Guide dans les cimetières de Paris/Préface


PRÉFACE




Le souvenir des morts, en exaltant l’imagination des vivants, développe en eux les émotions les plus vives, et réveille en leur cœur le culte des tombeaux.

La religion de la mort a eu dans tous les âges ses manifestations et ses coutumes :

Les Égyptiens gardaient chez eux les momies et les asseyaient à leurs festins ;

Les Grecs brûlaient les corps pour en conserver la poussière dans des urnes[1] ;

Les Calatiens les mangeaient afin de les faire revivre en eux ;

Les Romains les enterraient,

Ainsi faisons-nous.

Les Romains plaçaient les tombeaux à l’entrée des villes, en les isolant les uns des autres, comme on le voit de nos jours, en arrivant à Pompéï.

Cette coutume fut abolie par l’empereur Léon ; alors vint l’usage d’enterrer dans les églises. Les catacombes de Rome furent la première église et le premier cimetière des chrétiens.

La fureur d’enterrer dans les églises amena l’abus, et le pape Urbain IV eut à défendre l’église de Saint-Pierre, à Rome, contre l’envahissement des sépultures qui confondaient « les impies avec les personnes pieuses, les criminels avec les saints. »

De vastes enclos destinés aux sépultures furent établis près des églises ; on les appela cimetières.

Au xiie siècle, sous le règne de Philippe-Auguste, fut ouvert à Paris le Cimetière des Innocents.

Situé sur l’emplacement actuel des halles, ce cimetière effrayant était entouré d’une enceinte de pierre.

Au milieu, s’élevait un large pilier supportant une lanterne.

Les hommes et les animaux erraient à leur gré dans cette enceinte de mort.

Une galerie voûtée, appelée charnier, pourtourait l’enclos, servant de lieu de sépulture aux familles riches, et de promenade aux Parisiens.

La partie parallèle à la rue de la Ferronnerie était décorée d’une fresque représentant la Danse macabre, ou Danse des morts ;

Dans un angle se dressait l’échafaud destiné aux prédicateurs.

En 1720, par suite d’inhumations trop nombreuses, le sol s’y était élevé de huit pieds au-dessus du sol des habitations voisines.

En 1785, le cimetière et le charnier furent fermés.

Déjà Paris renfermait dans son enceinte dix-huit cimetières ;

On les abandonna en 1789 pour en établir de plus vastes en dehors du mur d’octroi.

On compte actuellement à Paris trois grands cimetières :

Celui du Nord ou du Montmartre,

Celui du Sud ou de Montparnasse,

Et celui de l’Est ou du Père-Lachaise (le plus important).

Les cimetières ont perdu aujourd’hui la hideur d’autrefois.

Placés dans des sites pittoresques,

Convertis en jardins magnifiques,

Coupés par des allées ombreuses,

Ces lieux, stations mélancoliques posées entre les limites de deux mondes, loin d’inspirer de la frayeur, portent à l’âme une volupté sérieuse.

Des statues et des bustes ciselés par les grands maîtres,

Des bas-reliefs habilement fouillés,

Des médaillons rappelant des visages aimés, des coupes et des urnes élégantes dans leurs contours, complètent la magnificence des monuments[2].

Grâce à un meilleur goût et à la surveillance de l’administration[3], le style lapidaire, subissant une réforme nécessaire, a été purgé des exagérations enfantées par la douleur.

Mais l’œil se perd à travers ces champs parsemés de curiosités, et le corps se lasse dans des courses investigatrices.

Pour venir en aide au visiteur, nous avons songé à lui servir de guide, et nous avons entrepris le travail que nous lui offrons ;

Travail immense, à peine tenté auparavant, et qui, pour être exact et complet, a exigé que nous visitions une à une des milliers de sépultures[4].

L’esprit garni de souvenirs biographiques et les mains pleines de descriptions artistiques, nous nous sommes décidé à ne fournir que des notices très-courtes, afin de laisser au visiteur la liberté d’étendre ses impressions et de régler sa marche.

Plus réservé qu’un cicérone ordinaire, mieux renseigné surtout, le Guide dans les Cimetières de Paris obtiendra-t-il les sympathies et les encouragements du public ?

Puisse-t-il au moins être considéré comme un hommage pieux rendu à la dépouille de ceux qui ont illustré leur siècle et leur pays, et aussi comme un ardent désir de mettre en saillie une des splendeurs du nouveau Paris.

Th. A.

Paris, 1865.

  1. Voir sur l’emploi de ce mode et ses avantages le livre intéressant de M. Feydeau, directeur général des cimetières de Paris.
  2. Il se fabrique en moyenne chaque année à Paris pour 2 millions 700,000 francs de monuments (Statistique de la Chambre de commerce de Paris).
  3. Les cimetières, en France, sont la propriété de l’État ou des communes, tandis qu’en Angleterre ils appartiennent à des entreprises particulières.
  4. En 1820, on comptait dans le seul cimetière du Père- Lachaise 15,000 monuments, dont plus de 2,000 à perpétuité. On peut porter à 17,000 environ le chiffre actuel des mausolées.