Håre èt hote/No 11/Les saints de glace


Imprimerie Bénard (No 11p. 9-11).

LXIII.

LES SAINTS DE GLACE


Doudou Colasse, qui a fini ses devoirs et voudrait bien aller jouer, regarde par la fenêtre, d’un air fort piteux, la pluie qui tombe à torrents. Et comme l’averse persiste, si tenace, si désespérante qu’elle semble ne devoir jamais finir, le gamin s’écrie d’un ton rageur :

— Pourquoi est-ce qu’on dit qu’ c’est l’ printemps, paraît, puisque c’est aussi pire qu’en hiver ?

Mme COLASSE, d’un ton qui n’admet ni la réplique, ni la discussion. — Pasque c’est les saints d’ glace.

DOUDOU, médiocrement satisfait. — Pourquoi qu’is font faire laid, les saints d’ glace ?

Mme COLASSE. — C’est comme ça èt pas aut’ment ! N’a pas mesoin qu’on sét pourquoi.

Consciente d’avoir définitivement élucidé la question, pour le plus grand bénéfice moral de Doudou, elle « monte faire ses chambres » avec la satisfaction du devoir accompli.

Joseph COLASSE, qui fumait sa pipe sans oser rien dire. — Ecoute, mi fi, je t’ la vais espliquer, moi, l’affaire des saints d’ glace, sur le temps qu’ ta mère n’est pas là. Mais n’ lui faut pas dire qu’est-ce que ch’ t’ai raconté, sé-tu, pasque ça f’rait encore des margayes. Du temps qu’i-n-avait encore des saints sur la terre…

DOUDOU. — Pourquoi qu’i-gn-en a plus à c’tte heure ?

COLASSE. — Ça, ch’ n’en sé rien… Peut-ète que ceux qu’est encore assez brafes pour l’ète n’est pas assez catholiques… I-n-avait don une fois trois saints…

DOUDOU. — Quoi est-ce que c’était au jusse, des saints ?

COLASSE. — Bin, ça n’ se peut pas mieux r’mette qu’à Antoine de J’meppe, qu’a mouru l’an passé… Is prêchaient les gens pour qu’is soyent brafes, is r’faisaient un houlé ou un croufieû par-ci par-là ; èt quand is ne l’ poulaient pas r’faire, is lui disaient qu’ c’était d’ sa faute… Tout fî pareil qu’Antoine, djans… Ça fait don qu’i-n-avait ’n’ fois trois saints, Mamert, Pancrace èt Servais, qui prêchaient dans l’ même temps èt dans les mêmes parâches. I t’ faut dire que tout saints qu’is ètaient, is s’ faisaient la concurrence comme des enragés, à quî est-ce qu’aurait l’ plus beau mirâque. Voilà qu’un jour, i-n-a ’n’ femme qui va trouver saint Mamert avec un crameû qu’était pèté à trois morceaux.

— Je parîye, dist-elle, que vous n’ pouleriez pas r’faire mon crameû.

— Je vous l’ f’ra voir, moi, dist-i l’ saint, si je n’ le peux pas r’faire.

I prend l’ crameû, i crache sur les morceaux, èt i prîye le bon Djeu qu’i gèle. I fait tout d’un coup si froid que l’ crameû s’ recolle… èt qu’ toutes les fleurs sont engelées sur les arpes à vingt kilomètes autour de lui.

Le lend’main, voilà qu’on va dire à saint Pancrace quel mirâque que saint Mamert avait fait.

— Qu’est-ce que c’est don ça, dist-i, de r’faire un crameû ? Je vous vais montrer bien plus difficile.

I tire un pouyache hors de la barpe d’un homme, i lui crache dans sa figure, i r’met l’ pouyache dessus, èt i prîye le bon Djeu qu’i gèle. I s’ met tout d’un coup à faire si froid que l’ pouyache reprend… èt qu’i-n-a tout un villâche qu’a brûlé c’ jour-là sans qu’on l’ puisse déteinte, pasque toute l’eau était engelée.

Le jour d’après, voilà qu’on va dire à saint Servais quel mirâque que saint Pancrace avait fait.

— Belle affaire ! dist-i ainsi, je vous vais montrer un bien plus clapant.

Il arrache sa patte à une mouche qui passait, i la coupe à cinquante rondês comme de la tripe, i crache dessus, èt i prîye le bon Djeu qu’i gèle. I commence à g’ler si tell’ment fort que la patte se r’met comme d’avance… èt qu’i-n-a vingt-sept gens èt une bèguine qu’ont mouru d’ froid, vu qu’on d’vait prente un marteau pour casser la soupe qu’avait eng’lé dans la marmite en cuisant sur le feu.

Mais un jour, voilà les trois saints qui n’ peufent pas faire un mirâque pour s’empêcher d’ mourir, èt qui s’ présentent au paradis.

— Vous avez fait pèché ! dist-i l’ bon Djeu. Vous avez fait r’monter les poires èt les pommes, brûler un villâche, èt mourir vingt-sept gens et une bèguine. Pour vote pénitence, c’est vous-aûtes qui s’ra les saints d’ glace, èt i f’ra toujours laid le jour de vote fête… ou aux environs, s’i m’arrife de voir un peu bablou.

Et voilà pourquoi qu’i fait froid aux saints d’ glace.

DOUDOU. — Bin, c’est pas eux qu’à èté pûnis, c’est nous-aûtes, puisque je n’ peux pas aller jouer.

COLASSE. — Je l’ sé bien, m’ fi. Mais c’est toujours le même djape, vois-tu, avec le bon Djeu. Depuis l’ père Adam, chaque fois qu’i s’a voulu r’venger, c’est toujours celui qui n’avait rien fait qu’a-t-attrapé les gougnes.