CHAPITRE XVIII

attaque des sauvages. orgie. gustave est nommé capitaine de l’avant-garde. moyen adopté pour repousser une seconde attaque.


Le lendemain, notre caravane se mit en marche plus tard qu’à l’ordinaire. Gustave s’était levé gai et joyeux ; l’événement de la veille, dans lequel il voyait la puissante protection de Dieu, le remplissait de bonheur, et son cœur reconnaissant s’élevait souvent pour le remercier et le prier de lui continuer ses faveurs.

Nos trois amis, comme d’habitude, avaient laissé la caravane derrière eux et tout en laissant trottiner leurs chevaux, ils s’égaraient les uns les autres par des réparties joyeuses et spirituelles.

Arrivés sur une hauteur, ils aperçoivent à une petite distance plusieurs rochers disposés de manière à ressembler à une ville en règle. Ces rochers, tous plus hauts les uns que les autres, prenaient les formes de dômes, de clochers, de châteaux et de maisons de toutes les grandeurs, et le tout, séparé par des espaces de la largeur ordinaire des rues, présentait une ressemblance complète.

Celui qui les voit pour la première fois, se croit en face d’une ville réelle.

— Ha ! une ville, dit Gustave.

— Ne serait-ce pas, par hasard, la nouvelle Jérusalem ? dit Arthur.

— Qui a été bâtie cette nuit, ajouta George.

— Et dire que les loups voulaient nous dévorer à la veille de s’y rendre, dit Gustave.

— Hâtons-nous d’y arriver avant les gens de notre caravane.

— J’ai hâte de boire du lait, dit Gustave.

Ils lancent leurs chevaux au galop et s’aperçoivent que le chemin passe directement dans une de ces rues apparentes.

— Il ne paraît pas y avoir de sentinelles, dit Gustave en souriant, nous allons avoir une chance.

— Mais oui, en voilà une, dit Arthur en montrant à ses amis un énorme serpent à sonnettes étendu en travers de la route

— Ah ! le gourmand, dit George, il a sucé tout le lait avant notre arrivée et dort pour avoir trop bu. Vilain, je vais t’apprendre à voler ainsi, et, l’ajustant avec son pistolet, il lui coupe la tête qui va tomber à plusieurs pieds plus loin.

Au même instant, une centaine de flèches, parties de derrière les rochers, sifflent au-dessus de leurs têtes.

— Ah ! dit Gustave toujours souriant, les gens sont bien mauvais dans cette nouvelle Jérusalem.

Une nouvelle nuée de flèches, passant cette fois plus près d’eux, l’arrête court dans ses observations.

— Volte-face, crie Gustave en tournant bride, et tous trois prennent à toute vitesse la direction de la caravane, et racontent leur aventure au capitaine.

Ce dernier fait tout de suite arrêter les wagons et commande de préparer les armes. Il appelle les hommes qui ont des chevaux à leur disposition et les place en avant pour servir d’avant-garde ; les femmes et les enfants entrent dans les wagons, et la caravane avance avec précaution jusqu’au dernier coteau qui la sépare des rochers.

À mesure que les wagons arrivent, le capitaine les fait placer en forme de muraille, commande aux hommes de se coucher à plat ventre sous cette fortification improvisée et de se tenir prêts à faire feu au premier signal.

Puis, laissant la caravane sous les ordres du second capitaine, il ordonne à l’avant-garde de le suivre jusqu’aux rochers.

On avance avec la plus grande précaution, ordre est donné de garder le silence et de ne pas se séparer.

Le capitaine, qui chevauchait avec M. Dumont, était fort intrigué de la situation.

— Savez-vous, dit-il, que votre fils vient, encore une fois, de nous rendre un grand service. Nous ne nous serions douté de rien, et ces sauvages embusqués nous auraient surpris et massacrés.

— Oui, dit M. Dumont ému ; j’admire ses qualités remarquables. Que je serais heureux de le voir converti à l’église des saints !

— Ne vous découragez pas, il n’en sera que meilleur lorsqu’il se convertira.

— C’est pourquoi je ne l’arrête pas dans ses folies et ses superstitions ; j’ai l’espérance qu’il s’en dépouillera bientôt.

— Je n’ai pas de doute que votre désir s’accomplira lorsque nous serons rendus à la ville sainte, et…

— Baissez-vous, vite, crie Gustave, voici des flèches.

On se hâte d’obéir et une quantité de flèches passent au-dessus d’eux.

— Pied à terre, commande le capitaine, nous leur servons trop de point de mire sur nos chevaux.

Aussitôt dit, aussitôt fait, et à l’instant même des centaines de flèches passent en sifflant et blessent plusieurs chevaux.

Le capitaine donna alors à trois de ses hommes l’ordre de retourner à la caravane avec tous les chevaux, et de les abriter derrière les wagons ; puis on délibéra sur ce qu’il y avait de mieux à faire pour déloger ces sauvages.

Les uns voulaient retourner au camp et attendre l’attaque ; d’autres, plus hardis, voulaient faire le tour des rochers pour les déloger tout de suite et ainsi ne pas perdre de temps.

Le capitaine était de cet avis.

— Ne croyez-vous pas, capitaine, dit M. Dumont, que nous ferions bien de monter sur ce rocher à notre gauche ? Son sommet me semble hérissé de grosses pierres derrière lesquelles nous pouvons nous embusquer. Là, nous pourrons commander la vue, et protéger le passage de la caravane avec nos carabines et nos pistolets.

— Vous avez raison, dit le capitaine ; allons ; surtout de la vigilance et de la précaution.

L’avant-garde se rend au pas de course à l’endroit indiqué et commence à gravir le rocher.

Comme la montée était très difficile, les sauvages crurent en profiter pour courir sur eux et leur lancer des flèches. Sortant de leurs cachettes, ils avancent en poussant des hurlements terribles.

Nos hommes redoublent d’activité en les voyant venir.

— Ne vous pressez pas, crie le capitaine ; laissez-les approcher, nous aurons plus de chance de faire valoir nos pistolets.

— Et de leur faire manger du plomb, ajoute Gustave, ce qui leur sera moins agréable que le miel qu’ils nous refusent.

Malgré le danger menaçant, on ne peut s’empêcher de sourire.

Une centaine de sauvages arrivent au pied du rocher et lancent leurs flèches ; Gustave voit son chapeau emporté par l’une d’elles, et le capitaine est blessé au bras.

— Volte-face, s’écrie ce dernier, et faites feu.

Une détonation se fait entendre ; trois sauvages mordent la poussière et plusieurs sont blessés.

Les autres, effrayés, se sauvent en poussant de nouveaux hurlements et s’abritent derrière leurs rochers.

— Vous faites mieux, leur crie Gustave ; cachez-vous, c’est plus prudent.

Un éclat de rire suivit cette remarque ; puis, continuant de monter, on arrive au sommet ; là, couchés à terre, notre avant-garde attend une nouvelle attaque.

— Au moins, situés comme nous le sommes, dit Gustave, ces sauvages devront tirer juste, s’ils veulent nous ôter nos chapeaux.

Les sauvages ne se montrant pas après une demi-heure d’attente, le capitaine attache un mouchoir au bout de sa carabine et la lève pour donner à la caravane le signal d’avancer.

Elle se remet en marche ; les femmes et les enfants, blottis au fond des wagons, osent à peine respirer ; les hommes, anxieux, marchent à côté des animaux, sans proférer une parole. Les yeux sont constamment fixés sur ces rochers qui cachent de cruels ennemis qui, à chaque instant, peuvent en sortir et se ruer sur la caravane ; les animaux semblent éprouver la même crainte, ils dressent les oreilles comme pour écouter, le moindre bruit leur fait peur, ils hésitent, et on doit se servir du fouet pour les faire avancer.

Enfin, le premier wagon s’engage dans le passage ; alors les hommes saisissent leurs carabines et leurs pistolets d’une main nerveuse ; le moment critique est arrivé, la caravane peut, à chaque minute, être attaquée par des ennemis dont on ne connaît pas le nombre, et on n’a aucun moyen de retraite.

— Attention, dit le capitaine à ses hommes ; ayez toujours l’œil fixé sur ces rochers. Si un seul de ces sauvages ose se montrer, visez-le bien et pas de grâce, pour montrer aux autres ce qu’ils ont de mieux à faire.

Pendant une demi-heure, longue d’un siècle pour la plupart, notre caravane continue sa marche lente et solennelle ; les wagons passent tour à tour, et chacun pousse un soupir de satisfaction en sortant de ce labyrinthe.

Le dernier wagon a franchi le passage ; alors, le second capitaine les fait tous arrêter et les range en camp réglé pour protéger la descente de ceux qui sont sur le rocher.

Soit par crainte, soit à dessein, les sauvages ne se montrèrent pas.

La descente opérée, la caravane se remet en marche et forme son camp sur un coteau d’où on pouvait commander la vue de ces rochers, le capitaine n’osant pas s’aventurer plus loin pour cette journée.

— Je comprends maintenant la cause de cette lumière que nous avons vue hier soir, dit Gustave à ses amis : ce sont ces sauvages qui ont allumé un feu pour leur servir de point de ralliement.

— Ils ne pensaient pas, en agissant ainsi, dit George, que ce feu nous serait aussi utile.

Après le souper, l’apôtre fait rassembler tout le monde, et leur dit :

— Chers frères et sœurs, à partir de ce jour, nous devrons faire bonne garde. Nous venons d’entrer sur le territoire de tribus sauvages, toutes très hostiles. Les « Crows » (les Corbeaux), les « Blackfeet » (les Pieds-noirs), les « Snakes » (les Serpents) et autres dont j’ignore les noms habitent le pays que nous devons traverser. Quoique ces diverses tribus soient continuellement en guerre entre elles, elles s’unissent toujours pour attaquer les visages-pâles, c’est ainsi qu’ils nomment l’homme blanc.

« La garde va être doublée tous les soirs, et le jour, une avant-garde et une arrière-garde, que je vais former, marcheront, l’une à deux cents pas en avant de la caravane, l’autre à une même distance en arrière. M. Dumont se tiendra avec moi entre l’avant-garde et les voitures, pour vous donner les signaux nécessaires.

« Le chemin d’ici à la ville sainte est bordé en plusieurs endroits de précipices et de rochers sans nombre, qu’il nous faudra contourner et où les sauvages se mettent en embuscade pour attaquer les caravanes sur leur passage, ainsi que nous en avons eu l’expérience aujourd’hui.

« Vos carabines et vos pistolets devront toujours être placés de manière à pouvoir être saisis au premier signal, et, dans ce cas, les femmes et les enfants devront, sans autre avis, monter au plus vite dans les wagons.

« Si vous me voyez lever ma carabine, arrêtez les wagons ; si M. Dumont revient sur ses pas, formez tout de suite le camp réglé en cas d’attaque, et obéissez aux ordres qu’il vous donnera, et surtout ne vous éloignez pas de vos voitures.

« En suivant bien ces avis, nous n’avons rien à craindre, et, étant nombreux, nous pourrons défier les attaques de ces enfants du désert.

« Prenons maintenant un sujet plus consolant. Le reste de la route d’ici à la ville sainte est très pittoresque ; des curiosités sans nombre se présenteront à vos regards et exciteront votre admiration, le « Chimney Rock » (la Cheminée), la « Devil’s-Gate » (la Barrière du diable), le « Hell’s Cove » (la Caverne de l’enfer), le « Saleratus Lake » (le Lac au Soda), les « Sulphur Springs » (Sources de soufre), les montagnes Rocheuses, etc.

« Les précipices que nous allons longer et dans lesquels il nous faudra descendre ; les ravins profonds qu’il faudra traverser, les hautes montagnes à gravir, nous causeront bien des émotions et nous intéresseront au plus haut degré.

« Un cantique maintenant, pour chanter les louanges du Seigneur. Nous le remercierons ensuite de nous avoir délivrés des dangers que nous venons d’écarter, grâce à sa protection. »

Le cantique choisi pour la circonstance était très beau, et fut chanté avec entrain par au delà de quatre cents voix ; un concert des plus harmonieux s’éleva dans les airs, et l’écho alla frapper ces mêmes rochers, témoins des périls courus par ceux qui, en ce moment, chantaient les louanges de celui qui les en avait délivrés.

Une fervente prière, pleine d’émotion et de reconnaissance, suivit ce beau concert, et fut terminée par un « Amen » qui dut résonner à plusieurs milles dedistance.

— Avant de nous séparer, dit l’apôtre, je voudrais voir Gustave.

George et Arthur s’empressent de l’aller chercher dans sa tente, où il s’était retiré pour s’entretenir seul avec son Dieu.

— Jeune homme, reprit l’apôtre, je dois vous féliciter, vous et vos deux amis, et vous remercier du zèle et du courage dont vous avez fait preuve pendant cette journée. Si vous n’aviez pris le devant ce matin, nous aurions été surpris par ces sauvages embusqués, et peut-être aurions-nous été assassinés. Je vous remercie au nom de tous, et plus tard nous essaierons de vous prouver notre reconnaissance.

Comme première preuve de la confiance que j’ai en vous, je vous nomme capitaine de l’avant-garde ; à vous de choisir les douze hommes qui ont des chevaux à leur disposition, et qui seront sous vos ordres. J’aime à vous confier ce poste, vous êtes brave et prudent ; je n’ai nul doute que vous accepterez et remplirez cette charge à la satisfaction de tous.

— Oui, oui, hourra pour Gustave ! s’écrièrent hommes, femmes et enfants

— Vive notre bon ami ! ajoutèrent George et Arthur.

Gustave, qui ne s’attendait pas à de pareilles félicitations, baissa la vue et ne savait trop que répondre.

— Vous acceptez, n’est-ce pas ? dit l’apôtre en lui tendant la main.

— Oui, monsieur, répond Gustave, et, Dieu aidant, je m’acquitterai de la charge honorable que vous voulez bien me confier d’une manière aussi digne que possible.

— Bien, dit l’apôtre, je savais que vous ne reculeriez pas devant le devoir ; allez et choisissez vos hommes.

— Je demanderai à ceux qui veulent me suivre, d’avancer, s’il vous plaît, dit Gustave.

George et Arthur s’empressent de se mettre à côté de leur ami.

— Merci, dit Gustave, je n’aurais pu me passer de votre compagnie. Neuf autres suivent leur exemple.

Le second capitaine, chargé de former l’ arrière-garde, en fit autant, et quelques minutes plus tard, tout le monde était couché.

Le repos cependant ne fut pas de longue durée ; deux heures ne s’étaient pas écoulées, que tous sont réveillés en sursaut par des cris et des hurlements venant de la direction des rochers.

On court aux armes, et les hommes se précipitent hors des tentes ; alors un spectacle des plus terrifiants se présente à leurs regards.

Autour d’un grand feu allumé, sautent, dansent, hurlent et menacent avec leurs bras, des êtres qui, par leurs chevelures longues et hérissées, leurs corps nus et bariolés de mille couleurs, leurs figures hideuses, leurs hurlements féroces, ressemblent plutôt à des démons qu’à des hommes ; et pour ajouter à ce spectacle propre à glacer le cœur du plus brave, la clarté de ce feu répand une lueur sinistre sur les hauts rochers, et les font paraître comme autant de spectres monstres surgis du sein de la terre.

Les femmes et les enfants sortent à leur tour, et tous les yeux restent fixés sur ce spectacle ; chacun est comme pétrifié par la frayeur, on se croit en face des régions infernales.

— L’enfer et ses démons, s’écrie-t-on de toutes parts.

À la frayeur succède un désir de vengeance ; mais une pensée éloigne ce désir, et fait comprendre que ces êtres avides de sang et de carnage sont des hommes créés à l’image de Dieu, qu’ils ont une âme, et que, dans leur ignorance, ils ne connaissent pas mieux.

—Ces cris et ces menaces, dit le capitaine, sont pour nous avertir qu’ils veulent se venger, parce que nous avons tué trois des leurs. Nous avons besoin de les veiller de près.

Les sauvages continuèrent leur orgie tout le reste de la nuit, et ne s’éloignèrent qu’à l’aurore.

Alors la caravane se prépare à continuer sa route.

Gustave, après s’être entendu avec le second capitaine, disposa ses hommes en quatre groupes ; deux devaient se tenir à une centaine de pieds en avant du second groupe, et occuper le chemin ; les deux autres devaient se tenir de chaque côté du chemin, à une certaine distance en avant du second groupe.

— Nous pourrons nous voir ainsi, dit Gustave, et nous ne risquerons pas tous de perdre nos chapeaux. Celui des groupes qui s’apercevra de quelque chose de nature à l’alarmer, devra donner le signal en levant les carabines, et se replier tout de suite sur les autres, et, une fois réunis, nous pourrons délibérer sur ce qu’il y aura de mieux à faire.

Le capitaine donna le signal du départ.

— En avant, messieurs, dit Gustave.

Malgré les derniers événements, notre héros conservait toujours son humeur gaie et tenait toujours George et Arthur dans l’hilarité, afin de chasser de leur esprit les pensées amères et la peine qui s’emparait d’eux de temps à autre.

Ils ne pouvaient oublier la perte de leur sœur chérie.

— Qui aurait pensé que nous nous serions ainsi trompés hier, dit Gustave qui, avec ses deux amis, tenait le devant ; au lieu d’avoir trouvé la nouvelle Jérusalem, nous avons vu l’enfer avec ses habitants ; j’aurais dû penser…

Mais il n’a pas le temps de finir ; des obstacles placés en travers du chemin attirent leur attention.

Ils arrêtent leurs chevaux, lèvent leurs carabines en l’air, et se replient sur le groupe en arrière ; les deux autres groupes en font autant.

— C’est peut-être une ruse pour nous retarder, dit Gustave, aussitôt que les quatre groupes furent réunis.

— On ne doit pas avoir placé ces obstacles pour simple plaisir de nous retarder, dit l’un des hommes.

George, qui ne cessait de tenir la vue fixée sur les obstacles, croit remarquer un certain mouvement dans les hautes herbes de chaque côté du chemin.

— Regardez donc, dit-il, ne dirait-on pas qu’il y a quelque chose dans ces herbes ?

— Oui, en effet, dit Gustave ; elles cachent en ce moment, je n’ai nul doute, des sauvages dont le but est de nous attaquer. Levez tous vos carabines, ajoute-t-il.

Au même instant, le capitaine et M. Dumont en font autant.

La caravane arrête, et chacun prépare ses armes ; les femmes et les enfants entrent dans les wagons, et les hommes s’assemblent pour tenir conseil.

Les uns, conservant encore la rage de la veille, voulaient se ruer sur ces sauvages et les exterminer, coûte que coûte ; d’autres, plus sages, voulaient former le camp réglé et attendre l’attaque, en se tenant sur la défensive.

— Je crois avoir trouvé un moyen bien simple de les déloger, dit George, et la caravane ne courra aucun danger, si vous voulez l’adopter. Ce serait de mettre le feu dans ces hautes herbes, à une centaine de pieds chaque côté du chemin ; le vent nous est favorable, et poussera ce feu en avant de nous. Si ces sauvages ne veulent pas tourner en jambons, ils devront déguerpir au plus vite.

— Bravo ! bravo ! s’écrie l’assemblée.

Une douzaine d’hommes, se munissant d’allumettes et de poignées d’herbes sèches, se rendent à la distance indiquée. En une seconde, douze feux s’élèvent, puis grossissant tout à coup, se réunissent et se dirigent du côté des obstacles, avec la rapidité de l’éclair.

De grands cris se font entendre ; et des centaines de sauvages se lèvent et se sauvent du côté de la rivière, dans laquelle ils se jettent épouvantés. Il était temps, plusieurs avaient les cheveux brûlés.

— Vous faites bien, dit Gustave en souriant ; après une telle chaleur, il est bon de prendre un bain pour se rafraîchir.

Quelques minutes plus tard, sauvages, herbes et obstacles étaient disparus ; et le feu alla s’éteindre sur des rochers à deux milles plus loin.

Gustave et ses hommes reprennent leur place, et la caravane se remet en marche.

— Je pense que ces sauvages vont nous laisser un peu de repos, au moins pour quelques jours, dit Gustave, toujours souriant, à ses deux amis ; l’eau a pour effet de calmer les nerfs, et ce bain forcé a dû amortir leur ardeur. Qu’en pensez-vous ?

George et Arthur, étonnés de le voir aussi jovial, lui dirent :

— Vous nous surprenez, vraiment. Comment se fait-il que vous puissiez conserver une humeur aussi gaie en face des dangers auxquels nous venons d’échapper, et qui nous menacent encore ? Pendant que tout notre monde craint et tremble, vous souriez toujours comme si de rien n’était.

— Avoir peur ou trembler ne me servirait de rien, répond Gustave en changeant de ton. Je vous ai enseigné le bon remède l’autre soir, chers amis, lorsque, seuls et écartés dans cette prairie, nous ne savions que faire. Je vous ai dit qu’il fallait toujours mettre notre confiance en Dieu, le prier chaque matin de nous accorder sa sainte protection. Faites cela, et ne vous inquiétez pas du reste : pas un cheveu de votre tête ne tombera sans sa permission.

— Vous nous donnez là un bon conseil, dit Arthur, et j’essaierai de le mettre en pratique.

— Soyez assurés que ce remède ne manque jamais de produire un bon effet.