C. O. Beauchemin et Fils (p. 12-17).

CHAPITRE II

burlington. — gustave au collège. — la prière et les études.


Burlington, dans l’État du Vermont, est une jolie petite ville agréablement située sur les bords pittoresques du lac Champlain. Elle est remarquable surtout par ses belles résidences à demi cachées par le feuillage des arbres qui les entourent.

Comme dans les autres villes des États-Unis, on y voit de nombreux temples où l’Évangile est prêché et interprété en autant de différentes manières qu’il s’y trouve de ministres. Elle possède aussi de belles écoles et une haute université.

C’est dans cette charmante petite ville que M. Dumont avait fixé son séjour depuis plusieurs années. Il avait épousé une jeune Américaine qui, quoique douée de toutes les qualités de la femme et de l’épouse, était néanmoins indifférente en matière de religion ; elle n’avait d’aversion que pour une seule croyance, le catholicisme.

Quelques jours après la naissance de Gustave, M. Dumont, qui était encore catholique, vint à Montréal pour le faire baptiser. Cet enfant plut tellement à sa grand’mère qui, avec son époux, l’avait tenu sur les fonts baptismaux, qu’elle demanda à son fils de le lui laisser jusqu’à l’âge de vingt et un ans. M. Dumont céda, non sans regret, aux prières réitérées de sa mère.

Pendant sa première enfance, Gustave, d’un caractère doux et affable, avait fait la joie de ses vieux parents ; il se distingua à l’école primaire et plus tard au collège, et les bons vieillards se trouvèrent amplement récompensés de leurs sacrifices, par son assiduité à l’étude, la régularité de sa conduite, son respect à leur égard. C’est ce qui explique la peine qu’ils éprouvèrent lors de la récente séparation.

Le mariage de M. Dumont avait été contracté contre le vœu de ses parents, qui voyaient dans une union mixte un danger pour la foi de leur fils. Leurs craintes n’étaient, hélas ! que trop fondées. Lancé dans un milieu hostile à sa foi, harcelé sans cesse par des sectaires dressés à la controverse, et trop peu instruit de sa religion pour réfuter leurs arguments avec succès, le père de Gustave abandonna peu à peu toutes ses pratiques religieuses ; puis, par insouciance, faiblesse et respect humain, il abjura finalement le catholicisme pour embrasser la religion prétendue réformée.

Comme il arrive trop souvent aux âmes dévoyées, une fois sorti du droit chemin, il s’égara de plus en plus. De catholique négligent, puis indifférent, il devint un protestant zélé, militant et bientôt fanatique. Enfin, ayant reçu une instruction assez développée et étant doué d’une élocution facile, il suivit des cours de théologie protestante, et à l’époque où nous le rencontrons, il était devenu l’un des ministres les plus zélés de la secte presbytérienne ; déjà même son remarquable talent oratoire lui avait fait une réputation parmi ses nouveaux coreligionnaires.

Ne voulant pas que son fils continuât à être élevé dans l’Église romaine, il l’avait envoyé chercher, afin de réformer et de parfaire son éducation, et ainsi le forcer à renoncer aux prétendues erreurs d’une Église que désormais il abhorrait.

Il avait construit un édifice religieux où il se donnait pour mission de prêcher le pur Évangile aux Canadiens-Français de la ville et des environs. En dépit de tout son zèle, il n’avait guère réussi qu’à réunir une vingtaine de ses compatriotes attirés à lui par des dons en vêtements et provisions de toutes sortes que les Américains lui envoyaient de New-York, de Boston et autres villes voisines, pour les leur distribuer.

De grosses caisses remplies de Bibles nouvellement revisées par les docteurs en théologie de la « Société biblique » lui étaient expédiées par les dignitaires de cette société, et les nouveaux convertis les répandaient dans toutes les familles de leur nationalité.

Joyeux de l’arrivée de son fils, le Rév. M. Dumont se promettait d’augmenter bientôt son église naissante d’un néophyte de plus. La suite de ce récit nous apprendra s’il réussit dans cette entreprise.

Le lendemain de son arrivée, Gustave, mû par une curiosité bien légitime, parcourut et visita sa nouvelle demeure. Tout y était splendide et luxueux, riches ameublements, gravures magnifiques, mais rien qui sentait la demeure d’un ministre de religion ; tout était profane.

Ah ! se dit-il, grand’mère avait bien raison de dire que depuis que papa est protestant, il s’occupe exclusivement des choses de la terre, et, tout en faisant ces pénibles réflexions, il descendit au salon, où la famille l’attendait.

Sa petite sœur Alice, toute joyeuse, accourut vers lui et l’embrassa. Après avoir salué son père et sa mère, il s’informa de leur santé et les félicita de l’aisance dont ils jouissaient dans leur demeure.

— Veux-tu faire la prière en commun avec nous ? lui demanda son père.

— J’ai fait ma prière aussitôt levé, répond Gustave en rougissant légèrement, veuillez m’excuser ; si vous me le permettez, j’irai faire un tour au jardin en attendant le déjeuner.

Sur un signe d’assentiment de son père, il descendit au jardin qu’il trouva charmant dans la distribution et dans la qualité des plantes rares et variées qui en faisaient la splendeur. Des statues placées de distance en distance représentaient, ici, le dieu de la guerre, là un général éminent, plus loin un lion au repos, enfin, au centre du jardin, où venaient aboutir toutes les allées, une déesse aux formes trop peu voilées se reposait au milieu d’un massif de fleurs.

Quelle différence, se dit notre candide jeune homme, ici, à la plus belle place du jardin, une statue indécente, à Montréal, chez mes grands parents, une statue de la sainte Vierge.

Au même instant, il voit accourir vers lui son aimable sœur qui lui présente une jolie fleur en disant :

— Tiens, cher frère, voici une fleur que j’ai cueillie pour toi. Oh ! que je suis heureuse d’avoir un frère que je vais bien aimer. Tu es content, toi aussi, n’est-ce pas ?

— Oui, bonne petite sœur, répond Gustave en souriant, et je te remercie de ta délicate attention.

— Papa m’a envoyée te chercher pour le déjeuner, dit Alice, c’est le premier repas que nous allons prendre ensemble, et ta place est à côté de moi, et prenant son frère par le bras, elle l’entraîne gaiement vers la maison.

Dès ce jour, une tendre amitié lia ces deux enfants ; dans leurs heures de loisir, ils n’avaient pas de plus grand bonheur que de se trouver l’un avec l’autre. Gustave en profita pour instruire sa sœur, qui était vraiment digne de lui par ses qualités, sa bonne mine et sa physionomie franche et ouverte. Ce fut un grand bonheur pour lui de trouver en elle une élève docile et favorablement disposée ; aussi ne tarda-t-il pas à lui apprendre les prières de notre sainte religion, et l’aimable enfant se plaisait à les répéter souvent.

Le mois de septembre arrivé, Gustave fut placé à l’université dont nous avons parlé plus haut, pour apprendre la langue anglaise. Son aptitude, son application et ses succès lui obtinrent bientôt la bienveillance de ses maîtres, qui le désignaient comme modèle aux autres élèves.

— Eh bien ! comment te trouves-tu au collège ? lui demanda son père quelques jours plus tard.

— Mais assez bien, mon père, répondit Gustave, on nous enseigne la littérature et les sciences humaines, mais… pas autre chose.

— Que veux-tu dire par ces autres choses ? reprit M. Dumont.

— Je veux dire, papa, qu’au collège où j’étais à Montréal, les classes ne commençaient jamais avant que maîtres et élèves eussent fait une prière à Dieu et à la sainte Vierge, afin d’attirer les bénédictions célestes sur le travail commun, et elles se terminaient de la même manière pour remercier le Dieu de toutes sciences. L’audition de la messe, tous les matins dès le lever, était même de rigueur.

— Ces exercices de religion pouvaient être en usage dans ce collège rempli de papistes ; mais… suffit pour le moment, nous reviendrons sur ce sujet plus tard. J’aime à te permettre la discussion avec moi, c’est par elle que tu reconnaîtras que ta grand’mère a profité de ta jeunesse pour faire de toi un idolâtre en t’obligeant de pratiquer les erreurs de Rome, ainsi que je l’ai fait moi-même jusqu’à ces dernières années. Mais, grâce à Dieu, j’ai les yeux ouverts et, avec son saint Évangile, je puis me guider. Si j’ai voulu t’avoir avec moi, c’est pour te retirer de l’erreur dans laquelle on t’a plongé, et te ramener à la lumière du Christ.

— J’espère, cher père, que vous n’abuserez pas de votre autorité ni de votre influence pour me retirer de cette erreur, qui d’après vous est…

— Non, non, interrompit M. Dumont piqué au vif, je… je veux que tu lises la Bible.

— Quelle Bible, s’il vous plaît, mon père ?

— La Bible, il n’y en a qu’une, c’est la parole de Dieu contenue dans l’Ancien et le Nouveau Testament.

— Il n’y a qu’une vraie Bible ; cependant je lisais hier encore qu’il y en a de fausses, c’est-à-dire des bibles que l’on révise tous les ans, dont on a retranché plusieurs livres, tels que les Machabées, l’Ecclésiaste, etc. ; d’autres contenant des textes changés pour leur donner une interprétation nouvelle. Et, cher père, ce sont ces bibles que les « Sociétés bibliques » répandent par milliers. Quant à moi, je n’ai pas d’objection de lire toute Bible approuvée par les autorités de l’Église catholique.

— Tu trouveras une Bible de Douay dans ma bibliothèque, ainsi que plusieurs ouvrages qui serviront à t’éclairer. Je tiens que tu en fasses une lecture tous les jours.

— Je me conformerai à votre désir, mon père.