Gustave III et la Cour de France
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 49 (p. 830-857).
II  ►
GUSTAVE III
ET
LA COUR DE FRANCE

I.
LA SUEDE AVANT L'AVENEMENT DE GUSTAVE III. - L'ANARCHIE ET LES DANGERS EXTERIEURS.

Le principal objet de ce travail est d’étudier, dans un cadre restreint, à l’aide d’un grand nombre de documens inédits, certains épisodes de l’histoire diplomatique et de l’histoire des idées et des mœurs pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les relations de la France avec la Suède durant cette période montrent d’abord, sous Choiseul et Vergennes, quelques-uns des derniers beaux jours du cabinet de Versailles, encore fidèle à ses traditions, conservant pour base l’alliance des états secondaires en vue du maintien de l’équilibre général. Plus tard, quand Gustave III, en face de la révolution française, veut rendre à notre vieille monarchie l’appui qu’il a reçu d’elle, les efforts du roi de Suède auprès des cabinets étrangers pour organiser la contre-révolution forment aussi un curieux ensemble, peu connu. L’occasion s’offre en même temps de montrer ce que fut à cette époque l’imitation de la France au dehors. La Suède, notre ancienne alliée, se trouva plus que jamais conduite par ses intérêts politiques, par ses propres goûts, par ceux du roi qui la gouvernait, vers une étroite adoption de nos idées et de nos mœurs. C’étaient les traits les plus saillans de la société française qu’on s’efforçait, là comme ailleurs, de reproduire, et nous n’aurons pas de peine à les retrouver dans les copies, bonnes ou mauvaises. Si nous recourons en outre aux récits que les étrangers faisaient eux-mêmes de notre propre histoire, à la peinture qu’ils traçaient de nos mœurs, soit dans leurs correspondances entre eux, soit dans leurs livres, alors qu’ils admiraient et voulaient s’approprier notre éclat, nous obtenons une image nouvelle de la France, image le plus souvent sincère, et qui peut servir à compléter ou à rectifier même celle que nous connaissons déjà. Les peintres se servent volontiers, quand leur œuvre s’achève, d’un miroir qui la reflète en l’isolant et en modifiant son aspect. Grâce à l’intervention de ce milieu factice qui ne trouble pas les rapports intimes, l’ensemble du dessin et l’harmonie de la couleur ne sont plus voilés, et tout le relief apparaît. C’est une pareille expérience que j’ai voulu tenter : j’ai interrogé la Suède du temps de Gustave III, qui nous peut servir, à certains égards, de miroir ; je lui ai demandé sous quels traits la France de Louis XV et de Louis XVI lui est apparue, et je me suis efforcé de reproduire fidèlement cette image.

On ne me blâmera pas d’avoir choisi cette période de notre histoire : elle nous tient au cœur. La seconde moitié du XVIIIe siècle est dans nos souvenirs une heure à la fois terrible et charmante, mêlée de contrastes inouïs. Elle est séparée de notre temps par une transformation prodigieuse, il est vrai, mais non par un abîme où se soient perdus toutes les influences et tous les courans : quand on l’étudie, la solidarité qui l’unit à notre XIXe siècle reparaît ; en face des problèmes qui nous agitent à notre tour, cette heure agitée et féconde nous réserve encore des enseignemens. Nous sommes loin cependant de la bien connaître : plus d’une des personnes qui feront figure ici pour avoir honoré la France de leur temps sont à peine nommées dans les livres, et tel mouvement d’opinion qui intéresse au plus haut degré l’histoire de notre ancienne monarchie nous apparaîtra dans un ensemble que le petit nombre de détails jusqu’à présent publiés ne laissait pas soupçonner. Un pieux devoir et un pressant intérêt sont donc à la fois engagés dans cette étude.

Mes principales sources ont été l’immense collection manuscrite des papiers de Gustave III que possède la bibliothèque de l’université d’Upsal, les correspondances diplomatiques et les nombreux mémoires imprimés que la littérature suédoise a produits. Les papiers de Gustave III forment 64 volumes in-folio et 55 in-quarto ; avec beaucoup de minutes écrites de sa main, on y trouve l’innombrable série des lettres qui lui étaient adressées. C’est une source presque entièrement française, d’une authenticité incontestable, d’une variété infinie. Quant aux correspondances diplomatiques, très attentives et très développées dans un temps de relations très intimes, elles conservent inaltéré le reflet des figures et des scènes contemporaines avec l’émotion du moment ; je m’efforcerai, par de simples citations au milieu de mon récit, de rendre ce reflet sans le troubler. J’ai d’ailleurs contrôlé les témoignages que m’offraient les archives d’Upsal et de Stockholm par ceux de plusieurs autres archives, en Danemark et en Allemagne, et surtout par une lecture assidue de nos précieux portefeuilles du ministère des affaires étrangères à Paris.


I

Liée à la France par d’anciens traités, la Suède se trouvait, à la veille du règne de Gustave III, en proie à une profonde anarchie qui la rendait inutile à ses alliés, et qui suscitait à elle-même ainsi qu’à tout le Nord, de la part de ses ambitieux voisins, un danger redoutable. L’anarchie suédoise, dont les suites se sont fait sentir pendant tout le règne de Gustave III, avait des causes lointaines qu’on découvre aisément. Les agitations politiques ou civiles du XVIIIe siècle ont été en grande partie préparées dans l’âge précédent par l’abus que la royauté a fait de son ancienne alliance avec les classes moyennes contre une aristocratie privilégiée. La royauté moderne, alors même qu’elle s’intitulait absolue et de droit divin, avait toujours été, même à son insu, l’organe d’un sentiment d’unité et d’égalité démocratiques. Son tort fut de s’attarder dans un premier triomphe, qui lui paraissait définitif parce qu’elle en recueillait un grand éclat, et de ne pas achever l’œuvre en vue de laquelle l’alliance avait été utilement formée. Cette œuvre était des plus vastes, il est vrai ; il fallait, après avoir élevé les classes moyennes, constituer un organisme intelligent et équitable qui élevât aussi les classes inférieures. À en juger par les premiers siècles de son histoire et par ses origines, la royauté devait trouver en elle-même des forces suffisantes, si elle n’avait laissé se réunir à nouveau les ennemis qu’elle avait une fois vaincus et s’écarter les amis qu’elle s’était d’abord conciliés : conduite imprudente et coupable dont le résultat fut une dispersion de toutes les forces en présence de terribles dangers. Telle fut la marche du développement politique de la France, et les pays du nord de l’Europe, qu’une tradition diplomatique unissait depuis le XVIe siècle à nos destinées, plus rapprochés de nous encore par une certaine communauté de race et de génie, subirent les mêmes vicissitudes intérieures.

Pendant que chez nous l’œuvre de Richelieu et de Mazarin s’achevait entre les mains de Louis XIV, le Danemark en 1660 et la Suède en 1680 livraient à Frédéric III et à Charles XI une puissance absolue. La date de 1680 est particulièrement le pivot de l’histoire constitutionnelle de la Suède. Il y avait eu dans ce pays une puissante noblesse, celle qui se pressait jadis autour de Gustave-Adolphe, et qui avait donné les Oxenstiern, les Baner, les Torstenson et les Wrangel. Après avoir glorieusement servi sur les champs de bataille, cette noblesse s’était enrichie soit des dépouilles de l’Allemagne à la suite de la guerre de trente ans, soit des libéralités excessives des rois, qui, pour subvenir aux dépenses incessantes de la guerre extérieure, payaient les secours et les bons offices en morcelant le domaine de la couronne. L’opulence et l’inaction corrompirent les héritiers de ces nobles que la valeur et le dévouement avaient élevés ; les paysans, que la couronne avait traités avec humanité sur ses anciens domaines, se virent réduits à un dur servage pendant que de nouveaux latifundia, formés au détriment de la couronne, menaçaient d’étouffer le pays sous un vaste réseau de monopoles et de privilèges. La jalousie et les craintes légitimes de la nation se firent jour dans la diète qui siégeait à Stockholm ; les trois ordres du clergé, de la bourgeoisie et des paysans pouvaient, en se réunissant, fournir contre l’aristocratie des armes à la royauté, si elle voulait reprendre son ancien ascendant. Ils s’offrirent ; l’impétueux Charles XI ne laissa, pas échapper cette occasion de revendiquer ses droits et quelque chose de plus ; autorisé par les représentans des ordres inférieurs, il opéra, non sans violence, la fameuse réduction par laquelle il reprit les domaines que la couronne avait jadis aliénés. « Il s’appliqua avec trop de succès, dit Saint-Simon, son contemporain, à la destruction radicale de l’ancienne et grande noblesse, à laquelle il substitua des gens de rien… Le genre obscur et cruel de la longue maladie dont il mourut a fait douter entre la main de Dieu vengeresse et le poison. » Par de telles atteintes, la royauté transformait une manœuvre purement politique en une révolution sociale à son profit. Une fois la grande propriété détruite aux mains de la noblesse, cet ordre parut compter à peine dans l’état ; comme en France, le milieu qui subsistait entre la royauté et le peuple fut détruit ; les représentans de ce peuple ayant abdiqué au profit de la couronne, celle-ci se trouva seule et souveraine maîtresse : il fut déclaré que sa volonté faisait la loi, et que nulle constitution ne la devait enchaîner. C’est ce que proclama pendant sa courte durée la diète de 1680 : l’absolutisme royal fut établi en Suède pour une période de quarante années.

Si la royauté ne demeura pas souveraine plus longtemps encore, ce fut sa faute. Charles XI et Charles XII abusèrent d’un pouvoir sans contrôle ; ce dernier surtout, par des fautes que les petits-fils ont pardonnées en faveur de la gloire, mais dont les contemporains souffrirent jusqu’à l’excès, ruina le pays au dedans et au dehors. Les élémens d’une réaction s’accumulèrent. Charles XI, pour mieux abattre la puissance de l’aristocratie, avait prodigué et par là même avili les titres ; tout fonctionnaire de quelque rang, tout officier de certain grade avait pu espérer sous son règne de fonder une maison. On avait vu se créer de la sorte une noblesse inférieure rivale de l’ancienne, mais naître aussi des vanités et des prétentions ambitieuses, qui comptaient bien, quand le joug ne s’appesantirait plus, se satisfaire : il était facile de prévoir une coalition de ces espérances avec les ressentimens de la vieille aristocratie. Un autre ferment s’y ajouta : ce fut ce qu’on pourrait appeler l’effervescence parlementaire, l’impatience qui excitait la diète suédoise à revendiquer sa part dans le gouvernement. Les ordres inférieurs n’avaient pas cru naguère travailler à l’avantage exclusif de la royauté ; ils avaient vu son triomphe absolu avec satisfaction d’abord par haine de la noblesse, avec un certain dépit ensuite, se trouvant eux-mêmes subjugués, et ils aspiraient à prendre en main ce qu’ils nommaient dès lors la cause des libertés publiques, c’est-à-dire qu’ils voulaient imposer à la royauté une constitution, et se faire dans le nouvel établissement une belle place, suivant l’exemple du parlement d’Angleterre. La noblesse, hier leur ennemie et maintenant leur complice, sut habilement s’emparer de ces velléités inquiètes et les tourner, pour quelque temps du moins, à son profit. Tel fut le sens et tels furent les élémens, en apparence contradictoires, du nouveau changement qui, aussitôt après la mort de Charles XII, enleva à la royauté son absolutisme pour le transporter à la diète. Une nouvelle période s’ouvrit qui devait durer plus de cinquante ans, de 1718 à 1772, c’est-à-dire de la mort de Charles XII au coup d’état de Gustave III, et pendant laquelle l’aristocratie suédoise, dominant la diète en face d’une royauté qui expiait ses fautes et d’une nation divisée, donna pleine carrière à son avidité et à ses récriminations égoïstes. Cette période, la noblesse l’a surnommée le temps de la liberté (frihetstiden) ; mais la postérité n’y peut reconnaître qu’une époque de dissensions intestines et de misérable anarchie. Il faut en distinguer au moins les principaux traits pour pouvoir apprécier le rôle que Gustave III fut appelé à jouer plus tard et toute l’histoire de la Suède pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, histoire si mêlée à la nôtre.

La chute de l’absolutisme royal était devenue inévitable au moment de la mort de Charles XII. Tandis qu’éloigné de son royaume dix-huit années durant, il compromettait au dehors l’édifice de gloire élevé par Gustave-Adolphe et par ses grands capitaines, ses ordres irréfléchis venaient exiger au dedans toujours de nouvelles levées d’hommes et d’impôts ; l’épuisement de la nation, joint au malheureux effet des désastres militaires, avait failli le faire détrôner ; la balle de Frederikshall était venue à temps pour épargner à la Suède cette honte, mais non pour prévenir les conséquences fatales du despotisme. Deux graves circonstances étaient de nature d’ailleurs à enfanter l’anarchie. La première était l’incertitude de la succession : Charles XII ne laissait pas d’héritier direct, sa sœur aînée et son mari, le duc de Holstein, étaient morts ; mais leur fils, Charles-Frédéric, survivait : contre ce prétendant, la seconde sœur du roi, Ulrique-Éléonore, mariée au prince de Hesse, réclamait la couronne. Charles XII lui-même n’avait pris aucune disposition ; non obéi pendant les dernières années de sa vie, il n’avait pas demandé qu’on lui obéît après sa mort. La seconde circonstance était l’impérieuse nécessité de conclure promptement la paix avec la Russie, soit pour mettre un terme aux prétentions que le cabinet de Pétersbourg puisait dans l’enivrement de ses récentes victoires, soit pour apporter enfin un soulagement à la misère de la nation. L’esprit de parti exploita ces difficultés, et la diète, où la noblesse reprenait le dessus, au lieu de songer au patriotique dessein de fermer tant de blessures, abusa du malheur des temps. Ulrique-Éléonore monta sur le trône par le choix des états, en acceptant toutes les conditions qu’on lui voulut prescrire, et elle fut bientôt remplacée par son mari, le faible Frédéric Ier, qui allait régner plus de trente ans (1720-1751) ; le jeune duc de Holstein fut ainsi éloigné, précisément parce que son élévation eût consacré le droit de l’hérédité. Comme il était le candidat de la Russie, on essaya de désintéresser le tsar en lui cédant tout ce qu’il voulut s’arroger des anciennes possessions de la Suède. On eut ainsi à l’intérieur la funeste constitution de 1720, au dehors la paix honteuse de 1721.

La constitution de 1720, dictée par l’aristocratie suédoise, fut une œuvre d’égoïsme irréfléchi. On conservait une royauté et un sénat, mais c’était entre les mains de la diète que résidait l’intégrité de la puissance suprême. La diète, composée des quatre ordres ou états, s’assemblait tous les trois ans et ne pouvait être dissoute que par elle-même. Indépendante du roi et du sénat, elle avait les mêmes pouvoirs qui n’étaient possédés par les deux chambres d’Angleterre que conjointement avec le roi. Le pouvoir législatif lui appartenait sans limites ; elle décidait seule la paix ou la guerre, elle s’arrogeait le pouvoir judiciaire en évoquant à son gré devant une de ses commissions les causes qui étaient du ressort des cours souveraines ; enfin son autorité se concentrait dans un comité secret, purement à sa nomination, qu’elle composait d’un certain nombre de membres des trois premiers ordres, et qui était, à vrai dire, en possession du pouvoir exécutif. — Les sessions terminées, c’était le sénat, non le roi, qui recueillait toute cette puissance ; mais le sénat lui-même, ancien refuge de la haute noblesse, était entièrement sous la main de la diète. En effet, chaque sénateur, nommé pour trois ans, ne pouvait être choisi par le roi que sur une liste de trois candidats proposés par elle ; le sénat était responsable envers la diète seule de son administration pendant l’intervalle des sessions, et les états pouvaient exclure de cette haute assemblée tout membre dont ils désapprouvaient la conduite. Par le sénat, la diète imposait au roi toutes ses volontés ; pour tout emploi d’une certaine importance, militaire ou civil, le roi ne pouvait nommer que sur une liste présentée par les sénateurs, qui disposaient directement et à la pluralité des voix des postes les plus élevés. D’ailleurs le sénat s’assemblait sans convocation royale, prenait connaissance des correspondances diplomatiques, traitait les plus graves affaires même en l’absence du roi, et ne lui laissait que le soin d’apposer sa signature à des décisions qui n’étaient pas les siennes. — Le roi ne différait des autres sénateurs qu’en ce qu’il avait deux voix dans leurs délibérations, et que son opinion, en cas de partage, était décisive ; mais du reste il n’avait pas même le droit de se prononcer légalement contre les propositions des états. Il ne pouvait, sans leur consentement, ni faire la paix ou la guerre, ni conclure des traités, ni lever des troupes, ni équiper des flottes, ni construire des forteresses ; il dépendait de la diète pour les crédits d’argent, qu’elle lui mesurait avec avarice ; il n’était pas libre dans l’économie de sa maison et le choix de son entourage ; il n’avait pas même le droit entier de faire grâce, puisque le sénat pouvait infirmer sa résolution. La dignité royale n’en était pas moins proclamée inviolable et héréditaire ; le roi pouvait, en de certaines limites, faire des comtes et des barons et introduire de nouveaux membres dans la chambre des nobles ; il était enfin la source visible, mais non réelle, de toutes les grâces : c’était une royauté de nom ; on avait, pour condescendre aux vieux préjugés encore subsistans dans la masse de la nation, conservé le titre plutôt que l’office de roi.

La diète gouvernait donc, mais dominée elle-même par la noblesse, dont la constitution de 1720 était l’œuvre. Des quatre états, celui des paysans était fort peu compté : il acceptait par exemple d’être exclu du comité secret en qui résidait le pouvoir exécutif ; les bourgeois, en acquérant une certaine richesse, n’avaient pas obtenu une part considérable d’autorité ; le clergé faisait enfin cause commune avec la noblesse en tâchant de s’élever jusqu’à elle. Cependant cette noblesse était pauvre : les anciennes maisons avaient été ruinées par la réduction, et les nouvelles n’avaient pour fondateurs que des fonctionnaires, des parvenus. Aux unes et aux autres la corruption politique, sous la forme de la vénalité, s’offrit comme unique ressource. Les chefs de famille avaient seuls droit de siéger aux états, mais beaucoup ne voulaient ou ne pouvaient payer les frais de déplacement et de séjour dans la capitale pendant la durée de la diète ; il était permis alors de transmettre les pleins pouvoirs à quelque autre noble qui, après cela, pouvait agir et voter librement à la place du titulaire. Les pleins pouvoirs devinrent donc bientôt pure marchandise entre les mains des partis. D’ailleurs la plupart des nobles ne vivaient que d’emplois, et, comme tous les fonctionnaires, ils étaient à la discrétion du sénat ; les sénateurs eux-mêmes n’avaient souvent d’autres revenus que les gages de leur office, et nous avons dit que l’assemblée des états pouvait les destituer. Il résultait de ces combinaisons funestes que les sénateurs s’efforçaient, pour rester en place, d’acheter un parti parmi les membres de la diète, et que les nobles siégeant aux états vendaient à l’avance leur droit de nomination. Avec quelque expérience d’un mécanisme si ingénieux, on pouvait à prix d’or accaparer tout le gouvernement ; certaines cours étrangères, intéressées à faire servir la Suède à leurs desseins, ne manquèrent pas de s’arroger ce privilège ; la France elle-même ne s’en abstint pas. On sait d’ailleurs que la vénalité politique était générale en Europe au milieu du XVIIIe siècle ; on sait ce qu’elle était par exemple en Angleterre, alors que Walpole demandait au cardinal Fleury l’envoi de 3 millions pour les distribuer au parlement, seul moyen, disait-il, de conserver une majorité suffisante en faveur de la paix.

La situation intérieure s’aggravait d’embarras venus du dehors. Par la paix de Nystad, signée en 1721, le cabinet de Saint-Pétersbourg avait donné sa garantie, qu’il devait renouveler plus tard avec une si dangereuse persistance, au maintien de l’anarchique constitution suédoise de 1720, et la Suède avait perdu ces belles provinces des bords de la Baltique, la Livonie, l’Esthonie, l’Ingrie, la Carélie, glorieusement acquises sous Gustave-Adolphe et Christine. Ces possessions l’avaient entraînée, il est vrai, dans de perpétuelles guerres sur le continent, mais avaient fait son renom en Europe. C’était un profit pour elle d’y renoncer, si désormais elle tournait son activité vers les intérêts de sa prospérité intérieure avec l’appui d’un ferme gouvernement ; sinon, c’était le signal de sa décadence. En tout cas, bien qu’il lui restât de l’autre côté de la Baltique la Poméranie et la Finlande, elle n’en abdiquait pas moins le rôle important qu’elle avait jadis rempli au dehors, et la Russie, grandissant chaque jour, commençait à prendre sa place. Il y eut toutefois, après la mort de Charles XII, environ vingt années d’une paix profonde pour la Suède. Le pays respira, se remit un peu de l’oppression qu’il avait subie, et reprit heureusement quelques forces pour les épreuves qu’il allait avoir à subir encore ; mais ce repos ne pouvait durer, et les rivalités issues du milieu même des vainqueurs, c’est-à-dire du sein de la noblesse, enfantèrent bientôt les dissensions qui devaient ouvrir la Suède aux influences étrangères.

C’était particulièrement la vieille noblesse qui avait conduit jusqu’à ses dernières limites le triomphe de 1720. On attribuait à son chef, le comte Arvid Horn, la plus grande part dans l’œuvre de la constitution nouvelle. Orgueilleux et austère, renommé pour sa brillante valeur sur les champs de bataille de Charles XII, de plus religieux et charitable, le comte représentait fidèlement les préjugés et les vertus de la vieille aristocratie. Il se trompait d’époque lorsqu’il croyait pouvoir supprimer l’autorité royale au profit exclusif de sa caste ; mais du moins il apportait dans les affaires, lui et ses amis, une expérience et des souvenirs qui manquaient à la jeune noblesse. Son gouvernement se montra essentiellement conservateur, et la paix dura tant qu’il fut au pouvoir. Cependant les jeunes nobles étaient jaloux de cette autorité exclusive ; pour en obtenir une part, ils appelèrent à eux la popularité : ils ne craignirent pas d’exciter à nouveau les instincts guerriers de la nation en réveillant ses haines mal éteintes, et l’alliance traditionnelle avec la France leur parut offrir le plus sûr moyen de réaliser ce plan funeste. Il avait fallu toute la fermeté du comte Arvid Horn pour résister aux intrigues du ministre Görtz, qui, d’accord avec le fameux Alberoni, eût voulu soulever une guerre générale en Europe. Cette fermeté échoua contre la dextérité du nouveau chef de la jeune noblesse, le comte Charles Gyllenborg. D’une famille dont l’élévation ne datait que du règne de Charles XII, mais brillant et spirituel, plein de ressources, peu scrupuleux sur les moyens, agréable au roi et à une partie de la cour par des mœurs faciles et légères, doué d’une parole élégante qui servait utilement son esprit d’aventure, le contraire en un mot de ce qu’était Arvid Horn, Gyllenborg entreprit d’entraîner l’opinion publique et de la faire servir à ses desseins. Les expédiens qu’il appela à son aide étaient de ceux qui conviennent aux guerres civiles, et que les discordes allaient bientôt populariser dans les différens états de l’Europe : c’étaient les pamphlets et les clubs, importations anglaises de bonne heure accueillies en Suède. Gyllenborg persuadait à la nation que le temps était venu de venger les injures qu’on avait subies naguère, et de reprendre les provinces cédées à la Russie. Précisément la France était engagée alors dans la guerre de la succession de Pologne ; elle y soutenait, depuis la mort d’Auguste II en 1733, un intérêt de famille, et demandait que la Suède envoyât un corps auxiliaire au secours de Stanislas, beau-père de Louis XV. Le ministre de France à Stockholm proclamait que sa cour était décidée à rétablir l’ancien système du Nord en relevant la Suède pour l’opposer à la Russie. Une partie intégrante de ce système avait toujours été la coopération de la Suède avec la Pologne et les Turcs, afin d’obtenir des diversions constantes. Cependant il y avait dans la diète et la nation même des oppositions et des scrupules contre la guerre. Gyllenborg entreprit de les étouffer sous le fracas des acclamations qu’il saurait faire naître. Il appela à lui tout ce qui se vantait d’être jeune, brillant, instruit, et qui voulait passer, ne fût-ce que par vanité, pour ami de la France et ennemi des Russes. Il eut en grand nombre les officiers et les femmes. L’agitation commença dans les cercles voisins de la cour : une dame d’honneur de la reine ayant porté un toast en faveur de la guerre, une autre dame d’honneur répondit par un toast contraire. « Ces deux santés, dit un contemporain, se répandirent dans toute la capitale. Il n’y eut presque pas une maison bourgeoise où elles ne mirent la désunion et ne partagèrent les familles. L’esprit de faction passait des classes moyennes aux soldats et au peuple. On buvait et on se disputait partout. Il n’y eut pas jusqu’aux garçons de boutique et aux crocheteurs qui n’en vinrent aux mains pour la France ou pour la Russie. » Bientôt chacun des deux partis accepta une désignation spéciale et un signe de ralliement. Suivant le même témoin, « les femmes qui avaient porté leurs maris à abandonner leurs sentimens pacifiques, ou celles qui s’étaient rangées du côté de la jeunesse malgré les sentimens de leurs maris, furent régalées par quelques jeunes héros de rubans plies ou même de tabatières et d’étuis travaillés en forme de chapeau. » Le chapeau était en effet la coiffure française, adoptée par le parti français ou de la guerre, tandis que la coiffure commune du peuple suédois était une sorte de bonnet, comme en Russie[1]. Le parti de la guerre ne tarda pas à l’emporter, car l’esprit belliqueux s’était emparé de la nation tout entière : on eût dit que l’ombre de Charles XII hantait de nouveau la Suède et réapparaissait à ses anciens sujets. Le vieux comte Arvid Horn, disgracié, alla mourir dans la retraite ; un nouveau traité avec la France fut conclu, et, sous la domination exclusive du parti des chapeaux, le pays se vit lancé au dehors dans de nouvelles aventures, tandis que la royauté était au dedans soumise à de nouveaux affronts.

La Russie ne fit que profiter de tant de fautes. Les Suédois, l’ayant attaquée étourdiment sur la frontière de Finlande sans préparatifs suffisans, sans hôpitaux militaires, presque sans armée, furent taillés en pièces ou obligés de se rendre honteusement (1741-1743). La cession forcée d’une partie de la Finlande préluda tristement à l’œuvre qui devait s’achever en 1809, et dans Stockholm les hommes qui étaient devenus maîtres du pouvoir firent mettre à mort les deux généraux qu’ils avaient eux-mêmes envoyés à un désastre inévitable : justice incomplète et barbare, digne d’une république mal réglée et aux abois, premiers pas dans une voie d’excès et de violences où il était désormais difficile de s’arrêter avant la ruine dernière. Le même parti qui avait commis ces fautes, en se débattant pour conserver le pouvoir, n’hésitait plus à engager une lutte ouverte contre la royauté même. À l’issue de la récente guerre, la Russie victorieuse avait imposé à la Suède l’élection d’Adolphe-Frédéric, évêque de Lübeck et duc de Holstein-Gottorp, comme héritier du vieux roi Frédéric Ier, qui était sans enfans. Sa femme, Louise-Ulrique, était la sœur du roi de Prusse, Frédéric II ; elle s’en vantait sans cesse ; avec beaucoup d’esprit et de beauté, elle montrait une humeur dominatrice et hautaine qui s’accommodait mal des conditions auxquelles son mari avait accepté sa nouvelle couronne. Les états s’en aperçurent, prétendirent aggraver le joug dont elle voulait s’affranchir, et commencèrent de la sorte une lutte destinée à devenir sanglante. Le récit de cette lutte serait presque déjà l’histoire de Gustave III, car c’est dans cet humiliant spectacle qu’il puisa la résolution de rétablir un jour à tout prix les droits de la royauté. Le comité secret, en qui résidait la toute-puissance, commença par interdire au souverain de recevoir sans sa permission les ministres étrangers, en le menaçant de lui ôter sa couronne et de le renvoyer en Allemagne, s’il n’obéissait pas ; mais l’insolence de la diète parut tout entière, ridicule et puérile, dans la fameuse affaire des joyaux de la couronne. Sur la délation d’une de ses dames d’honneur, la reine Louise-Ulrique[2] se vit accusée, le 6 avril 1756, d’avoir engagé à Hambourg les principaux diamans de l’état pour corrompre une partie de l’assemblée et se créer des partisans. L’enquête ordonnée par la diète, en pénétrant dans sa vie privée, l’offensa comme femme et comme reine ; à ses récriminations ardentes on répondit par une incroyable remontrance dans laquelle on disait au roi : « La reine est venue dans ce royaume pour être l’épouse de votre majesté, non pour augmenter les difficultés du gouvernement… Si des personnes placées à côté de votre majesté suivent une route qui s’écarte des engagemens contractés par elle devant Dieu et le royaume, et par conséquent de nos intentions et de nos vues, elles tendent, ou bien à introduire deux gouvernemens, l’un s’appuyant sur les lois, l’autre les méconnaissant, ou bien à rendre le roi étranger à la constitution et à la renverser… Les états ne souhaitent pas que votre majesté change de sentimens à l’égard de la reine, mais que la reine en change à l’égard du royaume. Ils s’en rapportent humblement sur ce point aux soins paternels de votre majesté, et se réjouissent de n’avoir pas besoin de recourir aux moyens que Dieu et leur droit ont rais entre leurs mains… Ils prient votre majesté d’être, sans que personne s’en mêle, maître dans sa cour et roi dans son royaume… La constitution leur a donné le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; mais ce seraient des droits sans effet, si quelque résistance ou quelque censure y pouvait mettre obstacle. Aussi votre majesté s’est-elle engagée par un serment solennel à être toujours d’accord avec les états assemblés, de manière que leurs actes soient réellement ou paraissent être son bon plaisir. »

Telles étaient les prétentions et au besoin les menaces des états. Adolphe-Frédéric, indolent et léger, n’était pas homme à leur faire baisser le ton : il accueillit la remontrance, descendit à excuser la reine, à s’excuser lui-même, et reçut pour récompense un nouvel affront. Ce fut à la suite de ces débats en effet que les états imaginèrent l’estampille, dont ils devaient conserver le dépôt ; c’était « leur humble avis que, dans toutes les affaires sans exception où la signature du roi avait été requise jusqu’alors, le nom de sa majesté fût apposé dorénavant à l’aide de cette estampille toutes les fois que sa signature ne suivrait pas de plein gré la première ou la seconde réquisition. » En agissant de la sorte, ils cédaient seulement, disaient-ils, à cette considération que « le grand nom de roi rend les commandemens plus respectés et les expéditions plus efficaces : » aveu naïf de l’extrémité qu’ils n’eussent pas craint d’affronter en supprimant même le nom de roi, n’eût été l’attachement de la nation à la vieille institution monarchique. Telle était l’infatuation de cette aristocratie, qui ne possédait cependant elle-même qu’un titre avili par ses violences passées, sa corruption présente et son entier dénûment.

Malgré l’excès de son humiliation, la royauté vit néanmoins se grouper autour d’elle, en ces vicissitudes civiles, non-seulement certains membres du parti des bonnets, qui aspiraient à reprendre du crédit par son alliance, sauf à la renier plus tard, mais l’ordre entier des paysans, imprudemment dédaigné par les vainqueurs. Une révolte des Dalécarliens, venus en armes jusqu’aux portes de la, capitale en demandant un roi, avait naguère empêché les états de proclamer une sorte de république aristocratique ; les murmures : des paysans, les protestations même de cet ordre pendant la diète de 1756 contre les insultes dont on abreuvait la royauté, furent un nouvel avertissement. L’impatience de la reine s’en empara pour autoriser secrètement la formation d’un complot. Elle comptait sur les ouvriers du port et sur quelques compagnies de la garde ; on devait, pendant la nuit du 21 juin 1756, cerner la diète et les domiciles de ses principaux chefs, occuper les salles du parlement pour empêcher ses réunions ultérieures, procéder à quelques arrestations nécessaires, acclamer le roi et la reine, qui paraîtraient à cheval pour se mettre à la tête du peuple, et convoquer dans une autre ville une diète qui décernerait à la couronne une nouvelle puissance. Les précautions étaient mal prises, et le complot échoua. À minuit (en pleine lumière à cette date sous ce climat), quand le roi et la reine, des fenêtres du château qui donnaient sur le port et la grande place, cherchèrent à reconnaître leurs amis, ils aperçurent de nombreuses patrouilles qui occupaient les avenues et dispersaient les groupes ; tout était perdu : un caporal de la garde avait dénoncé la veille les projets de la cour, et y avait gagné, avec cent mille rixdales, des lettres de noblesse. Cette journée des dupes fit un grand nombre de victimes. Une commission des états s’érigea en haute cour de justice secrète : le comte Éric Brahé, qui avait dans ses caves huit cents cartouches, fut condamné à mort et décapité avec cinq ou six officiers sur une des places de Stockholm ; quelques autres n’échappèrent au dernier supplice que par la fuite ; la chambre aux roses[3], que Gustave III devait seul faire disparaître.à jamais, fut rouverte ; plus de cinquante personnes subirent la prison, le pilori et les amendes. Tels furent les traitemens réservés aux coupables du second et du troisième ordre ; mais il y en avait d’autres plus haut placés qu’on voulait surtout atteindre. On ne se contenta pas de l’humiliation cruelle que durent causer au roi et à la reine les supplices de leurs amis, qu’ils étaient impuissans à sauver ; une députation du clergé leur vint lire à haute voix une nouvelle remontrance où étaient énumérés tous les efforts que la reine avait tentés pour s’affranchir, tous les complices qu’elle s’était initiés, tous les échecs qu’elle avait subis. La reine put se convaincre qu’il y avait eu autour d’elle plus d’un traître, et qu’en dehors des perfides il ne restait plus que des victimes. La sœur du grand Frédéric écouta cette lecture avec un dédaigneux silence, quelquefois entrecoupé de larmes ; puis elle dut signer une déclaration en vertu de laquelle elle désavouait ce qui s’était passé et se déclarait entièrement satisfaite. Elle subit un autre dégoût, l’année suivante, en voyant le parti des chapeaux, qui abusait étrangement de son triomphe, conclure, le 22 septembre 1757, une alliance avec la France et l’Autriche contre Frédéric II. La Suède se voyait engagée par là dans la guerre de sept ans, comme quinze ans plus tôt dans la guerre contre la Russie. Elle allait y recueillir de nouvelles hontes, dont le premier résultat devait être de renverser à l’intérieur le parti dominant pour y substituer le parti contraire.

De tels désordres entraînaient inévitablement la misère profonde et la démoralisation du pays. Toute l’administration, particulièrement celle des finances, était restée confiée au comité secret des états ; encore beaucoup d’affaires délicates échappaient-elles à ce comité pour ne dépendre que d’une commission dite secrétissime, choisie dans ses rangs. On imagine combien d’abus avaient grandi à la faveur de cette obscurité. La banque avait fabriqué du papier-monnaie au gré des partis, elle prêtait aisément ; ceux qui possédaient encore de grandes propriétés les engageaient ; le luxe, la cherté des denrées, les vicissitudes de la confiance publique et les spéculations éhontées, la corruption et la misère avaient épuisé les forces de la Suède. Les diètes n’étaient plus que des marchés publics où chaque vote devenait l’occasion d’un trafic entre les représentans du pays et les ministres des cours étrangères. Russie, Angleterre, Prusse et France se disputaient à prix d’argent l’autorité ; la France n’avait maintenu sa prééminence pendant toute la domination des chapeaux qu’au prix de sommes inouïes. Après avoir encore dépensé pour la diète qui se termina au mois de juin 4,766 1,830,000 francs, elle désespérait de pouvoir continuer cette lutte ruineuse, comme le prouve la correspondance du baron de Breteuil, notre ambassadeur à Stockholm :


« Mes deux principaux adversaires, les ministres anglais et prussien, écrit-il au commencement de janvier 1766, répandent un argent prodigieux que mes fonds ne peuvent balancer. Je m’occupe cependant des moyens d’en arrêter les effets. Je suis en pleine négociation avec les principaux prêtres et bourgeois du comité secret. Je cherche à ne former que des engagemens payables après leur entière exécution. Cette méthode a de la peine à prendre, mais je n’en veux pas sortir. J’ai été trop souvent trompé depuis le commencement de la diète pour vouloir confier encore au hasard des sommes considérables. — 31 janvier. J’ai affaire à des gens trop écartés de toute décence, et de plus à une profusion d’argent qu’il m’est impossible de surmonter. Je supplie le roi de vouloir bien ajouter à ses bienfaits pour le soutien du parti patriotique la somme de 200,000 livres, outre les 100,000 ci-dessus. — 14 février. Le comte de Rosenadler, qui vient de quitter le ministère, a perdu, en renonçant à sa place de sénateur, 8,000 écus… Si le roi voulait faire à ce vieux seigneur la grâce de lui donner une pension de 12,000 livres, il aurait de quoi vivre avec décence dans sa retraite. — 28 février. Les bonnets ont répondu au mémoire de M. le comte de Fersen, chef des chapeaux. Ce grand républicain a soutenu dans le plenum du 25 une ardente discussion mêlée de cris furibonds ; cent cinquante de ses amis avaient juré de ne pas sortir avec une goutte de sang de la chambre des nobles, si la majorité n’était pas pour eux. Il m’avait fait passer un billet la veille ; j’ai mis de l’argent à sa disposition… Les bourgeois, malgré leurs promesses et tout ce que j’ai fait pour eux, m’ont encore manqué avec une friponnerie sans égale ; j’abandonne sans retour les trois derniers ordres pour ne me tenir attaché qu’à la noblesse. »


Le cabinet de Versailles dut renoncer même au concours si chèrement payé de cette noblesse, et vit pendant les premiers mois de 1766 le gouvernement suédois conclure un traité d’amitié avec l’Angleterre. C’était rompre ouvertement avec nous et nous braver. Le duc de Choiseul était alors au pouvoir ; il crut le temps arrivé de changer de maximes et de conduite, de montrer une tardive énergie et d’autres armes que celles d’une avilissante et stérile corruption. Peut-être soupçonnait-il le redoutable complot que les puissances voisines de la Suède, profitant de son anarchie, avaient tramé dans un profond secret contre l’existence même de cet état, notre allié naturel, et contre tout l’équilibre du Nord.


II

L’histoire de la diplomatie européenne au XVIIIe siècle est encore à faire, et c’est à peine si les documens en sont réunis. Nous sommes loin de connaître toute la série des nombreux traités conclus alors, et les textes déjà publiés, par exemple dans le grand recueil de Martens, sont fréquemment incomplets : beaucoup d’articles secrets, qui souvent contiennent les véritables intentions des cours, soigneusement dissimulés à l’origine par les cabinets, se retrouvent. aujourd’hui dans la poussière des archives, d’où nous commençons seulement à les tirer. Cette sorte d’exhumation intéresse au plus haut point l’histoire, puisqu’elle lui rend l’explication et lui dévoile les causes d’effets imparfaitement compris ; elle ne profite pas à l’honneur de la diplomatie, qui, pendant le XVIIIe siècle, a commis ou médité plus d’une entreprise détestable. Voici par exemple un épisode encore à peine connu, et qui peut servir de pendant à l’œuvre funeste du partage de la Pologne. Déjà, en publiant dans la Revue l’article secret d’un traité conclu en 1769 entre la Russie et la Prusse, nous avons émis cette conjecture, que les deux cabinets de Berlin et de Pétersbourg avaient conçu le projet de démembrer la Suède comme la Pologne ; nous croyons être aujourd’hui en mesure de démontrer, par de nouvelles preuves, que les deux démembremens ont été en effet préparés à la fois. Chacun des traités qui se rapportaient à la Pologne entraînait quelque article secret dirigé contre la Suède ; les deux cours principales invoquaient ici les mêmes argumens que dans les affaires polonaises, et appelaient aussi un troisième copartageant ; les articles, secrets des traités désignaient enfin d’une manière expresse et à l’avance les différentes parts. Il est difficile de calculer quelles eussent été, si le complot tramé contre la Suède eût réussi, les dernières conséquences d’un tel acte. Tous les obstacles qui arrêtaient la marche envahissante de la Russie contre l’Europe centrale se seraient abaissés. S’emparant dès lors de toute la Finlande, elle aurait développé son empire maritime d’abord sur la Baltique et bientôt sur la Mer du Nord par les ports de la côte norvégienne, que détenait le Danemark, devenu son complice, pendant que la Suède, amoindrie et tenue en échec par les Danois, dépouillée par la Prusse de sa dernière province allemande, eût été forcée de renoncer aux diversions qui inquiétaient et compromettaient sans cesse l’action des armées et de la diplomatie moscovites contre l’empire ottoman.

Les intérêts de la Suède n’ont jamais cessé entièrement d’être liés avec ceux de la Pologne. Ces deux nations avaient été rivales et s’étaient combattues pendant le XVIe siècle. La paix d’Oliva, en 1660, avait consacré, par la cession des provinces baltiques de Livonie et d’Esthonie, la victoire définitive des Suédois ; mais bientôt de nouveaux ennemis, grandissant vite en puissance, avaient également menacé les deux peuples : en face de la Russie et de la Prusse, pour qui leur abaissement paraissait devenir une condition indispensable, leur cause était devenue commune. Après un demi-siècle à peine d’hostilités ouvertes, les cabinets de Pétersbourg et de Berlin recoururent aux négociations secrètes et perfides. C’est Frédéric II, sans nul doute, qui a précédé, dans l’histoire des malheurs de la Pologne, l’impératrice de Russie, et ce triste honneur paraît lui revenir encore, si l’on considère attentivement sa politique envers la Suède. On le voit, dès les premières années de son règne, négocier des alliances de famille qui semblent être de nature à favoriser dans l’avenir l’exécution de ses desseins. Il marie sa sœur Louise-Ulrique à l’héritier du trône de Suède et fait épouser par l’héritier de Russie la future Catherine II. Il poursuit avec une ardeur opiniâtre la conclusion de ces deux mariages, du second surtout, par lequel, écartant du trône de Russie une princesse de la maison de Saxe, il prive d’un important appui la Pologne, où règne cette maison, et place à côté du grand-duc, déjà son admirateur et son ami, une jeune princesse allemande, âgée seulement alors de quatorze ans, et qui pourra devenir au profit de, sa politique un utile instrument[4]. L’époux de Catherine ne régna, comme on sait, que quelques mois de l’année 1762 ; ce fut assez cependant pour convenir avec le roi de Prusse d’un traité que déjà celui-ci sut diriger habilement contre la Pologne, et qui allait devenir le point de départ d’intrigues semblables contre la Suède. Pendant la guerre de sept ans, dont il n’était pas encore entièrement délivré, Frédéric II avait vu la Suède, entraînée par le parti des chapeaux, se déclarer contre lui, et la Pologne, en dépit d’une prétendue neutralité, offrir des étapes et des magasins aux troupes russes qu’il combattait. La Pologne séparait d’ailleurs ses possessions de Brandebourg et de Prusse, et le maintenait, quoi qu’il fît, dans une faiblesse irrémédiable. Courant au plus pressé et remettant à un bref délai ses projets contre la Suède, il donna dans son traité avec Pierre III le premier exemple de cette politique perfide qui consistait à imposer, dans les pays voués à la ruine, les institutions les plus anarchiques, puis, sous le prétexte d’une fausse protection, à les garantir, d’accord avec quelque royal complice, pour susciter enfin des guerres civiles autorisant une intervention funeste : politique analogue à celle de l’ancien sénat romain, mais plus haïssable, parce qu’en des temps chrétiens elle était plus éhontée. La mort violente de Pierre III empêcha la ratification de l’acte auquel déjà Frédéric II avait apposé sa signature. Cet acte contenait l’engagement de ne jamais permettre que la couronne de Pologne pût devenir souveraine ni héréditaire, de contribuer à l’élection d’un candidat polonais à l’exclusion de tout étranger lors de la prochaine vacance du trône, et de conserver enfin, par une prétendue protection des dissidens, un continuel prétexte d’intervention en Pologne.

Frédéric et Catherine n’eurent pas d’autre politique à l’égard de la Suède. Associés dans une double poursuite, on les vit fomenter à la fois dans l’un et l’autre pays les dissensions intérieures, et méditer bientôt deux démembremens à la fois. C’est ainsi que la grande Catherine entendait réaliser la fameuse ligue du Nord ; c’est ainsi que Frédéric II prétendait sauvegarder ses propres états. En 1756, lorsqu’on avait appris à Paris la conspiration et les supplices qui avaient ensanglanté Stockholm, Voltaire écrivait à d’Argental : « Il se présente en Suède un sujet de tragédie ; s’il y avait quelque épisode de Prusse, on pourrait trouver de quoi faire cinq actes. » Ce ne fut la faute ni de Frédéric II ni de sa bonne alliée, Catherine, si le cinquième acte manqua ou fut autre qu’ils l’attendaient. À peine Catherine II s’était-elle emparée de la couronne de Russie qu’elle reprit en l’agrandissant le projet d’alliance avec la cour de Berlin. L’accord fut promptement établi. L’envoyé de Prusse à Saint-Pétersbourg écrivait le 23 août 1763 : « Le comte de Panin n’est pas d’avis qu’on doive aider les Polonais à ériger dans leur patrie, comme ils prétendent le faire, une forme de gouvernement plus solide que celle qui subsiste aujourd’hui. Il croit que l’intérêt de sa cour aussi bien que celui de votre majesté demande qu’il règne toujours dans ce pays une certaine confusion. » Frédéric II répondit dès le 8 septembre : « Vous direz au comte de Panin que j’entre parfaitement dans ses idées quant aux affaires de Pologne. » Déclarations sans pudeur, et qu’il suffit de rappeler pour répondre à ceux qui répètent de notre temps que les Polonais ont toujours été incapables de se gouverner eux-mêmes. — Peu de mois après, 31 mars (11 avril) 1764, un traité d’alliance, signé entre la Russie et la Prusse, renouvelait toutes les conditions déjà convenues avec Pierre III, en y ajoutant la promesse formelle de ne permettre aucun changement dans la constitution polonaise. Conclu pour huit ans, le traité de 1764 stipulait quelles forces chacun des deux alliés devrait mettre à la disposition de l’autre en cas d’attaque du dehors. Le cas d’une agression de l’Angleterre contre la Prusse ou de la Perse contre la Russie était excepté ; mais, si la Prusse était attaquée par la France, la Russie devait fournir à Frédéric II une somme de 400,000 roubles par an ; la même obligation incombait à la Prusse, si la Russie se voyait attaquée par les Turcs. L’impératrice se croyait de la sorte à l’abri de toute inquiétude du côté de la Turquie pendant le temps nécessaire à ses menées dans Varsovie. Mais la Pologne n’était pas le seul objet du traité : la Suède était, avons-nous dit, vouée au même sort, et le traité de 1764 posa le fondement de cette nouvelle entreprise politique par un article secret qui manque dans tous les recueils, particulièrement dans celui de Martens ; il se trouve aux archives générales de Berlin[5], soit dans l’instrument original, soit en copie jointe sous la date de 1769 à la correspondance du comte de Solms, envoyé de Prusse en Russie. En voici le texte, écrit en français :


« Il est parfaitement connu aux deux parties contractantes que la forme de gouvernement établie et confirmée par les sermens des quatre états de Suède est souvent ébranlée dans ses parties les plus essentielles par les différentes altérations qu’une faction a faites à l’équilibre du pouvoir, partagé entre le roi, le sénat et les susdits états. Et comme ladite faction a été formée et entretenue par certaines puissances étrangères, et s’est acquis au moyen de leur appui une grande supériorité dans les affaires de sa patrie, en travaillant, suivant leurs convenances mutuelles, à tenir ses concitoyens dans une continuelle agitation, et en les excitant à se mêler dans tous les troubles du dehors, sans se mettre en peine des véritables intérêts de la Suède, qui lui rendent le repos nécessaire, sa majesté le roi et sa majesté l’impératrice, pour prévenir les fâcheuses suites qui pourraient en résulter, s’accordent et s’engagent, par cet article secret, à donner dès à présent à leurs ministres résidant à Stockholm des instructions suffisantes pour qu’agissant en confidence et dans les mêmes principes entre eux, ils travaillent de concert tant à affaiblir ce parti turbulent par des moyens convenables, qui pourront être mieux choisis sur les lieux mêmes, qu’à appuyer et assister ceux d’entre les Suédois qui, connaissant eux-mêmes la pesanteur de leur joug, osent encore y résister… Si toutefois la coopération de ces ministres ne suffisait pas pour atteindre le but désiré, alors, suivant les circonstances, et spécialement dans le cas où l’on aurait à craindre un renversement total de la forme du gouvernement de la Suède, leurs majestés se réservent la liberté de se concerter plus particulièrement sur les moyens de détourner un événement si dangereux et de maintenir la susdite forme de gouvernement en son entier, afin de conserver par là la tranquillité générale, et principalement celle du Nord. »


Ainsi, après la première garantie de la constitution suédoise donnée dès l’année 1721 par la Russie lors de la paix de Nystad, il s’agissait, maintenant que cette constitution avait montré quelle anarchie elle devait produire, de lui demander ses derniers résultats, de n’en laisser échapper aucun, d’en recueillir tous les fruits, fût-ce par la force. Pour conduire énergiquement à bonne fin l’œuvre ébauchée, on était deux désormais, et on allait même recruter une troisième puissance. Après avoir réussi à faire nommer roi de Pologne son candidat Stanislas-Auguste, dont l’incapacité assurait l’exécution de ses desseins (7 septembre 1764), l’impératrice réussit à attirer aussi le Danemark dans la ligue secrète dont elle enveloppait la Suède. Dans un temps où la communauté d’origine semblait être un motif de haine plutôt que de rapprochement entre les peuples, le Danemark était à l’égard de la Suède un ennemi naturel et déclaré ; d’ailleurs les droits que la maison impériale de Russie possédait sur le duché de Holstein lui donnaient prise sur la politique incertaine du cabinet de Copenhague. Aussi obtint-elle aisément l’accession de la cour danoise à une alliance défensive conclue le 11 mars 1765 pour huit années. Il y avait cette fois encore trois articles secrets : le premier assurait à la Russie un subside de 400,000 roubles en cas d’attaque du côté de la Turquie ; le second promettait au Danemark des concessions relativement au Holstein ; le troisième enfin, qu’on peut lire dans l’instrument conservé en original aux archives du ministère des affaires étrangères, à Copenhague, convenait d’une action commune auprès de la diète suédoise pour empêcher que nul changement ne fût apporté à la constitution. La correspondance du ministre de Danemark à Saint-Pétersbourg témoigne d’ailleurs pendant toute cette année des infatigables efforts de Catherine II contre la Suède. Il écrit en effet le 11 juin 1765 : « M. de Panin se flatte de pouvoir restreindre l’article de la constitution qui permet aux états d’y faire des changemens ; il veut qu’il ne soit plus permis dorénavant d’en rien modifier, sinon du consentement unanime des quatre états assemblés en diète, et que tout le monde s’oblige par serment à observer et maintenir ces nouvelles ordonnances, qui seront comme une seconde loi fondamentale, invariable et permanente. M. de Panin croit de la sorte enlever pour jamais aux rois de Suède les moyens de changer la constitution. » Quatre mois après, le même diplomate adresse à sa cour, sous la date du 8 octobre 1765, les graves informations qui suivent : « On est ici très convaincu que l’impératrice trame une révolution en Suède. Elle s’oppose à toute conclusion des affaires ; elle travaille à augmenter les murmures du peuple, et veut le pousser à renverser la constitution. Elle est fermement résolue à faire entrer une armée en Finlande sur la première nouvelle qu’on aura d’une révolte dans Stockholm. Il y a en ce moment 16,000 Russes dans le gouvernement de Viborg ou aux environs, et les ordres sont donnés pour y faire filer secrètement et sans bruit encore 9,000 hommes, afin qu’il y ait 25,000 hommes prêts à tout événement. » Telle était l’opiniâtreté de la Russie ; la Prusse ne manquait pas de la seconder tout en surveillant ses démarches, et le ministre danois auprès de la cour de Suède résumait naïvement la situation quelques mois plus tard par ces mots : « Il me paraît que nous pouvons être bien sûrs, grâces en soient rendues à la bonté divine ! que tous les efforts et toutes les intrigues de la cour de Suède pour augmenter son pouvoir n’aboutiront jamais à rien. »

La dépêche qui contient ces lignes est du 1er juillet 1766. La même année précisément, la Pologne recevait par l’organe du prince Repnin, dictateur au nom de la Russie, les ordres de Catherine II. Non-seulement elle entendait qu’on donnât satisfaction aux dissidens, au nom desquels elle se réservait le droit d’intervenir à son gré, mais encore elle exigeait l’entier rétablissement de la loi du liberum veto, de telle sorte que l’opposition d’un seul membre de la diète polonaise venant prononcer les paroles célèbres : Sisto activitatem, rendît nulle toute délibération relative aux affaires d’état. Que l’on compare les conditions imposées à la Suède avec celles que subissait déjà la Pologne, on ne trouvera nulle différence. À Stockholm aussi bien qu’à Varsovie, la Russie et la Prusse soutenaient une constitution anarchique, s’opposaient avec une perfide énergie à toute réforme, à tout changement de cette constitution qui eût pu sauver le pays, et comptaient susciter ainsi quelque désordre intérieur servant de prétexte à leur dangereuse intervention. Nous avons dit que la ressemblance entre les deux conspirations ne s’arrêtait pas là, et qu’on voulait un double démembrement qui consommât la double ruine : les deux traités du 12 octobre et du 13 décembre 1769 vont, par leurs articles secrets, nous en donner les preuves.

Le traité du 12 octobre, conclu entre la Russie et la Prusse, est précisément celui qui contient ce troisième article secret, resté inconnu jusqu’à ce que M. le comte de Manderström, aujourd’hui ministre des affaires étrangères à Stockholm, l’eût fait connaître en 1847 par la publication d’un recueil de pièces diplomatiques tiré à quarante exemplaires[6]. Cet article secret renouvelle d’abord les engagemens réciproques de Frédéric et de Catherine en vue d’empêcher tout changement de la constitution suédoise de 1720 ; mais il va plus loin lorsqu’il dit :


« Si la coopération des ministres prussien et russe ne suffit pas, et que l’empire de Russie soit attaqué par la Suède, ou qu’une faction dominante dans ce royaume bouleverse la constitution dans ses articles fondamentaux, par exemple en. accordant au roi le pouvoir illimité de faire des lois, de déclarer la guerre, de lever des impôts, de convoquer les états, et de nommer aux charges sans le concours du sénat, leurs majestés sont convenues que l’une ou l’autre circonstance sera considérée comme le casus fœderis, et sa majesté le roi de Prusse s’engage dans les deux cas, et lorsqu’elle en sera requise par sa majesté l’impératrice, à faire une diversion dans la Poméranie suédoise, en faisant entrer un corps convenable de ses troupes dans ce duché. »


Tel est en résumé l’article secret de 1769, qui se réfère d’ailleurs à celui de 1764. Ce peu de lignes suscite beaucoup d’explications : Catherine II a paru au premier plan jusqu’ici dans la détestable intrigue qui se tramait contre la Suède ; mais il nous sera facile de montrer que Frédéric II, pour avoir laissé à d’autres la principale initiative après avoir peut-être donné la première inspiration, ne s’en est pas moins avancé dans la même voie avec une politique froidement calculée, qui ne manquait pas non plus d’une énergie impitoyable. La correspondance du comte de Solms, son ministre à Pétersbourg, contient la version que l’impératrice avait elle-même proposée avec insistance pour l’article secret de 1769, mais à laquelle Frédéric II s’est bien gardé de consentir ; il n’a pas accepté ces mots :


« Sa majesté le roi de Prusse promet non-seulement, de la manière la plus solennelle, de remplir en entier tous les points de ses engagemens dans le corps du traité et tous les articles séparés et secrets de l’alliance signée aujourd’hui relativement aux affaires de Suède, mais encore il s’engage à faire cause commune dans toutes les mesures que sa majesté impériale, conjointement avec sa majesté le roi de Danemark, voudra prendre pour prévenir une révolution suédoise en faveur de la souveraineté,… et sa majesté donnera dès à présent les ordres à son ministre à la cour de Suède de se conduire et d’agir conformément à cet engagement spécial, en se concertant en tout avec les ministres de l’impératrice de toutes les Russies et avec ceux des autres cours du même système… »


Ces expressions, proposées par Catherine, paraissaient enchaîner et subordonner l’action de Frédéric au moment même où il croyait pouvoir, avec de l’audace, mettre la main sur quelque province nouvelle. Le cabinet de Saint-Pétersbourg ne se dissimulait pas quelle violence serait l’invasion de la Poméranie suédoise contre le traité de Westphalie ou les constitutions germaniques ; il redoutait l’effet d’une telle hardiesse, dont il ne devait pas d’ailleurs profiter directement, et il avait voulu que Frédéric II prît seulement d’abord ce pays en séquestre, sauf à s’y établir ensuite, après avoir prévenu par une modération habile ce qu’on appelait « les objections de toute l’Europe-, » mais Frédéric ne fut pas de cet avis, et refusa d’apposer sa signature à des termes limitant d’une manière quelconque son droit d’occupation : tout au plus accepta-t-il ce mot vague de « diversion dans la Poméranie, » qui ne gênait en rien ses mouvemens.

Quant au traité du 13 décembre 1769 entre la Russie et le Danemark, il était destiné à compléter l’œuvre finale que Catherine II venait de préparer secrètement avec le roi de Prusse. Il n’est question dans le corps du traité que des conditions générales d’une alliance entre les deux cours de Pétersbourg et de Copenhague ; mais la raison et le but de cette alliance sont découverts dans le second et le dixième articles secrets, dont nous donnons le texte d’après l’original, écrit en français et conservé aux archives des affaires étrangères à Copenhague[7].


« Article 2 secret. — Les deux hautes parties contractantes, étant également convaincues que l’intérêt immédiat de leurs couronnes est attaché au maintien de la forme du gouvernement[8] de la Suède, et voulant déterminer le point par lequel cet intérêt se trouverait essentiellement blessé, ont arrêté que le bouleversement de la constitution de 1720, en tout ou même dans une seule de ses parties, en tant que l’altération faite à cette partie tendrait à restreindre le pouvoir des états et à étendre les prérogatives du pouvoir souverain, sera regardé par les deux couronnes comme une agression de la part de la Suède, et constituera, sans aucune explication ou discussion ultérieure, le casus de leur alliance.

« Article 10 secret. — Sa majesté impériale de toutes les Russies, en conséquence de ses sentimens d’amitié pour sa majesté le roi de Danemark et de son système politique relativement à sa monarchie, voulant considérer tout agrandissement en faveur de cette couronne comme un agrandissement propre à son empire, promet et s’engage que, dans le cas de la guerre contre la Suède, à laquelle sa majesté danoise participera selon la teneur de ce traité, toutes les conquêtes qui pourront être faites sur les Suédois du côté de la Norvège, elle les garantit à sadite majesté, qu’elle ne conclura ni paix, ni trêve, ni entendra à aucune proposition sans le consentement et la participation de sa majesté danoise, et qu’elle ne mettra point bas les armes sans qu’il soit accordé à sadite majesté une indemnité pour les frais de la guerre ou un agrandissement convenable, par la cession de toutes lesdites conquêtes ou partie, comme aussi de son côté sa majesté le roi de Danemark et de Norvège promet et s’engage de ne conclure ni paix, ni trêve, ni entendre à aucune proposition sans le consentement et la participation de sa majesté impériale de toutes les Russies. »

Il était convenu en outre (comme si l’on avait lieu de prévoir que l’occasion se présenterait bientôt de mettre à exécution ces articles du traité) que les deux cours ne se contenteraient plus d’agir par leurs agens diplomatiques à Stockholm ; chacune d’elles devait équiper immédiatement sa flotte et tenir sur pied dans le voisinage de la frontière de Suède vingt mille hommes, avec artillerie et munitions suffisantes, afin d’ouvrir la campagne dès les premiers jours du printemps. Ainsi le partage de la Suède était réglé d’avance, le roi de Prusse devant s’emparer de la Poméranie, le roi de Danemark des provinces suédoises limitrophes de la Norvège, et la Russie de la Finlande, que depuis longtemps elle convoitait, et dont elle avait acquis déjà une partie à la suite de la guerre terminée en 1743.

Nous n’avons aucune preuve que le cabinet de Versailles ait connu les articles secrets que nous venons d’énumérer. Toutefois certains avis contenus çà et là dans les dépêches de M. de Breteuil pouvaient assurément contribuer à l’instruire. « Le Danemark veut avant tout maintenir l’abaissement de la Suède, écrivait M. de Breteuil le 27 mai 1766, et il est décidément ligué avec nos ennemis. Son chargé d’affaires est ici aux pieds du ministre de Russie. » Il annonce le lendemain que des troubles ont éclaté dans les provinces suédoises, et que dans la diète l’ordre du clergé a discuté s’il ne fallait pas appeler au secours de l’état et de la constitution les troupes russes. Le 22 août, il mande que la rentrée de M. Pitt au ministère anglais ne tardera pas sans doute à effectuer cette ligue du Nord, objet constant des vœux de l’impératrice : une diversion de la part des Turcs serait, assure-t-il, le seul moyen de contenir Catherine II. L’abbé Duprat, notre agent à Stockholm en attendant l’arrivée du comte de Saint-Priest, qui vient d’être nommé pour succéder au baron de Breteuil, signale, dans sa dépêche du 6 novembre 1767, l’effet produit sur l’esprit des Suédois par la violente conduite des Russes en Pologne. « La colère et la frayeur se trahissent à la fois, dit-il ; quelques membres du sénat ont paru applaudir à l’enlèvement des évêques de Cracovie et de Kiovie ; ils ont même osé rire quand on leur a lu le détail de ces actes révoltans, mandés par le ministre de Suède à Varsovie. M. de Löwenhielm, ministre des affaires étrangères, n’a pu s’empêcher de relever cette façon inconvenante d’apprécier de tels outrages à la liberté d’une nation indépendante et voisine, et il leur a dit que ce devait être plutôt pour des Suédois un sujet de réflexions sérieuses et de larmes. » L’abbé Duprat donnait aussi, dans sa dépêche du 8 avril 1768, des indications précieuses sur les rapports établis secrètement contre la Suède et contre nous entre la Russie et la Prusse :

« Votre grandeur n’ignore pas, disait-il, qu’il existe une correspondance particulière et suivie entre la reine de Suède et le roi de Prusse son frère. J’en ai reçu des notions que je puis donner comme très certaines. La reine, dans une lettre écrite il y a quelques mois au roi son frère sur la situation générale des affaires politiques, s’est expliquée avec franchise et grandeur d’âme relativement à sa satisfaction d’être d’accord avec les patriotes et de faire enfin cause commune avec la France contre la Russie. La fin de cette lettre disait : « Vous me trouverez peut-être trop fière dans mes sentimens et dans leur expression, mais songez que c’est votre sœur qui pense et qui parle de la sorte. » Le roi de Prusse a répondu très longuement et depuis peu de jours à cette lettre. Il commence par établir que « la fierté, qui est une vertu à la guerre, devient un vice capital en politique, » que « leurs majestés suédoises, n’étant pas à la tête d’une armée à conduire au feu, » doivent se plier aux circonstances de leur position actuelle, et ne pas braver, par un excès d’imprudence, des périls presque certains. La reine sera menacée même dans son intérieur, si elle continue de s’opposer, comme elle a fait depuis deux ans, à la Russie. » Le roi de Prusse s’efforce de prouver ensuite combien cette puissance doit être ménagée et recherchée par sa sœur, et il donne ici beaucoup de détails. Il continue ensuite en ces termes : « Vous concevez, ma chère sœur, combien il serait sensible à mon cœur et dur au vôtre de vous voir un jour réduite à venir à Berlin avec toute votre famille demander un asile, pour n’avoir pas voulu suivre des conseils que ma tendre amitié et l’intérêt le plus pur pour votre repos et pour votre gloire m’ont seuls dictés dans cette réponse[9]. »


Telle était l’inflexible politique de Frédéric II. Dans le temps même où il contractait avec la Russie des engagemens qui tendaient à le mettre en possession d’une province suédoise, il pressait instamment la reine sa sœur, sous le faux prétexte d’une sollicitude affectueuse et dévouée, de précipiter par ses conseils et son influence le gouvernement de la Suède dans les pièges qui lui étaient tendus ; mais les informations envoyées de Stockholm devaient suffire à éclairer le cabinet de Versailles, qui sut déjouer ces redoutables intrigues. Le duc de Choiseul, placé à la tête des affaires de 1758 à 1770, surveillait avec une vigilance et une perspicacité patriotiques les intérêts et les démarches des puissances étrangères. Au dedans, son ardeur entreprenante se traduisait par de promptes réformes qui mettaient fin aux dilapidations, raffermissaient la discipline dans l’armée, réveillaient l’esprit militaire, constituaient l’artillerie et le génie, et relevaient notre marine ; au dehors, par d’énergiques dépêches, par des changemens hardis de politique, par des conceptions inattendues. Son administration, qui réparait en partie les désastres de la guerre de sept ans, qui, en s’inspirant des grands principes de notre diplomatie, savait se maintenir en un complet accord avec l’esprit français du XVIIIe siècle, lui valut la haine implacable et constante de Frédéric II et de l’Angleterre, avec les dédains de Catherine II. Celle-ci l’appelait en se moquant « le cocher de l’Europe, » parce qu’il menait à grand train les affaires, de manière à secouer en effet l’indolence d’une partie de l’Europe et à ébruiter les plus sourdes menées de certaines puissances qui étaient nos ennemies. Frédéric II, qui exprime dans ses mémoires les doutes les moins fondés sur son patriotisme, lui rend une justice involontaire quand il l’appelle « l’homme le moins endurant qui fût jamais né en France. »

Le regard clairvoyant du duc de Choiseul ne manqua pas d’interroger l’état des relations entre le cabinet de Versailles et la Suède, et ce fut le signal d’un retour aux vraies traditions de notre politique. Au temps de Louis XIV, deux grands systèmes s’étaient partagé la conduite générale de l’Europe. À la tête des peuples de race latine, l’influence française s’était exercée sur le continent dans le sens des intérêts monarchiques et catholiques. Elle avait rencontré comme adversaires, à la tête des nations germaniques et protestantes liguées contre elle, l’Angleterre et la Hollande, qui avaient entraîné dans leur sphère d’action les peuples maritimes, et qui cherchaient à lui aliéner tout le nord de l’Europe. L’élévation de la Prusse et de la Russie était devenue pour la confédération du Nord un secours de plus ; les fautes de Charles XII, le mouvement de retraite de la Suède, l’anarchie de la Pologne, l’affaiblissement continu de l’empire ottoman, l’incertitude même de la monarchie autrichienne ; avaient procuré aux deux nouvelles puissances un rapide accroissement, qui était devenu et allait demeurer longtemps encore un péril imminent pour l’indépendance de l’Europe. Menacée de la sorte dans son rôle avoué de protectrice de l’équilibre général et dans sa propre liberté de mouvemens par une ligue puissante, la France se rappela son ancienne alliance, datant du XVIe siècle, avec les états secondaires, qu’elle s’était efforcée de soutenir isolément quand leur position à part pouvait servir à disjoindre plusieurs ennemis, ou de grouper ensemble, pour les ériger, s’il était possible, en fortes barrières. Habile à ne pas confondre le domaine purement politique et le domaine religieux, elle n’avait pas répudié les engagemens d’une communauté réelle d’intérêts avec des puissances protestantes ou même non chrétiennes ; elle avait ainsi contracté depuis longtemps une alliance avec la royauté suédoise et même avec la Porte-Ottomane, qu’unissaient la crainte d’un même danger du côté de l’Orient et un besoin pressant de diversions mutuelles. Le duc de Choiseul, dès son entrée au ministère, reprit ces deux héritages du XVI et du XVIIe siècle ; en même temps qu’il continuait l’alliance conclue avec l’Autriche et qu’il formait une intime union entre les différentes branches de la maison de Bourbon, il voulut rendre plus efficace l’ancienne solidarité de la France avec le cabinet de Stockholm, et la coopération de la Suède fut plus que jamais le levier à l’aide duquel la politique française prétendit maintenir dans cette partie de l’Europe sa propre influence. C’était surtout, dans les relations diplomatiques entre les deux pays, une sage direction qui avait manqué. Le duc de Choiseul comprit que le cabinet de Versailles s’était engagé dans une voie mauvaise en s’attachant à l’un des partis qui divisaient la Suède. Après avoir prodigué des sommes énormes pour assurer le triomphe de ce parti, on avait vu le parti contraire faire alliance avec la Grande-Bretagne en 1766, et on avait pu se persuader que la Suède, de plus en plus affaiblie par l’anarchie et la corruption, deviendrait absolument incapable de rendre aucun service. Le duc de Choiseul résolut de suivre une autre conduite, d’abandonner à leur propre sort les anciens partis des chapeaux et des bonnets, dont l’avilissement et l’impuissance s’étaient montrés au grand jour, et de créer autour de la famille royale de Suède un parti royaliste. On pouvait déjà compter sur quelque assentiment de la part de cette famille, dans laquelle même le jeune prince qui devait être Gustave III s’offrait comme un intelligent allié. C’est pour développer ces vues et pour inaugurer ce système que le duc de Choiseul écrivit de Versailles au baron de Breteuil, en date du 22 avril 1766, une longue dépêche que Flassan[10] a rapportée, et dont il dit avec raison que c’est une pièce des plus importantes dans l’histoire de notre diplomatie. La France avait fait une faute, disait le ministre, en soutenant en Suède les efforts d’un parti pour enchaîner la puissance royale et constituer « une administration métaphysique, » praticable seulement si tous les Suédois s’étaient trouvés « aussi sages d’esprit et de mœurs que pouvait l’être Platon. » On avait de la sorte ruiné la nation elle-même, au lieu d’en faire une utile alliée ; la guerre de 1741-1743 contre la Russie, entreprise à l’instigation de la France, avait montré que la Suède était devenue incapable de toute démonstration offensive, et, pendant la récente guerre de sept ans, les intrigues ourdies à Stockholm avaient détruit à l’avance tout le résultat qu’on pouvait espérer d’une diversion bien combinée. Ces diverses expériences permettaient de conclure qu’une Suède « aristocratique, démocratique et platonique » n’offrirait jamais à notre alliance un appui solide.


« D’après ce que je viens de vous exposer, ajoutait le duc de Choiseul, le roi vous ordonne de faire usage de vos connaissances et de vos talens afin de former un projet de conduite qui tende : 1° à rétablir le pouvoir monarchique en Suède par l’influence de la France (je ne présume pas qu’il vous soit difficile de concerter à ce sujet un plan avec le roi et la reine de Suède et leurs confidens), 2° à obtenir de nos amis qu’ils adoptent ce parti et y concourent de bonne fol. Quant aux subsides, le roi, étant instruit par les faits combien la couronne de Suède a manqué aux engagemens contractés envers la France, et même aux égards dus à la considération et à l’ancienneté de son amitié, ne croit pas être obligé à tenir tout seul des engagemens qui ont mérité si peu l’attention du gouvernement suédois. Ce gouvernement trouvera sans doute des ressources dans ses nouveaux amis. Le roi n’en sera pas jaloux, et lui laisse toute liberté à cet égard. »


Le duc de Choiseul ajoutait, dans une dépêche complémentaire du 4 mai 1766 :


« Non-seulement sa majesté ne paiera point à la Suède des subsides qu’elle ne croit plus lui devoir, mais elle s’embarrasse encore fort peu de la durée plus ou moins longue de la diète assemblée à Stockholm. Nous verrons si l’Angleterre, qui partage pour le moins avec le roi l’amitié et l’attachement de la Suède, partagera de même le fardeau des subsides, ce dont je crois qu’il est permis de douter. »


Désormais donc la scène change ; les anciens partis, tombés dans le discrédit, vont se dissoudre pour laisser place à un grand parti royaliste, vers lequel affluera tout ce qui reste de forces vives à la Suède. Le rôle particulier de Gustave dans cette lutte suprême va se concerter étroitement avec les efforts du gouvernement français, et l’entier succès de l’œuvre commune sera dû finalement à l’intelligente énergie du prince royal.


A. GEFFROY.

  1. On a diversement expliqué ces dénominations de chapeaux et bonnets, dont l’origine est peu certaine. On a dit que, le comte Arvid Horn ayant le droit de rester tête couverte en présence de la reine Ulrique-Éléonore, ses partisans, fiers de son crédit et de ses prérogatives, s’étaient donné eux-mêmes le nom de chapeaux. Suivant une autre explication, le roi Frédéric Ier avait, dans un accès de mauvaise humeur, qualifié de bonnets de nuit les faibles représentans de la vieille noblesse, si peu habiles à sauvegarder ses droits. Leurs antagonistes avaient appliqué cette désignation à tout le parti de la cour et adopté une désignation contraire pour eux-mêmes. Ou bien encore ces deux mots chapeaux et bonnets auraient désigné deux classes différentes de la société suédoise, comme si l’on disait chez nous habits et blouses.
  2. Adolphe-Frédéric était roi depuis 1751. Son fils Gustave, prince royal, avait alors cinq ans.
  3. On appelait ainsi la salle où s’appliquait la torture ; dans un trou creusé au fond d’un cachot souterrain et rempli d’une bourbe infecte, on plongeait jusqu’au cou la victime. La froideur des eaux y était insupportable ; des milliers d’insectes s’attachaient à toutes les parties du corps et les dévoraient.
  4. Que dire du bizarre témoignage que je rencontre dans les dépêches adressées par le comte de Werthenv, envoyé de Saxo à Paris, au comte de Sacken, ministre des affaires étrangères à Dresde ? De quelles conversations ou de quels pamphlets, que je n’ai pu retrouver encore, le diplomate allemand se fait-il l’écho ? « 16 septembre 1780. On n’ignore pas que l’impératrice de Russie passe pour être la fille du roi de Prusse, qui, lorsqu’il s’échappa de la cour de Berlin (en 1729, il avait dix-sept ans), alla à celle de la princesse d’Anhalt, et s’y trouva précisément neuf mois avant la naissance de la Sémiramis du Nord. Aussi le système de la cour de Russie changea-t-il entièrement lorsqu’elle prit les rênes du gouvernement, et les sentimens de la nature, fortifiés par l’intérêt, semblent rendre inaliénable la liaison qui subsiste entre elle et Frédéric. » (Archives royales de Dresde.)
  5. Il vient d’être publié par M. Tengberg dans une dissertation curieuse sur Catherine II et son projet d’alliance du Nord. Lund, 1863 (en suédois).
  6. Nous avons donné ce document dans la Revue du 15 février 1855, et M. Casimir Perier s’en est servi récemment encore pour commenter habilement la correspondance de lord Malmesbury (voyez la livraison du 1er septembre 1863). L’original en est conservé aux archives de Berlin et se trouve de tout point conforme à la copie dont M. le comte de Manderström a fait usage.
  7. Ce traité figure par une mention seulement dans le recueil de Reedtz, Répertoire historique et chronologique des traités conclus par la couronne de Danemark…. Goettingue, 1826, in-8o. On lit à la page 217 de ce recueil ces seules lignes : « Traité d’alliance entre le Danemark et la Russie touchant les affaires de Suède. À Copenhague, 13 décembre 1769. Non imprimé. »
  8. Regeringsform. Ce nom désigne encore aujourd’hui en Suède l’acte constitutif du royaume, la constitution proprement dite.
  9. L’édition officielle des œuvres de Frédéric II, publiée pendant ces dernières années à Berlin, ne sait rien de plus concernant cette curieuse lettre de Frédéric II. Elle donne seulement les cinq lignes que nous venons de citer ; elle les emprunte (t. XXVII, page 379 de la 1re partie) à un volume de M. Raumer, Beiträge sur neueren Geschichte, Leipzig, 1830, tome III, pages 224-5. — Il y a aux archives de la maison royale de Prusse un volume comprenant une série considérable de lettres de Louise-Ulrique, toutes autographes ; cette série comprend environ dix années, jusqu’à la fin de 1747. La reine de Suède, encouragée par son frère, lui écrivait par tous les courriers, sur les affaires de sa maison et sur celles de sa nouvelle patrie. Plusieurs de ses lettres sont chiffrées. C’est par le Suisse Beylon, lecteur de la reine, et avec lequel nous ferons connaissance plus tard, que les agens français avaient communication de quelques parties de cette correspondance.
  10. Dans son Histoire de la Diplomatie française, t. V, p. 463.