Héléna (1822)
Poëmes. Héléna,Pélicierle Somnambule, la Fille de Jephté, la Femme adultère, le Bal, la Prison, etc. (p. 139-147).


LE BAL.


LE BAL.

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La harpe tremble encore et la flûte soupire ;
Carla Walse bondit dans son sphérique empire ;
Des couples passagers éblouissent les yeux,
Volent entrelacés en cercle gracieux,
Suspendent des repos balancés en mesure,
Aux reflets d’une glace admirent leur parure ;
Repartent ; puis, troublés par leur groupe riant,
Dans leurs tours moins adroits se heurtent en criant,
Et la vierge, enivrée aux transports de la fête,
Sème et foule en passant les bouquets de sa tête.
Mais, dans les airs émus, la musique a cessé :
La danseuse est assise en un cercle pressé ;

Tout se tait. Et pourquoi, graves, mais ingénues,
Ces trois jeunes beautés vers un homme venues ?
Cette douleur secrète, errante dans ses yeux.
N’a pas déconcerté l’abord mystérieux ;
Elles ont supplié ; puis, s’aidant d’un sourire,
Elles ont dit : « Les vers ont sur nous tant d’empire !
« Ils manquaient à la fête, et le bal les attend. »
Le sujet est donné, c'est la danse ; on entend :



Courez, jeunes beautés, formez la double danse :
Entendez-vous l’archet du bal joyeux,
Jeunes beautés ? Bientôt la légère cadence
Toutes va, tout à coup, vous mêler à mes yeux.



Dansez, et couronnez de fleurs vos fronts d’albâtre ;
Lisez au blanc muguet l'hyacinthe bleuâtre,

Et que vos pas moelleux, délices de l’amant,
Sur le chêne poli glissent légèrement ;
Dansez, car-dès demain vos mères exigeantes
À vos jeunes travaux vous diront négligentes ;
L’aiguille détestée aura fui de vos doigts,
Ou, de la mélodie interrompant les lois,
Sur l’instrument mobile, harmonieux ivoire ;
Vos mains auront perdu la touche blanche et noire ;
Demain, sous l’humble habit du jour laborieux,
Un livre, sans plaisir, fatiguera vos yeux… ;
Ils chercheront en vain, sur la feuille indocile,
De ses simples discours le sens clair et facile,
Loin du papier noirci, votre esprit égaré,
Partant, seul et léger, vers le bal adoré,
Laissera de vos yeux l’indécise prunelle
Recommencer vingt fois une page éternelle.
Prolongez, s’il se peut, ô prolongez la nuit
Oui d’un pas diligent plus que vos pas s’enfuit !



Le signal est donné, l’archet frémit encore :
Élancez-vous, liez ces pas nouveaux
Que l’Anglais inventa, nœuds ehers à Terpsichorc,
Qui d’une molle chaîne imitant les anneaux.



Dansez ; un soir encore usez de votre vie :
L’étincelante nuit d’un long jour est suivie ;
À l’orchestre brillant le silence fatal
Succéde, et les dégoûts aux doux propos du bal.
Ah ! reculez le jour, où, surveillantes mères,
Vous saurez du berceau les angoisses amères :
Car, dés que de l’enfant le cri s’est élevé,
Adieu plaisir, long voile a demi-relevé,
Et parure éclatante, et beaux joyaux des fêtes ;
Et le soir, en passant, les riantes conquêtes,
Sous les ormes, le soir, aux heures de l’amour,
Quand les feux suspendus ont rallumé le jour.
Mais, aux yeux maternels, les veilles inquiètes
Ne manquèrent jamais, ni les peines muettes

Que dédaigne l’époux, que l’enfant méconnaît,
Et dont le souvenir dans les songes renaît.
Ainsi, toute au berceau qui la tient asservie,
mère avec ses, pleurs voit s’écouler sa vies.
Rappelez les plaisirs, ils fuiront votre voix,
Et leurs chaînes de fleurs se rompront sous vos doigts.



Ensemble, à pas légers, traverse la carrière ;
Que votre main touche une heureuse main ;
Et que vos pieds savans à leur place première
Reviennent, balancés dans leur double chemin.



Dansez : un jour, hélas ! ô reines éphémères !
De votre jeune empire auront fui les chimères ;
Rien n’occupera plus vos cœurs désenchantés,
Que des rêves d’amour bien vite épouvantés,
Et le regret lointain de ces fraîches années
Qu’un souffle a fait mourir, en moins de temps fanées

Que la rose et l’œillet, l’honneur de votre front ;
Et, du temps indompté, lorsque viendra l’affront,
Quelles seront alors vos tardives alarmes ?
Un teint, déjà flétri, pâlira les larmes,
Les larmes, à présent doux doux trésor des amours,
Les larmes, comte l’âge inutile secours :
Car les ans maladifs, avec un doigt de glace,
Des chagrins dans vos cœurs auront marqué la place,
La morose vieillesse… Ô légères beautés !
Dansez ; multiplier vos pas précipités,
Et dans les blanches mains les mains entrelacées,
Et les regards de fou, les guirlandes froissées,
Et le rire éclatant, cri des joyeux loisirs,
Et que la salle au loin tremble de vos plaisirs.



Où donc est la gaîté de la danse légère ?
Ces mots ont-ils détruit sa grâce passagère ?
Au lieu du rire éteint qui n’ose plus s’offrir,
L’éventail déployé nous dérobe un soupir.

Hélas ! lorsqu’un serpent est mort dans nue source,
D’une eau vive et limpide elle poursuit sa course ;
Mais son matin n’a plus de fécondes vapeurs,
Et le gazon s’abreuve à des trésors trompeurs ;
La reine-maiguerite a perdu sa couronne,
Le bleuet incliné de pâleur s’environne,
Et l’enfant qui, joyeux, vient et s’y rafraîchit,
Pleure et crie en fuyant, car son genou fléchit,
Son cœur traîne un feu sourd, une torture amère,
Et des maux dont jamais n’avait parlé sa mère.