Guillaume Mollat. La collation des bénéfices ecclésiastiques sous les papes d’Avignon (Viard)

Guillaume Mollat. La collation des bénéfices ecclésiastiques sous les papes d’Avignon (Viard)
Bibliothèque de l’École des chartes82-83 (p. 179-181).
G. Mollat. La collation des bénéfices ecclésiastiques sous les papes d’Avignon (1305-1378). Paris, de Boccard, 1921. In-8o, 353 pages. (Université de Strasbourg, Bibliothèque de l’Institut de droit canonique, vol. I.)


La féodalité fit sentir son influence sur le pouvoir de l’Église aussi bien que sur celui de la royauté. Pendant la première partie du moyen âge, la papauté, comme les rois, vit lui échapper certains moyens d’action que plus tard elle s’efforça de récupérer. Parmi ces moyens d’action, l’un des principaux, celui dont elle usa fréquemment pour s’attacher des créatures, fut la collation des bénéfices. Or, antérieurement au XIe siècle, le pouvoir royal chercha souvent à se substituer au pouvoir ecclésiastique pour ces collations ; ce fut même de ces empiétements que naquit la querelle des investitures. À la suite de ces dissensions, la papauté put se ressaisir, et à partir du XIe siècle elle employa tous ses efforts pour chercher à centraliser le gouvernement de l’Église entre ses mains. C’est l’histoire de ce que les papes d’Avignon firent dans ce sens que M. Mollat a voulu retracer dans cet ouvrage sur la collation des bénéfices.

On distingue deux sortes de bénéfices, les bénéfices mineurs : canonicats, prébendes, dignités, personats. églises, etc., et les bénéfices majeurs : patriarcats, archevêchés, évêchés, abbayes d’hommes et de femmes. Depuis de longs siècles, les évêques, les abbés, les chapitres avaient coutume de conférer les bénéfices mineurs placés sous leur tutelle. Les papes revendiquèrent leur part dans la collation et, pour arriver à leurs fins, ils usèrent du droit de réserve. On appelle ainsi le droit que possède le pontife romain, en vertu de sa primauté de juridiction, de conférer lui-même un bénéfice ou un office qui est vacant ou qui le deviendra, à l’exclusion de tous les collateurs ordinaires.

Il y avait deux sortes de réserves, les unes spéciales, s’appliquant à des cas particuliers ; les autres générales, affectant tous les bénéfices d’une certaine catégorie vacants ou à vaquer soit dans l’Église entière, soit dans un royaume, une province ou un diocèse. Le premier exemple de réserve générale relative à la chrétienté remonte à Clément IV ; mais ce fut à partir de Jean XXII que les réserves pontificales s’accrurent dans des proportions considérables. La constitution Ex debito marqua une étape décisive dans leur développement. Les successeurs de Jean XXII maintinrent les dispositions prises par ce pape ; les modifications qu’ils y apportèrent ne firent que donner plus de force à leur pouvoir, de sorte que sous Urbain V l’absorption du droit de collation au profit du pontife romain était quasi complète. Les mesures prises pour les réserves relatives à la chrétienté entière furent aussi appliquées à partir de Clément IV aux bénéfices d’un royaume ou d’une province ecclésiastique.

Un des moyens dont les papes usèrent primitivement pour s’immiscer dans la collation des bénéfices fut le mandat de provision. Le plus ancien connu est de 1137. Par ce mandat, le pape demande à un évêque de bien vouloir conférer un bénéfice à un clerc qu’il lui désigne. Le nombre de ces mandats s’accrut dans de grandes proportions à partir d’Alexandre III. Dans la suite, les papes nommèrent aux bénéfices en invoquant le droit de dévolution, la résignation des bénéfices, la mort en cour romaine ou en pèlerinage, la promotion à une autre charge, la destitution, l’expulsion, le cumul illicite, l’illégalité de collation, le bon plaisir du pape, etc.

Dans une suite de chapitres intéressants et bien documentés, M. Mollat étudie successivement le droit de dévolution, la résignation, les grâces expectatives qui profitaient principalement aux pauvres clercs, la commende, et fait connaître à la fin de cette première partie de son travail le mécanisme des provisions apostoliques, suppliques, examens, expédition, délivrance et exécution des bulles de provision.

La deuxième partie de ce volume est consacrée à la collation des bénéfices majeurs, c’est-à-dire des évêchés et des abbayes. Le principe de l’élection qui, depuis les premiers temps de l’Église, avait prévalu pour le choix des évêques et des abbés, était devenu peu à peu une cause de scandales et de conflits. La discorde régnait à l’état endémique dans les collèges électoraux. Des prélats indignes achetaient les suffrages des membres des chapitres. Par faiblesse ou par calcul, les électeurs choisissaient quelquefois des incapables ou des libertins. Le pouvoir séculier s’entremettait aussi par la violence dans les élections afin de faire triompher un candidat qui pouvait lui être favorable. Aussi la cour romaine, obsédée par ces conflits et les appels qu’ils provoquaient, confisqua à son profit exclusif les nominations épiscopales et abbatiales. Les papes purent facilement justifier cette mesure par le droit qui découlait du pouvoir suprême qu’ils possédaient en tant que chefs de l’Église romaine, par les avantages qu’elle leur procura au point de vue fiscal et enfin par l’entente qui régna souvent entre les rois et la papauté au sujet du choix des candidats, entente qui généralement amena la paix et la concorde entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel.

Dans la dernière partie de son travail, M. Mollat expose les conflits et les résistances que les mesures pontificales purent susciter dans les différents États qui composaient alors la chrétienté. En Angleterre et dans l’Empire, où la résistance fut souvent âpre et où de graves conflits surgirent, en France, en Italie, en Espagne, en Portugal et dans les petits pays tels que la Dalmatie, la Croatie, l’Épire, la Pologne, la Lithuanie, etc.

L’ouvrage de M. Mollat, fruit de longues recherches dans les archives pontificales et de laborieux dépouillements de nombreux travaux français et étrangers, forme un excellent chapitre de l’histoire des relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel au XIVe siècle. Les consciencieux travaux déjà publiés par M. Mollat sur les papes d’Avignon sont la garantie de la valeur de ce dernier volume. Nous n’y voulons relever qu’un lapsus causé sans doute par une note mal prise une première fois. Partout, le nom de M. Furgeot, qui vient de publier le premier volume de l’Inventaire des actes du Parlement de Paris de 1328 à 1350, est changé en Frugeot ; en somme, légère faute qu’il sera facile de corriger.


Jules Viard.