Félix Alcan (p. 3-135).


LA VIE



La famille Hændel était silésienne d’origine[1]. Le grand-père, Valentin Hændel, était maître chaudronnier à Breslau. Le père, Georges Hændel, fut barbier-chirurgien, attaché au service des armées de Saxe, puis de Suède, puis de l’Empereur, et enfin au service particulier du duc Auguste de Saxe. Il était assez riche, et acheta à Halle, en 1665, une belle maison, qui existe encore aujourd’hui. Il se maria deux fois : en 1643, avec la veuve d’un barbier, qui avait dix ans de plus que lui : il en eut six enfants ; — en 1683, avec la fille d’un pasteur, qui avait trente ans de moins que lui : il en eut quatre enfants, dont le second fut Georges-Frédéric.

Les deux parents étaient de cette bonne souche bourgeoise du xviie siècle, qui fut une terre excellente pour le génie et pour la foi. Hændel le chirurgien était un homme d’une stature gigantesque, sérieux, sévère, énergique, strictement attaché au devoir, d’ailleurs bienfaisant et serviable. Son portrait montre une grande figure rasée, qui n’a point l’air de rire souvent : le port de tête est hautain, les yeux moroses ; long nez, bouche volontaire ; de grands cheveux aux boucles blanches tombent sur les épaules ; calotte noire, rabat de dentelle, robe de satin noir : l’aspect d’un parlementaire. — La mère n’était pas de moins solide trempe. De famille pastorale du côté maternel comme du côté paternel, pénétrée de l’esprit de la Bible, elle avait un calme courage, qu’elle montra quand la peste ravagea le pays. Sa sœur et son frère aîné furent emportés par le fléau. Son père fut atteint ; elle refusa de s’éloigner, et resta avec tranquillité. Elle était alors fiancée. — Les deux époux devaient transmettre à leur glorieux fils, à défaut de la beauté qu’ils n’avaient point, et dont ils ne s’inquiétaient point, leur santé physique et morale, leur stature, leur intelligence nette et pratique, leur application au travail, le métal indestructible de leur calme volonté.

Georg Friedrich Hændel naquit à Halle, le lundi 23 février 1685[2]. Son père avait alors soixante-trois ans, sa mère trente-quatre[3]. La ville de Halle était dans une situation politique singulière. Elle avait appartenu à l’électeur de Saxe ; puis, les traités de Westphalie l’attribuèrent à l’électeur de Brandebourg ; mais ils en laissèrent au duc Auguste de Saxe l’usufruit, sa vie durant. Après la mort d’Auguste, en 1680, Halle passa définitivement au Brandebourg ; et le Grand Électeur vint, en 1681, s’y faire prêter hommage. Hændel naquit donc Prussien. Mais son père était serviteur du duc de Saxe, et il resta en relations avec le fils d’Auguste, Jean-Adolphe, qui avait transporté sa cour, après l’annexion prussienne, dans la ville voisine de Weissenfels. Ainsi, l’enfance de Hændel se trouva placée entre ces deux foyers intellectuels : la Saxe et la Prusse. Des deux, le plus artistique et d’ailleurs le plus voisin était la Saxe. À Weissenfels avaient émigré, avec le duc, la plupart des artistes : c’était là que le génial Heinrich Schütz était né et était mort[4] ; ce fut là que Hændel trouva son premier appui, et que sa vocation d’enfant fut reconnue.

Les précoces dispositions musicales du petit Georg Friedrich s’étaient heurtées à l’opposition formelle du père[5]. L’honnête chirurgien avait plus que de la défiance — une sorte d’aversion pour la profession d’artiste. Ce sentiment était partagé par presque tous les braves gens de l’Allemagne. Le métier de musicien était discrédité par le spectacle peu édifiant qu’avaient donné certains artistes, dans les années relâchées qui suivirent la guerre de Trente Ans[6]. D’ailleurs, la bourgeoisie allemande du xviie siècle n’avait pas de la musique une idée très différente de celle de notre bourgeoisie française du xixe siècle : c’était pour elle un art d’agrément, non une profession sérieuse. Beaucoup des maîtres d’alors, Schütz, Rosenmüller, Kuhnau, furent juristes ou théologiens, avant de se consacrer à la musique ; ou même, ils continuèrent quelque temps de mener de front les deux métiers. Le père de Hændel voulait, lui aussi, que son fils fut homme de loi. Mais un voyage à Weissenfels triompha de ses résistances. Le duc entendit le petit Hændel, âgé de sept ans, qui jouait de l’orgue ; il fit appeler le père et lui recommanda de ne point contrecarrer la vocation de l’enfant. Le père, qui eût trouvé ces conseils fort mauvais, venant de tout autre, les trouva fort bons sans doute, venant d’un prince ; et, sans renoncer à l’idée que son fils fit son droit — (car il était aussi entêté que son fils devait l’être), — il consentit à lui faire apprendre la musique. De retour à Halle, il le conduisit chez le meilleur maître de la ville, l’organiste Friedrich-Wilhelm Zachow[7].

Zachow était un large esprit et un beau musicien, dont la grandeur n’a été appréciée que depuis quelques années[8]. Son influence fut capitale sur Hændel. Hændel lui-même ne le cachait point[9].

L’action du maître sur l’élève s’exerça de deux façons : par sa méthode d’enseignement et par sa personnalité artistique.

« L’homme était très fort dans son art, dit Mattheson[10] ; et il possédait autant de talent que de bienveillance… Hændel lui plut de telle sorte qu’il ne pensa jamais pouvoir lui témoigner assez d’amour et de bonté. Son effort tendit d’abord à lui faire connaître les fondements de l’harmonie. Puis il tourna ses pensées vers l’art de l’invention ; il lui apprit à donner aux idées musicales la forme la plus parfaite ; il affina son goût. Il possédait une remarquable collection de musique italienne et allemande. Il montra à Hændel les façons diverses d’écrire et de composer des différents peuples, en même temps que les qualités et les défauts de chaque compositeur. Et, afin que son éducation fût à la fois théorique et pratique, il lui donnait souvent des devoirs à faire (dans tel ou tel style)… »

Cette éducation, d’une largeur d’esprit vraiment européenne, ne s’enfermait donc pas dans une école musicale, mais planait au-dessus de toutes les écoles, et s’efforçait de s’assimiler leurs richesses à toutes. Qui ne voit que ce fut la pratique constante de Hændel, et l’essence de son génie, fait de cent génies divers, qu’il avait absorbés ! Un manuscrit de lui, daté de 1698, et qu’il garda toute sa vie, contenait, dit Chrysander, des Arie, Chœurs, Capricci et Fugues de Zachow, Alberti (Heinrich Albert), Froberger, Krieger, Kerll, Ebner, Strungk, qu’il avait copiés pendant qu’il était à l’école de Zachow. Il ne devait jamais oublier ces vieux maîtres, dont le souvenir précis se retrouve dans ses pages les plus célèbres[11]. Il lut sans doute aussi chez Zachow les premiers recueils pour clavier de Kuhnau, qui paraissaient alors[12]. Enfin, il semble que Zachow ait connu l’œuvre de Agostino Steffani[13], qui devait témoigner plus tard à Hændel une amitié paternelle ; et il suivait avec sympathie le mouvement dramatico-musical de Hambourg. Ainsi, le petit Hændel avait, grâce à son maître, un vivant résumé des ressources musicales de l’Allemagne ancienne et nouvelle ; et, sous sa direction, il s’appropria les secrets de la grande architecture contrapontiste du passé, comme du beau style mélodique et expressif des écoles italo-allemandes de Hanovre et de Hambourg[14].

Mais l’influence personnelle de l’âme et de l’art de Zachow ne fut pas moins forte sur Hændel que l’action de sa méthode d’enseignement. On est frappé de la parenté que révèlent ses œuvres[15] avec celles de Hændel : parenté de caractère et parenté de style. Il ne s’agit pas seulement de réminiscences de motifs, de dessins ou de thèmes[16]. C’est l’essence de l’art qui est la même chez tous deux. Art de lumière et de joie. Il n’a rien du recueillement pieux et replié sur soi-même, de J.-S. Bach, qui descend dans les profondeurs de sa pensée, qui aime à en suivre tous les replis, et qui, dans le silence et la solitude, converse avec son Dieu. La musique de Zachow est de la musique de grands espaces, de fresques tourbillonnantes, telles qu’on en voit dans les coupoles des dômes italiens du XVIe et du XVIIe siècles, mais avec plus de foi. Cette musique, qui pousse à l’action, veut des rythmes d’acier, sur lesquels elle s’arc-boute et rebondisse. Elle a des motifs triomphaux, des expositions d’une largeur solennelle[17], des marches victorieuses, qui vont broyant tout, ne s’arrêtant jamais, et qu’accentuent, qu’aiguillonnent des dessins joyeux et dansants[18]. Elle a des motifs pastoraux, des rêveries voluptueuses et pures[19], des danses et des chants, accompagnés de flûtes, d’un parfum hellénique[20], une virtuosité souriante, une joie qui se grise d’elle-même, des lignes tournoyantes, des arabesques de vocalises, des trilles de la voix qui jouent avec les arpèges et les petits flots des violons[21]. Unissez ces deux traits : l’héroïque et le pastoral, les marches guerrières et les danses jubilantes. Vous avez les tableaux hændeliens : le peuple d’Israël, et les femmes qui dansent devant l’armée victorieuse. Vous trouvez en Zachow l’ébauche des constructions monumentales de Hændel, de ses Hallelujah, — ces montagnes qui clament leur allégresse, — de ses Amen colossaux, qui couronnent ses oratorios, comme un dôme de Saint-Pierre[22].

Ajoutez le goût marqué de Zachow pour la musique instrumentale[23], qui lui fait marier avec prédilection les soli des voix avec ceux des instruments, et très souvent à concevoir la voix comme un instrument, qui concerte et qui joue avec les autres instruments, formant ensemble des guirlandes décoratives, harmonieusement enchevêtrées.

En résumé, un art moins intime qu’expansif, un art ensoleillé. Non sans émotion[24]. Mais avant tout, reposant, fortifiant et heureux. Une musique optimiste, comme celle de Hændel.

Certes, un Hændel en petit, avec beaucoup moins de souffle, moins de richesse d’invention, surtout moins de puissance de développement. Ce n’est pas le tout d’amorcer ces mouvements colossaux d’armées qui marchent et qui dansent ; il faut avoir les reins assez solides pour porter l’édifice, sans plier, jusqu’au bout. Zachow fléchit en route, il n’a pas la force vitale de Hændel. Mais en revanche, il a plus de naïveté que lui, plus de candeur tendre, un je ne sais quoi de chaste et de rougissant, une grâce évangélique[25].

C’était bien là le maître qu’il fallait à Hændel, le maître que plus d’un grand homme a eu le bonheur de trouver — (c’est Giovanni Santi pour Raphaël, c’est Neefe pour Beethoven) : — bon, simple, clair, un peu pâle, une lumière égale et douce, où l’adolescent rêve en paix, s’abandonnant avec confiance au guide presque fraternel, qui ne cherche pas à le dominer, qui cherche bien plutôt à nourrir de sa petite flamme un plus vaste foyer, à verser son ruisseau de musique dans le grand fleuve du génie.

Pendant qu’il était encore à l’école de Zachow, le petit Hændel alla faire une visite à Berlin. Après avoir rendu ses devoirs à l’ancien maître, l’électeur de Saxe, il était prudent de les rendre au nouveau, l’électeur de Brandebourg. Il semble que ce voyage eut lieu vers 1696 ; l’enfant avait onze ans, et son père, malade, ne l’accompagna point.

La cour de Berlin vivait une heure brève d’éclat artistique, entre les guerres du Grand Électeur et celles du Roi-Sergent. La musique y était fort en honneur, grâce à la princesse-électrice, Sophie-Charlotte, fille de la célèbre Sophie de Hanovre. Elle avait attiré les meilleurs instrumentistes, chanteurs et compositeurs d’Italie[26]. Elle fonda l’Opéra de Berlin[27], et dirigeait elle-même les concerts de la cour. Sans doute, ce mouvement était superficiel ; il ne tenait qu’à l’impulsion donnée par la princesse ; et celle-ci avait plus d’esprit que de sérieux : l’art n’était pour elle qu’une distraction passionnée. Aussitôt après sa mort, les fêtes musicales de Berlin devaient s’éteindre. Mais c’était beaucoup déjà d’avoir fait briller, une heure, ce foyer de bel art italien. Et ce fut ainsi que le petit Hændel se trouva, pour la première fois, en contact avec la musique du Midi[28].

L’enfant, qui se fit entendre au clavecin, devant un public de princes, eut tant de succès que l’électeur de Brandebourg voulut l’attacher à son service ; il offrit au père de Hændel d’envoyer le petit en Italie, pour achever son instruction. Le vieux refusa. Il avait l’humeur fière : il ne voulait pas, dit Mainwaring, que son fils fût lié trop tôt à un prince. D’ailleurs, il se sentait mourir, et il désirait revoir l’enfant.

Le petit Hændel revint. Trop tard. Il apprit, en chemin, que son père était mort, le 11 février 1697. — Le principal obstacle à sa vocation musicale avait disparu ; mais il avait un respect si profond de la volonté paternelle qu’il s’obligea, pendant des années encore, à étudier le droit, puisque son père l’avait voulu. Après avoir achevé sans hâte ses classes au gymnase, il se fit inscrire à la Faculté de droit de l’Université de Halle, le 10 février 1702, — cinq ans après la mort du père.

La vie universitaire à Halle était d’une brutalité de mœurs révoltante. Mais on trouvait aussi là une vie intense de pensée et de foi. La Faculté de théologie était le foyer du piétisme[29]. On se livrait, parmi les étudiants, à des exercices religieux, qui menaient à l’extase. — Hændel, en indépendant qu’il fut toujours, resta à l’écart des amusements brutaux, comme des contemplations mystiques. Il était religieux, mais sans rien de sentimental. Au reste, un artiste pouvait difficilement s’entendre avec les piétistes, dont la dévotion était trop souvent oppressive pour l’art. Même J.-S. Bach, piétiste de cœur, dut, par des actes publics, se déclarer contre les piétistes, qui furent, en certaines occasions, les ennemis de sa musique[30]. À plus forte raison, Hændel, qui n’avait aucun penchant au mysticisme.

La religion n’était pas son affaire, ni décidément le droit. Cependant, il avait pour maître le professeur le plus remarquable de l’Allemagne, Christian Thomasius, l’adversaire des procès de sorcellerie[31], le réformateur de l’enseignement du droit, celui qui y fit rentrer l’étude des coutumes germaniques, celui qui ne cessa de livrer bataille aux abus grossiers ou stupides des universités, à l’esprit de caste, au pédantisme, à l’ignorance, à l’hypocrisie et à la férocité juridique et religieuse. Si un tel enseignement n’a pas été de nature à retenir Hændel, ce n’était certes pas la faute du professeur : nulles leçons plus vivantes dans toute l’Allemagne d’alors, rien qui pût offrir à l’esprit d’un jeune homme un champ d’activité plus féconde. Soyons sûrs qu’un Beethoven n’y fût pas demeuré insensible. Mais Hændel était pur musicien, il était la musique même ; rien ne pût jamais en distraire sa pensée.

Dès cette année, où il suivait les cours de la Faculté de droit, il avait trouvé un poste d’organiste à Halle : — et cela, bien que luthérien, dans une église du culte « réformé », où l’organiste devait expressément appartenir à la religion réformée. Or, il n’avait que dix-sept ans[32]. Ce simple fait montre de quelle autorité musicale jouissait déjà dans sa ville le petit étudiant en droit[33]. Non seulement il était organiste, mais professeur au gymnase des Réformés ; il y enseignait la musique vocale, deux heures par semaine ; il prenait chez lui les mieux doués de ses élèves, et formait avec eux des chœurs vocaux et instrumentaux, qui se faisaient entendre, le dimanche, dans l’une ou l’autre église de la ville. Il devait pourvoir au répertoire musical — chorals, psaumes, motets, cantates, — qui changeait chaque dimanche. Excellente école, pour apprendre à écrire vite et bien. Hændel y forma sa fécondité créatrice[34]. Des centaines de cantates qu’il composa alors, aucune n’a été conservée par lui[35] ; mais il est certain que sa mémoire en recueillit plus d’une idée, pour les reprendre dans ses compositions postérieures : car il n’a jamais rien laissé perdre ; sans cesse, au cours de sa vie, il remettait sur le métier ses inventions anciennes : ce qu’il faut attribuer, non pas à la hâte du travail, mais à l’unité de sa pensée et à son besoin de perfection.

Hændel ne renouvela pas son année d’engagement à la Domkirche de Halle, ni à l’Université. Dans son stage d’organiste, il avait pris conscience de sa force musicale. Elle ne pouvait plus se contraindre. Il lui fallait chercher un milieu plus vivant. Il quitta Halle, au printemps de 1703 ; et, guidé par son instinct et par les préférences de son maître Zachow[36], il s’en alla à Hambourg, la ville de l’opéra allemand.

Hambourg était la Venise de l’Allemagne. Ville libre, à l’abri des guerres, refuge des artistes et des grandes fortunes, entrepôt du commerce de l’Europe du Nord, ville cosmopolite, où l’on parlait toutes les langues, et surtout le français, elle était en relations continuelles avec l’Angleterre et avec l’Italie, particulièrement avec Venise, qui était pour elle un objet d’émulation. Ce fut par Hambourg que les idées anglaises se frayèrent la voie en Allemagne. Ce fut là que parurent les premiers journaux allemands[37]. Dès l’époque de Hændel, Hambourg était, avec Leipzig, le centre intellectuel de l’Allemagne. Nulle part ailleurs en Allemagne on n’estimait autant la musique[38] ; les artistes y marchaient de pair avec les riches bourgeois. Christoph Bernhard, élève de Schütz, avait fondé là un célèbre Collegium Musicum, une société de musiciens ; et là s’éleva en 1677-8 le premier théâtre d’opéra allemand, — non d’opéra princier, ouvert aux seuls invités du prince, mais d’opéra public, populaire et payant. L’exemple de l’Italie avait dû provoquer cette fondation, à l’instar de Venise.

Mais l’esprit des deux théâtres était bien différent. Tandis que Venise se complaisait à des mélodrames fantastiques, bizarrement inspirés de la mythologie ou de l’histoire antique, Hambourg gardait, malgré la grossièreté de son goût et sa licence de mœurs, un vieux fond religieux. L’opéra hambourgeois avait été inauguré, en 1678, par une Création du Monde de Joh. Theile, élève de Schütz ; et de 1678 à 1692, on y joua un grand nombre de drames religieux, les uns d’un caractère allégorique, les autres inspirés de la Bible ; en certains des sujets, on voit poindre déjà les oratorios de Hændel[39]. Si faibles que fussent ces pièces musicales, elles étaient sur le chemin d’un théâtre propre à l’Allemagne. Il semble que ç’ait été l’idée d’un des poètes, le pasteur Elmenhorst, qui voulait donner à l’opéra religieux la valeur d’une forme d’art classique[40]. Malheureusement, l’esprit public était en décadence ; son ressort religieux s’était fort détendu, sauf dans une minorité, où la foi avait pris un caractère agressif, comme il arrive quand elle se sent la moins forte. Il s’était formé deux factions dans le public de Hambourg : l’une, la plus nombreuse, que la religion ennuyait, et qui voulait s’amuser au théâtre ; l’autre, qui était religieuse, et qui ne voulait pas de l’opéra, sous prétexte qu’il était une œuvre de Satan, « opera diabolica »[41]. La lutte fut acharnée entre les deux factions. Entre les deux, l’opéra religieux devait être fatalement écrasé. Il le fut. La dernière représentation eut lieu en 1692. Lorsque Hændel arriva, c’était bien l’opera diabolica qui régnait, avec ses extravagances et sa vie licencieuse.

J’ai raconté ailleurs[42] cette période du théâtre de Hambourg, dont l’âge d’or fut justement de 1692 à 1703. Il y avait à Hambourg beaucoup de conditions réunies pour faire un bon théâtre d’opéra : de l’argent, et des Mécènes disposés à le dépenser, une excellente troupe instrumentale, bien que peu nombreuse, un art de la mise en scène assez avancé, un luxe de décors et de machines, des poètes renommés, des musiciens de grande valeur, et — le plus rare — des poètes et des musiciens qui s’entendaient ensemble, « die sich wohl verstanden », comme dit Mattheson. Les poètes se nommaient Bressand de Wolfenbüttel, qui s’inspirait du théâtre français, et Christian Postel, que Chrysander appelle, avec beaucoup de complaisance, un Métastase allemand. Le plus faible était le chant. Pendant longtemps, l’Opéra de Hambourg n’eut pas de chanteurs de profession ; les rôles étaient tenus par des étudiants et des artisans, des cordonniers, des tailleurs, des fruitières, des filles de peu de talent et de moins de vertu ; d’ordinaire, les artisans trouvaient plus convenable de chanter eux-mêmes les rôles de femmes. Hommes ou femmes, tous étaient d’une profonde ignorance musicale. Vers 1693, l’Opéra de Hambourg fut heureusement transformé de fond en comble par le grand kapellmeister Sigismond Cousser, dont les réformes s’appuyaient, pour l’orchestre, sur le modèle de la France, — pour le chant, sur celui de l’Italie. La France s’incarnait pour lui, comme pour tous les musiciens étrangers, en Lully, dont Cousser avait été l’élève, pendant six ans, à Paris. L’Italie était représentée par un artiste remarquable, domicilié à Hanovre, ou de 1689 à 1696 il avait fait jouer dix opéras, Agostino Steffani, de la province de Venise.

Ce double modèle de l’Italie et de la France, et l’exemple de Cousser, contribuèrent à former le meilleur musicien de l’Opéra de Hambourg, Reinhard Keiser, — un homme qui, à défaut de caractère et peut-être de science suffisante, eut certainement du génie[43].

Keiser avait moins de trente ans, quand arriva Hændel ; mais il était en pleine gloire. Kapellmeister de l’Opéra de Hambourg depuis 1695, puis directeur du théâtre depuis la fin de 1702, très bien doué, mais de culture hâtive, et dissipé, voluptueux, insouciant, il était le souverain incontesté de l’opéra allemand, l’artiste-type de cette époque débordante de vie matérielle et possédée de l’amour du plaisir.

On a montré dans ses premiers opéras l’influence de Lully[44] et celle de Steffani[45]. Mais sa personnalité est facilement reconnaissable, sous ces éléments d’emprunt. Il avait un sens très fin du coloris instrumental. Bien différent en cela des Lullystes, qui étaient un peu dédaigneux du pouvoir expressif de l’orchestre et toujours disposés à le sacrifier à la primauté de la voix[46], il croyait, comme son admirateur et commentateur Mattheson, qu’on peut exprimer les sentiments, au moyen du seul orchestre[47]. — Il fut, de plus, un maître du récitatif. On a pu dire qu’il a créé le récitatif allemand. Il y attachait une importance extrême, disant « qu’une expression dans le récitatif donne souvent autant de mal à un compositeur intelligent que l’invention d’un air[48] ». Il cherchait à y noter avec exactitude l’accent, la ponctuation, le souffle vivant, mais sans rien sacrifier de la beauté musicale. Son récitatif arioso, intermédiaire entre le récitatif oratoire des Français et le recitativo secco des Italiens, fut un des modèles du récitatif de J.-S. Bach[49] ; et même après J.-S. Bach et Hændel, Mattheson persistait à voir en Keiser le maître du genre. — Mais le don supérieur de Keiser fut son invention mélodique. En cela, il fut un des premiers artistes de l’Allemagne, un Mozart de la première moitié du XVIIIe siècle. Il avait une inspiration abondante et affectueuse. Comme disait Mattheson, « sa vraie nature était la tendresse, l’amour… Du commencement à la fin de sa carrière, il sut rendre les sentiments voluptueux avec un naturel si exquis que personne ne l’a surpassé, dans cette peinture. » Son style mélodique, beaucoup plus avancé que celui de Hændel, non seulement à cette époque, mais à aucun moment de sa vie, est libre, dégagé de tout style contrapontique, et, par-dessus Hændel, il se rattache à Hasse, qui en était nourri, aux symphonistes de Mannheim, et à Mozart. Jamais Hændel, plus grand et plus parfait, n’a eu le naturel exquis qu’on respire dans les mélodies de Keiser, ce frais parfum de la simple fleur des champs[50]. Keiser avait le goût de la chanson populaire et des scènes agrestes[51]. Mais il savait aussi s’élever aux sommets de la tragédie classique ; et certains de ses airs de pompeuse douleur semblent écrits par Hændel[52].

Keiser était donc plein d’enseignements et de modèles pour Hændel, qui ne se fit pas faute de s’en inspirer, par la suite[53]. Mais il lui offrait aussi des exemples fâcheux. Le pire était le reniement de la langue nationale. Tant que Postel et Schott avaient été à la tête de l’Opéra de Hambourg, l’italien avait été tenu à distance[54]. Mais aussitôt que Keiser fut devenu directeur, tout changea. Dans son Claudius de 1703, il fit le premier essai barbare d’un mélange de textes italiens et de textes allemands. C’était pour lui pure fanfaronnade de virtuose, qui voulait montrer, comme il le laisse entendre dans sa préface, qu’il était capable de battre les Italiens sur leur propre terrain. Il ne se demandait point si c’était au détriment de l’opéra allemand. Hændel allait, à son exemple, mêler, dans ses premiers opéras, les airs sur paroles italiennes aux airs sur paroles allemandes[55] ; puis, il n’allait plus écrire que des opéras italiens ; et dès lors, son théâtre musical fut sans racines, sans peuple. Et la sanction de cette erreur fut l’oubli par l’Allemagne de l’opéra de Keiser et même de celui de Hændel, malgré leur génie à tous deux.

Hændel arriva à Hambourg, pendant l’été de 1703. On se le représente, à cet âge de sa vie, comme dans le portrait peint par Thornhill, qui est au Fitzwilliam Museum de Cambridge : une figure longue, calme, un peu chevaline : des yeux larges et sérieux, le nez grand et droit, le front ample, la bouche énergique aux lèvres gonflées, les joues et le menton qui s’empâtent déjà ; très droit ; la tête sans perruque, et coiffée d’un béret à la façon de Wagner. « Il était riche de puissance et de bonne volonté[56]. »

La première connaissance qu’il fit à Hambourg fut celle de Johann Mattheson.

Mattheson, qui avait alors vingt-deux ans, — quatre ans de plus que Hændel[57], — était d’une riche famille hambourgeoise, et d’une vaste instruction. Il parlait l’anglais, l’italien et le français, avait fait son droit, appris à fond la musique, savait jouer de presque tous les instruments, écrivait des opéras dont il était à la fois le poète, le compositeur et l’acteur. Surtout, il devait être le maître théoricien et le plus vigoureux critique de la musique allemande.

Avec un amour-propre immense et beaucoup d’injustices passionnées, c’était un robuste esprit, très sain et très honnête, une sorte de Boileau ou de Lessing de la musique, un demi-siècle avant la Dramaturgie. D’une part, il combattit la routine scolastique et la science abstraite, au nom de la nature ; et sa devise était : « La musique, c’est ce qui sonne bien » (« Musik, müsse schön klingen »)[58] ; il contribua à l’abandon de théories surannées (solmisation, modes ecclésiastiques) et à l’éclaircissement de notre système actuel[59]. D’autre part, il fut le champion de l’art et de l’esprit allemands. De Lessing il avait le souffle patriotique, la rude indépendance, l’impétueuse franchise, avec plus de violence brutale. Tous ses livres crient : « Fuori Barbari ! [60] » Un de ses ouvrages s’intitule le Patriote musical (Der musikalische Patriot, 1728). Il fonda en 1722 le premier journal musical allemand, Critica Musica[61], et il mena, toute sa vie, un rude combat pour le bon sens, la bonne musique intelligente, la musique « qui parle au cœur, et, par le moyen de l’ouïe, émeut et fortifie l’âme de l’homme raisonnable, avec de belles pensées et mélodies[62] ». Il avait de la musique une idée religieuse[63]. Par sa culture universelle, sa connaissance des théories artistiques du passé, sa familiarité avec les œuvres importantes de l’Italie et de la France, ses relations avec les principaux maîtres allemands, avec Keiser, Hændel et J.-S. Bach, par sa riche expérience pratique, son sens critique aiguisé, son ardent patriotisme, sa langue saine et savoureuse, il était désigné pour être le grand éducateur musical de l'Allemagne ; et il le fut. Dans la dispersion des artistes allemands d’alors, parmi les vicissitudes de leurs œuvres, auxquelles manquait l'appui d’une centralisation politique, et qui subissaient les fluctuations du goût des petites villes et des petites cours, Mattheson fut, à lui tout seul, pendant près d’un demi-siècle, la tribune de la musique allemande, le cerveau où se concentraient ses pensées, venues de tous les coins du pays, et d’où elles rayonnaient ensuite sur tout le pays. C’est ainsi que se conservèrent les idées de Keiser, qui sans lui fût tombé dans l’oubli, sans laisser aucune trace ; c’est ainsi qu’ont surnagé du naufrage, jusqu’à nous, une multitude de souvenirs inappréciables pour l’histoire musicale du XVIIIe siècle, que Mattheson recueillit et publia dans sa monumentale Ehrenpforte[64]. Il agit puissamment sur son temps. Ses livres faisaient loi auprès des Kapellmeister, Cantores, organistes, professeurs.

Ses critiques et ses conseils pour le style du chant, pour le jeu des acteurs, ne furent pas moins efficaces. Il avait le sens du théâtre. Il voulait la vie sur la scène, l’action ; il attachait une importance considérable à la pantomime, « qui est une musique muette[65] ». Il faisait campagne contre le jeu impassible ou inintelligent des chanteurs et des choristes allemands ; et il voulait que le compositeur pensât toujours, en écrivant, au jeu des acteurs. « La connaissance des jeux de physionomie des acteurs sur la scène, dit-il, peut souvent être une source de bonnes inventions musicales[66]. » — C’était là le langage d’un vrai homme de théâtre[67]. Au reste, Mattheson était trop musicien pour asservir la musique à la parole. Il cherchait à les unir, en sauvegardant leur indépendance à toutes deux, mais en donnant le pas à l’âme sur le corps, à la mélodie sur la parole. « Les mots, écrivait-il, sont le corps du discours. Les pensées en sont l’âme. La mélodie est le soleil doré des âmes » (« güldene Sonne diser Seelen »), l’atmosphère merveilleuse qui les enveloppe.

Nous en avons assez dit pour donner une idée de ce grand critique, intelligent et intrépide, qui, avec beaucoup d’erreurs, a semé beaucoup de vérités. On voit assez de quelle importance put être pour le jeune Hændel la rencontre d’un tel guide, encore qu’ils fussent trop originaux et trop orgueilleux tous deux pour que leur association pût être de longue durée.

Mattheson fit à Hændel les honneurs de Hambourg. Il l’introduisit à l’Opéra, aux concerts ; et ce fut par lui que Hændel entra, pour la première fois, en rapports avec l’Angleterre, qui allait devenir sa seconde patrie[68]. Ils s’instruisirent mutuellement. Hændel était déjà « d’une force exceptionnelle sur l’orgue, et dans les fugues et contrepoints, surtout ex tempore ( d’improvisation) » : il fit part de sa science à Mattheson , qui l’aida en revanche à perfectionner son style mélodique. Il était très faible mélodiste, à en croire Mattheson. « Il faisait alors des airs longs, longs, longs (sehr lange lange Arien), et des cantates à n’en plus finir, qui n’avaient ni habileté ni bon goût, mais une harmonie parfaite[69]. » — Il est assez remarquable que la mélodie n’ait pas été une langue naturelle chez Hændel, qui nous apparaît aujourd’hui comme un génie mélodique. Mais il ne faut pas croire que les belles et simples mélodies jaillissent sans travail d’un génie. Les mélodies de Beethoven qui semblent les plus spontanées lui ont souvent coûté des années de travail intérieur où il les couvait en lui. Et si Hændel parvint à sa puissance d’expansion mélodique, ce fut après des années de sévère discipline, où il apprit, comme un apprenti ciseleur, à modeler les belles formes, et à n’y rien laisser de compliqué ni de vulgaire.

Hændel et Mattheson vécurent quelques mois d’intimité fraternelle[70] ; Hændel partageait la table de Mattheson, et ils firent ensemble, en juillet-août 1703, un voyage à Lübeck, pour entendre l’organiste Dieterich Buxtehude[71]. Buxtehude songeait à se retirer, et cherchait un successeur. Les deux jeunes gens furent émerveillés de son talent, mais ils ne briguèrent pas sa succession : car il eut fallu, pour avoir son orgue, épouser sa fille[72] ; et, dit Mattheson, « ni l’un ni l'autre n’en avait la moindre envie ». — Deux ans plus tard, ils eussent pu rencontrer sur la route de Lübeck un petit musicien, allant comme eux faire visite à Buxtehude, mais non pas en voiture comme eux, modestement à pied : J.-S. Bach[73]. — Rien ne fait mieux sentir l'importance de Buxtehude dans la musique allemande que cette attraction exercée sur les hommes qui allaient dominer tout l’art allemand du XVIIIe siècle.

M. Pirro a signalé, dès longtemps, son influence sur le style d'orgue de J.-S. Bach. J'estime qu'elle n'a pas été moindre, quoique toute différente, sur le style d'oratorio de Hændel[74].

Buxlehude donnait, à la Marienkirche, de célèbres Abendmusiken, des concerts du soir, qui avaient lieu le dimanche, entre la Saint-Martin et Noël[75], sur le désir des corporations des marchands de Lübeck, très épris de musique[76]. Ses cantates, dont le nombre est considérable[77], furent composées à cette occasion. Écrivant pour un public de concert, et non pour un service religieux, il devait faire en sorte que sa musique fût accessible à tous. Hændel se trouva plus tard dans des conditions semblables ; et la même nécessité devait les conduire tous deux à une technique analogue. Buxtehude écarte de sa musique la polyphonie débordante et touffue, qui était cependant son royaume[78] Il n'y veut rien laisser que de clair, de fort, de largement dessiné, et même de scénique. Volontairement, il s'appauvrit, mais en se concentrant ; et ce qu'il perd en abondance, il le reprend en intensité. Le caractère presque homophone de l'écriture, la netteté des beaux dessins mélodiques, d'une clarté populaire[79], l'insistance des rythmes et des phrases qui se répètent et s'enfoncent dans l'esprit, d'une façon obsédante, sont des traits essentiellement hændeliens. Ce qui ne l'est pas moins, c'est la magnificence triomphale des ensembles, cette façon de peindre par larges touches de lumière et d'ombre[80] C'est, au plus haut degré, comme l'art de Hændel, une musique pour tout un peuple.

Mais il se passa beaucoup de temps avant que Hændel mît à profit les exemples de Buxtehude. À son retour de Lübeck, il semblait n'y plus penser. Ils n’étaient point perdus pour lui. Rien ne fut jamais perdu pour lui.

À la fin d'août 1708, Hændel entra, comme second violon, à l'orchestre de Hambourg. Il aimait à s'amuser des gens, et il s’était fait plus ignorant qu'il n’était. « Il se présenta, dit Mattheson, comme s'il ne savait pas compter jusqu’à cinq : car il était pince-sans-rire[81]. » — Cette année-là, l'Opéra de Hambourg jouait le Claudius de Keiser, et la mémoire de Hændel en enregistra des phrases[82]

Quand la saison fut finie, Mattheson fit un voyage en Hollande, et Hændel profita de l'absence de son jeune mentor pour s’émanciper. Il avait fait la connaissance du poète Postel, qui, vieux, malade, et tourmenté de scrupules religieux, avait renoncé à écrire des libretti d' opéras et ne voulait plus composer que des œuvres pieuses. Postel fournit à Hændel le texte d'une Passion selon saint Jean, que Hændel mit en musique, et qui fut exécutée pendant la Semaine Sainte de 1704[83]. Mattheson, piqué de la désinvolture avec laquelle son protégé s’était passé de ses conseils, critiqua la musique, sans aménité, mais non sans justesse[84]. Malgré l’émotion concentrée de certaines pages et les chœurs dramatiques, l’œuvre était encore incertaine, et manquait de goût souvent.

À partir de ce moment, ce fut fini de la bonne harmonie qui régnait entre Hændel et Mattheson. Hændel avait conscience de son génie, et ne supportait plus le ton protecteur de Mattheson. D’autres incidents aggravèrent la mésintelligence, qui aboutit à une querelle, dont l’issue faillit être fatale[85]. À la suite d’une altercation à l’Opéra, le 5 décembre 1704, ils se battirent en duel, sur la place du marché de Hambourg ; et peu s’en fallut que Hændel ne fût tué : car l’épée de Mattheson se brisa sur un large bouton de métal du justaucorps de son adversaire. Après quoi, ils s’embrassèrent ; et les deux compagnons, réconciliés par Keiser, prirent part ensemble aux répétitions de l’Almira, le premier opéra de Hændel[86].

La première représentation eut lieu, le 8 janvier 1705 ; et le succès fut éclatant. Un second opéra de Hændel, Nero[87], joué le 25 février suivant, ne réussit pas moins. À lui seul, Hændel occupa l’affiche de l’Opéra pendant toute la saison d’hiver. C’était un beau début. Trop beau, Keiser en devint jaloux.

L’Opéra de Hambourg était en train de couler. Keiser le menait gaiement à la faillite. Il vivait en grand seigneur libertin ; et tous les artistes, autour de lui, rivalisaient de folies. Seul, Hændel, retiré à l’écart, travaillait, et ne dépensait que le strict nécessaire[88]. Après le succès de ses deux opéras, il avait seulement laissé son emploi de second violon et de claveciniste à l’orchestre ; mais il donnait des leçons ; et sa réputation de compositeur s’accroissait de celle de professeur. Keiser s’inquiéta. Cette gloire naissante réveilla son amour-propre. Rien de plus sot que sa jalousie. Il était directeur de l’Opéra, il avait intérêt à donner des pièces qui réussissent et à s’attacher les auteurs heureux. Mais la jalousie ne raisonne pas. Il remit en musique l’Almira et le Nero, pour écraser Hændel[89]. Et, bien qu’il n’eût pas l’habitude de publier ses opéras, il se hâta d’éditer les plus beaux airs de ceux-ci[90].

Mais si vite qu’il allât, la ruine allait plus vite. Avant que parût le recueil de ses airs d’opéra, il lui fallut prendre la fuite, à la fin de 1706[91]. Hændel et lui ne devaient plus se rencontrer.

Keiser entraînait dans sa ruine l’Opéra de Hambourg ; et Hændel n’avait plus rien à faire dans cette ville. La direction du théâtre était tombée dans les mains d’un philistin, qui, pour gagner de l’argent, joua des farces musicales. Il commanda bien à Hændel l’opéra Florinda und Daphne ; mais il mutila l’œuvre pour la jouer, « de peur, dit la préface du libretto, que la musique ne fatiguât les auditeurs » ; et, dans la crainte que le public ne trouvât le spectacle encore trop sérieux, il y mêla une farce en platt deutsch : Die lustige Hochzeit (La noce joyeuse). On comprend que Hændel se soit désintéressé de sa pièce, ainsi défigurée, et qu'il n'ait même pas attendu la représentation pour quitter Hambourg. Vers l'automne de 1706, à ce qu'il semble, il prit le chemin de l'Italie[92].

Ce n’était pourtant pas qu'il fût attiré par elle. Chose curieuse, — et qui n'est pas unique dans l'histoire de l'art, — cet homme qui allait subir la fascination de l'Italie et faire triompher dans l'Europe musicale le beau style latin, avait alors des répugnances très marquées pour l'art welche. Au temps des représentations d'Almira, il avait fait la connaissance d'un prince italien ; Jean Gaston de Médicis, frère du grand-duc de Toscane[93], s’était étonné que Hændel ne s'intéressât point aux musiciens italiens, et lui avait prêté une collection de leurs meilleures œuvres, en lui offrant de l'emmener les entendre à Florence. Mais Hændel avait refusé, disant qu’il ne pouvait rien trouver dans ces œuvres qui méritât les éloges du prince, et qu’il fallait que les acteurs fussent des anges pour faire paraître agréables de telles médiocrités[94].

Ce dédain de l’Italie n’était point spécial à Hændel ; il caractérisait sa génération et surtout la poignée de musiciens allemands qui vivaient à Hambourg. Avant eux, après eux, la fascination de l'Italie s’imposa à l'Allemagne. De même que Hassler et Schütz, Hasse, Gluck, Mozart y firent de longs et fervents pèlerinages. Mais pas plus que J.-S. Bach, Keiser, Mattheson, Telemann n’allèrent en Italie. Les musiciens de Hambourg voulaient bien s’assimiler l'art italien, mais ils ne voulaient pas aller se mettre à l’école de l'Italie. Ils avaient l’honnête ambition de créer un art allemand, indépendant de l'étranger. Hændel partageait ces grands espoirs, suscités un instant par le théâtre de Hambourg. Mais la ruine subite de ce théâtre lui fit voir le peu de fonds qu’il fallait faire sur le gout public en Allemagne. Et, en dépit de lui-même, il tourna les yeux vers le refuge habituel des artistes allemands : cette Italie, que la veille il affectait de dédaigner. Quelle que fût la musique italienne, à tout le moins, là-bas, la musique s’épanouissait au soleil ; on ne lui chicanait pas le droit à l'existence, comme faisaient les piétistes de Hambourg ; elle soulevait dans toutes les villes, dans toutes les classes de la société, des transports d'amour. Et, autour d'elle, c’était une floraison des arts, une civilisation supérieure, une vie lumineuse et riante, dont Hændel avait eu l'avant-goût par ses entretiens avec les nobles Italiens de passage à Hambourg.

Il partit. Son départ fut si brusque que ses amis n'en surent rien. Il ne dit même pas adieu à Mattheson.

L’époque où il arriva en Italie n’était pas des plus heureuses. On était en pleine guerre de la Succession d'Espagne ; et Hændel put rencontrer à Venise, dans l'hiver de 1706, le prince Eugène avec son état-major, se reposant de la victorieuse campagne de Lombardie. Il ne s'arrêta point ; il alla droit à Florence, où il était à la fin de l'année[95]. Sans doute se souvenait-il des offres de protection, que lui avait faites le prince Gaston de Médicis. Cette protection fut-elle aussi efficace que Hændel l’espérait ? Il est permis d’en douter. À la vérité, le fils du grand-duc de Toscane, Ferdinand, était musicien ; il jouait bien du clavecin[96] ; il avait fait bâtir un théâtre d’opéra dans sa villa de Pratolino ; il choisissait les libretti conseillait les compositeurs, correspondait avec Alessandro Scarlatti. Mais il n’avait pas le goût très sûr. Il trouvait le style de Scarlatti trop savant ; il le priait d’écrire une musique « plus facile et, autant que possible, plus gaie »[97]. Il n’avait pas non plus l’humeur fastueuse des Médicis, ses ancêtres. Il lésinait sur la musique. Il ne se décidait pas à nommer Scarlatti son maître de chapelle ; et aux demandes d’argent du grand artiste, alors dans la gêne, il répondait « qu’il prierait pour lui »[98]. — On peut croire qu’il ne fut pas moins économe à l’égard de Hændel. Hændel était loin d’avoir la notoriété de Scarlatti. Il semble que l’on ait peu fait attention à lui, pendant ce premier séjour. Lui-même devait être désorienté dans ce monde nouveau : il lui fallait le temps de se ressaisir. Sans doute écrivit-il seulement quelques cantates, dont l'une, d'un caractère dramatique, Lucrezia, fut plus tard populaire en Italie et en Allemagne[99]. Le style en est encore presque tout germanique.

De Florence, il alla à Rome, pour les fêtes de Pâques, en avril 1707. Là non plus, le moment n’était pas très favorable pour lui. Le grand théâtre d’opéra, le Tor di Nona, avait été détruit comme immoral, dix ans avant, par le pape Innocent XII. Depuis 1700, les choses s’étaient un peu améliorées pour les musiciens ; mais en 1703, un terrible tremblement de terre avait désolé l'Italie et réveillé les inquiétudes religieuses[100]. Jusqu'en 1709, c'est-à-dire pendant tout le séjour de Hændel en Italie, il n'y eut pas, à Rome, de représentations d’opéra. En revanche, la musique religieuse et la musique de chambre étaient dans tout leur éclat. Hændel, pendant ces premiers mois, écouta, étudia la musique religieuse de Rome et tâcha d'en écrire de semblable. De cette époque datent ses Psaumes latins[101]. Il avait été aussi introduit dans les salons romains, grâce aux lettres de recommandation qu'il avait des Médicis. Il s'y rendit fameux, par son talent de virtuose plus encore que par celui de compositeur. Il resta à Rome jusqu'à l'automne de 1707[102].

Sans doute, il repassa par Florence, au mois d'octobre ; et c'est alors que paraît se placer la première représentation de Rodrigo. Il y avait presque un an que Hændel était en Italie. Il entreprit d'écrire un opéra en italien. Son audace fut récompensée. Rodrigo réussit. Hændel y gagna la faveur du grand-duc et l'amour de la première chanteuse, Vittoria Tarquini[103]. Fort de cette première victoire, il s’en alla tenter la chance à Venise.

Venise était alors la métropole musicale de l’Italie. Elle était en quelque sorte la patrie de l’opéra. C’etait là qu’un demi-siècle avant, s’était ouvert le premier théâtre public d’opéra, et depuis, quinze autres théâtres d’opéra. Là, pendant le carnaval, jouaient, chaque soir, sept théâtres d’opéra. Chaque soir, se tenait aussi une Académie de musique, c’est-à-dire une réunion musicale, et parfois deux ou trois par soir. Chaque jour, dans les églises, des solennités musicales, des concerts qui duraient plusieurs heures, avec plusieurs orchestres, plusieurs orgues, plusieurs chœurs en écho[104]. Et le samedi et le dimanche, les fameuses Vêpres des Hôpitaux, ces Conservatoires de femmes, où l’on élevait pour la musique des orphelines, des enfants trouvées, ou tout simplement les filles qui avaient de belles voix : elles donnaient des concerts d’orchestre et de chant, pour lesquels tout Venise se passionnait. Venise baignait dans la musique ; la vie entière en était tissée. C’était une volupté perpétuelle.

Quand Hændel arriva, le plus grand des musiciens italiens, Alessandro Scarlatti, venait de faire jouer au théâtre San Giovanni Grisostomo son chef-d’œuvre : Mitridate Eupatore, un des rares opéras italiens, dont la beauté dramatique égale la beauté musicale. Alessandro Scarlatti était-il encore à Venise, lorsque Hændel s'y trouva ? On ne sait ; mais en tout cas, ils devaient se rencontrer quelques mois plus tard, à Rome ; et il semble que dès cette époque, Hændel se soit lié d'amitié avec le fils d'Alessandro, Mimo (Domenico)[105] Il fit aussi à Venise d'autres rencontres, qui devaient changer sa vie : le prince de Hanovre, Ernest-Auguste, et le duc de Manchester, ambassadeur extraordinaire d'Angleterre à Venise. Tous deux étaient passionnés mélomanes, et s'interessèrent à Hændel. Les premières invites qui lui furent faites pour venir à Hanovre et a Londres, datent sans doute de là.

Mais si le voyage de Venise ne fut pas inutile pour l'avenir de Hændel, pour le présent il lui rapporta peu de chose. Hændel ne put rien faire jouer sur aucun des sept théâtres d’opéra[106].

Il fut plus heureux à Rome, où il était de retour, au commencement de mars 1708[107]. La renommée de son Rodrigo l'y avait précédé. Tous les mécènes d'Italie se faisaient maintenant honneur de le recevoir. Il fut l'hôte du marquis Ruspoli, dont les jardins sur l'Esquilin servaient de lieu de réunion à l'Académie de l'Arcadie[108]. Hændel se trouva introduit parmi tout ce que l'Italie avait de plus illustre dans les lettres, dans les arts et dans l'aristocratie. L'Arcadie, qui réunissait en une confraternité spirituelle les princes et les artistes[109], comptait parmi ses membres Alessandro Scarlatti, Arcangelo Corelli, Bernardo Pasquini, et Benedetto Marcello[110]. La même société d’élite se retrouvait aux soirées du cardinal Ottoboni[111]. Tous les lundis, au palais Ottoboni, comme aux réunions de l'Arcadie, on donnait des concerts et des récitations poétiques. Le cardinal-prince, surintendant de la chapelle pontificale, avait à son service le premier orchestre d’Italie[112] et les chanteurs de la Sixtine. À l’Arcadie se faisait aussi entendre un orchestre nombreux, sous la direction de Corelli, de Pasquini ou de Scarlatti. On s’y livrait à l’improvisation poétique et musicale : ce qui provoquait des joutes artistiques entre poètes et musiciens[113].

Ce fut pour les concerts du palais Ottoboni que Hændel écrivit ses deux oratorios romains : la Resurrezione et Il Trionfo del Tempo e del Disinganno[114], qui sont des opéras déguisés. On retrouve aussi le reflet de l'Arcadie dans les compositions les plus caractéristiques peut-être de cette période de la vie de Hændel : les Cantates Italiennes[115], dont la célébrité s’étendit au loin : car J.-S. Bach fit une copie de l'une d'elles, avant 1715[116].

Hændel passa trois ou quatre mois à Rome. Il était intime avec Corelli et avec les deux Scarlatti, surtout avec Domenico, qui faisait avec lui assaut de virtuosité[117]. Peut-être joûta-t-il aussi avec Bernardo Pasquini, qu'il dut entendre, plus d'une fois, à son orgue de Sainte-Marie Majeure. On s’intéressait à lui, dans le monde du Vatican, et on essaya de le convertir au catholicisme. Mais il refusa ; et telle était l’aimable tolérance qui régnait alors à la cour de Rome, que, pas plus que la guerre entre le Pape et l'Empereur, ce refus n’altéra les rapports d’amitié entre le jeune luthérien allemand et les cardinaux ses mécènes. Il s’était si bien attaché à Rome qu’il eut peine à en partir, quand la guerre qui s’approchait de la ville l’obligea à prendre, au mois de mai ou de juin 1708, le chemin de Naples. Une de ses cantates italiennes, intitulée Partenza, dit son chagrin « d'abandonner du Tibre les belles rives fleuries, les chers murs, les rochers aimés ».

Peu de temps après son arrivée à Naples, Alessandro Scarlatti revint s’y fixer, après sept ans d’absence[118]. Grâce à cette amitié et à son affiliation avec l'Arcadie, Hændel reçut le meilleur accueil de l’aristocratie napolitaine. Il resta à Naples près d’un an, de juin 1708 au printemps de 1709, jouissant d’une hospitalité princière, qui mettait à sa disposition, dit Mainwaring, palais, table et voiture. Si enivrante que dût être pour lui la douceur de la vie italienne, il ne perdit pas son temps. Non seulement, à l’exemple de son ami Corelli, il prit en Italie le goût passionné de la peinture[119], mais il s’essaya, avec un dilettantisme attentif, dans les genres les plus opposés, dont la société cosmopolite de Naples amusait sa nonchalante curiosité. L’influence espagnole et l’influence française se disputaient la ville. Hændel, aussi indifférent que Scarlatti à la victoire de l’un ou l’autre des deux peuples, s’essaya à écrire dans leur style à tous deux[120]. Il s’intéressait aussi aux chants populaires italiens, et notait les rustiques mélodies des Pifferari calabrais[121]. Pour les Arcadiens de Naples, il écrivait sa belle Serenata : Aci, Galatea e Polifemo[122]. Enfin, il avait le bonheur de plaire au vice-roi de Naples, le cardinal Grimani. C’était un Vénitien ; et sa famille possédait le théâtre San Giovanni Grisostomo de Venise. Grimani écrivit pour Hændel le libretto de l'opéra : Agrippina, dont Hændel composa probablement une partie de la musique à Naples[123]. Une telle collaboration l'assurait d'être joué sans peine, à Venise.

Il quitta Naples au printemps, et repassa par Rome, où il dut rencontrer chez le cardinal Ottoboni l'évêque Agostino Steffani, qui, par un mélange singulier d'attributions, était en même temps Kapellmeister à la cour de Hanovre, et chargé de missions secrètes par divers princes allemands[124]. Steffani était un des plus parfaits musiciens du temps ; il se lia d’amitié avec Hændel. Peut-être firent-ils route ensemble jusqu’à Venise, où l'Agrippina de Hændel fut jouée, dès l'ouverture de la saison de carnaval 1709-1710, au théâtre San Giovanni Grisostomo[125].

Le succès passa tout ce qu’on pouvait attendre. Mainwaring dit « qu’on eût pris les auditeurs pour des fous. C’étaient des acclamations, des cris : Viva il caro Sassone ! des extravagances impossibles à raconter. La grandeur de ce style les avait frappés comme le tonnerre. » — Les Italiens avaient bien raison de se réjouir. Ils avaient fait en Hændel la plus glorieuse recrue, et l’Agrippina était le plus mélodieux des opéras italiens. Venise faisait et défaisait la gloire. L’enthousiasme soulevé par les représentations du San Giovanni Grisostomo se propagea dans l’Europe musicale.

Hændel resta tout l’hiver à Venise. Il semblait indécis sur le chemin qu’il allait suivre. Il n’est pas impossible qu’il songeât à passer par Paris[126]. — Que de choses eussent été changées, s’il y était venu alors, et s’il avait pu s’y établir, dans l’interrègne, entre Lully et Rameau ! Il avait ce que ne possédait aucun des musiciens français : une surabondance de musique. Et il n’avait point ce qu'ils avaient : l'intelligence lucide et pénétrante de la véritable nature du drame musical et de ses destinées : — (c’était alors le temps où Lecerf de la Viéville écrivait sa Comparaison de la musique française et de la musique italienne, dont certaines pages annoncent la réforme de Gluck). — Si Hændel était venu en France, je suis convaincu que cette réforme eût été accomplie soixante ans plus tôt, et avec une magnificence de musique que Gluck n'eut jamais. Hændel était familiarisé avec la langue française[127]. Il montra, par la suite, une attraction singulière pour les plus beaux sujets de notre tragédie française[128]. Avec sa prodigieuse souplesse et ses qualités, toutes latines, de clarté de lignes, de raison éloquente, d'amour passionné pour la forme, ce lui eût été un jeu de s'assimiler la tradition de notre art et de la reprendre, avec une vigueur irrésistible[129].

Mais à Venise, comme il hésitait encore sur ce qu’il devait faire, il rencontra des nobles hanovriens, parmi lesquels le baron Kielmannsegge, qui l’invitèrent à les suivre. Steffani lui avait offert, avec une bonne grâce charmante, son poste de Kapellmeister à la cour de Hanovre. Hændel alla à Hanovre.

Ils étaient quatre frères, qui furent tour à tour ducs de Hanovre : Christian-Louis, George-Guillaume, Jean-Frédéric, et Ernest-Auguste[130]. Tous quatre étaient fascinés par la France et par l’Italie. Ils passaient la meilleure partie de leur temps hors de leurs États, de préférence à Venise. George-Guillaume épousa morganatiquement une Française, Éléonore d’Olbreuse, d’une famille noble du Poitou. Jean-Frédéric était pensionné par Louis XIV et se fit catholique ; il prenait modèle sur Versailles et fonda en 1672 l’opéra de Hanovre. Il eut d’ailleurs l’intelligence d’appeler Leibniz dans ses États[131]. Mais il se gardait bien, pour sa part, d’y rester. Il mourut, au cours d'un voyage à Venise. Ernest-Auguste, qui lui succéda en 1680, fut le protecteur de Steffani. Il était marie à la belle et intelligente duchesse Sophie, princesse Palatine, petite-fille de Jacques Ier Stuart, tante de la Palatine de France, et sœur de la princesse Élisabeth, amie de Descartes. Elle-même était l'amie et la correspondante de Leibniz, qui l’admirait. Elle avait infiniment d’esprit, parlait sept langues, lisait beaucoup, avait un goût naturel pour les belles choses. « Personne ne possédait mieux Michel de Montaigne », dit Madame, sa nièce. Très libre de pensée[132], trop libre de langage, elle professait un matérialisme épicurien supérieurement intelligent[133]. Son mari ne la valait point ; mais il était brillant et fastueux. Ils firent de la cour de Hanovre « la plus polie et la plus distinguée de l'Allemagne »[134]. Tous deux aimaient la musique ; mais Ernest-Auguste ne semblait point se douter qu’elle existât en dehors de l’Italie ; et il aurait pu s’appeler aussi bien le duc de Venise que le duc de Hanovre : car il était constamment à Venise, et il n’en voulait plus sortir[135]. Le peuple hanovrien commençait à murmurer. Pour retenir le prince chez lui, on ne trouva d’autre moyen que de lui bâtir un magnifique Opéra, où il put donner des spectacles et des fêtes, à l’instar de Venise. L’idée était bonne. Ernest-Auguste se passionna pour son nouveau théâtre, qui, édifié et décoré par des Italiens, de 1687 à 1690, fut le plus beau d’Allemagne[136]. Pour ce théâtre on engagea comme kapellmeister Steffani[137].

Agostino Steffani est une des figures les plus curieuses du temps[138]. Né en 1653, à Castel-franco près Venise, d’une famille pauvre, enfant de chœur à S. Marco, emmené en 1667 à Munich par le comte de Tattenbach, il y avait été l’élève de Ercole Bernabei, un maître nourri de l’art romain le plus pur[139]. En même temps il recevait une éducation très complète, littéraire, scientifique et théologique, car on le destinait à la prêtrise ; et, tout en devenant abbé[140], il était nommé organiste de cour et Musik direktor. Depuis 1681, une suite d’opéras, joués à Munich, et surtout le Servio Tullio de 1685[141] avaient répandu son renom en Allemagne. Le duc de Hanovre l’attira à sa cour ; et, en 1689, le nouveau théâtre de Hanovre fut inauguré par un opéra de Steffani, dont la duchesse Sophie avait fourni, dit-on, le sujet patriotique : Henrico Leone[142]. Suivirent une quinzaine d’opéras, dont la mise en scène et la musique eurent une célébrité prodigieuse en Allemagne[143]. Cousser les introduisit à Hambourg, comme des modèles du vrai chant italien ; et Keiser se forma en partie d’après eux, une dizaine d’années avant que Hændel se formât à son tour d’après Keiser. L’opéra n'eut pas une vie durable à Hanovre. Seul, le duc y était attaché. La duchesse Sophie avait beaucoup moins de sympathie pour ce genre d'art [144]. Les ballets et les mascarades faisaient tort à l’opéra. Steffani était d’ailleurs occupé par des affaires plus sérieuses. Dans la Ligue d’Augsbourg, Ernest-Auguste de Hanovre avait pris parti pour l’Empereur. Pour récompenser sa fidélité, l’Empereur lui accorda la dignité de prince-électeur. Mais, dans la confusion de l’Empire, il n’était pas facile de faire régulariser la situation. Il fallut envoyer un ambassadeur extraordinaire aux grandes cours allemandes. Le choix de tous se porta sur Steffani, qui était abbé catholique et pouvait plus facilement servir d’intermédiaire entre la cour protestante de Hanovre et les cours catholiques[145]. Il s’acquitta si bien de sa mission qu’en 1697 le duc de Hanovre obtint son titre d’électeur. L’étonnant diplomate avait trouvé moyen, tout en s’acquittant de sa tâche, d’écrire des opéras. Après la mort de Ernest-Auguste, en 1698, il renonça aux opéras ; mais il continua de s’occuper de politique. Il devint, en 1703, conseiller secret de l’électeur Palatin, président du conseil religieux ; il fut anobli. En même temps, le pape Innocent XI le faisait, en 1706, évêque de Spiga[146]. L’électeur Palatin le nomma son grand aumônier, et le chargea de la correspondance italienne et latine avec le duc de Brunswick. De novembre 1708 à avril 1709, Steffani séjourna à Rome où le pape le combla d’honneurs, le fit prélat de chambre, assistant du trône, abbé de S. Stefano in Carrara, et vicaire apostolique dans le nord de l’Allemagne, avec l’inspection sur les catholiques en Palatinat, Brunswick et Brandebourg[147]. Ce fut alors, comme on l’a vu, qu’il rencontra Hændel.

Il était nécessaire d’esquisser la vie de ce personnage extraordinaire, qui fut à la fois abbé, évêque, vicaire apostolique, conseiller intime et ambassadeur des princes, organiste, kapellmeister, critique musical[148], grand chanteur[149] et grand compositeur, — non seulement pour l’intérêt de sa figure, mais parce qu’il exerça une influence considérable sur Hændel, qui conserva toujours de lui un souvenir reconnaissant[150].

Le propre de l’art de Steffani, et par où il est supérieur à tous ceux de son temps, c’est la maîtrise de l’art du chant. Bien que tous les Italiens y fussent rompus, aucun n’a écrit aussi purement pour la voix. Scarlatti ne se gêne pas pour forcer les limites de la voix, soit dans une intention expressive, soit dans une intention concertante. Chez Steffani, comme dit M. Hugo Goldschmidt[151], « le chanteur tient la plume ». Son œuvre est le recueil le plus parfait du chant italien de l’âge d’or, et Hændel lui dut son sens très fin du bel canto. À la vérité, les opéras de Steffani gagnent peu à cette virtuosité. Ils sont médiocres au point de vue dramatique, assez peu expressifs, abusent des vocalises : c’étaient essentiellement des opéras pour chanteurs[152]. Mais ils montrent une curiosité harmonique, et une habileté contrapuntique qui s’oppose à l’écriture presque homophone de Lully[153]. — Le vrai titre de gloire de Steffani est dans sa musique vocale de chambre et, par-dessus tout, dans ses Duos[154]. Ces Duos sont de tous les caractères et de toutes les dimensions. Il en est en un seul morceau ; il en est d’autres qui ont la coupe da capo. Certains sont de vraies cantates, avec récitatifs, soli et duos. D’autres se font suite, formant des sortes de petits Liederkreise. Leur écriture évolue de Schütz et Bernabei à Hændel et Telemann. Mais leur construction intime est assez généralement la même : une première voix expose, seule, la première phrase, où se reflète l’émotion poétique du morceau ; la seconde voix répétè le motif, à l’unisson, ou à l’octave ; avec le second motif, les voix laissent l’unisson et se livrent à des imitations en canon, librement fuguées ; puis revient la première partie, qui conclut. Quand le duo est plus développé, après un premier air en mineur, vient un second air en majeur où la virtuosité se donne carrière, puis revient le premier air en mineur. Ces œuvres sont d’une admirable beauté mélodique et d’une expression souvent profonde. Dans les sujets gais, Steffani a la grâce alerte, l’élégante fantaisie de Scarlatti. Dans la tristesse, il touche aux plus hauts modèles : à Schütz, à Provenzale,

à J.-S. Bach ; il est un des plus grands lyriques de la musique du XVIIe siècle[155]. Ces duos ont fixé le style et la forme du genre. Je comparerais volontiers le rôle joué par Steffani en musique à celui de Fra Bartolommeo, en peinture, — tous deux s’appliquant, avec un art parfait et un esprit très calme, à trouver les lois de la composition dans des genres limités : Fra Bartolommeo cherchant l’équilibre des groupes et l’harmonie des lignes dans des scènes à trois ou quatre personnages, rassemblés en un tableau rond ; Steffani concentrant tout l’effort de l’ingéniosité, de l’invention, de la science artistique, dans le cadre étroit du duo. Les deux artistes religieux ont un art lumineux, sûr de soi, savant avec simplicité, peu ou point passionné : leurs âmes sont nobles, pures, un peu impersonnelles. Ils étaient faits pour préparer le chemin à d'autres. Comme dit Chrysander, Hændel marche dans les traces de Steffani ; mais son pied est plus large.

Hændel ne fit qu'un court passage à Hanovre, en 1710. À peine eut-il pris possession de son poste, qu'il demanda et obtint un congé pour aller en Angleterre, où des propositions lui étaient faites. Il traversa la Hollande, et arriva à Londres, à la fin de l'automne 1710. Il avait vingt-cinq ans.

L'ère musicale de l'Angleterre était close. Quinze ans avant, l'Angleterre avait perdu son plus grand musicien, Henry Purcell, mort prématurément, à l'âge de trente-six ans[156].

Dans sa courte vie, il avait produit un œuvre considérable : opéras, cantates, musique religieuse, musique instrumentale. C’était un génie instruit, connaissant bien Lully, Carissimi, les sonates italiennes, et en même temps très anglais, ayant le don des mélodies spontanées, et ne perdant jamais contact avec l'esprit de sa race. Son art est plein de grâce et de délicatesse, bien plus aristocratique que celui de Lully : c'est du Van Dyck en musique ; tout y est d'une extrême élégance, fine, aisée, un peu exsangue. Sa distinction est naturelle, elle se retrempe toujours, comme le font volontiers les Anglais, dans la vie champêtre. Il n'y a pas d’opéras du XVIIe siècle où l'on trouve plus de fraîches mélodies, d'une inspiration ou d'un tour populaire. Ce charmant artiste, maladif, de tempérament débile, avait quelque chose de féminin, de frêle, de peu résistant. Sa langueur poétique fait son attrait et aussi sa faiblesse ; elle l'a empêché de poursuivre son progrès artistique, avec la ténacité d'un Hændel. Presque partout, il est resté incomplet, il n'a pas cherché à briser les dernières barrières qui le séparaient de la perfection ; ce sont des esquisses de génie, avec d'étranges faiblesses, beaucoup de choses bâclées, des gaucheries singulières dans la façon de traiter les instruments et la voix, des cadences maladroites, une monotonie de rythmes, un tissu harmonique grêle, surtout dans les grands morceaux, un manque de souffle, une sorte d’épuisement physique, qui l'empêche de mener jusqu'au bout de superbes idées. Mais il faut le prendre pour ce qu'il est : une des figures les plus poétiques de la musique, — souriante et un peu élégiaque, — un petit Mozart éternellement convalescent. Rien de vulgaire, ni de brutal. De jolies mélodies, sorties du cœur, où le plus pur de l'âme anglaise se mire. Des harmonies délicates, des dissonances caressantes, le goût des froissements de septièmes et de secondes, du flottement incessant du majeur au mineur, des nuances fines et changeantes, d'une lumière pâle, indécise, enveloppée, comme un soleil de printemps au travers d'un brouillard léger[157].

Il n'avait écrit qu'un véritable opéra : l'admirable Dido and Æneas de 1680[158]. Ses autres œuvres dramatiques, très nombreuses, étaient de la musique de scène ; et le plus beau type en est celle qu'il écrivit pour King Arthur de Dryden, en 1691. Cette musique est presque toute épisodique ; on pourrait l'enlever, sans que l'essentiel de l'action en souffrît. Le goût anglais était réfractaire aux opéras chantés d'un bout à l'autre ; et au temps de Hændel, Addison devait, dans son Spectateur, traduire cette répugnance de la nation.

Bien que Hændel eut une autre idée de l'opéra, et que sa personnalité différât profondément de celle de Purcell, il ne laissa point de profiter du génie de ce précurseur, comme il avait fait des autres. Arrivant en un pays étranger, dont il ne savait ni la langue, ni l'esprit, il était naturel qu'il prît le maitre anglais pour guide. De là, des analogies entre eux. Les odes de Purcell semblent parfois une esquisse des cantates et des oratorios de Hændel ; on y trouve le même style architectural, les mêmes contrastes de mouvements, de timbres instrumentaux, de grands ensembles et de soli. Certaines danses[159], certains airs héroïques, au rythme irrésistible, aux fanfares de triomphe[160], sont déjà du Hændel. Mais ce ne sont là que des éclairs, chez Purcell. Sa personnalité, son art étaient autres. Lui aussi, comme tant de beaux musiciens d'alors, il a été se perdre en Hændel, ainsi qu'un filet d'eau dans une rivière. Mais il y avait dans cette petite source une poésie anglaise, que l’œuvre entier de Hændel n'a point, — ne pouvait avoir.

Depuis la mort de Purcell, c'en était fait de la musique anglaise. Les éléments étrangers l'avaient submergée[161]. Un renouveau d’opposition puritaine, s’attaquant au théâtre anglais, avait contribué à l’abdication découragée des artistes nationaux[162]. Le dernier maître de la grande époque, John Blow, — un artiste estimable, glorieux dans son temps, et dont la personnalité un peu grise, effacée, ne manquait pas de distinction ni de sentiment expressif, — s’était retiré dans les pensées religieuses[163]. En l’absence de compositeurs anglais, les Italiens s’emparèrent de la place[164]. Un ancien musicien de la chapelle royale, Thomas Clayton, rapporta d'Italie des libretti d’opéras, des partitions, et des chanteurs. Il prit un vieux libretto de Bologne, le fit traduire en anglais par un Français, y adapta gauchement une musique qui ne valait rien ; et tel fut, comme il dit avec fierté, « le premier drame musical qui ait été entièrement composé et exécuté en Angleterre dans le style italien » : Arsinoé, reine de Chypre. Cette nullité, jouée au Drury Lane, en 1705, eut un gros succès, que dépassa encore un opéra italien authentique, donné l'année suivante, à Londres : Camilla, regina de' Volsci, de Marc Antonio Bononcini[165]. Vainement, Addison inquiet essaya de lutter contre l'invasion italienne, en persiflant le snobisme du public, avec une aimable ironie, et en tâchant d'opposer à l'opéra italien un opéra national anglais[166] : il fut battu, et avec lui,le théâtre anglais tout entier[167]. Thomyris en 1707, inaugura les représentations mi-partie en italien et en anglais. Et, à partir d'Almahide, en janvier 1710, tout est en italien. Aucun musicien anglais ne tente de lutter[168].

Lorsque arriva Hændel, à la fin de 1710, l'art national était mort. Il est donc absurde de dire, comme on le fait souvent, qu'il a tué la musique anglaise. Il n'y avait plus rien à tuer. Londres n'avait pas un compositeur. En revanche, elle était riche en virtuoses excellents. Surtout elle possédait une des meilleures troupes de chanteurs italiens qu'on pût trouver en Europe. Présenté à la reine Anne, qui aimait la musique et jouait bien du clavecin, Hændel fut accueilli à bras ouverts par le directeur de l'Opéra, Aaron Hill. C’était un personnage extraordinaire, qui voyagea en Orient, écrivit une Histoire de l'Empire Ottoman, fit des tragédies, traduisit Voltaire, fonda la Beech Oil Company, pour extraire l'huile des glands de hêtre, se mêla de chimie, et s'occupa de la construction des vaisseaux[169]. Cet homme-orchestre bâtit, séance tenante, le plan d'un opéra, d’après la Jérusalem délivrée. Ce fut le Rinaldo, qui fut écrit, poème et musique, en quatorze jours, et joué, pour la première fois, le 24 février 1711, au Haymarket.

Le succès fut immense. Il décida de la victoire de l'opéra italien à Londres ; et quand le chanteur Nicolini, qui interprétait le rôle de Renaud, quitta l'Angleterre, il emporta la partition à Naples, où il la fit représenter en 1718, avec l'aide du jeune Leonardo Leo. Le Rinaldo marque un tournant de l'histoire musicale. L’opéra italien, qui a conquis l'Europe, commence à être conquis à son tour par les musiciens étrangers qu'il a formés, les italianisants d'Allemagne. Après Hændel, ce sera Hasse, et puis Gluck, et puis Mozart. Mais Hændel est le premier des conquérants[170].

Après Rinaldo, et jusqu'au moment où Hændel se fixe définitivement à Londres, c’est-à-dire entre 1711 et la fin de 1716, s’étend une période indécise, où il oscille entre l’Allemagne et l’Angleterre, entre la musique religieuse et l’opéra.

Hændel, qui avait le titre de Kapellmeister de Hanovre, dut regagner son poste, en juin 1711[171]. À Hanovre, il retrouva l’évêque Steffani, et s’essaya à écrire dans son style. À son imitation, il composa une vingtaine de duos de chambre, qui n’égalent point leur modèle, et de beaux lieder allemands sur des poésies de Brockes[172]. Quelques-unes de ses meilleures pages instrumentales, ses premiers concertos de hautbois, ses sonates pour flûte et basse[173], semblent aussi dater de là. Les cavaliers de la cour de Hanovre étaient des flûtistes passionnés ; et l’orchestre, sous la direction de Farinel, était excellent ; surtout les hautbois étaient arrivés à un degré de virtuosité, que ceux d'aujourd'hui atteignent à peine. En revanche, l'Opéra de Hanovre était fermé ; et Hændel ne put même pas faire jouer Rinaldo.

Il avait goûté du théâtre, et ne se résignait pas à y renoncer. Aussi soupirait-il vers Londres. Il avait tâté le terrain en Angleterre, il l'avait jugé favorable, il était bien décidé à s'y établir. Il recevait de là des nouvelles régulières[174]. Depuis son départ, aucun opéra n'avait pu se maintenir, en dehors de Rinaldo. Les amateurs anglais le rappelaient. Hændel, qui brûlait de partir, demanda un nouveau congé à la cour de Hanovre. On le lui accorda, dans les termes les plus aimables, — « à condition qu'il reviendrait au bout d'un temps raisonnable »[175].

Il retourna à Londres, vers la fin de novembre 1712, juste à temps pour surveiller la représentation d'une pastorale, Il Pastor Fido, œuvre hâtive, dont il reprit les plus beaux chants plus tard[176]. Vingt jours après, il avait fini d'écrire Teseo, « opéra tragique », en cinq actes très courts[177], plein de hâte et de génie, qui fut joué en janvier 1713.

Hændel cherchait à s'implanter en Angleterre. Il s'associa au loyalisme et à l'orgueil de la nation, en écrivant pour ses fêtes politiques. La conclusion de la paix d'Utrecht, glorieuse pour l'Angleterre, approchait. Hændel prépara un Te Deum, qui était déjà terminé en janvier 1713. Mais les lois du royaume s'opposaient à ce qu'un étranger fût chargé de composer la musique des cérémonies officielles ; seul, le Parlement pouvait autoriser une dérogation à ces usages. Hændel écrivit habilement une ode flatteuse pour l'anniversaire de naissance de la reine Anne (Birthday Ode for Queen Anne). L'ode fut exécutée à Saint-James, le 6 février 1713 ; et la Reine, enchantée, donna à Hændel la commande du Te Deum et du Jubilate pour la paix d'Utrecht, qui furent joués, le 7 juillet 1713, à la cérémonie solennelle de Saint-Paul, où le Parlement assistait. Ces œuvres, où Hændel s'était aidé de l'exemple de Purcell[178], furent ses premiers grands essais dans le genre monumental.

Hændel avait réussi à se faire, en dépit des usages, le compositeur officiel de la cour d’Angleterre. Mais ce n’avait pas été sans manquer gravement à ses devoirs envers ses autres maîtres, les princes de Hanovre, au service desquels il était. La situation était extrêmement tendue entre la cousine à héritage et les parents pauvres de Hanovre. La reine Anne les avait pris en grippe ; surtout, elle ne pouvait souffrir l’intelligente duchesse Sophie, elle la faisait chansonner ; et elle s’entendait secrètement avec le prétendant Stuart, qu’elle voulait reconnaître pour héritier. En restant à son service, Hændel prenait donc parti contre son souverain de Hanovre. Certains de ses historiens ont été jusqu’à prononcer le mot de trahison. C’est l’unique faute de sa vie que son hagiographe, Chrysander, n’excuse point : car elle blesse son patriotisme allemand. Mais, il faut bien le dire : de patriotisme allemand, Hændel n’en avait guère. Il avait la mentalité des grands artistes allemands de son temps, pour qui la patrie, c’était l’art et la foi. Peu lui importait l’État.

Il habitait alors chez des mécènes anglais : — pendant un an, chez un riche musicomane du Surrey, — puis, à Piccadilly, chez le comte de Burlington. Il y resta trois ans. Pope et Swift étaient familiers de la maison, que Gay a décrite. Hændel s'y faisait entendre, sur l'orgue et le clavecin, devant l'élite de la société londonienne, dont il était fort admiré, à la réserve de Pope, qui n'aimait point la musique. Il écrivait peu[179], se laissant vivre, comme au temps de son séjour à Naples, attendant, sans se presser, qu'il se fût pénétré de l'atmosphère anglaise. Hændel était de ceux qui pouvaient faire trois opéras en deux mois, et puis ne plus rien faire pendant un an. C'est le régime du fleuve torrentueux, qui tantôt déborde et tantôt est à sec.

Il attendait aussi la suite des événements. Les héritiers de Hanovre semblaient décidément évincés. La duchesse Sophie mourut, le 7 juin 1714, de chagrin, dit Chrysander — (et, à vrai dire, aussi d'apoplexie), — convaincue que le Stuart aurait l'héritage convoité. Moins que jamais, Hændel ne soufflait mot de retourner à Hanovre. Mais le hasard déjoua tous les plans. Deux mois après la mort de la duchesse Sophie, la reine Anne mourait subitement, le 1er mai 1714. Le même jour, dans le désarroi où cet événement inattendu avait mis le parti des Stuarts, George de Hanovre était proclamé par le conseil secret. Le 20 septembre, il arriva à Londres. Le 20 octobre, il était couronné à Westminster. Et Hændel, tout déconfit, en était pour son Ode à la reine Anne, avec la mortification de se dire que, s'il avait attendu un an, son Te Deum eût servi pour l'intronisation de la nouvelle dynastie.

Il faut lui rendre cette justice qu'il ne sembla pas s'émouvoir beaucoup de ce revers de fortune. Il ne se fatigua point à implorer son pardon. Il se remit au travail, et écrivit Amadigi. C'était encore la meilleure façon de plaider sa cause. Le roi George Ier de Hanovre avait bien des défauts ; mais il avait une grande qualité : il aimait sincèrement la musique, et cette passion était partagée autour de lui par beaucoup de personnages plus ou moins recommandables de sa cour. La musique a été de tout temps pour l'Allemagne la fontaine ou les cœurs souillés se purifient, la rédemption des petites bassesses de la vie quotidienne. Quoi que le roi George pût penser de Hændel, il ne pouvait le punir, sans se punir soi-même. Après le succès du charmant Amadigi joué pour la première fois le 25 mai 1713, il n'eut pas le courage de garder rancune plus longtemps à son musicien. Ils se réconcilièrent[180]. Hændel recouvra son traitement de Kapellmeister de Hanovre, en attendant qu'il devint maître de musique des petites princesses ; et lorsque le Roi alla à Hanovre, en juillet 1716, Hændel fut du voyage.

Ce n'est pas qu'il ait eu beaucoup d'occupation à la cour. Le Roi était pris par les affaires et par la chasse. Il ne trouvait même pas le temps de s'inquiéter de son vieux serviteur Leibniz, qui mourut à Hanovre, le 14 novembre 1716, sans que personne à la cour y prit garde. Hændel profita des loisirs qui lui étaient faits pour se retremper dans l'art allemand.

Il y avait alors en Allemagne une mode des Passions musicales. C'était un courant religieux et théâtral à la fois. On y pouvait démêler l'influence du piétisme et celle de l'opéra. Keiser, Telemann, Mattheson écrivaient à Hambourg des Passions qui faisaient grand bruit[181], sur un texte fameux du sénateur Brockes. À leur exemple, peut-être pour se mesurer avec ces hommes qui tous trois avaient été ses rivaux ou ses amis[182], Hændel reprit le même texte, et écrivit, lui aussi, en 1716, une Passion nach Brockes.

Cette œuvre puissante et disparate, où le mauvais goût et le sublime se coudoient, où la préciosité et l’emphase se mêlent à l'art le plus profond et le plus sobre, — (œuvre que J.-S. Bach connut bien et dont il s’est ressouvenu), — fut pour Hændel une expérience décisive. Il sentit, en l’écrivant, tout ce qui le séparait de l'art piétiste allemand ; et, de retour en Angleterre[183], il écrivit les Psaumes et Esther.

Ce fut l’époque capitale de sa vie. Entre 1717 et 1720, tandis qu’il était au service du duc de Chandos[184], il prit pleine conscience de sa personnalité, et créa un style nouveau en musique et au théâtre.

Les Anthems (ou Psaumes) Chandos [185] sont, pour les oratorios de Hændel, ce que ses Cantates italiennes sont pour ses opéras : de splendides esquisses, des morceaux d’épopées. Dans ces cantates religieuses, écrites pour la chapelle du duc, Hændel donne la première place aux chœurs : ils sont la voix même de la Bible qui chante, — voix virile, héroïque, dégagée des commentaires et des effusions sentimentales dont l’avait affadie la piété allemande. C’est déjà l’esprit et le style d’Israël en Égypte, les grandes lignes monumentales, le souffle populaire.

Il n’y avait qu’un pas à faire pour passer de ces épopées bibliques au drame. Hændel le fit avec Esther, qui, sous sa première forme, était intitulée : Haman and Mordecai, a masque (Aman et Mardochée, masque[186]). Il est possible qu’à la première exécution, chez le duc de Chandos, le 29 août 1720, l’œuvre ait été représentée sur la scène. C'est en tout cas une des plus grandes tragédies à l'antique qui ait été écrite depuis les Grecs. — Comme si elle avait ramené l'esprit de Hændel vers l’idéal hellénique, il composa presque en même temps la tragédie pastorale Acis and Galatea, à laquelle il donnait aussi le nom de masque[187], et qui n’était pas dégagée de toute idée de théâtre en liberté. Ce petit chef-d'œuvre de poésie[188] et de musique, où se déroulent les tableaux riants et élégiaques de la belle légende sicilienne, est d'une perfection classique, que Hændel n'a jamais dépassée.

Esther et Acis témoignaient du désir qu'avait Hændel de mettre au service de l'action dramatique toutes les puissances de la musique chorale et symphonique. Même dans ces deux œuvres, qui ouvraient sans qu'il s'en doutait la voie de ses futurs oratorios, ce n'était pas l'oratorio qui était son but, c'était l'opéra. Toujours il fut attiré par le théâtre ; et seule une succession de désastres, de ruines accumulées, l'en détacha plus tard, centre sa volonté. Aussi est-il naturel de le voir, au moment même où il écrivait Esther et Acis, prendre la direction musicale d'une entreprise de théâtre, où il allait brûler une partie de ses forces et de sa vie : l'Académie d'Opéra Italien[189].

Hændel voyait, dit-on, dans l'année 1720 le terme de ses années d'apprentissage. Il y terminait surtout — (ce qu'il ne savait point) — ses années de tranquillité. Jusque-là, il avait mené la vie d'un décès innombrables musiciens de cour, qui vivaient à l'ombre d'un prince et écrivaient pour une élite. Il n'avait eu l'occasion d'en sortir qu'avec quelques œuvres religieuses ou nationales, où il avait été la voix d'un peuple. À partir de 1720, et jusqu'à sa mort, tout son art appartient à tous. Il se met à la tête d’un théâtre, il engage le combat avec le grand public, il y dépense une vitalité prodigieuse, écrivant deux ou trois opéras par an, s’épuisant à diriger une troupe indisciplinée de virtuoses déments d’orgueil, harcelé par les cabales, traqué par la faillite, usant son génie pendant vingt ans à la tâche paradoxale de faire pousser à Londres un Opéra italien, rachitique, étiolé, qui ne pouvait vivre dans un sol et un climat qui n’étaient pas faits pour lui. Au terme de cette lutte enragée, vaincu et invincible, semant sa route de chefs-d’œuvre, il devait arriver au faîte de son art, aux grands oratorios qui immortalisent son nom.

Après un voyage en Allemagne, à Hanovre, à Halle, à Düsseldorf et a Dresde, pour recruter sa troupe de chanteurs italiens[190], Hændel inaugura, au théâtre Haymarket, l’Opéra londonien, le 27 avril 1720, avec son Radamisto, qui était dédié au Roi[191]. L'affluence du public fut très grande ; mais elle était due surtout à la curiosité et à l'engouement de la mode. Bientôt le snobisme des amateurs ne se contenta plus d'un Allemand italianisé pour représenter l'opéra italien ; et le comte Burlington, l'ancien patron de Hændel, alla chercher à Rome le roi de la mode italienne, Giovanni Bononcini[192].

Bononcini était de Modène. Il avait une cinquantaine d'années[193]. Fils d'un artiste de grand mérite, Gianmaria Bononcini, que sa mort prématurée empêcha d'atteindre à la gloire[194], élevé avec une affection paternelle par un des premiers maîtres italiens de l'époque, un des rares qui eussent conservé le culte et la science du passé, Giampaolo Colonna, organiste de S. Petronio à Bologne, il avait bénéficié, de bonne heure, de hautes protections princières, voire même impériales[195]. Plus précoce encore que Hændel, il publiait ses premières œuvres à treize ans, était membre de l’Académie philharmonique de Bologne à quatorze, et maître de chapelle à quinze. Ses premières œuvres étaient instrumentales : c’était là une spécialité, qu'il avait héritée de son père[196]. Il n'arriva à l'opéra qu’après avoir essayé de tous les autres genres. Ce n’était pas chez lui une vocation naturelle ; il était, de naissance, un musicien de concert ; et il le resta, jusque dans l'opéra. Des voyages en Allemagne et en Autriche, où il fut nommé compositeur impérial en 1700, et fit jouer son Polifemo à Berlin, en 1703[197], établirent sa renommée en Europe. Sa musique se répandit en France, à partir de 1706, et y excita bientôt un engouement incroyable[198]. Quant à l'Italie, sa réputation y surpassait dès lors celle de Scarlatti, qui semble même, d’après M. Dent, avoir subi un peu son influence. Ce furent pour lui dix à quinze ans de vogue européenne. Il était, à vrai dire, l’interprète d’une société et d’un temps.

Ce qui frappait dans sa musique, à en croire Lecerf de la Viéville, c’était l’audace des modulations, la surabondance des ornements vocaux, le déréglemente d’esprit. Son école semblait aux Lullystes celle du précieux et du contourné, contre l’école du bon sens. Elle était aussi l’école de l’harmonie, contre celle du contrepoint. Bononcini était un « verticaliste » d’alors, contre les « horizontalistes » de l’époque précédente[199]. Il était essentiellement un sensualiste en musique, et un anti-intellectualiste. De ses débuts comme compositeur de musique instrumentale, il lui resta toujours l’indifférence aux poèmes, aux sujets, à tout ce qui est extra-musical. Dans la musique, il cherche avant tout les sonorités rares et moelleuses[200] ; et c’est évidemment par la qu'il plut à une époque fatiguée de l'effort d'intelligence que nécessite l'art sévèrement déduit de Scarlatti, ou l'art récitatif et expressif de Lully[201]. En lui s'incarna la réaction du bon gout mondain contre le goût savant [202]. Contre les grands airs da capo developpés largement d'une façon plus ou moins contrapuntique, voici de tout petits airs, da capo toujours, mais minuscules, d'une digestion facile, qui sentent la mélodie populaire, mais soigneusement parfumée, mise à la mode de son élégant public[203]. Cette simplicité distinguée, cette sensibilité délicate, fade, toujours correcte dans ses audaces et froide dans sa volupté, faisaient de Bononcini un grand homme de salon, un révolutionnaire pour gens du monde. À mesure qu'il vieillit, ses traits les plus fâcheux s’accentuèrent, se pétrifièrent. Comme il arrive aux artistes qui ont trop de succès, ce succès s'empara de son art, lui imposa la répétition de certains clichés. La paresse naturelle de Bononcini ne s'y prêtait que trop. Alors, d’année en année, apparut davantage la mièvrerie de son art, et ce qu'il avait de mécanique. Cette musique, souvent belle et gracieuse, toujours harmonieuse, jamais expressive, se déroule des lors comme une suite de motifs élégants et secs, coupés avec des ciseaux sur un même modèle, indéfiniment répétés.

Au premier moment, à Londres, on ne fut sensible qu'à son charme. Celui du musicien ajoutait à l'attrait de sa musique. Le souple Italien avait de belles manières, un ton à la fois affable et pénétré de sa valeur. Il était virtuose, comme Hændel, mais sur un instrument plus distingué que le clavecin : sur le violoncelle ; et il se faisait entendre, avec discrétion, dans les salons aristocratiques. Il fut aussitôt l'auteur à la mode ; et son Astarto[204], joué à la fin de 1720, effaça le souvenir du Radamisto de Hændel.

Hændel avait affaire à forte partie. Il n’était point commode de lutter avec Bononcini sur le terrain de l’italianisme. Cependant, il y était acculé. Le public anglais, toujours friand de combats d’ours, de coqs, et de virtuoses, s’amusa à instituer une joute entre Bononcini et Hændel. On leur donna un opéra à écrire en commun. Hændel accepta le défi, — et fut battu. Son Muzio Scevola[205] (mars 1721) est bien faible ; et le Floridante, qui suivit (9 décembre 1721), n’est pas beaucoup meilleur. Le succès de l’Italien en fut rehaussé ; et la jolie Griselda (février 1722) consacra la gloire de Bononcini. Il bénéficiait de l’opposition frondeuse des gens de lettres anglais et de la haute aristocratie contre la cour hanovrienne et les artistes allemands.

La situation de Hændel était fort ébranlée ; mais il prit sa revanche avec son mélodieux Ottone (12 janvier 1723), qui fut le plus populaire de ses opéras. Victorieux dès lors[206], il alla de l’avant, sans plus s’occuper de Bononcini ; et il écrivit coup sur coup trois chefs-d’œuvre, où il inaugure un théâtre musical nouveau, aussi riche musicalement et plus dramatique que celui de Rameau, quelque dix ans plus tard : Giulio Cesare (20 février 1724), Tamerlano (31 octobre 1724) et Rodelinda (13 février 1725). Le dernier acte de Tamerlano est un exemple magnifique, et à peu près unique avant Gluck, de grand Musikdrama, poignant et passionné.

Le parti de Bononcini était ruiné définitivement[207]. Mais les pires difficultés commencèrent pour Hændel. L’Opéra de Londres était livré aux exigences des castrats et des prime donne, et aux extravagances de leurs défenseurs. En 1726, arriva la plus célèbre chanteuse italienne du temps, la fameuse Faustina[208]. À partir de ce moment, les représentations de Londres devinrent des joûtes de gosier entre la Faustina et la Cuzzoni, rivalisant de vocalises parmi les clameurs de leurs partis ennemis. Hændel dut écrire son Alessandro (5 mai 1726), pour un duel artistique entre les deux étoiles de la troupe, qui jouaient les deux maîtresses d’Alexandre[209]. Malgré tout, son génie dramatique se faisait jour dans quelques scènes sublimes d'Admeto (31 janvier 1727), dont la grandeur parut saisir le public. Mais la rivalité des cabotines, loin d’en être apaisée, redoubla de furie. Chaque parti avait à ses gages des pamphlétaires, qui lâchaient sur l’adversaire des libelles ignobles. La Guzzoni et la Faustina en arrivèrent à un tel état de rage que, le 6 juin 1727, en scène, elles se prirent aux cheveux et se rouèrent de coups, au milieu des hurlements de la salle, présidée par la princesse de Galles[210]. Dès lors, tout alla à la débandade. Hændel essaya bien de reprendre les rênes ; mais, comme disait son ami Arbuthnot, « le Diable était lâché » : impossible de le remettre en cage. La partie fut perdue, malgré trois nouvelles œuvres de Hændel, où brillent des éclairs de génie : Riccardo I (11 nov. 1727), Siroe (17 février 1728), et Tolomeo (30 avril 1728). Une petite flèche lancée par John Gay et par Pepusch, le Beggar’s Opera (l’opéra des gueux), acheva la défaite de l’Académie d’opéra de Londres[211]. Cette excellente opérette, en dialogue parlé et chansons populaires, était à la fois une satire sanglante de Walpole et une spirituelle parodie des ridicules de l’opéra[212]. Son immense succès prit le caractère d’une manifestation nationale. C’était une réaction du bon sens populaire contre la pompeuse niaiserie de l’opéra italien et contre le snobisme qui prétendait l’imposer aux autres nations. Voici les premières lézardes dans l'italianisme triomphant. Les nationalités se réveillent. En 1729, est jouée la Passion selon saint Mathieu ; quelques années plus tard, les premiers oratorios de Hændel et les premiers opéras de Rameau. En 1728-1729, Martin Heinrich Fuhrmann entre en campagne contre l’opéra italien, avec de fameux pamphlets. Après lui, Mattheson renverra « les Velches, avec leurs hippogriphes par-dessus les Alpes sauvages, se purifier dans le fourneau de l'Etna ». Mais nulle part la réaction nationale ne fut plus populaire et plus spontanée qu’en Angleterre, dont l'humour robuste se réveillait, avec Swift et avec Pope, balayeurs des mensonges[213].

Hændel le sentit. Depuis 1727, il cherche lentement à s’établir sur le terrain national anglais. Il s’était fait naturaliser anglais, le 13 février 1726. Il écrivit, pour le couronnement du nouveau roi George II, ses Coronation Anthems[214] (11 septembre 1727)[215]. Il revint à ses projets d’oratorios anglais.

Mais il n’était pas encore assez sûr du terrain, ni du goût du public, pour se décider à laisser tout à fait l'opéra italien : car il voyait mieux que quiconque les ressources du genre et ce qu'il en pouvait faire. D’ailleurs, la ruine de l'Académie d’opéra de Londres n’avait aucunement atteint son prestige personnel : il était regardé, non seulement en Angleterre, mais en France, comme le plus grand maître du théâtre lyrique[216]. Ses opéras italiens de Londres se répandaient dans toute l'Europe.

Flavius, Tamerlan, Othon, Renaud, César,
Admete, Siroé, Rodelinde, et Richard,
Éternels monumens dressés à sa mémoire,
Des Opera Romains surpassèrent la gloire.
Venise lui peut-elle opposer un rival[217] ?

On comprend donc que Hændel se soit laissé tenter par le desir de reprendre, à lui seul, sans contrôle qui gênât sa liberté, l'entreprise de l'opéra italien. À la fin de l'été de 1728, il alla chercher en Italie de nouvelles armes pour la lutte. Au cours de ce long voyage qui dura presque un an[218], il recruta des chanteurs, renouvela sa collection de libretti et de partitions italiennes. Surtout, il rafraîchit son italianisme aux sources de la nouvelle école d’opéra, fondée par Leonardo Vinci[219], qui réagissait contre le style de concert au théâtre, et visait à rendre à l'opéra son caractère dramatique, au risque de l'appauvrir musicalement.

Sans sacrifier la richesse de son style, Hændel ne manqua point de profiter de ces exemples, dans ses nouveaux opéras : Lotario (décembre 1729), Partenope (février 1730), Poro (février 1731), Ezio (janvier 1732), qui frappent — surtout les deux derniers — par la beauté d’écriture mélodique et l’accent dramatique de certaines pages. Le chef-d’œuvre de cette période est le Orlando (27 janvier 1733), dont la richesse et la perfection musicales vont de pair avec l'intelligence des caractères et la vie spirituelle ou passionnée. Si le Tamerlano de 1724 évoque l’idée des tragédies de Gluck, c'est aux beaux opéras de Mozart que fait penser Orlando.

Tout en continuant la lutte pour l'opéra italien, Hændel profitait du succès inattendu que le nationalisme anglais faisait à une reprise de son Acis et Galatée et de son Esther[220], écrits sur des paroles anglaises ; et de nouveau il tentait, d'une façon plus consciente que dix ans auparavant chez Chandos, de fonder une forme de théâtre musical plus libre et plus riche, ou le lyrisme des chœurs eût un large emploi. Pour la reprise d'Esther, en 1732, il introduisit dans l’œuvre de 1720 les plus beaux chœurs des Psaumes du Couronnement. Et l'année suivante, il écrivit Deborah (17 mars 1733), et Athalia (10 juillet 1733), où les chœurs tiennent la première place. Mais contre son attente, ces grands drames bibliques, qui auraient dû trouver dans la nation anglaise un écho enthousiaste, se heurtèrent à une violente cabale, inspirée par des raisons personnelles, où l'art n'était pour rien. On fit le vide autour de Deborah[221] ; et si Athalia réussit à Oxford[222], Hændel ne parvint à la faire jouer à Londres que deux ans plus tard.

Une fois de plus, Hændel dut revenir à l'opéra italien. — L’inimitié publique le poursuivit sur ce terrain. La famille royale de Hanovre était détestée. Elle ajoutait elle-même à son discrédit par les disputes scandaleuses qui mettaient aux prises le Roi et son fils. Le prince de Galles, par esprit de mesquine vengeance centre son père, dont il savait l'affection pour Hændel, s'amusa à ruiner celui-ci. Soutenu par l'opposition, qu'enchantait l'idée de faire échec au Roi, il fonda un Opéra rival. Et comme on ne pouvait plus opposer à Hændel Bononcini, discredité par une affaire de plagiat qui avait eu un retentissement européen[223], on s'adressa à Porpora, pour diriger le théâtre. Alors, dit lord Hervey, « l'affaire devint aussi sérieuse que celle des Verts et des Bleus à Constantinople, sous Justinien. Un anti-hændelien était regardé comme un anti-royaliste ; et, au Parlement, voter contre la cour était à peine plus dangereux que parler contre Hændel ». En revanche, l'immense impopularité du Roi retomba sur Hændel ; et l'aristocratie se coalisa pour le perdre.

Il accepta le défi ; et, après un troisième voyage en Italie, pendant l'été de 1733, afin de recruter de nouveaux chanteurs, il engagea bravement le combat avec Porpora, auquel vint se joindre Hasse, en 1734. C'étaient les plus grands rivaux avec qui il se fût encore mesure. Hasse et Porpora avaient un sentiment puissant du drame ; et, surtout, ils étaient les maîtres les plus parfaits de la mélodie italienne et de l'art du beau chant[224].

Nicolò Porpora, de Naples, avait quarante-sept ans. C'était un esprit froid, mais vigoureux, intelligent, et possédant comme peu de musiciens toutes les ressources de son art, surtout possédant comme pas un — si ce n'est Hasse — toutes les ressources du chant italien. Son style est aussi beau, et il n'est pas moins large que celui de Hændel ; nul autre musicien italien de ce temps n'a sa respiration ample et tranquille[225]. Son écriture semble d'un âge postérieur à Hændel, du temps de Gluck et de Mozart. Tandis que Hændel, malgré son merveilleux sentiment de la beauté plastique, traite souvent la voix comme un instrument, et que, dans ses développements, les belles lignes italiennes soient parfois alourdies par la complication germanique, la musique de Porpora garde toujours la pureté classique et la netteté un peu sèche du dessin. L'histoire ne lui a pas encore rendu justice[226]. Il était digne de se mesurer avec Hændel, et la comparaison entre l'Arianna de Hændel et celle de Porpora, jouées à quelques semaines d'intervalle[227], ne tourne pas à l'avantage du premier. La musique de Hændel est élégante ; mais on n'y trouve rien qui ait l'envergure de certains airs de l'Arianna à Naxos de Porpora. La forme de ces airs est d'une régularité trop classique peut-être ; mais un souffle puissant circule au travers de ces temples romains[228]. On dirait d'un disciple italien de Gluck : — impression curieuse, que donnent parfois certains précurseurs, tel Jacopo della Quercia, qui inspira Michel-Ange, et qui en semble issu.

Hasse était encore supérieur à Porpora par son charme mélodique, que seul Mozart égala, et par ses dons symphoniques, qui se révèlent dans son riche accompagnement instrumental, non moins mélodieux que ses chants[229].

Hændel ne tarda pas à sentir l’imprudence qu’il y avait pour lui à lutter sur le terrain italien. Sa supériorité était dans les chœurs : il chercha à les introduire dans l’opéra, d’après le modèle de la France.

La situation s’était encore assombrie pour lui, à la suite du départ de sa meilleure protectrice, la princesse Anna, sœur du prince de Galles[230]. Après avoir compromis Hændel par la passion qu’elle avait mise à le défendre, elle le laissa aux prises avec les ennemis qu’elle lui avait faits : elle quitta l’Angleterre, en avril 1734, pour suivre en Hollande son mari, le prince d’Orange[231]. Hændel se vit aussitôt abandonné par les amis de la veille. Son associé Heidegger, propriétaire du théâtre Haymarket, loua la salle à l’opéra rival, et Hændel, chassé de la maison pour laquelle il travaillait depuis quatorze ans, dut émigrer avec sa troupe chez John Rich[232], au Covent-Garden, — une sorte de music-hall, où l’opéra habitait en co-locataire avec toutes sortes d’autres spectacles : ballets, pantomimes, arlequinades. Dans la troupe de Rich se trouvaient des danseurs français, parmi lesquels la Sallé[233], qui venait de soulever l’enthousiasme du public anglais avec deux tragédies dansées : Pygmalion et Bacchus et Ariadne[234]. Hændel, qui connaissait depuis longtemps l’art français[235], vit le parti qu’il pouvait tirer de ces nouvelles recrues ; et il ouvrit la saison de 1784 au Covent-Garden, par un premier essai dans le genre de l’opéra-ballet français : Terpsichore (9 novembre 1734), où la Sallé jouait le rôle principal. Un mois plus tard, suivit un pasticcio, Orestes, où il faisait également place à la Sallé et à ses danses expressives. Enfin, il mêla intimement la danse et les chœurs à l’action dramatique dans deux chefs-d’œuvre de poésie et de belle construction musicale : Ariodante (8 janvier 1735), et surtout Alcina (16 avril 1735).

La malechance s’acharnait contre lui. De grossières manifestations nationalistes forcèrent la Salle et les danseurs français à quitter Londres[236]. Hændel dut renoncer à l’opéra-ballet. À partir de ce moment, s’il continue de lutter au théâtre, c’est mû par la seule volonté orgueilleuse de ne pas se déclarer vaincu. Au début de son entreprise théâtrale, il avait un fonds d’économies s’élevant, dit-on, à dix mille livres. Elles étaient absorbées ; et déjà il était en déficit de dix mille autres livres. Ses amis ne comprenaient rien à son obstination, qui n’aboutissait qu’à le ruiner. « Mais, dit Hawkins, il était homme d’un esprit intrépide, en rien l’esclave de son intérêt ; il s’enfonça plus avant dans la lutte, plutôt que de s’incliner devant ceux qu’il regardait comme infiniment au-dessous de lui. » Il ne pouvait plus être vainqueur ; au moins voulait-il casser les reins à ses adversaires. Et il les tua ; mais peu s’en fallut qu’il ne se tuât, du même coup.

Il persista donc à écrire des opéras[237], dont la série se prolongea jusqu’en 1741, accusant d’œuvre en œuvre une tendance plus marquée vers l’opéra-comique et le style de romances[238], cher à la seconde moitié du XVIIIe siècle. — Mais on sent bien que, pour lui, depuis 1735, le vrai drame musical était l’oratorio. Il y revint victorieusement avec la Fête d’Alexandre qui fut composée sur l’Ode à sainte Cécile de Dryden[239], et donnée pour la première fois, le 19 février 1736, au théâtre Covent Garden.

Qui croirait que cette œuvre, robuste et saine entre toutes, était écrite en vingt jours, comme en se jouant, au milieu des tristesses, à deux doigts de la ruine et d’une maladie grave, où la raison de Hændel faillit rester engloutie ?

Depuis plusieurs années, le mal couvait en lui : les travaux et les soucis excessifs avaient rongé cette santé de fer. Il avait essayé des bains de Tunbridge, pendant l’été de 1735, et probablement aussi en 1736, mais sans succès. Il ne pouvait se reposer : son théâtre était à la veille de la faillite ; il faisait, pour le soutenir, des efforts surhumains. De janvier 1737 à avril 1737, il dirigea deux saisons d’opéra, deux saisons d’oratorio, il écrivit un oratorio, un psaume, quatre opéras[240].

Le 12 ou 13 avril 1737, la machine craqua. Il fut frappé de paralysie. Le côté droit était pris ; sa main lui refusait tout service, son intelligence même était atteinte. En son absence, son théâtre ferma ses portes, fit faillite[241]. Pendant tout l'été, Hændel resta dans un état de dépression pitoyable ; il se refusait à se soigner ; on le croyait perdu. Enfin, ses amis réussirent à l’envoyer, vers la fin d’août, aux bains d’Aix-la-Chapelle. La cure eut un effet miraculeux. En quelques jours, il fut guéri. En octobre, il revenait à Londres ; et aussitôt le géant réssuscité reprenait la lutte, écrivait, en trois mois, deux opéras, et le magnifique psaume funèbre (Funeral Anthem), pour la mort de la Reine[242].

Tristes jours. Ses créanciers le traquaient ; il était menacé de la prison. Heureusement, un mouvement de sympathie se dessina en faveur de l'artiste harcelé par le sort. Un concert à son bénéfice, auquel son orgueil se résolut à regret[243], eut, à la fin de mars 1738, un succès inespéré : il put se libérer de ses dettes les plus criantes. Le mois suivant, un témoignage d’admiration publique lui était donné. Sa statue fut élevée dans les jardins du Vauxhall[244].

Il dut, au printemps de 1738, sentir, avec les forces qui lui revenaient, la confiance en l’avenir. L’horizon s’éclairait. Il était porté par de fidèles sympathies. Il renaissait à la vie. — On allait s’en apercevoir.

Le 23 juillet, il commençait Saul. Le 8 août, il en avait écrit deux actes. Le 27 septembre, l'œuvre était achevée. Le 7 octobre, il commençait Israël en Égypte. Le 28 octobre, l'œuvre était achevée. Chemin faisant, il lançait, le 4 octobre, chez l’éditeur Walsh, le premier recueil de ses Concertos pour orgue ; et le 7, il lui livrait ses 7 Trios, ou Sonates à deux parties avec basse, op. 5. — Pour qui connaît ces œuvres de joie, que dominent deux colosses, — les deux oratorios de victoire, — cette poussée surhumaine fait l’effet d’une force de la nature, d’une campagne qui fleurit, en une nuit de printemps.

Saul est un grand drame épique, surabondant et fougueux, où le comique et le tragique se mêlent. Israël est une épopée chorale, l’essai le plus gigantesque qui ait jamais été fait d’un oratorio, non pas avec des chœurs, mais tout entier en chœurs[245]. L’audacieuse originalité de cette conception, son austère grandeur, échappèrent au public de son temps. L’œuvre échoua toujours, du vivant de Hændel.

Les espérances que Hændel avait fondées sur l’Angleterre ne tardèrent pas à être de nouveau ébranlées. Les temps étaient durs. Pendant l’hiver de 1739, les spectacles, les concerts même pendant quelques mois, furent suspendus, à cause de la guerre et du froid. Hændel, pour se réchauffer, écrivit en huit jours la Petite Ode à sainte Cécile (29 novembre 1739), en seize l’Allegro, il Pensieroso ed il Moderato (janvier-février 1740), en un mois les Concerti grossi, op. 6[246]. Mais le succès de ces œuvres charmantes, ciselées avec amour, où

Hændel avait peut-être mis, plus qu’en toute autre, ses impressions personnelles, ses notations poétiques et humoristiques de la nature[247], ne suffit pas à rétablir ses affaires, une fois de plus embarrassées. Une fois de plus, comme au temps de Deborah et d’Arianna, il se heurta à une coalition des gens du monde. On ne sait en quoi il les avait blessés[248]. Mais ils étaient résolus à le détruire. On faisait le vide à ses concerts. On payait des gens pour déchirer ses affiches dans les rues. Hændel, écœuré et lassé, renonça brusquement à continuer le combat[249]. Il décida de quitter l’Angleterre, où il vivait depuis près de trente ans, et qu’il avait enrichie de sa gloire. Il annonça pour le 8 avril 1741 son dernier concert[250].

C’est un fait qu’on remarque souvent dans la vie des grands hommes, qu’au moment où tout semble perdu, où tout est au plus bas, ils sont tout près du faîte. Hændel paraissait vaincu. À cette heure même, il écrivait l’œuvre qui devait établir sa gloire dans l’univers.

Il quitta Londres[251]. Le lord-lieutenant d’Irlande l’invitait à venir diriger des concerts à Dublin. Ce fut, ainsi qu’il dit, « afin d’offrir à cette nation généreuse et polie quelque chose de nouveau », qu’il composa le Messie, sur un poème de son ami Jennens[252]. On avait déjà exécuté plusieurs de ses œuvres religieuses, à Dublin, dans des concerts de bienfaisance[253]. Hændel fut reçu avec enthousiasme. Une lettre qu’il écrit, le 29 décembre, à Jennens, exulte de joie. Le temps qu’il passa à Dublin fut, avec ses jeunes années en Italie, le plus heureux de sa vie. Du 23 décembre 1741 au 7 avril 1742, il donna deux séries de six concerts, et toujours avec le même succès. Enfin, le 12 avril, eut lieu à Dublin la première audition du Messie. Le produit du concert était affecté à des œuvres charitables, et le succès fut considérable[254].

Huit jours après avoir terminé le Messie, (c’est-à-dire avant qu’il ne fût encore arrivé en Irlande), Hændel avait commencé Samson, qui fut achevé en cinq semaines (fin septembre-fin octobre 1741). Cependant, il ne le donna pas à Dublin. Sans doute, ne trouva-t-il pas les interprètes qu’il voulait, pour ce drame colossal, riche en scènes chorales et en rôles difficiles[255]. Peut-être aussi, réservait-il l'œuvre pour la saison suivante à Dublin, où il pensait retourner. Mais l’invitation qu’il attendait, à Londres, n’étant pas venue, ce fut à Londres que fut donnée la première audition de Samson, le 18 février 1743.

À cet oratorio héroïque, bâti sur le sublime Samson Agonistes de Milton[256], succéda un opéra frivole, qui n’en porte pas moins le nom d’oratorio, et dont le libretto était emprunté à un poème de Congreve : Semele (3 juin-4 juillet 1743). Ce fut une distraction entre deux œuvres herculéennes. Dans le même mois où il terminait Semele, Hændel écrivit son monumental Dettinger Te Deum, pour célébrer la victoire du duc de Cumberland sur les Français[257]. Joseph, écrit en août-septembre de la même année, sur un poème assez touchant de James Miller, est d'une poésie mélancolique et douce, un peu pâle, sur laquelle se détache la silhouette sauvage de Siméon.

L’annee 1744 fut pour Hændel une des plus glorieuses en création, des plus misérables en succès. Il écrivit presque simultanément ses deux oratorios les plus tragiques : le grand drame shakespearien de Belsazar (juillet-octobre 1744), dont le riche poème lui fut fourni par son ami Jennens[258], et la sublime tragédie à l’antique, Héraklès, « a musical drama »[259], qui marque le faîte du drame musical hændelien, et, l'on peut même dire, de tout le théâtre musical avant Gluck.

Jamais l’hostilité du public anglais ne fut plus acharnée. La même cabale haineuse, qui trois fois déjà avait tâché de le tuer, repartit en guerre contre lui. On s’entendait à Londres pour inviter les gens à des fêtes, les jours où devaient avoir lieu les exécutions d’oratorios, afin d’enlever à Hændel ses auditeurs. Bolingbroke et Smollett parlent de l'acharnement de certaines dames à miner Hændel. Horace Walpole dit que c’était la mode d’aller à l’opéra italien, quand Hændel dirigeait ses concerts d’oratorios. Hændel, qui à force d’énergie et de génie était sorti de sa première faillite de 1785, fut acculé de nouveau à la faillite, au commencement de 1745. Ses chagrins, ses inquiétudes, la prodigieuse dépense de forces qu’il avait faite, furent de nouveau sur le point de faire craquer son cerveau. Il tomba dans un état de prostration et dans un dérangement d’esprit, analogue à celui de 1737, et qui dura huit mois, de mars à octobre 1745[260]. Par miracle, il sortit encore du fond de cet abîme ; et des événements imprévus, où la musique n’était que l'accessoire, allaient lui rendre plus de popularité qu’il n’en avait jamais eu.

Le prétendant Charles-Édouard venait de débarquer en Écosse : le pays se souleva ; l’armée des Highlanders marcha sur Londres. La ville était dans la consternation. Un grand mouvement national secoua l'Angleterre. Hændel s’y associa. Le 14 novembre 1745, il fit chanter au Drury Lane un Hymne pour les enrôlés volontaires[261]. Et il écrivit deux oratorios, qui sont, pour ainsi dire, deux immenses hymnes nationaux : l’Occasional Oratorio (Gelegenheits Oratorium)[262], où Hændel appelait les Anglais à la lutte contre l’invasion ; et Judas Macchabée[263] (9 juillet-11 août 1746), l’hymne de la Victoire, écrit après l’écrasement des rebelles à Culloden, et pour fêter le retour du vainqueur, le féroce duc de Cumberland, à qui le poème est dédié.

Ces deux oratorios patriotiques, où le cœur de Hændel battit à l’unisson de celui de l’Angleterre, et dont le second, Judas, est demeuré jusqu’à nos jours une œuvre populaire, grâce à son large style et au souffle qui l’anime[264], firent plus pour la fortune de Hændel que tout le reste de ses travaux. Après trente-cinq ans de luttes acharnées, il avait enfin conquis, pour toujours, la victoire. Il était devenu, par la force des choses, le musicien national de l’Angleterre.

Délivré des soucis matériels qui avaient empoisonné sa vie[265], Hændel reprit avec plus de tranquillité le cours de ses créations ; et les années suivantes virent fleurir quelques-unes de ses œuvres les plus riantes. Alexander Balus (1er juin-4 juillet 1747)[266] est, comme Semele, un opéra de concert, finement travaillé ; et l’orchestration en est exceptionnellement riche et subtile. Joshua (30 juillet-18 août 1747)[267] est une réplique un peu pâlie de Judas Macchabée, où fleurit parmi les chœurs d’épopée une idylle d’amour. Salomon (juin 1748)[268] est une fête musicale, rayonnante de poésie et de joie. Susanna (11 juillet-24 août 1748), grave et gaie à la fois, réaliste et lyrique, est une œuvre un peu hybride, mais très originale. Enfin, dans le printemps de 1749, qui marque, semble-t-il, la fin du bonheur de Hændel, il écrivit sa brillante Firework Music (musique du feu d’artifice), — un modèle pour les fêtes populaires en plein air, — exécutée le 27 avril 1749, par un orchestre monstre de trompettes, cors, hautbois et bassons (sans instruments à cordes), à l’occasion du feu d’artifice tiré à Greenpark, pour la paix d’Aix-la-Chapelle[269].

Des œuvres plus graves suivent ces œuvres d’allégresse. À ce moment de sa vie, la mélancolie fait son apparition chez le robuste vieillard, comme sous le pressentiment du mal qui allait le frapper.

Le 27 mai 1749, il dirigeait au Foundling Hospital[270], au profit des enfants abandonnés, son bel Anthem for the Foundling Hospital[271], qu’inspire sa grande pitié pour les malheureux. Du 28 juin au 31 juillet, il écrivit un pur chef-d’œuvre, Theodora, sa tragédie musicale la plus intime, sa seule tragédie chrétienne, avec le Messie[272]. De la fin de cette même année, date aussi une musique de scène pour une Alcestes de Tobias Smollett, qui ne fut jamais jouée, et dont Hændel reprit l’essentiel pour son Choice of Hercules (le Choix d'Hercule)[273].

Peu de temps après, il fit un dernier voyage à Halle. Il se trouvait sur le sol de l'Allemagne, au moment où J.-S. Bach y mourait, le 28 juillet 1750. Peu s’en fallut qu’il n’y mourût, dans la même semaine, d’un accident de voiture[274].

Il se rétablit vite ; et, le 21 janvier 1751, quand il commença la partition de Jephta, il paraissait en pleine santé, malgré ses soixante-six ans. Il écrivit le premier acte, d'un trait, en treize jours. Après onze nouveaux jours, il était arrivé à l'avant-dernière scène du second acte. Ici, il dut s’interrompre. Déjà dans les pages qui précèdent, il n’avançait plus qu’avec peine ; son écriture, si claire et si sûre au commencement, s’empâte, se brouille et tremble[275]. Il avait entamé le chœur final de l'acte II : « Combien sombres, ô Seigneur, sont tes desseins ! » À peine a-t-il écrit le largo initial qu’il lui faut s’arrêter ; il marque :

« Suis arrivé jusqu'ici, le mercredi 13 février ; empêché de continuer, à cause de la vue de mon œil gauche[276]. »

Il s’interrompt, dix jours. Le 23 février — (c’était l’anniversaire de sa naissance), — il marque :

« Vais un peu mieux ; repris le travail. »

Et il écrit en musique ces paroles menaçantes : « Notre joie s’en va en douleur, comme le jour s’en va dans la nuit. »

Il met péniblement cinq jours à terminer ce chœur, qui est d’ailleurs sublime. Il en reste là, quatre mois[277]. Le 18 juin, il se remet au troisième acte. Il dut encore s’arrêter, au milieu[278]. Les quatre derniers airs et le chœur final lui prirent plus de temps qu’à l’ordinaire tout un oratorio : il ne termina que le 30 août 1751. Sa vue était perdue.

Après cela, tout est fini. Les yeux de Hændel se sont fermés[279]. La lumière est éteinte. « Total eclipse… » Le monde s’est effacé. Jamais il ne souffrit tant que dans la première année du mal, quand il n’était pas encore tout à fait aveugle. En 1702, il n’a pas la force de jouer de l'orgue, aux exécutions de ses oratorios ; et le public, ému, le voit blêmir et trembler, en entendant l’admirable plainte de son Samson aveugle. À partir de 1753, quand le mal est irréparable, Hændel reprend le dessus ; il tient l'orgue de nouveau, aux douze séances d’oratorios qu’il donne, chaque année, au carême ; et il le garde jusqu’à sa mort. Mais avec la vue, il a perdu la meilleure source de son inspiration. Cet homme qui n’était pas un intellectuel ni un mystique, cet homme qui aimait la lumière, la nature, les beaux tableaux, le spectacle des choses, — qui vivait par les yeux beaucoup plus que la plupart des musiciens allemands, — est muré dans la nuit. De 1752 a 1709, il s’engourdit dans le demi-sommeil qui précède la mort. Il dicte seulement en 1768 un duo et chœur pour Judas Macchabée : « Sion now her head shall raise » ; et revivant en pensée les jours heureux d’autrefois, il reprend une œuvre de jeunesse, le Trionfo del Tempo[280], dont il donne une nouvelle version, en mars 1707 : The Triumph of Time and Truth[281].

Le 6 avril 1709, il tenait encore l’orgue, à une exécution du Messie. Les forces lui manquèrent, au milieu d’un morceau. Il se remit pourtant, et improvisa, dit-on, avec sa grandeur habituelle. Rentré chez lui, il s’alita. Le 11 avril, il ajoutait un dernier codicille à son testament[282], léguant magnifiquement mille livres sterling à la Société pour le soulagement des musiciens pauvres et exprimant avec tranquillité son désir d’être enterré à Westminster. Il disait :

« Je voudrais mourir le Vendredi Saint, dans l’espoir de rejoindre mon bon Dieu, mon doux Seigneur et Sauveur, le jour de sa Résurrection. »

Son vœu fut accompli. Le Samedi Saint 14 avril, à huit heures du matin, le chantre du Messie s’endormit dans son Dieu.

Sa gloire grandit après sa mort. Le 20 avril, il fut enterré à Westminster, comme il l’avait souhaité[283]. Les exécutions annuelles de ses oratorios continuèrent, au carême, sous la direction de son ami Christoph Smith. Bientôt on en donna des auditions populaires. Les grandes fêtes de la Commemoration, célébrées à Westminster et au Panthéon, du 26 mai au 5 juin 1784, pour le centenaire de sa naissance[284], retentirent dans l'Europe entière. Des fêtes nouvelles eurent lieu à Londres en 1785, 1786, 1787, 1790, 1791. À ces dernières, auxquelles prenaient part plus de mille exécutants[285], assistait Haydn, qui pleura, en disant : « Il est notre maître a tous. »

Les exécutions anglaises avaient attiré l’attention de l'Allemagne. Deux ans après la Commemoration Joh. Adam Hiller dirigeait le Messie à la Domkirche de Berlin, puis à Leipzig et à Breslau. Trois ans plus tard, en 1789, Mozart faisait des arrangements du Messie, d’Acis et Galatée, de l’Ode à sainte Cécile, et de la Fête d'Alexandre[286]. La première édition complète de Hændel fut commencée en 1786. Un sentiment d’émulation passionnée poussait l’Allemagne, à la suite des festivals anglais, à restaurer le chant choral et à fonder des Singakademien, pour le culte de ses gloires nationales[287]. L’audition des oratorios de Hændel engagea Haydn à écrire la Création. Beethoven, à la fin de sa vie, disait de Hændel : « Das ist das Wahre » (voici la vérité)[288]. Les poètes ne subissaient pas moins son prestige. Goethe l'admirait, et Herder lui consacra un chapitre de son Adrastea de 1802. Les guerres d’indépendance donnèrent un regain de faveur aux oratorios de liberté, à Judas Macchabée.

Avec le romantisme, se perdit le sens du génie de Hændel. Berlioz, qui, s’il l'avait bien connu, eût trouvé en lui un modèle du grand art populaire qu’il rêvait, ne le comprit jamais. De tous les musiciens d’alors, ceux qui furent le plus près de l’esprit de Hændel ont été Schumann et Liszt[289]. Mais ils étaient exceptionnels par leur lucidité d’intelligence et leur généreuse sympathie. On peut dire que l’art de Hændel, dénaturé par les éditions et les exécutions mensongères, — aussi bien par celles d’Allemagne que par celles, ridiculement colossales, d’Angleterre, — se serait tout à fait perdu, sans la fondation, en 1856, de la Hændel Gesellschaft, qui se donna pour objet de publier une édition exacte et complète du maître. Gervinus en était le promoteur, et Friedrich Chrysander accomplit, à lui seul, la tâche. Il ne s’en tint pas à la publication critique des œuvres. Son ardent apostolat travailla à les ressusciter, par des exécutions vivantes[290]. Il était secondé par les Sociétés chorales de l'Allemagne du Nord, surtout par la Berliner Sing Akademie, qui de 1830 à 1860 ne cessa d’exécuter tous les oratorios de Hændel. Au contraire, l’Autriche resta longtemps en retard. En 1878, Brahms dirigeait la première exécution de Saul, à Vienne. Mais le réveil véritable de l'art de Hændel en Allemagne ne date que d’une dizaine d’années. On sentait sa grandeur ; on ne se doutait point de sa vie. Ce fut surtout, à ce qu’il semble, depuis le premier Hændel Fest de Mayence, en 1895, où furent joués Héraklès et Deborah, que son génie dramatique s’imposa, d’une façon foudroyante.

À nous maintenant de faire pénétrer en France le sens vivant de ce grand art tragique et lumineux, comme celui des Grecs[291].

  1. L’arbre généalogique des Hændel a été dressé par Karl Eduard Förstemann : Georg Friedrich Hændel’s Stammbaum, 1844, Breitkopf.

    Le nom de Hændel était très commun à Halle, sous des formes diverses (Hendel, Hendeler, Händeler, Hendtler). À l’origine, il voulait dire : marchand. — G. F. Hændel l’écrivait, en italien Hendel, en anglais et en français Handel, en allemand Händel.

  2. Le mois suivant, naissait à Eisenach, le 21 mars 1685, Jean-Sébastien Bach.
  3. Des quatre enfants du second mariage, le premier mourut en naissant. Georges-Frédéric eut deux sœurs, l’une de deux ans, l’autre de cinq ans plus jeunes.
  4. En 1672.
  5. On trouvera partout racontées les anecdotes légendaires sur le petit Hændel, sortant du lit, la nuit, pour aller en cachette jouer d’un petit clavicorde, qui se trouvait au grenier.
  6. Voir la préface que le cantor à la Thomasschule de Leipzig, Tobias Michael, écrivit à la seconde partie de sa Musikalische Seelenlust (1637) ; et, dans la vie de Rosenmüller, le récit de la scandaleuse affaire qui, en 1655, força ce grand musicien à fuir à l’étranger. (August Horneffer : Johann Rosenmüller, 1898.)
  7. Telle est l’orthographe exacte du nom, qui se trouve ordinairement écrit : Zachau. — F.-W. Zachow était né en 1663, à Leipzig, d’un père Berlinois, et mourut prématurément, en 1712.
  8. Depuis la publication des œuvres de Zachow, par M. Max Seiffert, dans les Denkmäler deutscher Tonkunst, t. XXI et XXII, 1905, Breitkopf.
  9. Mattheson l’avait, aussi, nettement affirmé. Mais les historiens de nos jours, Chrysander, Volbach, Kretzschmar, Sedley Taylor, n’ont tenu aucun compte de ces dires, qu’ils attribuaient à la générosité de Hændel ou à la malveillance de Mattheson. Il manquait à leur jugement, fort sévère pour Zachow, de connaître les œuvres de Zachow. Depuis la publication des Denkmäler, il est impossible à tout esprit non prévenu de ne pas reconnaître en Zachow les véritables origines du style et même, pourrait-on dire, du génie de Hændel.
  10. Lebensbeschreibung Hændels (1761).
  11. On note des motifs de Kerll dans un de ses Concertos d’orgue et un Concerto grosso. Une Canzone de Kerll, ainsi qu’un Capriccio de Strungk, ont même été repris entièrement dans deux chœurs d’Israël en Égypte. (Max Seiffert : Hændels Verhältnis zu Tonwerken ælterer deutscher Meister, — Jahrbuch Peters, 1907.)
  12. Les deux parties de la Klavier-Uebung de Kuhnau parurent en 1689 et 1692 ; les Frischen Klavier-Früchte en 1696, et les Biblischen Historien en 1700. — Voir l’édition des œuvres pour clavier de Kuhnau par Karl Päsler, dans les Denkmäler deutscher Tonkunst, 1901.
  13. Voir Chrysander. — Nous reparlerons plus loin de l’œuvre de Steffani et de ses rapports avec Hændel.
  14. Voir p. 20, note 1.
  15. Le recueil des œuvres publiées comprend 12 cantates pour orchestre, soli et chœurs, — une messe a capella, — un trio de chambre pour flûte, basson, et continuo, — 8 préludes, fugues, fantaisies, caprices pour clavecin ou orgue, — et 44 chorals variés.
  16. Cf. l’air du ténor : O du werter Freudengeist (p. 71) et l’accompagnement et ritornello des violini unisoni, dans la 4e cantate : Ruhe, Friede, Freud und Wonne, avec l’air de Polyphème dans l’Acis et Galatée de Hændel. — Cf. le motif de l’air de basse de la 8e cantate (p. 189) avec la pièce instrumentale bien connue, qui sert de sinfonia au second acte d’Héraklès — Cf. l’air du ténor avec cor, Kommt, jauchzet (p. 181) dans la 8e cantate : Lobe den Herrn, meine Seele, avec un air de soprano du Messie. — On trouvera aussi dans la cantate Ruhe, Friede (p. 83), l’esquisse du fameux chœur de l’écroulement des murs de Jéricho, dans Josué.
  17. Ibid., p. 159 et 260.
  18. Ibid.., p. 97, l’air de basse avec quatre clarini et tamburi ; — p. 269 et suiv. le grand chœur et la marche guerrière à trois temps où l’on entend sonner déjà les accents de Judas Macchabée.
  19. Ibid., p. 122.
  20. Ibid., p. 113, 183.
  21. Ibid., p. 110, 141, 254, 263.
  22. Ibid., 8e cantate : Lobe den Herim, meine Seele, p. 166, l’Hallelujah allemand, avec le flot de ses vocalises jubilatoires, — surtout, p. 192, le grand chœur final.
  23. Voir son joli trio pour flûte, basson et clavecin (p. 313). C’est une petite œuvre en quatre mouvements (1. Affettuoso ; 2. Vivace ; 3. Adagio ; 4. Allegro), où se mêlent excellemment la claire grâce italienne et le Gemüt allemand.

    L’orchestre des cantates n’emploie parfois que les cordes avec l’orgue ou le clavecin. Mais en général, la palette de Zachow est assez riche, et comprend, avec les violes, violette, violoncelles, des harpes, des hautbois, des flûtes, des corne de chasse, des bassons et bassonetti, et jusqu’à 4 clarini (trompettes aiguës) et des tamburi. (Cantate : Vom Himmel kam der Engel Schar.) Zachow s’amuse à combiner les timbres de ces instruments avec ceux de la voix, dans les airs soli. Tel air de ténor est accompagné du violoncelle solo, tel autre de deux corne de chasse ; un air de basse est avec basson concertant, un autre avec 4 clarini et tamburi ; un air de soprano, avec basson et 2 bassonetti ; — sans parler d’airs nombreux et très soignés, avec hautbois ou flûtes.

    Grâce à Zachow, Hændel se familiarisa de bonne heure avec l’orchestre. Il apprit chez lui à jouer de tous les instruments, et principalement du hautbois, pour lequel il écrivit tant de pages charmantes. Dès l’âge de dix ans, il composait des trios pour deux hautbois et basse. Un lord anglais, voyageant en Allemagne, en retrouva une petite collection de six trios (Sammlung dreistimmiger Sonaten für zwei Oboen und Bass, sechs Stück) datant de cette époque. (t. XXVIII de la grande édition Hændel.)

  24. Voir le bel air de basse de la cantate : Lobe den Herrn, p. 164.
  25. Certaines phrases très simples, comme, dans la cantate pour la Visitation : Meine Seel erhebt den Herren, le récitatif du soprano : « Denn er hat seine elende Magd angesehen » (p. 112), ont une odeur exquise d’humilité virginale qui ne se retrouverait plus chez Hændel.
  26. Le violoniste Torelli, Antonio Pistocchi, qui fut un des maîtres du chant italien, le père Attilio Ariosti, Giovanni Bononcini. Steffani écrivit pour la princesse des duos fameux, et Corelli lui dédia sa dernière sonate pour violon, op. 5.
  27. La première représentation eut lieu, le 1er juin 1700, avec un ballet pastoral d’Ariosti. Leibniz assistait à la répétition générale.
  28. Tout ce qu’on a conté de sa rencontre avec Ariosti et Bononcini est d’ailleurs légendaire. M. A. Ebert a montré qu’Ariosti n’est venu à Berlin qu’en 1697, et que Bononcini, qui n’arriva en Allemagne qu’en novembre 1697, semble n’être pas venu à Berlin avant 1702. Pour que Hændel l’y eût rencontré, il faudrait qu’il y fût retourné, en 1703, en allant à Hambourg. Mais alors, il avait dix-huit ans ; et la légende de l’enfant-prodige, victorieux des deux maîtres italiens, s’évanouit. (A. Ebert : Attilio Ariosti in Berlin, 1905, Leipzig.)
  29. La politique intelligente des électeurs de Brandebourg attirait dans leur Université de Halle les hommes les plus indépendants de l’Allemagne, qui étaient persécutés ailleurs. Ainsi vinrent à Halle les piétistes, chassés de Leipzig. Ils rayonnèrent de là sur toute l’Allemagne, la Suisse et les Pays-Bas. (Volbach : Vie de Hændel, et Lévy-Brühl : L’Allemagne depuis Leibniz, 1890.)
  30. Voir les belles études de M. Pirro sur J.-S. Bach.
  31. On sait que les procès de sorcellerie étaient une des manies meurtrières de l’époque. On évalue à plus de cent mille le nombre des victimes faites par les bûchers de sorcières, en un siècle. Frédéric II disait : « Si les femmes peuvent vieillir et mourir en paix en Allemagne, c’est à Thomasius qu’elles le doivent. »
  32. Le contrat pour un an avec la Domkirche est du 13 mars 1702, un mois après avoir signé à la Faculté de droit.
  33. Telemann, passant par Halle, en 1701, dit qu’il y fit la connaissance de Hændel, qui « y était déjà un homme important, — un personnage de marque ». ( « Dem damahls schon wichtigen Herrn Georg Friedrich Haendel » ). — Épithète singulière, appliquée à un enfant de seize ans ! Chrysander a raison d’insister sur la maturité précoce de Hændel. « Personne ne l’a égalé en cela, même pas J.-S. Bach, qui s’est développé plus lentement. »
  34. Depuis plusieurs années déjà, il composait, « comme un diable », ainsi qu’il dit lui-même.
  35. On lui a attribué deux oratorios (bien douteux), une cantate : Ach Herr mich armen Sünder, et un Laudate Pueri, pour soprano solo, qui seraient antérieurs à son départ pour Hambourg.
  36. M. Alfred Heuss a montré, le premier, quel attrait le drame musical avait pour Zachow, qui l’introduisit même à l’église. Telle de ses cantates, la quatrième, par exemple, Ruhe, Friede, Freud und Wonne, fort mal jugée par Chrysander, est un fragment d’opéra fantastique, où l’on voit David tourmenté par les esprits infernaux. La déclamation est expressive, et les chœurs sont d’un grand effet dramatique. Ainsi, la carrière théâtrale de Hændel a été préparée, dès Halle ; et peut-être était-ce Zachow lui-même qui l’envoyait à Hambourg. (A. Heuss : Fr. Wilh. Zachow als dramatischer Kantaten-Komponist, Bulletin de l’I. M. G. Mai 1909.)
  37. En partie sous l’influence des publications anglaises, et notamment du Spectator d’Addison (1711). Dès 1713, parut à Hambourg l’Homme raisonnable. En 1724-1727, le journal Le Patriote de Hambourg fut fondé par une « Société patriotique ». On pensait tirer à 400 exemplaires. On souscrivit pour 5 000 dans la seule Haute-Saxe.
  38. La musique profane comptait, vers 1728, 50 maîtres, 150 professeurs. En revanche, la musique religieuse était beaucoup plus pauvrement fournie que dans la plupart des grandes villes du nord de l’Allemagne.
  39. La Naissance du Christ, Michal et David, Esther.
  40. Dramatologia antiqua-hodierna, 1688.
  41. Theatromachia, ou die Werke der Finsterniss (la Puissance des Ténèbres), de Anton Reiser, 1682.
  42. Histoire de l’Opéra avant Lully et Scarlatti, 1895, p. 217-222.
  43. Reinhard Keiser était né en 1674 à Teuchern, près de Weissenfels ; et il mourut en 1739 à Copenhague.

    Voir Hugo Leichtentritt : R. K. in seinen Opern, 1901, Berlin ; — Wilhelm Kleefeld : Das Orchester der ersten deutschen Oper, 1898, Berlin ; — F.-A. Voigt : R. K. (1890, dans le Vierteljahrsschrift für Musikwissenschaft). — L’Octavia et le Crœsus de Keiser ont été réédités.

  44. Dans les ouvertures en trois parties, avec indications françaises : Vitement, Lentement. Aussi dans les préludes instrumentaux, et peut-être dans les danses.
  45. Surtout dans les duos, d’un caractère un peu contrapontique.
  46. « Est-ce l’orchestre qui est le héros ? demande le théoricien du Lullysme, Lecerf de la Viéville. — Non, c’est le chanteur… Eh bien donc, que le chanteur me touche lui-même, et qu’il ne remette pas le soin de me toucher pour lui à l’orchestre, qui n’est là que par grâce et par accident. Si vis me flere… » (Comparaison de la Musique italienne et de la Musique française, 1705.)
  47. « On peut très bien représenter avec de simples instruments, dit Mattheson, la grandeur d’âme, l’amour, la jalousie, etc., et rendre toutes les inclinations du cœur par de simples accords et leur enchaînement sans paroles, — en sorte que l’auditeur puisse saisir et comprendre la marche, le sens, la pensée du discours musical, comme si c’était un véritable discours parlé. » (Die neueste Untersuchung der Singspiele, 1744.)
  48. Préface des Componimenti Musicali de 1706. — Mattheson, renchérissant, disait que, « pour bien composer un seul récit, en tenant compte des sentiments et de la coupe de la phrase, comme faisait Keiser, il fallait plus d’art et d’habileté que pour composer dix airs, d’après la pratique commune ».
  49. Comparer aux récitatifs des premières grandes cantates de J.-S. Bach : Aus der Tiefe, Gottes Zeit, qui sont de 1709 à 1712-4, tels récitatifs de l’Octavia de Keiser (1705), notamment, acte II, Hinweg, du Dornen schwangre Krone ! Inflexions mélodiques, modulations, harmonies, coupe de phrase, cadences, tout est dans le style de J.-S. Bach, plus encore que dans celui de Hændel.
  50. Voir, dans Crœsus (1711), l’air d’Elmira avec flûte, qui fait songer à un air analogue d’Écho et Narcisse, de Gluck.
  51. En ce genre, une scène de Crœsus est un petit chef-d’œuvre, dans le style pastoral de la fin du XVIIIe siècle, et presque de Beethoven.
  52. Tel, le chant de Crœsus prisonnier, qui évoque certains airs du Messie.
  53. Je n’en veux citer qu’un exemple : c’est l’air d’Octavia avec deux flûtes douces, Wallet nicht zu laut, une des pages les plus poétiques de Keiser, que Hændel a reprise plusieurs fois, dans ses œuvres, et jusque dans l’Acis et Galatée de 1720.
  54. Postel, qui usait de sept langues dans les prologues de ses libretti, s’opposait à ce mélange dans les œuvres poétiques : « car ce qui fait l’ornement du savant, disait-il, défigure la poésie ».
  55. Certains opéras allemands mêlaient le hochdeutsch, le plattdeutsch, le français et l’italien.
  56. Mattheson.
  57. Il était né à Hambourg en 1681, et y mourut en 1764. — Voir L. Meinardus : J. Mattheson und seine Verdienste um die deutsche Tonkunst, 1870, et Heinrich Schmidt : J. Mattheson, ein Förderer der deutschen Tonkunst, 1897, Leipzig.
  58. Il attaqua violemment dans le Vollkommene Kapellmeister (1739) les « Pythagoriciens » (dont le chef était Lor. Christophe Mizler de Leipzig), qui prétendaient asservir la musique aux mathématiques et à la raison. Avec les « Aristoxéniens » (harmonistes), il voulait arracher la musique « à l’étau de fer, aux mains de squelette de la science morte et de la scolastique ». Sa loi, c’était l’oreille. « Laisse ton art encombrant à la maison, plutôt que l’oreille souffre, en quoi que ce soit. Ce que la nature et l’expérience t’enseignent comme bon, fais-le, joue-le, chante-le ; — comme mauvais, évite-le, efface-le. » (Das forschende Orchestre). À la scolastique il opposait la féconde et vivante science harmonique (Harmonische Wissenschaft) ; il demandait qu’elle fût enseignée dans les Universités, et offrait de léguer une somme pour fonder une chaire de lecteur de musique au gymnase de sa ville.
  59. Surtout dans Das neueröffnete Orchestre (1713), Das beschützte Orchestre (1717), Das forschende Orchestre (1721). — On a pu dire du plus riche de ses écrits théoriques : Der Vollkommene Kapellmeister (1739), qu’il pourrait encore aujourd’hui servir de base à une esthétique de la musique, et que de cette œuvre procédait une bonne partie de notre musicologie.
  60. Il déconseillait aux musiciens allemands le voyage d’Italie, d’où revenaient « tant d’oies parées des plumes de paons, je veux dire avec de grandes faiblesses cachées et une insupportable présomption ». Il reprochait aux Allemands de ne pas aider davantage les musiciens nationaux, qui languissaient, écrasés. (Vollk. Kapellm. et Critica Musica.)
  61. Vingt-quatre livraisons mensuelles, qui parurent, avec des interruptions, de mai 1722 à 1725 (Hambourg). On y trouve des polémiques musicales, correspondances et interviews de musiciens, analyses de livres et d’œuvres, une foule de renseignements sur le dernier opéra, sur le dernier concert, sur la vie d’un musicien, sur un nouveau clavier, sur une chanteuse, etc. On y trouve surtout de solides critiques musicales, les plus anciennes qui existent peut-être. L’analyse minutieuse de la Passion selon saint Jean de Hændel était encore célèbre, quand la Passion de Hændel était oubliée. « C’est peut-être, disait Marpurg en 1760, la première bonne critique qui ait été faite sur la musique chorale, depuis que la musique chorale existe. »
  62. Critica Musica.
  63. « Quand je pense à un Tondichter (à un poète musical), disait-il, je pense à quelque chose de plus qu’un grand moraliste, qu’un grand penseur… Autrefois, les musiciens étaient poètes et prophètes. » — Et ailleurs : « C’est le propre de la musique d’être entre toutes les sciences une école d’honnêteté », « eine Zuchtlehre ». (Vollk. Kapellm.)
  64. Grundlagen einer Ehrenpforte, worin der tüchtigsten Kapellmeister, Komponisten, Musikgelehrten, Tonkünstler, etc. Leben, Werke, Verdienste, etc., erscheien sollen, 1740.
  65. Vollkommener Kapellmeister, 1739. — Il consacre, dans cet ouvrage, une étude très importante à ce qu’il nomme l’Hypokritik (Pantomime).
  66. Ibid.
  67. En théorie, sinon en pratique : car ses opéras sont médiocres. D’ailleurs il se dégoûta vite du théâtre. Des scrupules religieux lui vinrent. Il voulut d’abord épurer l’opéra, faire du théâtre quelque chose de sérieux et de sacré ( « ernsthaftes und heiliges » ), qui agit sur les masses, d’une façon instructive et moralisatrice. (Musikalischer Patriot, 1728.) Puis il s’aperçut que sa conception d’un opéra moral et édifiant n’avait aucune chance de se réaliser. Alors, il s’en désintéressa, et se réjouit même, en 1750, de la ruine définitive de l’Opéra de Hambourg.
  68. Mattheson, qui parlait parfaitement l’anglais, et qui devint peu après secrétaire de la légation anglaise, puis résident par intérim, présenta Hændel à l’ambassadeur d’Angleterre John Wich, qui les chargea tous deux de l’instruction de son fils.
  69. Ehrenpforte. — Telemann, condisciple de Hændel, dit aussi « qu’ils travaillaient constamment à la mélodie, Hændel et lui ».
  70. Avec une nuance protectrice de la part de Mattheson. Pendant les premiers mois, Hændel ne songea pas à s’en offenser. Le style des lettres qu’il lui adressait encore en mars 1704 était extrêmement respectueux. En fait, Mattheson était alors plus avancé que lui, et son supérieur, comme situation sociale.
  71. Voir dans l'Ehrenpforte le récit de ce voyage et des folies que firent en chemin les deux joyeux compagnons.

    Buxtehude était Danois, né à Elseneur en 1637. Il s’était établi à Lübeck, où il resta, depuis l’âge de trente ans jusqu’à sa mort en 1707, organiste à la Marienkirche.

  72. C’était chose habituelle que l’orgue d’une église fût cédé avec la fille, ou la veuve de l’organiste. Buxtehude lui-même, en succédant à l’organiste Tunder, avait épousé sa fille.
  73. J.-S. Bach vint à Lübeck, en octobre 1705 ; et, au lieu de quatre semaines qu’il devait y rester, il y passa quatre mois ; ce qui faillit lui faire perdre son emploi à Arnstadt.
  74. Les œuvres d'orgue de Buxtehude ont été rééditées par Spitta et Max Seiffert, en deux volumes, chez Breitkopf. (Voir la courte, mais substantielle étude de M. Pirro, dans son petit livre sur l'Orgue de J.-S. Bach, Paris, 1895, et Max Seiffert : Buxtehude, Hændel, Bach, dans le Jahrbuch Peters, 1902). Un choix, trop restreint, des Cantates a été publié, en un volume des Denkmäler deutscher Tonkunst. — M. Pirro prépare un grand ouvrage sur Buxtehude.
  75. Surtout depuis 1693.
  76. On remarquera le rôle de ces villes libres, Hambourg, Lübeck, — villes de commerçants intelligents et aventureux, — dans l'histoire de la musique allemande. Telles, pour la peinture et même pour la musique italienne, Venise et Florence.
  77. Il en reste 150 manuscrites, dans les bibliothèques de Lübeck, Upsal, Berlin, Wolfenbüttel, Bruxelles.
  78. Sa musique d'orgue atteste sa maîtrise en ce genre.
  79. Voir l'intimité pénétrante, la suavité mélodique de la cantate : Alles was ihr tut mit Worten oder Werken, — et la grandeur tragique, avec des moyens si simples, de la magnifique cantate : Gott hilf mir.
  80. On trouvera, page 167 du volume des Denkmäler, un Hallelujah de Buxtehude (pour 2 clarini (trompettes), 2 violini, 2 violes, violons, orgue, et cinq parties vocales), qui est du pur Hændel, et du plus beau.
  81. Mattheson ajoute : « Je sais avec certitude que, s'il lit ces pages, il rira dans son cœur : car, extérieurement, il rit peu. »
  82. Entre autres, le motif d'un air en menuet, qu'il reprit textuellement dans le menuet de son ouverture de Samson.
  83. Dans la même semaine, Keiser et le poète Hunold donnèrent une autre Passion : Der Blutige und Sterbende Jesus (Jésus sanglant et mourant), qui fit scandale : car ils avaient traité le sujet à la façon d’un opéra, supprimant les chorals, les chants religieux, le personnage de l’Évangéliste et son récit. Hændel et Postel, plus prudents, ne supprimèrent que les cantiques, mais conservèrent le texte de l’Évangéliste.
  84. Cette critique, certainement écrite en 1704, fut reprise par Mattheson, dans son journal musical Critica Musica, en 1725, et encore vingt ans plus tard, dans son Vollkommener Capellmeister, en 1740.
  85. Les deux jeunes gens étaient chargés de l’éducation du fils de l’ambassadeur d’Angleterre, Mattheson en qualité de gouverneur (Hofmeister), Hændel de maître de musique. Mattheson profita de l’avantage de la situation pour infliger à Hændel une semonce humiliante. Hændel se vengea, en le rendant ridicule. On donnait la Cleopatra de Mattheson à l’Opéra. Mattheson dirigeait l’orchestre, au clavecin, et tenait le rôle d’Antoine. Pendant qu’il jouait son personnage, il laissait le clavecin à Hændel ; mais, comme Antoine mourait, une demi-heure avant la fin du spectacle, Mattheson se dépêchait de revenir au clavecin, en costume de théâtre, pour ne rien perdre des ovations finales. Hændel, qui s’était prêté à cette petite comédie pendant les deux premières représentations, refusa, à la troisième, de céder la place à Mattheson. À la sortie, ils en vinrent aux mains. — L’histoire a été racontée, d’une façon assez embrouillée, par Mattheson, dans l’Ehrenpforte, et par Mainwaring, qui la tenait de Hændel.
  86. Der in Krohnen erlangte Glücks-Wechsel, oder Almira, Königin von Castilien (Les vicissitudes de la fortune des rois, ou Almire, reine de Castille). — Le libretto avait été tiré d’une comédie de Lope de Vega par un certain Feustking, dont Chrysander a raconté la vie scandaleuse et la guerre de pamphlets orduriers avec Barthold Feind, au sujet de cette pièce. Keiser devait écrire la musique d’Almira ; mais, trop occupé par ses affaires et ses plaisirs, il passa le livret à Hændel.

    Une fois pour toutes, je tiens à rappeler que l’exiguïté de ce volume m’interdit l’analyse des opéras de Hændel ; je remets cette analyse détaillée à un autre livre sur Hændel et son temps (Musiciens d’autrefois, 2e série).

  87. Die durch Blut und Mord erlangte Liebe, oder Nero. (L’amour obtenu par le sang et le crime, ou Néron.) Poème de Feustking. Mattheson jouait le personnage de Néron. — La partition musicale a été perdue.
  88. En 1703, Hændel renvoie à sa mère la pension qu’elle lui faisait, et il y ajoute quelques présents, à Noël. En 1704, 1705, 1706, il économise 200 ducats pour son voyage en Italie.
  89. Le nouveau Nero fut joué sous le titre de : Die Römische Unruhe, oder die edelmüthige Octavia (Les troubles de Rome, ou la magnanime Octavie). La partition a été rééditée dans les suppléments à la grande édition Hændel, chez Breitkopf, par M. Max Seiffert. — L’Almira prit le titre : Der Durchauchtige Secretarius, oder Almira, Königin in Castilien (S. E. Monsieur le Secrétaire, ou Almire, reine de Castille).

    En outre de ces deux œuvres, Keiser écrivit, en deux ans, sept opéras, et des plus beaux qu’il ait faits : preuve évidente de son génie, auquel il ne manqua guère qu’un caractère digne de lui.

  90. Sous le titre : Componimenti musicali, oder Teutsche und italiänische Arien, nebst unterschiedlichen Recitätiven aus Almira und Octavia, 1706, Hambourg.
  91. Pendant deux ans, on ne sut plus ce qu’il était devenu, tant il avait pris soin de se garer de la meute de ses créanciers. Au commencement de 1709, il reparut tranquillement à Hambourg, y reprit sa situation, sa considération, sa gloire, sans que personne songeât à lui rien reprocher. Mais alors, Hændel depuis longtemps n’était plus à Hambourg.
  92. Outre ses opéras et sa Passion, Hændel avait écrit à Hambourg un grand nombre de cantates, de lieder, et d'œuvres de clavier. Mainwaring assure qu'il en avait deux caisses pleines. Mattheson a douté de l'exactitude du fait ; mais l'ignorance qu'il témoigne à ce sujet ne prouve rien de plus que l’éloignement dans lequel le tenait alors Hændel : car on a retrouvé depuis, soit dans le Klavierbuch aus der Jugendzeit (t. XLVIII des œuvres complètes), soit dans les Sonatas (t. XXVII), nombre de compositions qui datent certainement de 1705 ou de 1706, à Hambourg.
  93. Ce fut le dernier des Médicis. Il prit le pouvoir en 1723, puis, après quelques années d'éclat, il se retira dans la solitude, malade de corps et d'esprit. (Voir Reumont : Toscana, et Robiony : Gli Ultimi dei Medici.)
  94. Plus tard, Hændel disait encore que jusqu’à ce qu’il vînt en Italie, il n’avait jamais pu se figurer que la musique italienne, qui paraissait sur le papier si médiocre et si vide, pût faire un tel effet sur le théâtre.
  95. M. R.-A. Streatfeild croit même qu'il était à Florence, dès octobre 1706 : car le prince Gaston de Médicis, qui dut le présenter au grand-due, quitta Florence en novembre 1706. Il place aussi, dès ce premier séjour à Florence, la représentation du Rodrigo de Hændel, sur lequel manque tout renseignement précis dans les archives des Médicis et les papiers du temps. Je suis plutôt porté à suivre l’opinion traditionnelle, d’après laquelle le Rodrigo date du second séjour de Hændel à Florence, quand il commençait à se faire à la langue et au style musical italiens.
  96. Bartolommeo Cristofori, l’inventeur du pianoforte, exécuta pour lui des instruments intéressants.
  97. 2 avril 1706.
  98. 23 avril 1707. Voir Edward Dent : Alessandro Scarlatti.
  99. T. LI des œuvres complètes. On a prétendu que cette Lucrezia avait été écrite pour une Lucrezia, chanteuse de la cour de Toscane, qui révéla la première à Hændel la beauté du chant italien, — et des Italiennes.
  100. Dans toute l'Europe du commencement du XVIIIe siècle a passé comme une vague de piétisme. Les historiens n'ont guère fait attention qu'aux influences locales. C'est ainsi que l'on a attribué uniquement à l'influence de Louis XIV vieillissant et de son entourage la recrudescence du sentiment religieux en France. Mais des phénomènes analogues se produisaient dans l'Italie, dans l'Allemagne, dans l'Angleterre du même temps. Il y a de ces grands courants moraux, qui, sans que l'on puisse dire exactement pourquoi, parcourent brusquement tout le monde civilisé, comme un frisson de fièvre.
  101. Un Dixit Dominus est daté du 4 avril 1707. Un Laudate pueri, du 8 juillet 1707.
  102. Une lettre d'Annibale Merlini à Ferdinand de Médicis, récemment publiée par M. Streatfeild, montre que le 24 septembre 1707, « le Saxon fameux » (« il Sassone famoso »), comme on appelait déjà Hændel, se faisait encore entendre dans les soirées musicales de Rome.
  103. C'est M. Ademllo, dans un article de la Nuova Antologia (16 juillet 1889), et M. Streatfeild, qui ont rétabli le véritable nom de la chanteuse de Rodrigo. Ainsi, a été détruite la légende romanesque, accreditée depuis Chrysander, de l’amour de Hændel pour la fameuse Vittoria Tesi. Celle-ci n’avait que sept ans en 1707, et elle ne débuta qu’en 1716.
  104. Parfois à San Marco, six orchestres : deux grands dans les galeries des deux grandes orgues ; quatre moindres, distribués deux par deux, entre les bas côtés, chacun avec deux petites orgues.
  105. Mainwaring a conté que Hændel arriva incognito à Venise, et qu'on le reconnut dans une mascarade, où il joua du clavecin. Domenico Scarlatti se serait écrié que ce ne pouvait être que « le celèbre Saxon, ou le diable ». Cette histoire, qui montre quelle était déjà la celébrité de Hændel comme virtuose, s'accorde assez bien avec le goût des mystifications, qui était dans son caractère.
  106. Ce fait, qui parait établi par les recherches récentes, contredit la thèse de Chrysander, suivant laquelle l'Agrippina de Hændel aurait été jouée, au commencement de 1708, à Venise. Tous les documents du temps s'accordent à placer la première représentation d'Agrippina à la fin de 1709, ou au commencement de 1710.
  107. Une cantate autographe de Hændel, qui se trouve à Londres, est datée de « Rome, 3 mars 1708 ».
  108. Cette Académie avait été fondée en 1690 à Rome, pour la défense et illustration de la poésie populaire et de l'éloquence.
  109. Parmi les « bergers » de l'Arcadie figurent quatre papes : Clément XI, Innocent XIII, Clément XII, Benoît XIII, presque tout le Sacré Collège, les princes de Bavière, de Pologne, de Portugal, la reine de Pologne, la grande-duchesse de Toscane et une foule de grands seigneurs et de grandes dames.
  110. Scarlatti, sous le nom de Terpandro ; Corelli, sous celui de Arcimelo ; Pasquini, de Protico ; Marcello, de Driante. Hændel ne fut pas inscrit à l’Arcadie, parce qu’il n’avait pas encore l’âge réglementaire : vingt-quatre ans.
  111. Le cardinal Ottoboni était un Vénitien, neveu du pape Alexandre VIII. Bon prêtre, très bienfaisant, mécène fastueux, dont les prodigalités étaient célèbres jusqu’en Angleterre, ou Dryden les glorifiait en 1691 dans le prologue de King Arthur de Purcell, il était grand dilettante et avait écrit lui-même un opéra : Il Colombo overo I’India scoperta (1691). Alessandro Scarlatti mit en musique son libretto de Statira, et composa pour lui sa Rosaura et son Oratorio de Noël. Il était surtout intime avec Corelli, qui habitait chez lui.
  112. Corelli tenait le premier violon, et Francischiello le violoncelle.
  113. À une réunion de l’Arcadie, en avril 1706, Alessandro Scarlatti se mit au clavecin, tandis que le poète Zappi improvisait un poème. À peine Zappi avait-il fini de réciter le dernier vers, que Scarlatti exécutait la musique qu’il venait d’improviser sur ces vers. — De même, chez Ottoboni, Hændel improvisa plusieurs cantates profanes, tandis que le cardinal Panfili improvisait les vers. On conte qu’un de ces poèmes faisait l’éloge dithyrambique de Hændel, et que Hændel, imperturbable, s’amusa à le mettre en musique, et sans doute à le chanter.
  114. Le manuscrit de la Resurrezione porte cette suscription : « 11 avril 1708, la festa di Pasque dal Marche Ruspoli (la fête de Pâques, chez le marquis Ruspoli).
  115. Elles tiennent quatre volumes de la grande édition Breitkopf : — deux volumes de cantates soli avec simple basse de clavecin, et deux volumes de cantates con stromenti, dont certaines sont des Serenate à 2 ou 3.
  116. L'Armida abbandonata. — La copie, très soigneuse, de la main de J.-S. Bach, appartient à la maison Breitkopf.
  117. On conte qu'à une soirée Ottoboni, il y eut un concours sur le clavecin et sur l'orgue entre Domenico Scarlatti et Hændel. Le combat resta indécis sur le clavecin ; mais pour l'orgue, Scarlatti fut le premier à déclarer Hændel vainqueur. Plus tard, quand il parlait de lui, il faisait le signe de croix.
  118. Scarlatti fut rattaché à la chapelle royale de Naples, comme premier organiste, en décembre 1708 ; puis il fut réintégré dans sa maîtrise de la chapelle royale, en janvier 1709 ; et, au cours de la même année, il fut nommé maître du Conservatoire des Poveri di Gesù Cristo.
  119. Toute sa vie, une de ses distractions préférées, — comme de celles de Corelli et de Hasse, — fut de visiter des expositions de tableaux. Il faut noter cette intelligence visuelle chez les grands musiciens allemands et italiens de cette époque. On ne la trouverait plus chez ceux de la fin du XVIIIe siècle.
  120. On a conservé de lui une cantata spagnuola a voce sola a chitarra (publiée dans le second volume des Cantates italiennes con stromenti), — et sept chansons françaises dans le style de Lully, avec accompagnement de la basse de clavecin. Une copie de ces chansons se trouve à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris (fonds Schœlcher).
  121. Une d’elles a fourni l’inspiration de la Sinfonia pastorale du Messie. — Hændel rapporta aussi d’Italie son goût pour la Sicilienne, qui faisait fureur à Naples, et qu’il employa, depuis Agrippina, dans presque tous ses opéras, et même dans ses oratorios.
  122. L’Aci, Galatea e Polifemo de 1708 n’a aucun rapport avec l’Acis and Galatea de 1720. Mais, à la reprise de cette dernière œuvre, en 1732, Hændel fit un remaniement de sa Sérénade italienne, et la donna à Londres en y mêlant des chants anglais de l’autre Acis.
  123. Voir Streatfeild : Handel, p. 43.
  124. Sur Steffani, voir p. 64 et suiv. C'est très vraisemblablement à cette rencontre avec Hændel, en 1709, à Rome, qu'il faut reporter le récit fait par Hændel d'un concert chez Ottoboni, où Steffani suppléa à l'improviste un des principaux chanteurs, avec un art sans égal. Chrysander plaçait ce recit, à l'éoque du second voyage de Hændel en Italie, en 1729. Mais cela est impossible, car Steffani mourut en février 1728.
  125. C'est-à-dire le 26 décembre 1709. Telle est la date que les recherches récentes de M. Ademollo et de M. Streatfeild ont rétablie, d'accord avec les indications fournies par les historiens contemporains de Hændel, — Mattheson, Marpurg, Burney, — et avec la date inscrite sur le libretto même. Elle contredit la thèse de Chrysander, (adoptée, à sa suite, par la plupart des musicologues de notre temps), suivant laquelle l’Agrippina aurait été jouée à Venise, dès le carnaval de 1708.
  126. Telle serait la raison pour laquelle il s’était fait la main au style vocal français, en écrivant ses 7 chansons françaises, dont le manuscrit a été soigneusement revu par lui, et porte la trace de corrections au crayon.
  127. C’était la langue dont il usait dans sa correspondance, même avec sa famille ; et son style, très correct, a la haute courtoisie du style Louis XIV.
  128. Esther, Athalie, Théodore vierge et martyre.
  129. Encore en 1734, Séré de Rieux écrit de Hændel : « Sa composition infiniment sage et gracieuse semble s'approcher de notre goût plus qu'aucune autre, en Europe » (p. 299 des Enfants de Latone, poèmes dédiés au Roi). — Hændel plaisait particulièrement aux Français, parce que son italianisme était dominé par la raison, et que les musiciens français aimaient à croire la raison toute française.

    « Son caractère fort, nouveau, brillant, égal,
    Du sens judicieux suit la constante trace,
    Et ne s'arme jamais d'une insolente audace. » (Ibid., p. 102-3.)

  130. Voir le livre, abondant en documents pittoresques, de Georg Fischer, Musik in Hannover, 2e éd., 1903.
  131. En 1676, Leibniz avait alors trente ans. Il reçut le titre de conseiller et président de la bibliothèque du château.
  132. Bien que, par les bizarreries des traités de Westphalie, cette princesse protestante se trouvât investie de l’évêché catholique d’Osnabrück.
  133. Mme Arvède Barine a tracé d’elle un portrait amusant, mais un peu sévère, dans ses charmantes études sur Madame, mère du Régent (1909, Hachette) . — Voir surtout les Mémoires de la duchesse Sophie, écrits par elle en français.
  134. Ainsi s’exprime un voyageur français, en 1702, l’abbé Tolland.
  135. Devenu duc en 1680, l’année même il part pour Venise. Il y repart à la fin de 1684, et y reste jusqu’en août 1685. Il repart, trois mois après, en décembre, et ne revient qu’en septembre 1686. Il logeait au palais Foscarini, avec sa suite nombreuse, ses ministres, ses poètes, ses musiciens, sa chapelle. Il y dépensait des sommes énormes. Il donnait des fêtes aux Vénitiens, et avait des loges, louées à l’année, dans cinq théâtres de Venise. En revanche, il vendait ses sujets, comme soldats, à Venise ; et son fils Maximilien était le général de la République. Quand le grand-maréchal de la cour de Hanovre écrivait à son prince le mécontentement du peuple, Ernest-Auguste répondait : « Je voudrais bien faire venir ici Monsieur le grand-maréchal, afin qu’il ne m’écrive plus si souvent de revenir à la maison. Monsieur le grand-maréchal n’a pas idée comme c’est amusant, ici ; s’il y était seulement une fois, il ne voudrait plus retourner en Allemagne. »
  136. Barthold Feind disait, en 1708 : « Des opéras allemands, celui de Leipzig est le plus pauvre, celui de Hambourg le plus vaste, celui de Brunswick le plus parfait, celui de Hanovre le plus beau. » — L’opéra de Hanovre, à quatre étages de loges, pouvait contenir 1 300 personnes.
  137. L’orchestre était composé, en majorité, de Français, et dirigé par un Français, Jean-Baptiste Farinel, frère du gendre de Cambert.
  138. MM. A. Einstein et Ad. Sandberger rééditent, en ce moment, dans les Denkmäler der Tonkunst in Bayern, un choix des œuvres de Steffani. M. Arthur Neisser a consacré une petite brochure à Steffani, à propos d’un de ses opéras : Servio Tullio (1902, Leipzig). — Voir aussi les études de Rob. Eitner dans l’Allg. Deustche Biographie, de Chrysander dans son Hændel t. I, et de M. Georg Fischer dans son livre cité plus haut.
  139. Munich était devenu un foyer de musique italienne en Allemagne, depuis que le prince-électeur Ferdinand avait épousé, en 1652, une princesse italienne, Adélaïde de Savoie. — Voir Ludwig Schiedermair : Die Anfänge der Münchener Oper (Sammelb. der I. M. G., 1904).
  140. En 1680.
  141. On trouvera la liste des opéras de Steffani, et l’analyse de Servio Tullio, dans la brochure de M. Arthur Neisser.
  142. Cet opéra fut joué, pour le cinquième centenaire du siège de Bardewick par Henri le Lion en 1089. L’électeur de Brandebourg assistait à la première représentation. — Steffani traita d'autres sujets germaniques, comme le Tassilone de 1709.
  143. Les manuscrits de la plupart de ces opéras sont conservés dans les bibliothèques de Berlin, Munich, Londres, Vienne, et Schwerin. Chrysander a donné quelques spécimens des libretti. La musique n'a guère été étudiée que par M. Neisser, qui a le tort de ne pas assez connaître la musique des contemporains de Steffani, et, par suite, se trompe souvent dans ses appréciations. M. Hugo Riemann prépare la publication de deux volumes d’opéras de Steffani, dans les Denkmäler der Tonkunst in Bayern.
  144. Leibniz non plus, bien qu'il eût quelque intuition de ce qu'aurait pu être cette forme de théâtre, « qui unit tous les moyens d'expression : la beauté des mots, des rimes, de la musique, des peintures, des gestes harmonieux » (lettre de 1681). En général, il avait, à l'égard de la musique, l'attitude de nos Encyclopédistes, au temps de Rameau. Son idéal musical était tout de simplicité mélodique. — « J’ay remarqué souvent que ce que les gens du métier estimoient le plus n’avoit rien qui touchât. La simplicité fait souvent plus d’effet que les ornemens empruntés. » (Lettre à Henfling.)
  145. Les témoignages des contemporains s’accordent à le peindre comme un homme d’un physique agréable, petit, de constitution débile, que l’excès de l’étude avait fatiguée, sérieux de nature, mais toujours aimable dans ses manières, plein d’esprit et de douceur, la parole claire et calme, d’un tact exquis, d’une politesse parfaite, et dont il ne se départait jamais, homme de cour accompli, et, de plus, très instruit, s’intéressant passionnément à la philosophie, aux mathématiques. Leibniz lui apprit le droit politique allemand. — On trouvera dans le livre de Fischer : Musik in Hannover, la reproduction d’un portrait rarissime de Steffani, en costume épiscopal.
  146. Évêque in partibus. Spiga est une localité des Indes espagnoles occidentales.
  147. Il finit par démissionner de son vicariat, qui lui causait plus d’ennuis que d’agrément. Il voyagea de nouveau en Italie, en 1722. En 1724, il fut nommé président à vie de l’Academy of antient music, fondée à Londres par son élève Galliard. Il dédia à l’Académie plusieurs de ses compositions ; mais, depuis qu’il était évêque, il ne les signait plus ; elles paraissaient sous le nom de son secrétaire, Gregorio Piva. Il revint à Hanovre en 1725. Après avoir mené grande vie, que ses revenus ne suffisaient pas à payer, il tomba dans la gêne et dut vendre ses belles collections de peintures et de statues, parmi lesquelles il y en avait, dit-on, de Michel-Ange. Le roi d’Angleterre régla en partie ses dettes. Steffani mourut d’apoplexie, au cours d’un voyage à Francfort, le 12 février 1728. Sa volumineuse correspondance politique fut envoyée à Rome, où elle se trouve encore, à l’Archivio della Sacra Congregazione de Propaganda Fide. — Voir A. Einstein : Notiz über den Nachlass Agostino Steffani’s im Propaganda Archiv zu Rom. (Sammelbände der I. M. G., mars 1909.)
  148. On connaît de lui un opuscule, en forme de lettre, intitulé : Quanta certezza habbia da suoi Principii la Musica et in qual pregio fosse perciò presso gli Antichi, paru en 1695 à Amsterdam, puis en 1700, en traduction allemande. Il y défend la valeur de la musique, non seulement comme art, mais comme science.
  149. Son chant était célèbre. Si sa voix était faible, la pureté et la finesse de son style, son expression délicate et chaste étaient incomparables, à en croire Hændel.
  150. Voir Hawkins. — Ce fut surtout en 1711 que Hændel et Steffani se trouvèrent ensemble à Hanovre, pour le plus grand profit de Hændel.
  151. H. Goldschmidt : Die Lehre von der vokalen Ornamentik, t. I, 1907, Charlottenburg.
  152. Toutefois, les travaux récents de M. Hugo Riemann ont montré qu’il y a lieu de distinguer entre les opéras de Steffani écrits pour Hanovre, où la virtuosité l’emporte, et les opéras primitivement écrits pour Munich, qui sont d’une grande beauté et offrent des modèles d’aria da capo.
  153. En revanche, les morceaux symphoniques, et particulièrement les ouvertures, sont en style lullyste, et ont pu servir de modèles à Hændel. Le style français régnait dans l’orchestre de Hanovre. Telemann disait : « À Hanovre est le cœur de la science française. »
  154. Steffani semble avoir écrit ces duos, comme maître de musique des dames de la cour ; et plusieurs furent faits pour l’électrice de Brandebourg, Sophie-Dorothée. Ces duos furent regardés, dans leur temps, comme des chefs- d’œuvre ; et on en fit de nombreuses copies. On en trouvera la bibliographie dans le ier volume des Œuvres choisies de Steffani, publiées chez Breitkopf par MM A. Einstein et A. Sandberger. Le seul Conservatoire de Paris possède six volumes de duetti manuscrits de Steffani.
  155. Voir les airs : Lungi dall’idol, Occhi perche piangete, et surtout Forma un mare, qui offre une analogie frappante avec un des plus beaux lieder de Philipp-Heinrich Erlebach : Meine Seufzer (publié par M. Max Friedländer, dans son Histoire du Lied au XVIIIe siècle). Il y a tout lieu de croire que Steffani a été un des modèles d’Erlebach.

    On y remarquera la prédilection de Steffani (comme des grands Italiens du temps) pour le chromatique, et son goût contrapuntique. Steffani était un des artistes d’alors le plus près de l’esprit de l’ancienne musique, tout en ouvrant le chemin à la musique nouvelle ; et il est caractéristique qu’on l’ait choisi comme président de l'Academy of antient Musick de Londres, qui prenait pour modèle l’art de Palestrina et des madrigalistes de la fin du XVIe siècle. Je ne doute pas que Hændel n’ait beaucoup appris, en cela encore, de Steffani.

  156. Henry Purcell naquit vers 1658, et mourut en 1695.
  157. Voir le prélude, ou la « Dance » de Dioclesian, et l'ouverture de Bonduca.
  158. L'art anglais n'a jamais rien produit de plus digne d’être égalé aux chefs-d’œuvre de l'art italien, que la scène de la mort de Didon.
  159. King Arthur : « Grand Dance », ou Chaconne finale ; — Dioclesian : Trio et chœur final.
  160. Surtout, le fameux air de saint Georges, dans King Arthur : « Saint Georges, patron de notre île, soldat et saint… »
  161. Non plus les Français, qui, très influents au temps des Stuarts, avaient à peu près disparu depuis la Révolution de 1688. Mais les Italiens.
  162. Le célèbre pamphlet du prêtre Jeremias Collier, paru en 1688 : Courte vue de l’immoralité et de l’indécence de la scène anglaise (A short view of the immorality and profaness of the English stage, with the sense of Antiquity), avait fait époque, parce qu’il exprimait, avec une ardente conviction, les sentiments cachés de la nation. Dryden, le premier, fit humblement pénitence.
  163. Voir la préface de son Amphion Britannicus, en 1700. — Blow mourut en 1708.
  164. Il y avait eu plusieurs essais de compagnies d’opéras italiens à Londres, sous la Restauration, en 1660, en 1674. Aucun n’avait réussi. Mais quelques Italiens s’étaient installés à Londres, et y avaient eu du succès : vers 1667, Gio.-Battista Draghi, de Ferrare ; vers 1677, le violoniste Niccolò Matteis, qui fit connaître en Angleterre les œuvres instrumentales de Vitali et de Bassani ; enfin des chanteurs italiens, Pietro Reggio de Gênes, le fameux Siface (Francesco Grossi) qui, en 1687, fit le premier sans doute entendre du Scarlatti à Londres ; Margherita de l’Espine, qui, depuis 1692, donna des concerts italiens. Mais ce fut à partir de 1702 que commença l’engouement pour l’art italien.
  165. Il s'agit du frère du célèbre Bononcini (Giovanni).
  166. Ce fut la Rosamunde, jouée en 1707, et qui n'eut que trois représentations. Addison, fort peu musicien, avait pris pour collaborateur l'insipide Clayton. Ses satires contre l’opéra italien parurent en mars-avril 1710, dans le Spectator.
  167. Cette défaite fut mise en évidence, en 1708. Trois ans avant, le théâtre Haymarket avait été fondé, sous le patronage de la reine, par le poète Congreve, pour y jouer le vieux drame anglais. En 1708, le drame anglais dut vider la place. L'opéra s'y installa.
  168. Seuls, deux Allemands établis en Angleterre et naturalisés Anglais, le Dr Christoph Pepusch et Nicolò Francesco Haym, glissent quelques morceaux de leur composition dans les opéras italiens de Londres. Nous les retrouverons plus tard. Pepusch, fondateur de l'Academy of antient musick en 1710, fut assez mal disposé pour Hændel, dont il persifla les opéras dans le fameux Beggar's Opera de 1728. Haym, qui voulut publier en 1730 une grande Histoire de la musique, fut un des librettistes de Hændel.

    La Bibliothèque du Conservatoire de Paris possède un recueil des airs des principaux opéras italiens, joués à Londres, de 1706 à 1710. (Londres, Walsh.)

  169. Voir Mainwaring et Chrysander.
  170. Quand le poète Barthold Feind donna en 1715 la traduction de Rinaldo, à Hambourg, il ne manqua pas de rappeler que « l'universellement célèbre M. Hændel » était appelé par les Italiens « l'Orfeo del nostro secolo » et « un ingegno sublime ». — Rare honneur, ajoute-t-il, « car aucun Allemand n’est ainsi traité par un Italien ou un Français, ces messieurs ayant l’habitude de se moquer de nous ».
  171. Il ne se pressa point. Il s’arrêta à Düsseldorf, chez l’Électeur palatin. (A. Einstein : Ein Beitrag zur Lebensbeschreibung Hændels, Bulletin de l’I. M. G., avril 1907.) Puis, dans les derniers mois de l’année, il alla revoir sa famille, à Halle.
  172. À vrai dire, ce sont plutôt de petites cantates que des lieder. La collection Schœlcher, à la Bibliothèque du Conservatoire de Paris, en possède des copies.
  173. Tomes XXVII et XLVIII de la grande édition Hændel.
  174. On voit, par les lettres de 1711, que Hændel s'appliquait, en Allemagne, à perfectionner sa connaissance de l'anglais.
  175. La maison de Hanovre était, comme on sait, prétendante à la succession au trône d'Angleterre ; et elle devait ménager la parente à héritage, la reine Anne, à qui plaisait Hændel.
  176. Dans une seconde version de l'œuvre, en 1734. Il y ajouta alors des chœurs.
  177. C'est le seul opéra de Hændel qui soit en cinq actes. Le poème était de Haym.
  178. Purcell avait écrit en 1694 un Te Deum and Jubilate.
  179. Il écrivit, dit-on, pour le petit théâtre d'amateurs de Burlington, un opéra, Silla (1714). dont il reprit le meilleur dans Amadigi. — On peut aussi dater de cette époque un certain nombre des pièces pour clavier, dont le recueil parut en 1720.
  180. La légende raconte que Hændel composa, en août 1715, la fameuse Water Musick (musique sur l'eau), pour regagner la faveur du Roi. Installé dans une barque avec un orchestre, il aurait fait exécuter son œuvre pendant une promenade de George Ier sur la Tamise ; et le Roi, enchanté, aurait rendu à Hændel son amitié. — Mais il semble bien que la Water Musick soit postérieure, de deux ans, au retour en grâce de Hændel ; et la scène, placée le 22 aout 1715 par Chrysander, dans son premier volume, — en octobre 1715, par Fischer (Musik in Hannover), — est reportée par Chrysander, dans son troisième volume, au 17 juillet 1717, avec une citation d'un journal du temps, qui ne semble pas d'ailleurs décisive. Quoi qu'il en soit, l'œuvre est de cette époque, et la première impression en parut vers 1720.
  181. Keiser, le premier, en 1712 : Der für die Sünden der Welt gemarterte und sterbende Jesus…, etc. (Jésus martyrisé et mourant pour les péchés du monde). — Puis, Telemann, en 1716, quelques mois avant l’arrivée de Hændel. Et peu après, Mattheson. — La Passion de Hændel fut exécutée pour la première fois, à Hambourg, pendant le carême 1717, lorsque Hændel était déjà revenu en Angleterre. Les quatre Passions de Keiser, Telemann, Mattheson et Hændel furent données en 1719 au Dom de Hambourg, Mattheson étant cantor.
  182. Hændel et Mattheson échangèrent alors quelques lettres. Mattheson venait d’engager une polémique musicale avec l’organiste et théoricien Buttstedt ; il éprouvait le besoin de s’appuyer sur les autorités de la musique allemande. Il leur adressa un questionnaire pour une enquête (sur les modes grecs, sur la solmisation, etc.). Hændel, pressé de questions, répondit, tardivement, en 1719 ; il donnait raison à Mattheson, moderniste déclaré, contre les partisans des modes anciens. Mattheson lui demandait aussi des détails sur sa vie, afin de les faire figurer dans un Dictionnaire biographique, qu’il projetait, Hændel se récusa, faute du recueillement nécessaire ; il promit seulement, d’une façon vague, de « repasser plus tard les Époques principales qu'il avait eues dans le cours de sa Profession ». — Mais Mattheson ne parvint jamais à en rien tirer de plus.
  183. À la fin de 1716. Au cours de ce voyage en Allemagne, où il avait secouru la veuve de son maître Zachow, tombée dans la misère, il ramena d'Anspach un vieil ami d’Université, Johann Christoph Schmidt, qui faisait le commerce des lainages, et qui laissa tout, fortune, femme et enfant, pour le suivre à Londres, Schmidt resta attaché toute sa vie a Hændel, s’occupant de ses affaires, recopiant ses manuscrits, ayant la garde de sa musique ; et après lui, son fils Schmidt (ou Smith) junior reprit la même place, avec le même dévouement. Exemple frappant de la force d’attraction que Hændel pouvait exercer.
  184. Le duc de Chandos était un Crésus, enrichi dans sa charge de trésorier-payeur général des armées, sous la reine Anne, et dans les spéculations de la Compagnie des mers du Sud. Il s’était fait bâtir un magnifique château à Canons, à quelques milles de Londres. Il y menait le train d’un petit prince, entouré d’une garde de cent soldats suisses. L’ostentation de son faste prêtait au ridicule. Pope ne s’est pas fait faute de le railler.
  185. Les Anthems tiennent trois volumes de la grande édition Hændel. Le troisième est réservé à des œuvres postérieures à l’époque dont nous nous occupons ici. Les deux premiers contiennent 11 Anthems Chandos, dont deux en double, et un en triple version.

    Hændel écrivit, dans le même temps, trois Te Deum.

  186. On sait que les Masques étaient des compositions profanes, très à la mode en Angleterre, au temps des Stuarts ; ils étaient en partie joués et dansés comme pièces de théâtre, en partie chantés, comme morceaux de concert. — (Voir Paul Reyher : Les Masques anglais, Paris, 1909.)

    Hændel reprit son Esther, en 1732, et la remania. La première Esther est en une seule partie, qui comprend six scènes. La seconde Esther est en trois actes, précédés et terminés chacun par de grands chœurs à l’antique. — On a quelquefois prétendu que le poème était de Pope.

  187. Lors de la reprise de l’œuvre, en 1733, on la nomma même : English opera.
  188. Le joli poème est de Gay.
  189. C'était une Société, au capital de 50 000 livres, par actions de 100 livres, souscrites pour quatorze ans, — chaque action donnant droit à une place au théâtre. À la tête, comme premier président, était le lord-chambellan, duc de Newcastle (jusqu'en 1723, où il entra au ministère et fut remplacé par le duc de Grafton). Le second président (le véritable directeur) était lord Bingley. Il était assisté d'un conseil d'administration de 24 directeurs, réélus chaque année. Le tout, sous la protection du Roi, qui payait 1 000 livres par an pour sa loge. — Le dividende, servi aux actionnaires, fut en 1724 de 7 p. 100. Mais les spéculations compromirent l'œuvre et la menèrent à la ruine.

    Hændel fut chargé de la direction uniquement musicale, jusqu'en 1728, où il reprit pour son compte la direction totale de l'entreprise d'opéra.

  190. Ce voyage eut lieu, de février 1719 à la fin de la même année. Tandis que Hændel était à Halle, J.-S. Bach, qui se trouvait à Cöthen, à quatre milles de Halle, en fut informé ; et il alla le voir. Mais il arriva à Halle, le jour même où Hændel venait d’en repartir. — Tel est du moins le récit de Forkel.
  191. Poème de Haym. Dès 1722, l’œuvre fut jouée à Hambourg, avec traduction de Mattheson.
  192. Avant lui, était déjà venu à Londres Domenico Scarlatti, dont on joua, sans succès, un opéra : Narciso (1720).
  193. Il était né en 1671 ou 1672 : car dans son op. I, paru en 1684 ou 1685, il dit qu'il a un peu plus de treize ans.

    G. Bononcini est loin d’être bien connu. Il n'est pas de musicien célèbre, sur le compte duquel on ait commis tant d'inexactitudes. Bononcini est le nom de toute une dynastie de musiciens ; et on les a constamment confondus les uns avec les autres. Ces erreurs se retrouvent jusque dans la bibliographie critique de Eitner (où elles reposent sur une grosse étourderie de lecture), et dans les plus récents travaux des musicographes italiens, comme M. Luigi Torchi, qui, dans sa Musica istriumentale in Italia (1901), confond tous les Bononcini en un seul. — Plus exacte, quoique très incomplète, est la monographie de Luigi-Francesco Valdrighi : I Bononcini da Modena (1882).

  194. Gianmaria B. était maître de chapelle de la cathédrale de Modène, et attaché au service du duc François II. Bon violoniste, auteur de sonates et de suites instrumentales, auxquelles M. Torchi et M. H. Parry attribuent une grande importance historique, il était un esprit réfléchi, et dédia en 1673 à l’empereur Léopold Ier, un traité d'harmonie et de contrepoint, intitulé Musico prattico, qui fut souvent réimprimé. Il mourut en 1678, âgé de moins de quarante ans.
  195. Plusieurs de ses premières œuvres sont dédiées à François II de Modène, et l'op. 8, Duetti da camera (1691), est dédié à l'empereur Léopold Ier, qui le fit aussitôt engager dans la chapelle de la cour.
  196. Il était célèbre, comme violoncelliste.
  197. Alfred Ebert : Attilio Ariosti in Berlin, 1905. Leipzig.
  198. Voir Lecerf de la Viéville : Éclaircissement sur Bononcini, publié dans la 3e partie de la Comparaison de la musique française avec la musique italienne (1706).
  199. « Comme Corelli, dit Lecerf, il a peu de fugues, contre-fugues, basses contraintes, fréquentes dans les autres ouvrages italiens ; et il fait ses délices ordinaires de tous les intervalles les moins usités, les plus faux, et les plus bizarres… Des dissonances à faire frayeur… »
  200. Voir les doux froissements de notes de la cantate Dori e Aminta : Non amo e amar desio (mss. à la Bibl. du Conservatoire de Paris), ou la cantate : Care luci (ibid.).
  201. Ce qu'il faut en musique, dit le London Journal du 24 février 1722, « c'est ce qui peut faire passer l'ennui et délivrer les gens distingués du souci de penser. »
  202. C'est l'éternel combat entre l'art savant et l'art pseudo- populaire. Il reprit un peu plus tard, avec Rousseau. La principale différence entre les deux phases de la lutte est qu'à l'époque qui nous occupe, le champion de l'art anti-savant était un musicien très instruit, qui ne soutenait pas cette cause par ignorance, mais par paresse et par rouerie.
  203. « À les regarder de près, dit M. Hugo Goldschmidt (Die Lehre von der vokalen Ornamentik, t. I, 1908), les chants de Bononcini sont des Lieder, auxquels est appliquée tant bien que mal la vieille forme de I'aria da capo, ou de la cavatine. » Le goût des petits airs en forme de lied s'était beaucoup répandu, depuis la fin du XVIIe siècle, en Allemagne et en Italie. Bononcini, qui y avait été tout naturellement entraîné par la mode et par sa facilité indolente, s'y abandonna d'autant plus, en Angleterre, que cela répondait au goût anglais.
  204. L’œuvre avait été déjà donnée en Italie, vers 1714. C'est pour l'avoir entendue alors que le comte Burlington se fit le partisan de Bononcini, qu'il décida à venir en Angleterre.
  205. Hændel écrivit le troisième acte, Bononcini le second. Le premier avait été donné à un certain « signor Pippo » (Filippo Mattei ?)
  206. Dans la victoire de Hændel entrait, pour une bonne part, l’engouement pour sa nouvelle interprète, Francesca Cuzzoni de Parme, grande et sauvage artiste, violente et passionnée, dont la voix de soprano excellait dans les cantabile pathétiques. Elle avait vingt-deux ans, et venait d’arriver à Londres, où elle débuta dans Ottone. On sait ses disputes avec Hændel, et comment il la mata, — en la menaçant de la jeter par la fenêtre.

    Hændel donna encore, en mai 1723, un opéra : Flavio, de peu d’importance. De son côté, Bononcini fit jouer une Erminia, et Attilio Ariosti un Coriolano, dont une scène de prison arracha des larmes aux dames, et inspira de nombreuses scènes analogues, dans les opéras suivants de Hændel.

  207. Bononcini donna sa dernière pièce, Calfurnia, le 18 avril 1724. Ariosti cessa la bataille, en 1725. En revanche, en 1725, commencèrent à être jouées à Londres les œuvres de Leonardo Vinci et de Porpora, patronnées par Hændel lui-même.
  208. Faustina Bordoni était née en 1700, à Venise. Elle avait été élevée dans la société des Marcello. En 1730, elle devait épouser Hasse. Son chant était d’une agilité incroyable. Personne ne pouvait répéter le même son avec une telle rapidité, et elle savait aussi tenir un son indéfiniment. Moins concentrée et moins profonde que la Guzzoni, elle avait un art plus frémissant et plus scintillant.
  209. Deux mois avant, Haendel avait donné l’opéra Scipione (12 mars 1726).
  210. Le directeur du théâtre de Drury Lane, Colley Ciber, fit jouer, le mois suivant, une farce : The contre-temps, or The Rival Queans, où l’on voyait les deux chanteuses qui se crêpaient le chignon, et Hændel, disant avec flegme à ceux qui voulaient les séparer : « Laissez faire. Quand elles seront fatiguées, leur fureur tombera d’elle-même ». Et, pour que la bataille fût plus vite finie, il l’activait à grands coups de timbale.

    L’ami de Hændel, le docteur Arbuthnot, publia aussi, à ce sujet, un de ses meilleurs pamphlets : Le Diable est lâché à Saint-James. (Voir Chrysander, t. II.)

  211. La dernière représentation de l’académie d’opéra eut lieu, le 1er juin 1728, avec Admeto.
  212. Entre autres, du recitativo accompagnato, de l’air da capo, des duos d’opéra, des scènes d’adieux, des grandes scènes de prison, des ballets absurdes. Pepusch reprend même un air de Hændel, dans une intention bouffe. Au second acte, une bande de voleurs, réunie à la taverne, défile solennellement devant ses chefs, aux sons de la marche de l’Armée des croisés, dans Rinaldo. — Le Beggar’s Opera, donné pour la première fois le 29 janvier 1728, fut joué dans toute l’Angleterre, et souleva des polémiques violentes. Swift prit parti passionnément pour lui. À la suite de ce succès, parurent dans les années suivantes une quantité de Ballad Operas (opéras en chansons). — M. Georgy Calmus a consacré un article très complet au Beggar’s Opera, dans les Sammelbände der I. M. G. (janvier-mars 1907).
  213. Les trois premiers livres de la Dunciade de Pope parurent en 1728 ; les Voyages de Gulliver, en 1726. Swift n’y a pas oublié la folie musicale, dans sa satire du royaume de Laputa.
  214. Les Coronation Anthems comprennent quatre hymnes, dont on ne sait pas au juste l’ordre. Hændel disposait pour leur exécution à Westminster, de 47 chanteurs et d’un orchestre assez considérable.
  215. Le Riccardo I, joué en novembre de la même année (voir p. 101), était aussi un opéra national, dédié au roi Georges II, et célébrant, à propos de Richard Cœur de Lion, les fastes de la vieille Angleterre.
  216. Voir p. 60, note 3, les jugements cités de Séré de Rieux.
  217. Séré de Rieux : les Dons des enfants de Latone ; la Musique et la Chasse du cerf, poèmes dédiés au Roy, 1734, Paris, — p. 102-103.
  218. Pendant ce voyage, où il séjourna assez longtemps à Venise, il apprit que sa mère avait été frappée de paralysie. Il accourut à Halle, et il put la revoir encore. Mais elle, ne le voyait plus. Depuis quelques années, elle était aveugle. Elle devait mourir, l'année suivante, le 27 décembre 1730. — Tandis que Hændel était à Halle, au chevet de sa mère, il reçut la visite de Wilhelm-Friedemann Bach, qui venait, de la part de son père, l'inviter à venir à Leipzig. On comprend qu'en de telles circonstances, Hændel ait décliné l'invitation.
  219. Né en 1690 à Strongoli en Calabre, mort en 1730. Il fut maître de la chapelle royale à Naples, et le précurseur de Pergolèse et de Hasse. — Je parlerai de Vinci, dans un volume prochain.
  220. Acis et Galatée fut repris dès 1731, puis redonné en 1732 au théâtre Haymarket, avec décors et machines, sous le titre de English Pastoral Opera. La représentation avait lieu sans l'assentiment de Hændel, qui, pour répondre à la concurrence, fit jouer lui-même son œuvre, un mois plus tard. — Quant à Esther, un membre de l'Académie d'ancienne musique, Bernhard Gates, qui avait autrefois chanté dans la pièce chez le duc de Chandos, et qui en possédait une copie, la fit jouer à l'Hôtellerie de la Couronne et de l'Ancre, le 23 février 1732. À son tour, Hændel dirigea l’œuvre, le 2 mai 1732, au théâtre Haymarket, sous le titre d' « oratorio anglais ». Six auditions ne suffirent pas à satisfaire la curiosité du public.
  221. À la première, « il y avait en tout, dit un pamphlet, 260 personnes, dont pas une n'avait payé la moitié du prix ; quelques-unes avaient même reçu de l'argent pour venir ». Hændel essaya de redonner l'œuvre, à des prix moitié moindres : on ne vint pas davantage. Les patriotes anglais se répétaient déjà, en exultant, que le Saxon, découragé, allait retourner dans son Allemagne.
  222. Athalia fut écrite pour les fêtes de l'Université d'Oxford, auxquelles Hændel avait été invité. On devait lui conférer le titre de docteur de l'Université. Mais on ne sait, au juste, ce qui se passa, Hændel ayant toujours refusé, par la suite, de s'expliquer là-dessus. Ce qui est certain, c'est que Hændel ne reçut point le titre.
  223. Bononcini avait été reçu à l'Académie d' ancienne musique de Londres ; pour payer sa réception, il offrit à l'Académie en 1728 un madrigal à cinq voix. Or, trois ans après, un membre de l'Académie trouva ce madrigal dans un livre de Duetti, Terzetti e Madrigali de Antonio Lotti, paru en 1705, à Venise. Bononcini persistant à se dire l'auteur de l’œuvre, on fit une longue enquête, où furent interrogés Lotti et un grand nombre de témoins. Le résultat fut écrasant pour Bononcini, qui fut abandonné de tous, et disparut de Londres, vers la fin de 1732. — Toute la correspondance relative à cette affaire fut publiée par l'Académie, en latin, italien, français et anglais, sous le titre : Letters from the Academy of Antient Musick at London to Sigr Antonio Lotti of Venice, with Answers and Testimonies, London, 1782.
  224. Porpora fut le professeur de chant le plus fameux du XVIIIe siècle italien. Hasse fut un grand chanteur lui-même, et marié à l'une des plus célèbres chanteuses qui aient jamais existé, la Faustina.
  225. Comparez le souffle menu et étriqué de Benedetto Marcello dans son Arianna, à l'ampleur du style de Porpora dans le même sujet.
  226. Chrysander, qui le connaît mal, en parle avec un dédain absolument injustifié.
  227. L'Arianna de Hændel, le 26 janvier 1734. L'Arianna à Naxos de Porpora, très peu de temps après.
  228. Ainsi, l'invocation de Thésée à Neptune : Nume che reggi'l mare, et l'air : Spettro d'orrore.
  229. Johann-Adolph Hasse était né le 23 mars 1699 à Bergedorf, près Hambourg, et mourut le 16 décembre 1783, à Venise. Il vint à Londres en octobre 1734, et y donna son Artaserse, qui fut joué jusqu’en 1737. On joua aussi en Angleterre son Siroe (1736) et deux intermezzi comiques. — Je n’insiste pas sur lui : car sa vie et son art sortent un peu du cadre de cette étude. Malgré les efforts des ennemis de Hændel, Hasse évita toujours de se poser en rival de son grand compatriote, et leur art est resté indépendant l’un de l’autre. Je me réserve d’étudier longuement, ailleurs, l’œuvre de cet artiste admirable, pour qui la postérité a été plus injuste encore que pour Porpora : car personne n’eut jamais, à son degré, le sens de la beauté mélodique ; et, dans ses meilleures pages, il est l’égal des plus grands.
  230. Elle était l’élève et l’amie de Hændel. Excellente musicienne, elle dirigeait l’orchestre, aux concerts publics qu’elle donnait, chaque soir, en Hollande.
  231. Hændel composa, pour le mariage de la princesse Anna, le Wedding Anthem (14 mars 1734), qui est un pasticcio d’œuvres anciennes, surtout d’Athalia. Il donna aussi, pour les fêtes du mariage, la Serenata Parnasso in festa, et un remaniement du Pastor fido, avec chœurs.
  232. C'était John Rich, qui avait monté à son théâtre, en 1728, le Beggar’s Opera de Gay et de Pepusch, — cette parodie des opéras de Hændel.
  233. Elle était élève de Mlle Prévost, et avait débuté chez Rich, en 1725. Voir l’étude de M. Emile Dacier : Une danseuse française à Londres, au début du XVIIIe siècle. (Bulletin français de la S. I. M., mai et juillet 1907.)
  234. On remarquera que ce fut avec ces mêmes sujets de Pygmalion et d’Ariadne que J.-J. Rousseau et George Benda inaugurèrent en 1770-1775 le mélodrame ou « opéra sans chanteurs ».
  235. On l’accusait même de le trop bien connaître. L’abbé Prévost écrivait, précisément à la même époque, dans le Pour et le Contre, en 1733 : « … Quelques critiques l’accusent d’avoir emprunté le fond d’une infinité de belles choses, de Lully, et surtout de nos cantates françaises, qu’il a l’adresse, disent-ils, de déguiser à l’italienne… »
  236. La Sallé revint à Paris, où elle fit sa rentrée à l’Académie de Musique dès le mois d’août 1735, dans les Indes galantes de Rameau. Il est assez remarquable que telle page de cette œuvre, comme la superbe chaconne de la fin, ait un caractère si hændelien.
  237. Atalanta (12 mai 1736), Arminio (12 janvier 1737), Giustino (16 février 1737), Berenice (18 mai 1737), Faramondo (7 janvier 1738), Serse (15 avril 1738), Imeneo (22 novembre 1740), Deidamia (10 janvier 1741).
  238. Surtout dans Serse et Deidamia.
  239. Dryden avait écrit cet éclatant poème, en 1697, dans une nuit d’enthousiasme. Clayton l’avait mis en musique, en 1711 ; puis, vers 1720, Benedetto Marcello écrivit une cantate, à l’antique, sur une adaptation italienne de l’ode anglaise par l’abbé Conti. Un ami de Hændel, Newburgh Hamilton, arrangea avec beaucoup de discrétion le texte de Dryden, pour l’oratorio de Hændel.

    Hændel avait écrit, plusieurs fois déjà, en l’honneur de sainte Cécile. On trouvera dans le vol. LII de la grande édition Breitkopf (Cantate italiane con stromenti) les fragments de quatre cantates à sainte Cécile, toutes écrites à Londres, — la première, dès 1713.

  240. La Fête d’Alexandre (janvier 1736), Atalanta (avril), Wedding Anthem (avril), Giustino (août), Arminio (septembre), Berenice (décembre).
  241. Le 1er juin 1737. Mais le 11 juin, l’opéra rival fermait aussi ses portes, ruiné. Hændel entraînait dans sa chute l’ennemi qu’il voulait tuer.
  242. Le 15 novembre 1737, Hændel commence Faramondo. Du 7 au 17 décembre, il écrit le Funeral Anthem. Le 24 décembre, il termine Faramondo. Le 15 décembre, il commence Serse.
  243. Il disait que ces sortes de concerts étaient une façon de demander l’aumône.
  244. Le Vauxhall était un beau jardin sur la Tamise, rendez-vous de la société de Londres. On y entendait, tous les soirs, sauf le dimanche, de la fin d’avril au commencement d’août, des concerts d’orchestre, de chant et d’orgue. L’entrepreneur des divertissements, Tyers, fit placer dans une niche de la grande grotte la statue de marbre blanc de Hændel par le sculpteur Roubiliac, — le même qui devait plus tard exécuter le monument de Hændel à Westminster.
  245. Dans la première partie d’Israël, on ne trouve qu’un seul air, noyé au milieu des chœurs. Dans l’ensemble, 19 chœurs contre 4 airs soli et trois duos. — Le poème de Saul, que Chrysander avait d’abord attribué à Jennens, semble être, comme il l’a reconnu ensuite, de Newburgh Hamilton. Quant à Israël, Hændel s’est passé de librettiste. Il a pris la Bible toute pure.
  246. Écrits du 29 septembre au 30 octobre 1739.

    Hændel fit, de plus, paraître en novembre 1740 le second recueil des Concertos d’orgue (six concertos). Le même mois, il ouvrait sa dernière saison d’opéra, donnait le 22 novembre Imeneo, qui ne fut joué que deux fois, et le 14 janvier 1741 Deidamia, qui ne fut jouée que trois fois.

  247. Surtout dans l’Allegro et dans quelques Concerti grossi.
  248. La lettre d’un anonyme, publiée dans le London Daily Post du 4 avril 1741, fait allusion à un fait précis, « un seul faux pas accompli, mais non prémédité ».
  249. Au milieu de sa misère, il pensait aux plus misérables que lui. En avril 1738, il avait fondé, avec les autres musiciens anglais de renom, Arne, Greene, Pepusch, Carey, etc., la Society of Musicians, pour venir au secours des musiciens pauvres et âgés. Si gêné qu’il fût lui-même, il fut plus généreux que tous les autres. Le 20 mars 1739, il dirigea au bénéfice de la Société la Fête d’Alexandre, avec un nouveau concerto d’orgue. Le 28 mars 1740, il dirigea Acis et Galatée et la petite Ode à sainte Cécile. Le 14 mars 1741, dans ses plus mauvais jours, il donna le Parnasso in festa, spectacle de gala, très onéreux pour lui, avec cinq concerti soli des plus célèbres instrumentistes. Il devait léguer plus tard 1 000 livres à la Société.
  250. Un maladroit ami essaya d’apitoyer la charité publique, dans une lettre anonyme au London Daily Post (voir plus haut), qui veut excuser Hændel, et qui est bien le plus cruel affront qu’on pût lui faire, — le pavé de l’ours. On trouvera cette lettre à la fin du troisième volume de Chrysander.
  251. Le 4 novembre 1741. Il avait encore eu le temps de voir, avant son départ, la réouverture de l’Opéra italien, sous la direction de Galuppi, que soutenait la noblesse anglaise.
  252. Hændel écrivit le Messie, du 22 août au 14 septembre 1741. — Certains historiens ont voulu lui attribuer la composition du poème. Il n’y a aucune raison pour en enlever l’honneur à Jennens, homme intelligent, auteur de l’excellent poème de Belsazar, et qui d’ailleurs n’eût pas admis que Hændel changeât rien au texte qu’il lui donnait. Une lettre du 31 mars 1745 à un ami (citée par Schœlcher), montre qu’il trouvait la musique du Messie à peine digne de son poème.
  253. La grande société musicale de Dublin, la Philharmonic Society, donnait uniquement des concerts de bienfaisance. Pour Hændel, on fit un arrangement spécial. Il fut convenu que Hændel réserverait seulement un concert à la charité. Hændel s’y engagea de grand cœur, en promettant « quelque chose de sa meilleure musique ». Ce « quelque chose » fut le Messie. — Voir sur la musique à Dublin, de 1780 à 1754, un article de W. H. Grattan Flood (I. M. G., avril-juin 1910.)
  254. Mais non pas à Londres, où Hændel donna le Messie seulement trois fois en 1743, deux fois en 1745, et plus du tout jusqu’en 1749. La cabale des dévots essaya de l’étouffer. Il n’était point permis de mettre le titre de l’oratorio sur l’affiche. On l’appelait : A Sacred Oratorio. Ce ne fut qu’à partir de 1750 que la victoire du Messie fut décidée. Hændel lui maintint, toute sa vie, son attribution à des œuvres de charité. Il le dirigeait, une fois par an, au bénéfice de l’Hospice des Enfants Assistés (Foundling Hospital). Même devenu aveugle, il resta fidèle à cette noble habitude ; et, pour mieux réserver le monopole de l’œuvre à l’Hôpital, il défendit qu’on en publiât rien avant sa mort.

    Depuis, on sait combien d’éditions du Messie ont paru. La collection Schœlcher, au Conservatoire de Paris, en a réuni soixante-six, publiées de 1763 à 1869.

  255. Le caractère de Dalila est un des plus complexes qu’ait peints Hændel ; et les rôles de Samson et de Harapha exigent des voix exceptionnelles.
  256. Le poème de Milton avait été adapté par Newburgh Hamilton.
  257. La bataille de Dettingen eut lieu le 27 juin 1743. Hændel avait déjà terminé, le 17 juillet, son Te Deum, qui fut solennellement exécuté le 27 novembre suivant à Westminster.
  258. Trop lentement au gré de Hændel, qui le composait au fur et à mesure que les actes lui étaient envoyés. On a cinq lettres de lui à Jennens, datées des 9 juin, 19 juillet, 21 août, 13 septembre, et 2 octobre 1744, où il le presse instamment de lui envoyer la suite du poème, lui exprime son admiration pour le second acte, qui lui a « procuré des moyens d’expression nouveaux et fourni l'occasion de rendre quelques idées particulières », enfin lui demande de raccourcir un peu la pièce, qui est trop longue. (Voir Schœlcher.)
  259. Hændel l’écrivit pendant les pauses forcées de la composition de Belsazar, et le fit jouer au commencement de 1745.
  260. Des lettres tout récemment publiées viennent de faire connaître cette période trouble de la vie de Hændel. — (William Barclay-Squire : Handel in 1745, dans le H. Riemann-Festschrift, 1909, Leipzig).
  261. A Song made for the Gentlemen Volunteers of the City of London. (Deux exemplaires de ce chant figurent dans la collection Schœlcher, au Conservatoire de Paris.)

    Hændel écrivit aussi, en juillet 1746, pour le retour du duc de Cumberland, un Chant sur la victoire (A Song on the Victory over the Rebels by His Royal Highness the Duke of Cumberland), qui fut exécuté au Vauxhall. (Un exemplaire de ce chant se trouve également dans la collection Schœlcher.)

  262. Terminé dans les premiers jours de décembre 1745, et joué en février 1746. Le texte en est emprunté en partie aux Psaumes de Milton, en partie à la Bible. — Hændel a repris, dans la troisième partie, plusieurs des plus belles pages d’Israël en Égypte. On trouve dans un des airs le motif principal du Rule Britannia, qui venait d’être composé par Arne.
  263. Poème, fort médiocre, du révérend Dr Thomas Morell, qui fut le librettiste des derniers oratorios de Hændel.
  264. Il n’est pas d’oratorios de Hændel dont le style soit plus populaire, et où l’on trouve plus de grands ensembles, et de soli intimement unis aux chœurs.

    Gluck était de passage à Londres, depuis la fin de 1745. Il avait alors trente et un ans. Il fit jouer à Londres deux opéras : La Caduta de’ Giganti et Artamene. (On en trouvera quelques airs dans la collection rarissime des Delizie dell’opere, ii vol., Londres, Walsh, que possède la Bibliothèque du Conservatoire de Paris.) — Ce séjour de Gluck en Angleterre n’eut aucune importance pour l’histoire de Hændel, qui se montra assez méprisant à l’égard de sa musique. Mais il n’en fut pas de même pour Gluck, qui professa, toute sa vie, le plus profond respect pour Hændel. Il le regardait comme son maître ; il s’imaginait même qu’il l’imitait. (Voir Michael Kelly : Reminiscences, I, 255.) Et, de fait, on sera frappé des analogies entre telles pages des oratorios de Hændel, exécutés en 1744-1746, (notamment Héraklès et Judas Macchabée), et les grands opéras de Gluck. On trouve dans les deux scènes funèbres du premier et du second actes de Judas Macchabée les accents pathétiques et les harmonies d’Orphée.

  265. Depuis 1747, Hændel, renonçant au système des souscriptions, tourne le dos à sa clientèle aristocratique, qui l’avait traité si indignement, et il ouvre son théâtre à tous. Cela lui réussit. La bourgeoisie de Londres répondit à son appel. Depuis 1748, Hændel fit salle comble à presque tous ses concerts.
  266. Poème emprunté au Livre des Macchabées par Thomas Morell. — Première exécution, le 23 mars 1748.
  267. Poème de Thomas Morell. — Première exécution, le 9 mars 1748.
  268. Le poème semble de Thomas Morell, bien que celui-ci n’en parle pas dans ses notes. — Première, le 17 mars 1749.
  269. La Firework Music a été publiée dans le tome XLVII de la grande édition Hændel. — Pour l'exécution du 27 avril 1749, l’orchestre comptait cent instrumentistes. Schœlcher a publié une correspondance échangée au sujet de cette œuvre, entre lord Montagu, général en chef de l’artillerie, et Charles Frederick, contrôleur des feux d’artifice du Roi. On y voit que des dissentiments assez sérieux s’élevèrent entre Hændel et lord Montagu.
  270. Le Foundling Hospital avait été fondé en 1739 par un vieux marin, Thomas Coram, « pour l’entretien et l’éducation des enfants abandonnés ». Hændel se voua à cette œuvre, au profit de laquelle il donnait annuellement des auditions du Messie. En 1750, il fut élu governor(administrateur) de l’Hospice, après le don qu’il lui avait fait d’un orgue.
  271. Tome XXXVI de la grande édition. L’Anthem, dont plus d’une page est reprise à l’Ode Funèbre (Funeral Anthem), est terminé par l’Hallelujah du Messie, sous sa forme originale.
  272. Le libretto est inspiré de la Théodore vierge et martyre de Corneille.
  273. Écrit du 28 juin au 5 juillet 1750, et joue, le 1er mars 1751, à la suite de la Fête d’Alexandre, comme « un acte nouveau ajouté ».
  274. C’est une note du General Advertiser, à la date du 11 août 1750, qui nous apprend que Hændel s’était blessé très grièvement, entre La Haye et Amsterdam, mais qu’il était déjà hors de danger.
  275. Le fac-simile du manuscrit autographe a été publié par Chrysander, pour le second centenaire de Hændel, en 1885.
  276. Page 182 du mss.
  277. Pour s’occuper, il dirigea deux exécutions du Messie, au profit des Enfants Assistés, le 18 avril et le 16 mai, « avec une improvisation d’orgue ». Il essaya aussi d’une cure à Cheltenham.
  278. Page 244 du mss.
  279. Il subit trois fois l’opération de la cataracte, — la dernière fois, le 3 novembre 1752. Une nouvelle de journal dit, en janvier 1753 : « Hændel est tout à fait aveugle. »
  280. Écrit en 1708, à Rome.
  281. Hændel avait déjà redonné l'œuvre italienne, avec des arrangements et des additions, en 1737. Thomas Morell adapta le poème en anglais, et de deux actes en fit trois.
  282. Ce testament était écrit depuis 1750. Hændel y rajouta des codicilles en août 1756, mars et août 1757, avril 1759. Il nommait sa nièce Johanna Friderica Flœrchen, de Gotha, née Michaelsen, sa légataire universelle. Il faisait beaucoup de dons à ses amis, entre autres à Christoph Smith, à John Rich, à Jennens, à Newburgh Hamilton, à Thomas Morell. Il n’oubliait aucun de ses nombreux domestiques. — Il laissait, à sa mort, une fortune d’environ 500 000 francs, qui avait été refaite entièrement dans ses dix dernières années. Il possédait aussi une collection de beaux instruments de musique, et une galerie de tableaux, parmi lesquels deux Rembrandt.
  283. Un monument, assez médiocre, lui fut élevé. Il était l’œuvre de Roubiliac, qui était déjà l’auteur de la statue de Hændel pour les jardins du Vauxhall.
  284. Elles étaient célébrées, en réalité, un an trop tôt. — Burney consacra un livre à décrire ces fêtes.
  285. Le nombre des exécutants ne cessa point de grandir depuis les fêtes de 1784, où ils étaient 530 ou 540, jusqu’aux fameux festivals du Crystal Palace de Sydenham, où ils furent 1 635 en 1854, 2 500 en 1857, et 4 000 en 1859. — Rappelons que, du vivant de Hændel, le Messie était exécuté par 33 instrumentistes et 23 chanteurs. — On fabriqua, pour ces exécutions gigantesques, des instruments monstres : un double basson (déjà construit en 1727), une contrebasse exceptionnelle, des trompettes-basses, des timbales accordées une octave au-dessous, etc.
  286. Ces arrangements, exécutés pour le baron van Swieten, sont loin d’être irréprochables, et montrent que Mozart, en dépit des assertions de Rochlitz, n’avait pas le sens intime de l’art de Hændel. Cependant, il écrivit une « ouverture dans le style de Hændel », et se souvint certainement de lui quand il composa son Requiem.
  287. La première fut la Singakademie de Berlin, fondée en 1790 par Fasch.
  288. Dans l’Harmonicon de janvier 1824, on trouve ce jugement de Beethoven (cité par Percy Robinson) : « Hændel est le plus grand compositeur qui ait jamais vécu. Je voudrais m’agenouiller sur sa tombe. » Et dans une lettre de Beethoven à une dame anglaise (publiée dans l’Harmonicon de déc. 1825) : « J’adore Hændel. » — On sait qu’après la Neuvième Symphonie, il avait le projet d’écrire de grands oratorios, à la façon de Hændel.
  289. Schumann écrivait à Pohl, en 1855, qu’Israël était son « idéal d’une œuvre chorale » ; et, voulant écrire un Luther, il définissait ainsi cette musique, dont il trouvait l’idéal réalisé par Hændel : « Un oratorio populaire, que paysans et bourgeois puissent comprendre… Une œuvre d’inspiration simple, dont l’effet dépende uniquement de la mélodie et du rythme, sans artifice contrapuntal. »

    Liszt, à propos du Psaume Zadock le Prêtre, s’extasiait devant « le génie de Hændel, grand comme le monde » ; et il apercevait très justement en l’auteur de l’Allegro et d’Israël, un précurseur de la musique descriptive.

  290. Voir, sur l’œuvre de Chrysander, un article de Emil Krause, dans les Monatshefte für Musikwissenschaft, 1904.
  291. Une Société G.-F. Hændel vient de se fonder à Paris, en 1909, sous la direction de deux chefs pleins d’ardeur et d’intelligence, MM. E. Borrel et F. Raugel. Elle a beaucoup fait déjà pour réveiller chez nous l’amour de Hændel, en donnant de grandes œuvres restées jusqu'ici inconnues en France, comme Héraklès, le Foundling Anthem, ou des exécutions modèles du Messie, au Trocadéro.