à La Confiance. Malchair lui avait même avancé de l’argent, croyant qu’elle venait de sa part à lui. Il y en avait pour des cents et des cents. Et toute cette dépense se dressait menaçante, de nouveau allait lui retomber sur les bras. Puis ils avaient eu une explication ensemble ; mais elle lui avait ri au nez, lui avait dit nettement :

— Faudra ben que to tes liards y passent, qu’é m’a dit, la rosse ! J’ t’ ferai vendre le bazar comme t’as vendu ta barraque. J’ t’ mangerai la peau dessus ta carcasse. Et l’ jour où ti seras cor’ pu pauv’ qu’un rat, ça sera mon tour ed’ rire !

Simonard se rappela un parent qui, mal marié, avait obtenu le divorce : il habitait quelque part du côté de Lille ; Huriaux, qui savait écrire, n’aurait eu qu’à lui mettre une lettre à la poste pour lui demander comment il avait fait et ce que la chose avait coûté. Mais à l’idée qu’il faudrait encore débourser, Jacques s’effara : jamais l’argent qu’il gagnait ne payerait l’avocat, les juges, toutes ces sangsues du tribunal.

Et, sentant au bout de tout comme une impasse où sa tête se brisait, il aurait voulu quitter Happe-Chair et le Culot, s’expatrier loin, très loin. Alors Philomène lui suggéra une idée : c’était d’annoncer dans l’Écho du canton, un papier qui paraissait le dimanche, qu’il ne reconnaîtrait plus les dettes de sa femme. Tous les jours des maris avaient recours à cette publicité ; le monde était averti ; on était bien forcé de les laisser tranquilles.

— Ta femme a raison, Simonard, s’écria Huriaux étonné de la simplicité de ce plan. Sûrement, les femmes, c’est plus malin que nous. J’vas voir Legros.

Legros était tout à la fois l’éditeur, le rédacteur et l’imprimeur de sa feuille. Moyennant cinq francs, il accepta de publier deux fois l’avis. Et dès le dimanche suivant, le Culot put lire à la quatrième page de l’Écho, un entrefilet ainsi conçu :

« Jacques Huriaux, contremaître aux laminoirs de Happe-Chair, a l’honneur d’informer le public qu’à partir de ce jour, il ne reconnaîtra plus les dettes que sa femme pourrait faire dans le village ou ailleurs. »

Ce fut la Ronche qui, dans la matinée du lundi, apporta elle-même le numéro à Clarinette. Comme elle savait déchiffrer l’imprimé, son doigt sur les lettres, elle les épelait au fur et à mesure ; et toutes deux penchées sur la feuille, dévoraient des yeux cette vengeance du mari.

— L’ coion ! l’ losse, criait la Rinette en frappant du poing la table, I’ m’ payera ça ! J’ l’ ferai crever ed’ chagrin pou la peine.

Son exaspération maintenant n’avait plus de bornes. Depuis qu’il était passé contremaître, Jacques avait cessé de lui remettre ses quinzaines. Soupçonnant d’abord qu’il les cachait quelque part dans la maison, elle avait tout remué, de la cave au grenier ; mais elle n’avait rien découvert et l’idée lui était venue qu’il les portait à des amis, peut-être à ces Simonard qu’elle détestait et chez lesquels elle savait qu’il allait presque chaque soir. Alors, comme il ne lui donnait plus qu’une faible somme pour les besoins quotidiens, elle se désintéressa tout à fait du ménage ; il allait acheter lui-même sa viande au boucher, pelait les pommes de terre, prenait son repas tout seul sur un coin de table ; et devant le monde, elle mimait des coliques, tordant son ventre sous ses mains et criant qu’il la laissait mourir de faim. Tout ce qu’elle avait de ruse dans l’esprit s’employa dès ce moment à inventer des tourments, à le supplicier dans sa dignité et son intérêt. Elle avait imaginé de l’endetter par ses prodigalités ; mais devant cette annonce de l’Écho qui déjouait son plan, elle se travailla le sang à fourbir d’autres scélératesses. Elle eût voulu se prostituer dans la rue, vendre du plaisir au Culot entier ; mais un reste de honte l’arrêtait. D’ailleurs, elle s’était toquée du petit Gustave, le frère à Gandibleu, enfin guéri. Le gamin, tout frêle et pâlot, avec de jolis yeux bleus, alanguis d’anémie, avait pris dans son giron la place du robuste Gaudot. Depuis un mois il la tenait par ses airs doux de fille qui lui faisaient goûter une autre passion. Ça lui renouvelait son besoin de l’homme, ce petit qui lui mangeait goulûment la chair, avec ses fringales de puceau. Elle se retrouvait garcette, tout échaudée de ses anciens frottements à Zéphirin et de ses polissonneries sur les terris de C'était le salut. Un flot passa presque aussitôtHappe-Chair, dans les soifs d’amour morbide, les ruées affolées de cet éphèbe brutalement caressant et qui était toujours pendu à sa peau. Et elle le dépravait, le détraquait de son large appétit de femelle enfiévrée d’alcool, avec une férocité lascive, s’amusant de ses joues blêmes où s’étaient creusés deux trous et des râles rauques qui lui secouaient la poitrine.

Gustave habitait chez ses parents ; mais les nuits que Huriaux était à l’usine, il se laissait glisser par la fenêtre, filait d’un trait aux Fanfares, jusqu’au matin buvait la mort sur la gorge de sa terrible maîtresse. Jacques, d’ailleurs, laissait à présent la libre disposition de son lit à la Rinette ; il avait emporté au grenier un des deux matelas, sur lequel il couchait à même le plancher. Et petit à petit le manœuvre, les moelles toujours fouettées d’un désir qui ne le lâchait plus, prit l’habitude de venir chaque nuit, même quand Jacques dormait là-haut. Il flânait par la rue jusqu’au signal convenu, par moment collant l’œil aux fenêtres et regardant s’attarder à l’intérieur du café des hommes au visage allumé, tous concupiscents de cette grosse chair soufflée de la Rinette. C’était à peu près le seul monde qu’elle eût encore. Depuis que Gaudot, le Lapin et Miche avaient été condamnés à l’amende pour tapage nocturne et bris de meubles, une ligue s’était formée ; on s’entendait pour aller partout excepté là ; et la maison avait pris un air de lieu mal famé qui n’attirait plus que des individus aux allures louches.

Une nuit, Huriaux demi-endormi, rongé par des ennuis, crut remarquer que des voix partaient d’en bas. Il ouvrit doucement la porte et prêta l’oreille. Clarinette parlait avec quelqu’un ; des rires étouffés montaient par l’escalier ; il eut tout à coup l’idée qu’un homme était là près d’elle, dans la chambre où dormait sa Mélie. Ses oreilles bourdonnèrent, il n’entendit plus que la grosse rumeur sourde de son sang battant ses artères. Il descendit quelques marches, puis s’arrêta pour se remettre, tout le corps secoué d’un grand tremblement. Et de nouveau, à travers le ronflement de grosse mouche qu’il avait dans la tête, il perçut un bruit de paroles, une gaieté qui s’échappait du rez-de-chaussée. Alors il ne douta plus. Il se rua à travers l’escalier, soufflant comme un bœuf, enfonça d’une pesée d’épaules la porte, vit dans le noir de la chambre, où traînait une puanteur de lampe mal éteinte, une masse pâle qui se coulait sous le lit, très vite, tandis que la Rinette, rejetant ses couvertures, faisait le geste de se dresser sur son séant, comme éveillée en sursaut, et criait :

— Qu’est qui n’y a ? C’est-i le feu qu’est à la maison ?

Il ne répondit rien ; ses dents crissaient ; il n’aurait pu dire une parole. Brusquement, dans la chambre toute chaude d’amour, un silence tomba qui dura une minute ; et aussitôt après un râle s’éleva de dessous les matelas. C’était le manœuvre qui étouffait une toux invincible ; elle lui déchirait la gorge, et à deux mains, de toutes ses forces il comprimait sa bouche. Effroyablement calme, dans une crise de colère muette, Huriaux s’avança vers la cheminée, sans bruit, d’un pas de meurtrier. Il venait subitement de se rappeler que les allumettes étaient là ; toute sa réflexion revenue dans une sorte de dédoublement de sa personne morale, il avait pensé à faire de la lumière, voulant voir la face de l’homme caché sous le lit.

Rinette comprit que tout était perdu s’il parvenait à allumer. Presque nue, sa chemise lui glissant des épaules, avec l’écroulement de ses cheveux saccagés qui lui emplissait le dos, elle se jeta hors du lit ; mais déjà le phosphore étincelait aux doigts de Jacques en lueurs vertes, comme les éclairs d’un coutelas. Elle tâcha au moins de le devancer dans la direction de la lampe ; d’une bourrade il la renversa de son long sur le carreau : et une clarté grandit, s’abattit sur les culottes et les souliers de Gustave, jetés bas dans la brusquerie du déshabillé. Alors, démenée comme une furie, sans un mot, n’ayant plus aux dents qu’un souffle rauque, la Rinette voulut s’emparer de la lampe qu’il tenait au dessus de sa tête. Mais de nouveau il la culbuta, lui mit son genou à travers les épaules ; et en même temps, de sa main libre il attirait violemment à lui par la jambe le petit manœuvre qui se débattait et cherchait à s’accrocher aux pieds du lit. La lumière tomba en plein sur ce corps grêle, que la chemise remontée, trop courte, découvrait jusqu’aux reins. Et un saisissement immobilisait Jacques devant cette pauvre loque humaine, cette poitrine aux côtes en saillie et qui étalait là ses maigreurs enfantines.

Un cri lui échappa :

— Le frère à Jean Bleu !

C’était la première parole sortie de sa bouche. Presque aussitôt, sa fureur croula : il ne se sentit pas le courage de taper sur un enfant, celui-là surtout, qu’il se rappelait avoir vu souffrir à côté de lui à l’infirmerie, avec sa gentille mine dolente et ses yeux doux, tout blancs.

En ce moment, le berceau de Mélie s’agita ; elle l’appelait : « P’pa ! » comme quand elle voulait jouer. Et, arraché en sursaut à ses idées, il tourna les yeux vers elle, la vit tout amusée par la scène, qui lui tendait les bras, avec son bon rire ingénu dans ses joues à fossettes. Il ne pensa plus à son âge, ne se souvint plus que d’une chose, c’est que son innocence de petit enfant blanche avait été mêlée peut-être aux ignominies de la mère coupable, que la chair nue du couple était entrée dans ses purs regards d’ange, qu’elle, la carogne, avait osé consommer l’adultère à côté de son petit lit. Alors un flot de sensations lui gronda dans la poitrine, de la haine, du mépris, de la colère, de la douleur. Il alla poser la lampe sur le bahut, d’une voix sourde cria :

— Debout !

Quand ils se furent redressés tous deux, il enroula un de ses poings dans la chevelure de la Rinette. De l’autre main, il avait saisi à la nuque le petit Gandibleu, sans force pour lui résister. Et, tous les deux pendus après lui, il les entraînait comme des bêtes menées en laisse, bousculant les chaises dans une poussée en avant furieuse. Mais Clarinette se retenait aux tables, se débattait avec d’épouvantables cris. À la fin, comme la poigne toujours enfoncée dans sa tignasse, il continuait à la tirer, elle se laissa tomber affolée, sentant la peau de son crâne s’en aller dans l’horrible arrachement de ses cheveux. Et le tourbillon traversa le café, Gustave galopant dans l’étau de cette main qui lui cassait la nuque, elle, balayant le sol de son ventre et de ses seins, la chair de ses genoux raclée par le carreau rugueux. Une seconde il lâcha le manœuvre, le temps d’ouvrir toute large la porte de la rue, puis, d’une fois, vida à la voirie ces deux êtres qui avaient souillé sa maison.

La porte refermée, il dressa l’oreille. Des voisins, au bruit de la noise, s’étant mis à la fenêtre, une huée suivait la Rinette et Gustave à travers leur fuite dans la nuit. Ils couraient l’un et l’autre maintenant devant eux, avec le battement mou de leurs talons sur le pavé, n’ayant qu’une idée, échapper à la curiosité du village, trouver un coin où se cacher en attendant un secours. Dans la pâleur bleue de minuit, leur nudité faisait un trou clair ; la Rinette, ses cuisses découvertes, avec un lambeau de chemise dont elle se cachait la gorge, avait l’air d’offrir au Culot entier ses flancs ; et les minces jambes sèches de l’adolescent, les grosses jambes charnues de la femme s’activaient comme en une débandade honteuse de masques surpris pendant une débauche nocturne.

Tout à coup les portes claquèrent. Patraque était allé réveiller deux de ses logeurs ; et à trois ils se ruaient dans la rue, pieds nus, leurs braies passées en hâte. Rentré du bois depuis une demi-heure, Créquion venait de se couler au lit quand le chahut avait éclaté. D’abord il avait cru cette fois que Huriaux massacrait sa femme pour de bon : et brusquement il avait vu rouler sur le pavé comme deux boules de chair. Suivi de ses chambrelans, à présent, il filait à la poursuite de ce gibier humain. Mais d’autres avaient eu la même pensée, remués d’une gaieté sale à la vue de cette chair nue qui battait la nuit. Ceux-là aussi s’étaient jetés à la rue, et tous ensemble ils couraient, fouillaient du regard les ruelles, raccolant en chemin les garçons du brasseur qui achevaient un brassin. C’était petit à petit comme une descente du village dans une chasse à la bête, une traque de chien enragé. On étouffait les voix pour mieux les dépister ; mais tout de même les rires partaient ; on rigolait à l’idée de tomber sur eux. Le Lapin, qui habitait à trois pas des Fanfares et qui était arrivé un des premiers, haletait, repris par son désir. Soudainement le misérable couple, à bout de souffle, accroupi derrière une haie, entendit le bruit d’une galopée dans l’ombre. La rumeur croissait, s’approchait, un bourdonnement de paroles, une joie qui fusait. Rinette eut tout de suite l’idée qu’on s’était mis à leurs trousses, qu’une foule allait lui passer sur le ventre. Elle ne pensa plus qu’à elle, se lança dans la direction de la maison de la Ronche, talonnée d’une colique folle, les jambes comme sciées à ras des chevilles. La minute précédente, ils s’étaient concertés ; elle irait demander à cette femme un jupon et un châle, passerait le reste de la nuit chez elle sur une chaise, pendant qu’il regagnerait, lui, son lit. Mais il se serrait contre elle, menaçant de la tuer si elle ne s’engageait pas à vivre avec lui, toujours ; et, pour s’en débarrasser, elle avait promis ; le lendemain ils se reverraient, on prendrait ensemble des arrangements.

Maintenant elle courait, oubliant tout, dans sa hâte de distancer la bande lâchée sur ses talons. Il fallait qu’elle arrivât avant eux chez la Ronche ; c’était ça l’important. Quant au reste, au petit laissé sur le chemin et qu’elle abandonnait à la méchanceté du Culot, peu lui importait, du moment qu’elle sauvait sa peau à elle. Elle enfila une venelle. Au bout une impasse s’embranchait, où habitait la concubine du massier ; et elle rasait les murs, ses deux mains sur ses seins dont les bonds lourds lui démolissaient la poitrine, avec le claquement de sa chemise déchirée dans les jambes, par moments tombant sur ses genoux, puis reprenant son élan, époumonnée, un essoufflement de vieille machine dans la gorge, les tempes comme cognées par des marteaux. Son embonpoint depuis un certain temps tournant à l’adiposité, elle était gênée par le ballottement de cette grosse chair mafflue, dansant à chaque enjambée qu’elle faisait. Après quelques instants, ses forces l’abandonnèrent, elle dut s’appuyer contre un mur. Mais tout à coup il lui sembla que le bruit de foule qu’elle avait entendu derrière eux tout à l’heure, à présent marchait à sa rencontre, de l’extrémité de la ruelle où elle s’était engagée.

Alors elle perdit de plus en plus la tête, revint sur ses pas, toujours galopante, le sang lui bourdonnant aux oreilles ; et un nuage lui couvrait les yeux, s’ajoutait aux obscurités de la nuit, brouillant les choses autour d’elle. Pour comble de malheur, comme elle allait se rejeter dans la chaussée, un brouhaha qui venait de là lui coupa net la retraite : c’était une partie de la traque qui patrouillait, pendant que l’autre explorait les rues voisines. Sous la direction de Créquion, la poursuite avait pris les allures d’une chasse en règle : on se divisait, on battait les alentours par petits groupes ; finalement on se repliait sur le gros de la troupe qui tenait la grande rue. Cette fois, la Rinette crut tout perdu ; elle se sentait resserrée entre deux feux, une bande dans le dos, une autre lui barrant le passage. Mais subitement elle aperçut à quelques pas un jardinet bordé d’une haie d’épines. Elle enjamba la haie, s’ensanglantant la chair ; ses cuisses en une seconde furent criblées de dards. Et par surcroît, son lambeau de chemise demeura accroché à la meurtrière clôture. Dans le courtil, deux ais mal joints béaient sur un cabinet d’aisances, de pauvres latrines de paysan en grosses briques rugueuses, avec une bouche noire, énorme, par où montait une odeur de fermentation fétide. Elle tira la porte sur elle et, le loquet manquant, la tint fermée avec la main.

C’était le salut. Un flot passa presque aussitôt après le long de la haie, sans se douter qu’elle était mussée derrière. Elle entendit les voix se perdre au loin, demeura encore un instant à se remettre, tout son corps ruisselant de sueur, avec la douceur d’un petit vent humide sur la peau, soufflant de la fosse sous elle. Puis, comme précisément le bruit décroissait, elle quitta son immonde cachette, sauta par-dessus la barrière, et avec des forces refaites, reprit sa course du côté de l’impasse où logeait la Ronche. De nouveau, la nuit du Culot, lentement éclaircie aux premières lueurs du jour, vit errer dans l’aube grise des rues, ce fantôme aux mamelles bondissantes, cette étrange apparition d’une chair pâle, filant du train d’un gibier relancé. Comme la Ronche ne dormait pas, occupée à se chamailler avec son amant, elle reconnut du premier coup la voix de la Rinette. Elle se laissa tomber à bas de son lit et, mise au courant, lui offrit une place sur l’oreiller entre eux deux.