Gwerziou Barz ar Gouet/Préface

R. Prudhomme (p. v-xxi).



KENT-SKRID — KENT-SKRIU


PRÉFACE




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PRÉFACE

Éclairer les esprits sans dessécher les âmes.
Brizeux.


1. — Les diverses pièces qui forment ce livre ont, pour la plupart, déjà paru, soit dans l’ancien Feiz ha Breiz, soit dans la Kroaz ar Vretoned. L’excellent directeur de

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ce dernier journal, M. F. Vallée, a bien voulu m’aider de ses conseils dans le choix et la rédaction nouvelle de ces morceaux. Car, les reprenant en vue d’une publicité moins restreinte, je les ai remaniés librement, en y joignant des traductions en français, parfois aussi en breton de Vannes. Pour ce dernier travail, M. l’abbé Guillevic m’a fait abad Gwilhevik en deus ma skoaziet gant e ouiegez dibaut hag hini barzed gwenedourien eus e anaoudegez.

Ma merc’h Lea he deus sikouret anoñ kals da choaz toniou a zere ous pep pez barzoniez. Eur re bennak a oa bet kinniget d’iñ gant an aut. Vallée hag an aut. Ervoan Ar Moal pe Dir-na-dor, barz ar c’hanaouen-nouu c’houek.

C’hoas em eus da drugarekât an autronez Perrin, moulerien ar Barzaz Breiz, o deus autreet d’iñ hadvoulañ ama tri fennad eus ar penn-ober-ze a varzoniez vrezonek, evel ma c’holennen gante, ha pa dlefe kaout mez dirak soniou ken brao ma gwerziou-me er memes yez, hag ar re am eus græt en galleg war an hevelep danvez, d’esa diskouez pegen kaer eo.

Ahendall e vo kavet, ouspen peziou heuliet a belloc’h, tri fennad anaveet mat, eus barzed gallek, am eus klasket ober d’ar Vretoned tanvât o c’hened dudius.



profiter de sa compétence spéciale et de celle de bardes vannetais de ses amis.

Ma fille Léa m’a beaucoup aidé à choisir les airs pouvant s’adapter à ces poésies. Quelques-uns m’avaient été obligeamment indiqués par M. Vallée et par M. Y. Le Moal, l’harmonieux Dir-na-dor.

J’ai à remercier encore MM. Perrin, éditeurs du Barzaz-Breiz, qui m’ont autorisé à reproduire trois textes de ce

chef-d’œuvre de poésie bretonne, comme je le leur avais demandé, au risque de faire souffrir de la comparaison mes propres vers en cette tangue, comme ceux par lesquels j’ai essayé de faire passer en français les beautés de l’original.

Inversement, on trouvera, en dehors d’imitations moins directes, trois pièces bien connues dans la poésie française, dont j’ai tâché de faire goûter aux Bretons le charme délicat.

2. — Bien des gens se figurent que les amis du breton sont opposés à l’étude du français et aux idées de science et de progrès. C’est une erreur complète.

Le génie national de la Bretagne celtique est distinct de celui des autres parties de la vieille Gaule latinisée par César ; ce n’est pas une raison pour qu’il en soit l’ennemi. Tous deux ont, au contraire, intérêt à se prêter un mutuel appui dans la lutte pour une humanité meilleure, but qui


doit passionner ici-bas tout homme de bien, afin que le droit barbare de la force fasse place de plas en plus à la force salutaire du droit. La langue française est assez belle et assez forte par elle-même pour n’avoir besoin de s’atta- quer à aucune des littératures plus humbles qui peuvent concourir aussi au bon renom de la patrie.

Voit-on que les fleurs des pelouses Meurent a l’ombre du rosier

La liberté des langues est, d’ailleurs, un droit naturel qu’on ne viole pas impunément. « L’Angleterre ne la conteste ni aux Celtes des trois royaumes, ni aux Français des Iles Anglo-Normandes ; elle ne la conteste pas même aux Boers hollandais, conquis pourtant — tandis que chez nous la Bretagne n’a pas été conquise mais



s’est donnée librement, par eontrat, avec sa duchesse Anne[1]. »

Le Breton bretonnant n’en sait pas moins vivre et,

quand il le faut, mourir en bon Français, remplissant avec un zèle consciencieux toutes les obligations attachées à ce nom, comme il en revendique tous les droits. Il perdrait beaucoup de sa valeur le jour où la contrainte le priverait de ce qui est une marque essentielle de sa personnalité ; de même que tout Français qui renonce à ce beau titre pour l’honneur de devenir « citoyen du monde » déchoit au lieu de monter en dignité. Comme le dit un

journal protestant franco-breton, La Cloche d’alarme, de M. P. Passy (1903, n" 1, p. 4)’, « l’internationalisme, pour être fécond, suppose le patriotisme national ; et celui-ci, pour être réel, suppose le régionalisme et le patriotisme de clocher. C’est à cause même de l’indépendance cantonale que le patriotisme est si vivant en Suisse. »

Cette petite république n’en a pas moins quatre langues, non seulement tolérées, mais employées officiellement.

3. — J’espère avoir prochainement une autre occasion d’expliquer quelles raisons m’ont décidé ici dans beaucoup de questions de grammaire et de langue. Il suffit en ce moment de donner quelques éclaircissements pour faciliter la lecture des textes.

L’orthographe bretonne, qui est très supérieure à celle qu’on suit en français, est fondée sur la phonétique. Chaque lettre garde toujours le même son : g et s ne se prononcent jamais j, z.

On peut cependant déroger parfois à ce principe, pour simplifier la notation sans nuire à la clarté. J’ai mis n pour n 7ios«/ devant une consonne [sauf n/, parce que dans cette position la nasalilé est constante ; il en est de même pour les finales vannetaises an, on, gui sonnent comme en français.

D’autre part, voulant atténuer dans l’écriture certaines divergences dialectales de prononciation, je me suis servi souvent des expédients graphiques suivants :

w, lisez en Tréguier ou demi-consonne ; en Léon, u après g, k, par ailleurs v ;

x = trécorois e, léonais ea, ae ;

au = tréc. ù, léon. ao.

Quelques variations de formes, d’une pièce à Vantrb proviennent du caractère dialectal plus ou moins prononcé de ces pièces. Les trois dialectes voisins de Léon, de Coi-, nouaille et de Tréguier peuvent avec avantage se mêler en une seule langue écrite, qu’ils enrichissent tour à tour ae

leurs principales ressources d’expression ; cela n’empêche pas cette langue composite d’admettre plusieurs variétés, d’ailleurs peu tranchées, selon que tel ou tel élément local y domine.

La poésie est particulièrement favorable à cette sorte de mélanges discrets ; ils ne peuvent que profiter au bien général de la langue et à la bonne entente de ceux qui la parlent, en conciliant ces deux qualités si désirables : l’unité et la variété. In necessariis unitas, in dubiis


libertas, in omnibus caritas ; c’est une devise bien connue en Bretagne, et qui mérite d’être appliquée partout.

  1. Pétition pour les langues provinciales au Corps législatif de 1870, par le comte de Charencey, H. Gaidoz et Ch. de Gaulle, Paris, 1903, p. 7, 8 de la Préface de M. Gaidoz.