Librairie polytechnique Ch. Béranger (p. 32-37).

CHAPITRE II

Reliure. — Définition de l’art du relieur et des divers genres de reliure


La reliure, telle que nous l’avons définie dans notre traité de l’art du relieur auquel on peut avoir recours pour certaines questions d’ordre général qui faute d’espace n’ont pu prendre place ici, est l’art d’habiller un livre selon son caractère, son mérite ou sa destination. Le praticien comprenant son art et jaloux de sa réputation ne doit pas perdre de vue ces questions essentielles.

Le livre a pris de nos jours une extension énorme et tend de plus en plus à se populariser. Abstraction faite de certains spécimens d’art ou de curiosité. Les connaissances en reliure se vulgarisent de plus en plus et l’on peut prévoir le moment où certains relieurs auront fort à faire, s’ils ne cherchent, par tous les moyens possibles, à acquérir les connaissances nécessaires à notre art.

Une reliure doit être avant tout solide ; cette solidité n’exclut pas l’élégance, bien au contraire. Ce qu’il faut éviter, quand il s’agit de confectionner des reliures solides, c’est de les rendre grossières, il faut savoir proportionner la couverture au sujet. Il convient de donner à certains livres, tels que les dictionnaires, les missels, etc., etc., une reliure d’apparence massive sans être grossière : en reliure ce qui est grossier et lourd ne saurait être solide. Tout dans l’ensemble doit être parfaitement équilibré, ce n’est ni la masse de matières employées, ni l’absence du fini qui rendent une reliure solide. Tout au contraire, une reliure où tout est bien combiné, bien agencé, dont le dos n’est pas surchargé de colle, dont la parure faite à point pour dégager les mors, leur permet de fonctionner librement (on peut les garnir d’une charnière en toile ou en peau) et la bonne qualité des fournitures aidant, cette reliure sera solide : elle pourra de plus être très élégante, selon les soins et le goût que le relieur aura apporté à son travail Nous affirmons sans crainte d’être démenti, que plus une reliure est soignée dans les détails, mieux elle résistera à l’usage et à l’action du temps.

Les divers genres de reliure se divisent comme suit.

Reliure pleine. — On désigne sous ce nom, toute reliure dont la couverture est entièrement recouverte en peau ou d’un tissu quelconque. La reliure pleine peut être ou très soignée, même un objet d’art, ou être appliquée à un simple livre classique couvert en toile grise, en passant par toute la gamme intermédiaire. Elle peut être cousue sur nerfs, ou à dos brisé. Dans la reliure cousue sur nerfs ou à dos plein, la peau qui recouvre le volume est collée directement au dos des cahiers, ce qui est beaucoup plus solide.

Les anciens relieurs cousaient généralement leurs livres sur nerfs simples ou doubles. Les manuscrits sur vélin étaient même cousus sur de véritables nerfs de bœuf. Plus tard, et surtout après l’invention de l’imprimerie, les nerfs de bœuf furent remplacés par des ficelles de chanvre câblé. Ce genre de couture est encore en grand honneur, il s’exécute généralement de nos jours pour des reliures soignées, et sur celles qui réclament une grande solidité.

La reliure à dos brisé est celle dont la préparation du dos est faite de telle sorte, que les peaux ou les divers tissus avec lesquels on recouvre les volumes sont indépendants du dos, et ont pour intermédiaire une carte souvent garnie de faux nerfs. On désigne aussi ce genre de reliure sous le nom de reliure à la grecque, à cause des encoches pratiquées sur le dos à l’aide d’une scie, et dans lesquelles se logent les ficelles en cousant le volume.

On a prétendu que les reliures à dos brisé s’ouvrent avec plus de facilité que les reliures cousues sur nerfs. C’est là une grave erreur ; un volume cousu sur nerfs, dont la peau qui recouvre le volume est convenablement parée et assouplie, puis collée directement aux cahiers, conserve au dos une souplesse telle qu’il serait impossible à une reliure à dos brisé, quelque soignée qu’elle puisse être, de se comparer à une reliure à dos plein, tant sous le rapport de l’ouverture du volume que de la solidité de la reliure. Les seuls avantages de la reliure à la grecque ou à dos brisé, sont d’être plus économiques et d’être beaucoup plus faciles à exécuter. Mais il en est de la couture sur nerfs comme de bien d’autres systèmes, qui, quelque supérieurs qu’ils soient, ne valent que par leur application. Il y a ainsi en reliure certaines méthodes, dont l’excellence a été reconnue par les meilleurs praticiens, qui en ont retiré honneur et profit, et qui mal comprises ou mal appliquées, par des ouvriers routiniers et ennemis du progrès, restent lettres mortes entre leurs mains, et n’ont jamais pu leur rendre des services.

Demi-reliure. — Elle diffère de la précédente en ce que le dos seul, et parfois le dos et les coins sont seuls recouverts en peau ou d’un tissu quelconque. Les plats sont alors couverts d’un papier marbré, approprié à la qualité de la reliure, ainsi qu’à la nuance des peaux, etc., qui recouvrent le dos. Certaines demi-reliures sont fabriquées de façon à imiter les reliures pleines. On couvre le dos en peau de chagrin, et les plats en toile imitant la peau. Un encadrement doré ou gaufré, qui cache la jointure faite toujours très près des mors, donne à ce genre de demi-reliure l’apparence d’une reliure pleine.

Cartonnage et emboîtage. — Ce sont des reliures légères que l’on applique principalement aux livres pour étrennes, ou pour être donnés en prix. Dans l’emboîtage, la couture, l’endossure et les tranches se fabriquent d’une part, et la couverture de l’autre. On couvre cette dernière d’ornements dorés ou en couleurs, puis on emboîte l’un dans l’autre ; ces reliures sont plus ou moins apparentes et se fabriquent à bon marché.

Les cartonnages classiques se font dans des ateliers mixtes On couvre ordinairement le dos en toile et les plats en papier, en utilisant parfois la couverture de la brochure.

Les divers genres de reliure indiqués ci-dessus diffèrent sensiblement par l’exécution. Il y a la reliure d’art, la reliure d’amateur, la reliure de luxe, la reliure de bibliothèque et la reliure usuelle.

Reliure d’art, reliure de luxe, reliure d’amateur. — On confond assez souvent la reliure d’art avec la reliure de luxe. Aux yeux des amateurs, cette différence est pourtant fort sensible. Une reliure peut affecter une grande richesse, être recouverte d’ornements et de joyaux précieux dont le prix est parfois assez élevé, mais rester simplement ce qu’elle est, une reliure de luxe, sans avoir aucune attache avec l’art proprement dit. Les merveilleux spécimens d’art que nous ont légués les anciens n’ont de luxueux qu’une ornementation sagement comprise, une science approfondie des arts du dessin, et une exécution qui, eu égard aux moyens dont disposaient nos pères, nous jettent parfois dans un étonnement profond, devant les résultats auxquels ils sont arrivés.

L’art et le luxe ne sont pourtant pas incompatibles. Une reliure peut, par le luxe de son ornementation, atteindre aux plus hauts sommets de l’art. Il faut surtout que le relieur ne perde jamais de vue son sujet, qui est le livre. Tout genre d’ornementation qui s’en écarte ne peut que lui nuire, et l’art en reliure ne réside que dans les moyens employés pour atteindre à la perfection. Une reliure simple, très sobre d’ornements, peut être une reliure d’art, à la condition que cette ornementation soit bien comprise et que l’exécution réponde au sujet.

La reliure d’amateur se recrute dans les divers genres. Il y a la reliure et la demi-reliure d’amateur. Il y a même le cartonnage d’amateur. L’amateur est celui qui choisit l’un de ces genres, pour l’appliquer à tel ouvrage de sa bibliothèque, selon la valeur du livre, ou ses préférences personnelles. C’est lui qui a remis en honneur le cartonnage à la bradel, et qui de nos jours lui a fait prendre les diverses transformations qui le font rechercher pour tous les ouvrages ne comportant pas une grande dépense, ou une certaine solidité.

L’amateur a une influence énorme sur la reliure, qui lui doit non seulement la plupart de ses perfectionnements, mais aussi le cachet artistique qui la distingue d’une foule d’autres arts industriels. Il se trompe parfois, mais comme il est assez généralement homme de sens et de goût, il se rend facilement aux objections que lui oppose le relieur habile, qui par état doit être à même de pouvoir le guider à son tour. La reliure d’amateur est donc celle qui, un type étant donné, réunit toutes les perfections qui lui sont relatives tant sous le rapport du fini que sous le rapport du goût.

Reliure de bibliothèque. Reliure usuelle — On nomme reliure de bibliothèque, celle qui, sans caractère défini, s’applique généralement à tous les genres de livres, non seulement en vue de les conserver, d’en permettre l’usage sans s’exposer à les détériorer et de les préserver des atteintes du temps, mais aussi dans le but de les faire concourir à l’embellissement de l’intérieur dans lequel ils sont destinés à prendre place.

La reliure usuelle est celle que l’on applique aux ouvrages d’étude et de travail ; ils doivent être, avant tout, solides, sans recherche d’ornement d’aucune sorte. Une simplicité absolue, jointe à une solidité à toute épreuve, sont les conditions essentielles des livres usuels. Les volumes de petit format peuvent être recouverts en toile anglaise, etc. Une bonne confection leur assure une longue durée.