Guerre et Négociations de Hollande en 1672



GUERRE
ET NÉGOCIATIONS
DE HOLLANDE
EN 1672.

MORT DES FRÈRES DE WITT.

Ce travail historique, dont nous devons la communication à M. Mignet, fait partie des nouveaux volumes qu’il doit publier sur les négociations du règne de Louis XIV, et qui contiennent les curieux préparatifs diplomatiques de l’invasion de la Hollande et les importantes suites de cette guerre[1]. Pendant quatre ans, Louis XIV négocia dans toute l’Europe la ruine de cette république avec une persévérance qui ne se rebuta pas un seul instant et avec une habileté profonde. Il conclut des traités d’alliance offensive avec le roi d’Angleterre, l’électeur de Cologne et l’évêque de Munster pour l’attaquer en même temps par mer et par terre ; de traités de neutralité avec l’empereur d’Allemagne et plusieurs princes de l’empire, pour qu’ils la laissassent envahir sans la défendre ; un traité de coopération éventuelle avec le roi de Suède pour qu’il fit marcher ses troupes contre ceux qui tenteraient de la secourir. Lorsqu’il eut ainsi complètement isolé la Hollande et qu’il eut pris toutes les mesures pour l’accabler, il lui déclara la guerre au printemps de 1672 et l’envahit. Le récit qu’on va lire forme la suite et en quelque sorte le dénouement de toutes les négociations préliminaires, que M. Mignet expose dans toute leur nouveauté et toute leur étendue, d’après les documens inédits déposés aux archives des affaires étrangères.


Après la déclaration de guerre, Louis XIV partit de Saint-Germain, le 28 avril 1672, pour entrer en campagne. Il se rendit à Charleroi, où il arriva le 5 mai. L’armée qu’il avait réunie sur la Sambre et dans les Ardennes était composée d’environ cent dix mille hommes. Elle était bien équipée, munie, ce qui ne s’était pas vu encore, des batteries de campagne et de siége nécessaires pour cette grande expédition[2]. D’immenses approvisionnemens l’attendaient sur la Meuse et sur le Rhin[3], et elle devait être commandée par les plus habiles capitaines du siècle.

Le duc de Luxembourg, à la tête d’un corps, fut détaché pour se rendre auprès de l’électeur de Cologne et de l’évêque de Munster, et prendre le commandement de leurs troupes auxiliaires[4]. Le prince de Condé forma l’avant-garde avec trente mille hommes. Le reste de l’armée s’élevant à quatre-vingt mille hommes, placé sous les ordres immédiats du roi, eut le duc d’Orléans pour généralissime et le vicomte de Turenne pour général réel[5].

On pouvait attaquer les Provinces-Unies par deux côtés : par la Meuse ou par le Rhin. Le prince de Condé proposa de prendre d’abord Maëstricht, qui appartenait à l’électeur de Cologne, évêque de Liége, mais qu’occupaient les troupes des États-Généraux des Provinces-Unies, afin d’assurer les derrières de l’armée et de tenir les Espagnols en échec. Le vicomte de Turenne ne partagea point cette opinion. Maëstricht était une ville très forte : sa garnison, à laquelle s’était réuni un corps espagnol, s’élevait à douze mille hommes. Il était à craindre qu’elle ne résistât long-temps, et que les lentes opérations d’un siége ne permissent aux Hollandais de préparer une défense plus vigoureuse et n’empêchassent la grande armée d’invasion d’exécuter son entreprise. Il fut d’avis de s’emparer de Maseyck, située sur la Meuse, à quelques lieues en dessous de Maëstricht ; de laisser dans cette place un corps d’observation destiné à bloquer Maëstricht et à contenir les Pays-Bas espagnols, et de marcher ensuite vers le Rhin pour tourner les Provinces-Unies et les attaquer au cœur même de leur puissance.

Cette opinion prévalut. Le vicomte de Turenne se présenta avec vingt mille hommes devant Maseyck, qu’il investit le 14 mai, qui se rendit le 15, dont il fit relever les fortifications et où il laissa une garnison considérable sous les ordres du comte de Chamilli[6]. Après cette opération préliminaire, Louis XIV, à la tête de son armée, longea la Meuse qu’il passa le 17 mai à Viset, entre Liége et Maëstricht, et se dirigea du côté du Rhin à travers le duché de Juliers. Il campa à Nuys le 31, et il resta sur la rive gauche du Rhin avec Turenne, tandis que Condé se porta sur la rive droite par la ville de Keyserswert[7]. Ces deux places appartenaient à l’électeur de Cologne, qui les avait mises à la disposition du roi pour faciliter ses approvisionnemens et son passage.

L’armée française était arrivée à la vue des places que les États-Généraux occupaient sur les bords du Rhin et qui leur servaient de barrière. Orsoy, Rhynberg, Burick, sur la rive gauche ; Wesel, Rees, Emmerick, sur la rive droite, défendaient l’entrée de leur pays du côté de la Gueldre et du côté de l’Allemagne. L’ordre fut donné d’attaquer en même temps les quatre premières de ces places à la fois. Le même jour, le prince de Condé, Louis XIV, le duc d’Orléans et le vicomte de Turenne, mirent le siége devant Wesel, Orsoy, Rhynberg et Burick[8].

Pendant que le danger s’approchait de leur frontière, qu’avaient fait les États-Généraux pour repousser une aussi formidable invasion ? Depuis vingt-quatre ans que la guerre d’indépendance contre les Espagnols était terminée, et depuis vingt-un ans que le parti militaire du stathoudérat avait succombé, à la suite même de la paix, l’armée de terre avait été extrêmement négligée. L’oligarchie bourgeoise, qui s’était rendue maîtresse du pouvoir et des affaires, avait donné ses principaux soins à l’armée de mer, sur laquelle reposaient le commerce et la vraie grandeur de la république. Il en était résulté que les Provinces-Unies avaient conservé leur supériorité maritime, et avaient perdu tout esprit militaire. Elles n’avaient point d’habiles généraux ; les officiers, choisis parmi les parens des bourguemestres qui gouvernaient les villes, n’avaient jamais servi[9]. Leur cavalerie était composée, dit Gourville de bourgeois qui ne sortaient jamais de leurs maisons, et leur infanterie ne valait guère mieux ; elle était inexpérimentée, peu nombreuse, et depuis deux ans que les Provinces-Unies étaient menacées d’une agression, elles n’avaient su prendre aucune précaution pour y résister.

Le grand pensionnaire Jean de Witt, qui gouvernait toujours la république, avait proposé à l’assemblée des États-Généraux des mesures vigoureuses. Après avoir mis tous ses soins à éviter la guerre, voyant qu’il fallait s’y résoudre, il avait voulu lever une armée considérable, prévenir l’ennemi au lieu de l’attendre, détruire ses magasins sur le Rhin, et rendre ses opérations plus difficiles et son attaque plus incertaine, en lui enlevant d’avance les ressources qu’il avait préparées de si longue main[10]. Ce plan digne d’un homme prévoyant et résolu comme le grand pensionnaire, qui avait pour habitude d’écarter d’abord le danger par la prudence, et de le surmonter ensuite par l’énergie, ne convenait pas à une assemblée dont la timidité et les espérances avaient ralenti jusqu’au bout les déterminations. Elle avait beaucoup délibéré sur la défense du territoire, mais elle n’y avait pas suffisamment pourvu. L’argent à dépenser, la responsabilité à prendre, le désaccord du parti orangiste et du parti républicain, dont l’un n’était pas encore devenu tout-à-fait le maître, et dont l’autre n’avait pas cessé de l’être entièrement, avaient retardé les plus urgentes mesures. Les levées n’avaient pas été assez promptes et assez nombreuses ; les munitions avaient été préparées en si petite quantité, que la poudre manqua vers le milieu de la campagne[11] ; l’on avait négligé de réparer et de munir les places qui faisaient la force et la sûreté des Provinces-Unies.

Cependant, à l’approche du danger, les États-Généraux y mirent des garnisons, en espérant que ces places, dont la plupart avaient soutenu de très longs siéges, arrêteraient les premiers efforts de Louis XIV, suspendraient sa marche, et donneraient à plusieurs princes de l’Europe la pensée et le temps de les secourir. Ils envoyèrent aussi, avec une petite armée de vingt-cinq mille hommes, le prince d’Orange récemment nommé capitaine général de la république, derrière les lignes de l’Yssel, par où l’on supposait que Louis XIV tenterait de pénétrer en Hollande[12]. Avant de partir, le jeune prince d’Orange ouvrit vainement le sage avis d’abandonner les places les plus faibles pour se concentrer dans celles que leur position et leur force rendaient plus nécessaires à garder et plus faciles à défendre. M. de Witt ne se rendit pas à cette opinion. Il pensa qu’en les défendant toutes on retarderait plus long-temps les progrès de Louis XIV[13].

Mais quels ne furent pas son étonnement et son trouble lorsqu’il sut qu’en quatre jours, du 3 au 7 juin, les places d’Orsoy, de Rhynberg, de Burick, de Wesel, étaient tombées entre les mains de Louis XIV et de ses généraux[14] ! Ce succès si prompt et si extraordinaire jeta le découragement dans les autres garnisons, et répandit une alarme universelle dans les Provinces-Unies. En apprenant que cette première barrière avait été si facilement franchie, Jean de Witt prévit la désastreuse influence qu’aurait la reddition de ces places avancées sur le sort des autres, et tout consterné, il s’écria : La république est perdue[15] ! Maîtresse de Wesel, l’armée française passa tout entière le Rhin, le 9 juin[16]. Par cet habile mouvement, elle évitait de forcer le Vhaal qui, large, profond et garni de forteresses sur tout son cours, depuis le Rhin jusqu’à la Meuse, couvrait les Provinces-Unies du côté de la Gueldre orientale. Elle pouvait descendre par la rive droite du Rhin jusqu’au dessous du Vhaal, repasser alors sur la rive gauche, entrer dans le Betaw[17], et marcher en Hollande. C’est ce qu’elle fit. Mais il fallait auparavant qu’elle assurât sa ligne d’opérations en prenant Rees et Emmerick, situées après Wesel. Ces deux places capitulèrent aussitôt qu’elles furent investies. La première se rendit à Turenne, la seconde à Condé, et l’armée arriva le 11 juin sur le Bas-Rhin, en face de Tolhuys, là même où elle devait s’ouvrir un passage vers le centre des Provinces-Unies.

Le Rhin était fort bas en cet endroit, à cause de la sécheresse de la saison et parce que le Vhaal lui avait déjà enlevé une grande partie de ses eaux. Pendant que le prince de Condé faisait construire un pont de bateaux pour le passage de l’armée, on lui montra plusieurs points du fleuve qui étaient presque entièrement guéables. Il résolut de ne pas attendre que le pont fût achevé, et de lancer la cavalerie sur l’autre bord, afin qu’elle s’en emparât sans retard. Louis XIV en fut aussitôt averti. Voulant être témoin du passage, il laissa son corps d’armée à Rees et accourut avec six mille chevaux. Le matin du 12 juin, deux batteries furent disposées sur la rive droite pour protéger la cavalerie, dont le premier corps, composé de deux mille hommes et commandé par le comte de Guiche, se jeta dans le fleuve, et le traversa, moitié à gué, moitié à la nage.

Cette entrée du territoire hollandais devait être d’abord défendue par le comte de Montbas, qui l’avait abandonnée. Le prince d’Orange, toujours campé derrière l’Yssel, qui se détache du Rhin un peu plus bas que Tolhuys, pour se rendre, en décrivant une courbe, dans le Zuyderzée, avait alors ordonné au général Wurtz de se porter sur la rive gauche du Rhin, avec plusieurs régimens d’infanterie et quelques escadrons de cavalerie. Le général hollandais essaya vainement de s’opposer à l’impétuosité française. Il s’avança jusque dans le fleuve pour arrêter les premiers escadrons. Il fit sur eux une décharge qui leur tua quelques hommes et jeta un peu de confusion dans les rangs ; mais, ramené bientôt sur le rivage par cette vaillante noblesse qui combattait sous les yeux du roi, il fut entraîné dans la fuite précipitée des siens, et toute la cavalerie française passa. L’infanterie hollandaise s’était retranchée entre des arbres, dans une position favorable ; mais, n’y étant plus soutenue par sa cavalerie dispersée elle y restait immobile.

Le prince de Condé s’était jeté dans un bateau avec son fils, le duc d’Enghien, et son neveu, le duc de Longueville, pendant que la cavalerie traversait le fleuve. Arrivé sur le bord, il s’avança vers les régimens hollandais, pendant que le comte de Guiche les enveloppait par derrière. Il leur cria de mettre bas les armes et qu’on leur ferait quartier. Mais le duc d’Enghien et le duc de Longueville, emportés par le feu de la jeunesse et aussi par les chaleurs non encore dissipées d’un repas de nuit, attaquèrent brusquement les Hollandais, qui firent sur eux une décharge meurtrière. Le duc de Longueville et le marquis de Guitry furent tués, et le prince de Condé lui-même fut blessé au poignet. Malgré sa blessure et la douleur qu’il ressentit en voyant tomber à côté de lui son imprudent neveu, le prince de Condé fondit sur les Hollandais, les battit, les dispersa, leur tua ou prit beaucoup de monde, et ne s’arrêta qu’après avoir nettoyé tout le rivage. La cavalerie française occupa en bon ordre les bords méridionaux du fleuve, que toute l’armée traversa ensuite sur le pont de bateaux[18].

Tel fut ce passage du Rhin qu’on célébra comme un exploit des plus difficiles et des plus glorieux. Mais, s’il était moins héroïque qu’on ne le crut alors[19], il eut toute la valeur d’une grande victoire. Il rompit le plan de défense du prince d’Orange, qui aurait dû se porter à Tolhuys avec toutes ses forces, au lieu de se maintenir derrière l’Yssel, où il aurait toujours eu le temps de se rendre si Louis XIV avait tenté d’en forcer les lignes. Ce jeune général n’ayant pas su ou pas pu empêcher l’armée française de pénétrer sur le territoire de la république, et craignant d’être tourné, abandonna alors la position qu’il occupait, renforça les garnisons de plusieurs places, et alla se poster à Rhenen avec treize mille hommes que joignirent quelques troupes auxiliaires du comte de Monterey, gouverneur des Pays-Bas espagnols, pour couvrir les provinces d’Utrecht et de Hollande[20]. Malgré le péril de la situation, il n’était pas abattu ; mais tout le monde n’avait pas son opiniâtre fermeté. Aussi la nouvelle du passage du Rhin et de l’entrée des Français dans le riche Betaw plongea les Hollandais dans une terreur profonde.

Louis XIV devait profiter de cette consternation qui lui livrait le reste de la république, pour se porter rapidement en avant sans laisser aucun relâche à un ennemi déconcerté et effrayé. Il tint conseil avant que le prince de Condé, dont le corps d’armée fut réuni à celui de Turenne, se retirât pour se faire guérir de sa blessure qui sauva peut-être les Provinces-Unies de leur ruine totale[21]. L’audace entreprenante de cet impétueux capitaine était plus de saison que la circonspection savante et les procédés réguliers de Turenne. Quoi qu’il en soit, ils proposèrent l’un et l’autre de démanteler la plupart des places, de ne mettre garnison que dans les plus importantes, pour assurer les opérations de l’armée, et de marcher avec la plus grande partie des troupes vers le cœur du pays. Condé, toujours inspiré par son hardi génie, alla même plus loin. Il fut d’avis d’envoyer six mille hommes de cavalerie pour s’emparer d’Amsterdam qui, dans ce moment d’effroi, ne résisterait pas[22]. Mais les conseils de Louvois l’emportèrent sur l’opinion de ces deux grands capitaines. Croyant que les Provinces-Unies ne pouvaient plus échapper à leur perte, et qu’aucun prince n’oserait les secourir, ce ministre inconsidéré persuada à Louis XIV de garder toutes les villes, de démembrer l’armée en y mettant des garnisons, et de ralentir ainsi l’invasion au lieu de la précipiter[23].

On s’attacha dès-lors à prendre des places qui ne tinrent pas vingt-quatre heures après la tranchée ouverte, ou qui d’elles-mêmes vinrent offrir les clés de leurs portes. Turenne s’empara du fort abandonné de Tolhuys, si inaccessible, vu son assiette, que quatre soldats y avaient autrefois repoussé une armée espagnole ; d’Huissen, d’Isselwoert, qui mettaient à découvert le pays de Betaw ; d’Arnheim, capitale de la Gueldre ; du fort de Knotzembourg, qui battait Nimègue ; du fort de Schenck, qui avait deux mille hommes de garnison, et n’était tombé, dans les guerres précédentes, au pouvoir de l’habile Frédéric-Henri de Nassau qu’après sept mois de siége. Il investit Nimègue, et il envoya son neveu, le comte de Lorges, occuper Thiel, Buuren, Kuilembourg, les forts de Saint-André et de Voorne jusqu’auprès de Bommel et de Gorcum. En même temps que Turenne se rendait maître de tout le Betaw, Louis XIV, qui avait suivi le cours du Rhin et longé l’Yssel, prenait Doësbourg et Zutphen sur ce dernier cours d’eau et s’emparait du reste de la Gueldre[24].

Cependant on n’avait pas entièrement négligé de marcher en avant. Le 18 juin, le comte d’Estrades, qui connaissait parfaitement la Hollande où il avait résidé tant d’années comme ambassadeur, écrivit de Wesel à Louis XIV de s’emparer immédiatement d’Utrecht : « Par la prise de cette ville, lui dit-il, votre majesté réduira la Hollande à tout ce qu’elle voudra, en ne perdant pas de temps et en envoyant un corps de troupes pour se saisir de Muyden, où sont les écluses, et d’où ce corps pourra pousser jusqu’aux portes d’Amsterdam sans rien craindre, et l’obliger même à traiter[25]. » Par suite de ce conseil, Louis XIV donna l’ordre au marquis de Rochefort de pénétrer sur le territoire hollandais avec quatre mille chevaux, qui se réduisirent malheureusement à dix-huit cents[26] Malgré cette insuffisance de forces, sa marche fut si rapide et rencontra si peu de résistance de la part des populations troublées et villes décidées à se rendre, qu’il s’avança sans obstacle jusqu’au Zuyderzée. Il prit Rhenen, d’où le prince d’Orange s’était replié sur Utrecht, Wageningen, Amersfoort, Naarden, et ses coureurs entrèrent même dans Muyden[27]. Cette place était la clé des écluses, dont les eaux devenaient la seule défense de la république, et ses canons battaient les vaisseaux dans la rade d’Amsterdam. Le marquis de Rochefort envoya dans Muyden un détachement qui aurait été assez fort pour s’y maintenir, mais le prince d’Orange venait d’y faire pénétrer une nombreuse garnison[28]. Obligé de se replier, après avoir laissé quelques troupes dans les villes qu’il avait traversées, le marquis de Rochefort revint sur Utrecht, que le prince d’Orange avait évacué le 17 juin, et y ayant été joint le 22 par un renfort de deux mille deux cents chevaux, il occupa cette ville le 23, et se porta vers le sud jusqu’à Montfoort et Woerden, dont il se rendit maître.

Tandis que Louis XIV, Turenne et le marquis de Rochefort s’emparaient des provinces de Gueldre, d’Utrecht, et entamaient la province de Hollande, les troupes combinées du duc de Luxembourg, de l’électeur de Cologne et de l’évêque de Munster avaient envahi le pays d’Over-Yssel. Elles avaient pris Grooll, Deventer, Campen, Zwoll, Groningue et presque toutes les places considérables de cette contrée[29]. La république des Provinces-Unies, déjà dépouillée de la moitié septentrionale de son territoire, paraissait perdue. Le prince d’Orange avait été rappelé en toute hâte par les États-Généraux pour couvrir, avec sa petite armée, la province de Hollande, où siégeait le gouvernement, où se conservait le dernier espoir de l’indépendance, et qui tremblait à l’approche de l’invasion. Il divisa ses troupes en cinq corps pour occuper les passages principaux qui conduisaient dans l’intérieur de la Hollande. Réparant la faute qu’on avait faite de ne pas garder les écluses, faute dont les Français avaient si mal profité, il avait envoyé un de ces corps à Muyden, sous le prince Maurice de Nassau, qui s’y fortifia. Il en plaça un autre, commandé par le comte de Hoornes, à Niewersluys, sur le Wecht, en dessous d’Utrecht. Il posta le troisième sous le marquis de Louvigny, à Schoonhoven, sur le Leck, et le quatrième sous le général Wurtz, à Gorcum, sur le Vhaal. Lui-même, à la tête du dernier, il s’établit un peu plus en arrière, dans la position centrale de Bodegrave, qui couvrait La Haye, et d’où il pouvait se porter sur les autres points[30]. Malgré cette disposition habile, le prince d’Orange n’aurait pas pu, avec des troupes faibles et découragées, résister à l’armée française qui s’avançait, si, recourant à un remède extrême, on n’avait pas opposé la mer à l’invasion. Dans le péril où se trouvait la république, on appela à sa défense les flots de l’Océan contre lesquels on luttait avec tant de patience et d’industrie depuis plusieurs siècles, et on leur livra le riche territoire qu’on avait conquis sur eux. Les bourgeois d’Amsterdam ouvrirent les écluses de Muyden, et la mer envahit leurs jardins et couvrit leurs belles prairies. Ce patriotique exemple fut imité plus tard par les autres villes qui pouvaient se placer derrière ce redoutable abri. Entourées par l’inondation, elles s’élevèrent du milieu des eaux comme des îles, et les vaisseaux vinrent majestueusement se ranger autour d’Amsterdam[31].

Heureusement pour la république, la guerre de mer lui avait été plus favorable que la guerre de terre. Elle avait équipé de bonne heure une flotte capable de tenir tête aux deux flottes combinées de l’Angleterre et de la France. Elle en avait confié le commandement au glorieux ami des frères de Witt, à Ruyter, sous lequel avaient été placés les deux lieutenans-amiraux hollandais Van Nès et Van Guent, et le lieutenant-amiral zélandais Bankert. Les États-Généraux avaient envoyé sur la flotte, comme leur représentant chargé de leurs pleins pouvoirs, Corneille de Witt, qui s’était récemment illustré par l’exploit de Chatham. Ruyter, ayant soixante-douze vaisseaux de guerre et environ soixante-dix frégates, yachts ou brûlots[32], marcha à la rencontre de la flotte ennemie avec le dessein de la combattre partout où il la rencontrerait. Il l’aperçut, en vue de la baie de Southwold, entre Harwich et Yarmouth, le 7 juin au matin. Elle était composée de quatre-vingt-trois vaisseaux, de guerre et d’environ soixante-six frégates, flûtes, galiotes ou brûlots[33]. Comme elle ne désirait pas moins de combattre, elle se rangea promptement en bataille. Le duc d’York, monté sur le Prince, occupa le centre avec l’escadre rouge, le comte d’Estrées se plaça à sa droite avec l’escadre blanche, et le comte de Sandwich à sa gauche avec l’escadre bleue.

Ruyter plaça Bankert, avec l’escadre de Zélande, en face du comte d’Estrées et de l’escadre française. Il opposa l’intrépide Van Guent au comte de Sandwich, et il se chargea avec Van Nès d’attaquer le centre des Anglais. Dès qu’il eut donné le signal, il marcha droit sur le vaisseau amiral qui portait le duc d’York. Il dit à son pilote en le lui montrant : Voilà notre homme, et celui-ci, comprenant sa belliqueuse volonté, lui répondit tout aussi simplement en ôtant son bonnet : Monsieur, vous allez le rencontrer[34]. Il dirigea en même temps les Sept Provinces, que montait Ruyter, sur le vaisseau du duc d’York, dont il essuya la bordée, mais qu’il foudroya d’une manière terrible. La lutte fut acharnée de part et d’autre. Mais le vaisseau anglais se trouvant bientôt désemparé, le duc descendit dans une barque par la fenêtre de sa chambre, traversa à la rame le feu de l’ennemi, et transporta le pavillon royal sur le Saint-Michel. Ce vaisseau fut encore tellement battu avant la fin de la journée, que le duc d’York se vit contraint de passer avec son pavillon sur le Londres, où il continua le combat qui fut au centre une sanglante mêlée.

La bataille fut moins animée à l’aile droite où le comte d’Estrées s’éloigna vers le sud suivi par l’amiral Bankert qui le canonna ; mais elle fut tout aussi acharnée à l’aile gauche. L’amiral Van Guent fondit sur l’escadre bleue, la perça, et ne fut arrêté dans son attaque impétueuse que par un boulet qui l’emporta. Son escadre, après un moment d’hésitation, se battit avec le même courage, et le comte de Sandwich, forcé de quitter son vaisseau en flammes, fut submergé dans son canot. La lutte dura vaisseau contre vaisseau, avec un acharnement incroyable, depuis sept heures du matin jusqu’au coucher du soleil, sans qu’aucune des deux flottes quittât le champ de bataille. On déploya de part et d’autre une opiniâtreté et une valeur héroïques. Le courage que montra Corneille de Witt ne fut pas le moins digne d’admiration. Malade, mais s’élevant au-dessus des infirmités du corps par la fermeté de l’ame, il se fit porter sur le tillac de Ruyter. Là, ce représentant de la souveraineté des États-Généraux, après avoir exhorté les matelots et les soldats à bien remplir leur devoir, s’assit sur un fauteuil, comme un magistrat sur son siége, entouré de ses gardes marines, la hallebarde à la main, et il resta tout le jour sous le feu de l’ennemi. Trois de ses gardes furent tués auprès de lui, il les fit jeter à la mer, et tout enveloppé de fumée il demeura calme et immobile sur le pont jusqu’à la fin de la bataille[35].

Des deux côtés on s’attribua la victoire. Les pertes furent à peu près égales. Cependant les Hollandais avaient un peu moins souffert, et Ruyter, s’étant préparé dans la nuit à une nouvelle bataille, s’avança vers la flotte anglaise qui ne parut pas disposée à l’accepter. Elle se retira, et les Hollandais qui avaient beaucoup de vaisseaux en mauvais état, firent voile vers les côtes de Zélande. Outre la gloire d’avoir résisté aux flottes de deux grandes nations, les Hollandais eurent les résultats pour eux, puisqu’ils empêchèrent les alliés d’effectuer une descente dans la Zélande qui, d’après le traité d’alliance, avait été cédée à l’Angleterre. Ruyter avait mis les côtes de la république à l’abri d’une insulte et avait empêché l’invasion maritime qui, se joignant à l’invasion territoriale, aurait rendu infaillible la ruine des Provinces-Unies.

Malgré cette grande consolation, au milieu de ses désastres, et quoique l’inondation eût ralenti, sur quelques points, la marche des troupes françaises, la république restait dans la situation la plus périlleuse. La consternation régnait partout. Jean de Witt s’était laissé atteindre par le découragement public. En apprenant l’entrée de l’armée française dans le Betaw, il s’était rendu auprès de M. Gaspard Fagel, ancien pensionnaire de Haarlem et partisan zélé du prince d’Orange, quoique Jean de Witt l’eût fait nommer, en 1670, greffier des États-Généraux[36]. Il lui avait dit avec abattement qu’il ne voyait aucun moyen de garantir la république du danger qui la menaçait, puisque les commandans des places les plus fortes les livraient lâchement et sans les défendre. M. Gaspard Fagel, qu’un caractère indomptable empêcha jusqu’au bout de désespérer, chercha à le consoler et à le ranimer. Il lui répondit que c’était dans l’orage qu’il fallait tenir ferme au gouvernail, que la république avait été réduite à de plus grandes extrémités du temps de Philippe II, plus puissant que Louis XIV, et que Dieu, qui l’avait délivrée de la tyrannie de l’un la préserverait de l’esclavage de l’autre[37].

Mais ces vagues espérances parurent bientôt chimériques à M. de Witt. Accablé par la rapidité de la conquête, et voyant la faiblesse de sa patrie, il essaya de sauver ce qui restait d’elle par des négociations. Il proposa d’envoyer une députation à Louis XIV, se flattant peut-être que ce prince serait ramené à des sentimens de compassion et de générosité envers d’anciens alliés par le succès même de son entreprise et par cette sorte de magnanimité qu’inspire quelquefois l’amour de la gloire. Cette résolution fut adoptée malgré M. Vander Hoole qui présidait les États-Généraux, et M. Gaspard Fagel qui refusa de la signer. La députation fut composée de M. de Groot[38], conseiller de Rotterdam, ami de M. de Witt et naguère ambassadeur en France, du baron de Guent, ex-gouverneur du prince d’Orange, de M. Guillaume de Nassau d’Odyck, son représentant dans les États comme premier noble de Zélande, et de M. Eeck. Les États-Généraux envoyèrent en même temps en Angleterre MM. de Halewyn, conseiller de la cour provinciale de Hollande, et de Dykweld, l’un des chefs du parti républicain[39], pour y joindre leur ancien ambassadeur M. Boreel, qui n’en était pas encore parti, et pour essayer de fléchir Charles II. La première députation partit le 16 juin de La Haye pour le camp de Louis XIV, à qui elle devait remettre la lettre suivante :


« La Haye, 15 juin 1672.
« Sire,

« Nous avons ci-devant tâché de pénétrer l’intention de votre majesté, et de savoir d’elle le sujet de mécontentement qu’elle prenait de nous, pour lui donner toute la satisfaction qu’elle pouvait désirer de nous ; mais voyant que, nonobstant ces offres, elle n’a pas laissé d’approcher des frontières, et ensuite de porter ses armes jusque dans les provinces de cet état, nous avons bien voulu dépêcher encore vers elle, en qualité de nos députés extraordinaires, les sieurs de Guent, de Groot, d’Odyck et Eeck, députés en notre assemblée de la part des provinces de Gueldre, de Hollande, de Zélande et de Groningue, non-seulement pour réitérer les mêmes offres à votre majesté, mais aussi pour la supplier de vouloir s’ouvrir à nosdits députés des conditions auxquelles il lui plairait nous donner la paix, et renouveler, à l’égard de cet état, la bienveillance dont elle et les rois ses prédécesseurs l’ont honoré ; ils les recevront avec le respect que nous devons à un si grand monarque ; et nous ne doutons pas qu’elle n’y trouve sa satisfaction ; nous espérons que votre majesté les écoutera favorablement, et la supplions de leur donner toute la créance qu’elle pourrait donner à des personnes qui, pour être tirées du corps de notre assemblée, sont parfaitement instruites de l’intention que nous avons à demeurer à jamais,

« Sire, de Votre Majesté,
« Bien humbles serviteurs,
« Les États-Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas,
« Signé : De Wreede.
« Par ordonnance d’iceux,
« J. Sponssen[40]. »


Les députés des États-Généraux, auxquels le maréchal de Turenne avait accordé un sauf-conduit et une escorte, arrivèrent le 22 juin au château de Keppel, près de Doësbourg, où se trouvait alors Louis XIV[41]. Ils furent reçus, le lendemain, par MM. de Louvois et de Pomponne. M. de Louvois leur demanda quelles offres ils apportaient au roi. Les députés lui répondirent que les États auraient cru manquer au respect qu’ils devaient au roi s’ils lui avaient fait offrir des conditions au lieu de les recevoir de lui. M. de Louvois, après avoir pris les ordres de Louis XIV, leur répliqua sèchement qu’on n’entrerait point en conférence avec eux à moins qu’ils n’eussent un plein pouvoir de traiter et de conclure. Il leur insinua cependant que le roi étant maître, par la conquête, des pays qu’il occupait déjà et devant bientôt l’être de ceux qu’il s’apprêtait à envahir, c’était à eux à voir ce qu’ils lui donneraient en échange, sans oublier de satisfaire ses alliés et de le dédommager lui-même des frais de la guerre[42]. Sur cette déclaration qui éloignait l’espoir de la paix sans suspendre la marche de la conquête, M. de Groot retourna en toute hâte à La Haye, pour demander des instructions précises et des ordres définitifs.

Pendant que les députés étaient au camp de Louis XIV, la haine populaire avait éclaté contre les frères de Witt, et avait commencé la révolution intérieure qui devait bientôt arracher à ces deux grands citoyens le pouvoir et la vie. Le parti du prince d’Orange, grossi de tous ceux qu’effrayaient ou qu’exaltaient les revers de la république, ne se contentait plus de la charge d’amiral et de capitaine-général, récemment conférée à son jeune chef. Considérant cet héritier des Nassau comme seul capable de relever les courages et de sauver la république, il voulait le placer au même rang que ses ancêtres, et rétablir en sa faveur le stathoudérat que le parti contraire avait fait abolir cinq années auparavant[43]. Le grand pensionnaire étant un obstacle à ce dessein, on résolut de se défaire de lui. Les calomnies les plus odieuses furent répandues pour le perdre. Les ministres calvinistes, presque tous attachés à la maison d’Orange, et dont les plus violens étaient, à La Haye, Simon Simonides et Thaddaeus de Landaman, à Dordrecht Henri Dibbets, à Rotterdam Jacob Borstius et Jean Ursimes, à Haarlem Samuel Gruterus[44], le dénoncèrent en chaire comme le complice de l’invasion. Ce républicain zélé, qui avait un si grand attachement pour sa patrie, et qui ne l’avait exposée qu’en cherchant à la rendre indépendante de son trop redoutable voisin, fut accusé de la livrer à Louis XIV par trahison. Cet homme intègre et désintéressé, qui depuis dix-neuf ans négligeait ses propres affaires pour celles de l’état, qui, ne recevant que 3,000 livres[45] par an de la république, avait naguère refusé 100,000 livres que la province de Hollande lui offrait en récompense de ses services[46], fut accusé de concussion. On prétendit qu’il avait détourné l’argent des dépenses secrètes, et l’avait envoyé à Venise, pour aller vivre dans cette ville, après la conquête des Provinces-Unies[47]. On le rendit l’objet de l’aversion populaire. L’aveugle multitude, qui l’avait long-temps admiré, et lui avait attribué avec reconnaissance la prospérité et la grandeur dont avait joui et où s’était élevée la république sous son habile administration, le détesta autant qu’elle l’avait respecté. Jugeant les intentions par les résultats, elle lui imputa tous les malheurs publics, et comme, dans les momens de désastre, elle a besoin de sacrifier quelqu’un, ses cruels emportemens se tournèrent contre lui et contre son frère.

Quelques fanatiques s’en firent les sanguinaires instrumens. Le 21 juin au soir, pendant que le grand pensionnaire travaillait dans la salle des États, où il était resté le dernier pour y terminer en ministre diligent, et selon son habitude, toutes les affaires du jour, quatre hommes l’attendirent à sa sortie pour le tuer. Il quitta la salle des États vers minuit, précédé d’un de ses serviteurs qui portait un flambeau, et suivi d’un autre qui était chargé de ses papiers. Lorsqu’il fut arrivé dans un lieu écarté, non loin de sa maison, les meurtriers fondirent sur lui, l’épée à la main. Tandis que deux d’entre eux éteignaient le flambeau et s’emparaient des papiers, les deux autres le frappèrent et l’abattirent. Il essaya de se relever et de se défendre ; mais, accablé sous leurs coups, il tomba de nouveau, et les meurtriers croyant l’avoir tué prirent la fuite. Il avait reçu quatre blessures à la tête, au cou, à l’épaule, entre les côtes, sans avoir été toutefois mortellement atteint. Il eut la force de se relever et de regagner seul sa maison[48].

Le même jour, à la même heure, quatre inconnus firent à Dordrecht une tentative semblable contre son frère. Toujours malade, Corneille de Witt, après la bataille de Solbaie[49] et l’arrivée de la flotte en Zélande, avait obtenu des États la permission de se retirer chez lui. En récompense de son héroïque dévouement, il avait trouvé à son retour les diffamations de la calomnie et les fureurs de la haine. On avait répandu dans Dordrecht le bruit qu’il n’avait pas voulu combattre la flotte ennemie, et, comme une douloureuse fluxion rhumatismale tenait l’un de ses bras immobile, on prétendait qu’il avait été blessé à la suite d’une violente contestation avec Ruyter, et que le second jour il avait empêché qu’on continuât la bataille[50]. Le peuple égaré avait pillé la maison de son vieux père, après en avoir enfoncé les portes à coups de hache. Il s’était ensuite transporté à l’Hôtel-de-Ville en poussant des cris de mort contre Corneille de Witt, avait mis en pièces le tableau où il était représenté appuyé sur un canon pendant la glorieuse expédition de Chatham, et avait détaché la tête de son portrait pour la pendre au gibet de la ville[51]. Ces violences qui avaient éclaté à son retour ne s’arrêtèrent point là. Le 21, vers minuit, quatre assassins essayèrent de forcer sa maison pour lui faire subir le sort qu’à la même heure éprouvait son frère. Mais la garde bourgeoise accourut et les mit en fuite[52].

Le lendemain du jour où il avait été si grièvement blessé, le grand pensionnaire écrivit aux États une lettre calme et simple dans laquelle il leur annonçait l’attaque dont il avait été l’objet, et leur exprimait l’espoir que ses blessures ne seraient pas dangereuses. Il la terminait en ces termes : « J’ai sujet de remercier Dieu de ce que cette rencontre ne m’a pas été plus fatale. Mais, comme je ne suis pourtant pas en état de faire les fonctions de ma charge auprès de vos nobles et grandes puissances, je les supplie très humblement de vouloir m’en dispenser jusqu’à ce que je sois en meilleur état. Je prie Dieu qu’il veuille bénir extraordinairement votre illustre gouvernement dans ces temps dangereux[53]. »

Les États, composés surtout de ses amis, n’apprirent point cet attentat sans trouble et sans indignation. L’un des meurtriers, nommé Jacques Vander Graef, fils d’un conseiller à la cour de Hollande, fut arrêté ; il avoua tout et dit qu’il avait cru servir sa patrie en la délivrant de celui qui la trahissait. La cour de Hollande le condamna à perdre la tête. Le peuple demanda sa grace à grands cris, et M. de Witt fut supplié par ses propres amis de la solliciter lui-même, afin de désarmer sa colère. Mais dans son austère rigidité il s’y refusa en disant qu’il fallait laisser à la justice un libre cours, et ne pas compromettre davantage la sécurité publique par l’impunité des coupables. « Le peuple, ajoutait-il, me hait sans raison, et je ne veux pas regagner son affection par une démarche dont tous les bons citoyens auraient sujet de se plaindre[54]. » Vander Graef mourut avec courage, et les ennemis de Jean de Witt firent de lui un martyr. Ses trois complices s’étaient réfugiés à l’armée du prince d’Orange, où ils trouvèrent un asile sûr, malgré les recherches des États qui les désignèrent au prince et lui écrivirent : « Nous prenons cette affaire fort à cœur, et nous avons résolu de faire voir notre ressentiment aux auteurs d’un crime commis dans la personne de notre premier ministre[55]. »

Il s’était à peine écoulé quatre jours depuis l’attentat commis contre le grand pensionnaire, lorsque M. de Groot reparut à La Haye. Il y trouva les esprits agités par cet évènement et surtout par l’effroi de l’invasion dont les progrès paraissaient irrésistibles. On y apprenait d’un moment à l’autre la prise des villes les plus considérables et les plus rapprochées, et l’on y était dans la dernière consternation. M. de Groot rendit d’abord compte de sa mission aux États de Hollande, qui s’assemblèrent le 25. Il demanda les pleins pouvoirs nécessaires pour que la négociation ne restât point infructueuse. La délibération fut extrêmement animée. M. de Groot conseilla de se soumettre aux circonstances, puisque l’on ne pouvait pas les dominer. Il proposa de céder à Louis XIV Maëstricht et quelques-unes des places que les États-Généraux avaient conquises sur les Espagnols dans le Brabant et la Flandre, et qu’on appelait pays de la généralité, en payant de plus une somme d’argent pour les frais de la guerre. Il soutint que c’était le seul moyen de conserver la liberté, la religion et la souveraineté des Provinces-Unies. Mais il dit qu’on devait se hâter, parce que le roi de France étendait chaque jour ses conquêtes et avait le dessein de rester dans le pays jusqu’à l’hiver, pour réduire Amsterdam à la faveur des glaces ; « après quoi, ajouta-t-il, il fallait s’attendre à une entière soumission et à un dur esclavage[56]. »

Tout le corps de la noblesse partagea l’opinion de M. de Groot et fut d’avis d’un prompt accommodement. Les députés des villes furent plus divisés. Dans la Hollande méridionale, ceux de Dordrecht, de Leyde, de Delft, de Gorcum, de Schoonhoven, se prononcèrent sans hésiter pour les pleins pouvoirs. Il y en eut même qui, dans l’empressement de leurs craintes, dirent que, pendant qu’ils délibéraient sur les moyens de conserver leur liberté, ils s’exposaient à la perdre. Ceux de Rotterdam, de Gouda, de Shiedam, de Brielle, alléguèrent qu’ils n’avaient pas d’ordre, mais promirent de se rendre à ce qui aurait été résolu par l’assemblée. Dans la Hollande septentrionale, les députés de Haarlem, d’Edam, de Monnikedam, de Purmerend, de Medemblik se rangèrent aux sentimens de la noblesse. Ceux d’Enkuizen et de Hoorn s’abstinrent d’émettre un avis faute d’y être autorisés. Mais les députés d’Amsterdam qu’appuyèrent ceux d’Alkmaar, s’élevèrent contre le parti pusillanime qu’on semblait sur le point de prendre. Enhardis par la sécurité que les eaux de la mer donnaient à leur ville inondée, ils déclarèrent qu’ils avaient toujours été pour la fermeté des résolutions, et qu’ils ne sauraient souscrire à un accommodement sur lequel on ne pourrait pas même s’entendre, car il faudrait acheter la paix des deux rois aux plus dures et aux plus ruineuses conditions. Ils opinèrent pour une résistance courageuse et opiniâtre.

Comme on était loin de l’unanimité nécessaire à une décision, les députés de la noblesse pressèrent ceux des villes de se mettre d’accord et les rendirent responsables des malheurs qu’entraîneraient leurs divisions et leurs retards. Alors les députés de Dordrecht, de Haarlem, de Delft, de Leyde, dirent à ceux d’Amsterdam qu’ils seraient de leur avis si Amsterdam était toute la Hollande, ou si toute la Hollande était comme Amsterdam ; puis ils les supplièrent de considérer le danger qui menaçait les autres villes, de songer qu’après qu’elles auraient succombé, la leur ne pourrait pas subsister toute seule, et de ne pas laisser échapper l’occasion qui restait encore de sauver la religion et la souveraineté des Provinces-Unies. Mais ils restèrent inflexibles, et l’on décida de donner vingt-quatre heures aux députés qui avaient besoin d’aller consulter leurs villes, et de se réunir le lendemain 26 juin dans la nuit.

Le lendemain on s’assembla à dix heures du soir. Mais les députés d’Amsterdam et de cinq villes de la Hollande septentrionale défendue contre l’invasion par le Zuyderzée, ne parurent point. Malgré leur absence, les États de la province de Hollande décidèrent à l’unanimité des députés présens qu’on donnerait des pleins pouvoirs pour traiter. Cette résolution fut alors portée à l’assemblée des États-Généraux des sept provinces, où elle rencontra de nouvelles difficultés. Les députés de Zélande, dont la province était couverte du côté de la mer par la flotte, du côté de la terre par la Hollande qui devait être entièrement subjuguée avant que l’armée française approchât de leur frontière, s’opposèrent à un accommodement et conseillèrent la résistance. Les députés d’Utrecht et d’Over-Yssel, dont les provinces étaient alors en partie occupées, refusèrent d’émettre un avis. De leur côté, les députés de Frise s’abstinrent d’opiner faute d’autorisation. Ceux de Groningue étaient absens, et il n’y eut pour les pleins pouvoirs que ceux de Gueldre dont le territoire avait été déjà conquis. Dans cet embarras, la Hollande, qui était la principale, la plus puissante, la plus étendue, la plus riche des provinces, et en quelque sorte l’ame de la république dont elle dirigeait les conseils et supportait presque toutes les charges, n’hésita point à passer outre. Elle décida au nom des États-Généraux l’expédition des pleins pouvoirs[57]. Le greffier Gaspard Fagel s’était élevé contre cette résolution qui blessait ses sentimens et qui n’avait pas été prise selon les formes. Il refusa donc de signer les pleins-pouvoirs, et, lorsque M. de Groot vint les demander, il lui dit en les lui remettant : — « Vous pouvez bien aller vendre votre patrie, mais vous aurez de la peine à mettre l’acquéreur en possession. — Il vaut mieux, répondit M. de Groot, en sauver une partie que la perdre toute. — C’est en vain, lui répliqua M. Fagel, que vous songez à sauver vos terres ; on les labourera pour y semer du sel, afin que votre postérité ne puisse en jouir qu’à la quatrième génération[58] » M. de Groot partit avec les pleins-pouvoirs signés par un greffier provisoire et conçus de la manière la plus illimitée. En voici le texte


« La Haye, 26 juin 1672.

« Les États-Généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas à tous, etc., savoir faisons, qu’ayant jugé à propos pour le bien de cet état de députer vers le roi très chrétien, et ayant une parfaite connaissance de la suffisance, capacité, fidélité, zèle et affection des sieurs de Guent, de Groot, d’Odyck et Eeck, nous leur avons donné et donnons par ces présentes, signées du président de cette assemblée et contresignées par notre greffier, à tous ensemble, ou à quelques-uns, ou à quelqu’un d’eux en l’absence par maladie ou autre empêchement des autres, plein pouvoir pour, de notre part et en notre nom, négocier, traiter et conclure avec ladite majesté ou avec ceux de son conseil, qu’il lui plaira commettre pour cet effet, ce qu’ils jugeront nécessaire pour le service et le bien de cet état, leur donnant pour cet effet, et à chacun d’eux, pleine autorité et puissance, promettant de tenir pour bon, ferme et stable, ce qui sera par eux tous, ou par quelqu’un d’entre eux, ainsi négocié, traité et conclu, et d’en faire expédier nos lettres d’agrément et de ratification en bonne et due forme.

« Fait dans notre assemblée, sous notre grand sceau, à La Haye, le 26 juin 1672.
« Signé : Wassenaer.

« Par ordonnance desdits seigneurs États-Généraux,
loco graphiarii,

« Signé : J. Spronssen.[59]. »


M. de Groot partit le 27 juin pour retourner près du roi. Il passa par le quartier du prince d’Orange à Bodegrave, et ce prince, auquel il montra son plein pouvoir, se laissant cette fois entraîner à la faiblesse générale, demanda aux États-Généraux l’autorisation de négocier dans son intérêt particulier, et de solliciter une sauve-garde pour ses terres, principalement pour sa seigneurie et sa ville de Grave[60]. M. de Groot rejoignit à Rhenen MM. de Guent et d’Odyck, car M. Eeck, désavoué par les États de Groningue dont il était le député, s’était retiré à Amsterdam. Le 29 juin ils présentèrent leur plein pouvoir aux deux ministres de Louis XIV. La négociation fut aussitôt entamée. Les députés hollandais demandèrent pour leur pays la conservation de son système politique, de sa religion, de sa souveraineté, et ils offrirent au roi de France la cession de Maëstricht, avec ses dépendances, six millions de livres pour les frais de la guerre, et même quelques places de la généralité[61].

M. de Louvois reçut ces offres avec beaucoup de hauteur. Il demanda dédaigneusement si Maëstricht, que les États-Généraux auraient cédé pour ne point s’exposer à la guerre, leur paraissait une compensation suffisante des trois provinces que le roi avait déjà conquises, et des prétentions qu’il avait sur les autres. Les députés abattus offrirent alors toutes les villes de la généralité en Brabant et en Flandre, et dix millions[62]. Cette offre devait être acceptée sur-le-champ. Elle donnait à Louis XIV tout le pays qui séparait les Provinces-Unies des Pays-Bas espagnols, depuis la Meuse jusqu’aux bouches de l’Escaut ; elle lui donnait Maëstricht, Venloo, Stevenswerd, Bois-le-Duc, Ravenstein, Breda, Steenbergen, Berg-op-Zoom, Hulst, l’Écluse, etc. ; elle plaçait la France victorieuse entre la république dépouillée des Provinces-Unies et le territoire isolé des Espagnols ; elle lui permettait de faire trembler toujours l’une pour sa liberté, et de rendre désormais impuissans les efforts de l’autre pour le maintien de son existence ; par là, elle annulait la Hollande et amenait inévitablement l’incorporation prochaine de toute la Flandre espagnole à la monarchie française. Le but poursuivi par les longues et habiles négociations des quatre années précédentes se trouvait atteint. La politique profonde et nationale qui se proposait d’étendre la France au nord et d’éloigner de ce côté sa frontière trop rapprochée de sa capitale, était enfin réalisée. M. de Lionne n’aurait pas hésité un instant à accepter ces magnifiques conditions, de peur que les Hollandais, revenus de leur terreur ou inspirés par le désespoir, ne les retirassent. Mais ce continuateur des grands desseins d’Henri IV, de Richelieu et de Mazarin, n’existait plus[63]. L’héritier imparfait de sa pensée et de son autorité, M. de Pomponne, conseilla au roi de ne pas les refuser[64]. Ce fut en vain. Il ne put pas balancer auprès de lui l’ascendant désastreux de Louvois. Cet homme sans mesure et sans habileté qui, malgré l’avis de Turenne et Condé, avait fait commettre la faute militaire de disséminer l’armée et de ralentir l’invasion, fit alors commettre, malgré l’avis du ministre des affaires étrangères, la faute politique de mépriser d’aussi belles offres, et de compromettre cette fois, non plus le moyen, mais le résultat même de l’invasion.

Louis XIV, que sa volonté absolue dans les apparences n’empêchait pas d’être accessible à l’influence d’autrui, privé des sages et tout-puissans conseils de M. de Lionne, était tombé sous l’empire du présomptueux Louvois. Il se laissa persuader par lui que les Provinces-Unies étaient perdues sans remède et qu’elles se résigneraient à tout. Il exigea dès-lors :

1o Tout le pays de la généralité qui lui était offert, c’est-à-dire, toutes les possessions des Hollandais dans la Flandre et dans le Brabant, sauf l’Écluse et l’île de Cadsant ;

2o La cession de Nimègue et de ses dépendances ; des forts de Knotzembourg, de Schenk ; de toute la partie de la Gueldre située sur la rive gauche du Rhin ; de l’île de Bommel, formée par la Meuse et le Vhaal ; de celle de Woorne, des châteaux ou forts de Saint-André, de Crèvecœur et de Lowestein, ce qui portait la frontière de France jusqu’à la ligne du Rhin et du Vhaal ;

3o La ville de Delfzil avec vingt paroisses, la ville de Grave, la ville et le comté de Meurs, avec charge de la part des États d’indemniser le prince d’Orange, qui en était le souverain ;

4o La renonciation à tenir garnison dans toutes les places de l’empire occupées par ses troupes, et l’abandon de leurs prétentions en sa faveur.

Il offrait comme alternative territoriale de garder toutes les conquêtes qu’il avait faites, à condition que, pour le dédommager de celles qu’il pourrait faire encore, et lier à la frontière de France la province d’Utrecht, celle de Gueldre et le comté de Zutphen, les États-Généraux lui céderaient de plus les villes de Maëstricht et de Wick, de Dhalem, de Fauquemont, de Rolduc dans le pays d’outre-Meuse, la ville et la mairie de Bois-le-Duc, et le fort de Crèvecœur ;

5o La liberté pour tous les Français de voyager dans les Provinces-Unies sans être visités ni soumis à des droits de passage ;

6o La suppression de tous les édits sur le commerce portés depuis 1662 ;

7o L’exercice public du culte catholique dans les sept provinces, un traitement convenable fait par chaque état aux curés ou aux prêtres qui desserviraient les églises, et le rétablissement des anciennes commanderies de Malte ;

8o Vingt-quatre millions de livres pour les frais de la guerre ;

9o Enfin l’envoi d’une ambassade solennelle qui lui présenterait tous les ans une médaille d’or par laquelle la république, en signe d’humilité et de reconnaissance, déclarerait tenir de lui la conservation de la liberté que les rois ses prédécesseurs l’avaient aidée à acquérir[65].

Louis XIV exigeait de plus que les États-Généraux renonçassent, en faveur de l’électeur de Cologne, à leurs prétentions sur la ville de Rhynberg ; en faveur de l’évêque de Munster, à la seigneurie de Borkeloo, à celles de Groll, de Bredevort et de Lichtenvoorde, et qu’ils satisfissent surtout le roi d’Angleterre[66]. C’était pour ce dernier prince qu’il avait demandé la ville de Delfzil avec vingt paroisses, afin de les lui donner en échange de l’Écluse et de l’île de Cadsant, où il ne désirait pas établir la puissance anglaise. Sentant combien il serait avantageux pour lui d’isoler la Hollande des Pays-Bas espagnols en se plaçant entre eux par l’acquisition du pays de la généralité, il écrivait : « Il m’importe, en séparant deux puissances qui me « sont légitimement suspectes, de ne pas les réunir en quelque sorte, selon les accidens qui pourraient arriver à l’avenir, par une troisième que j’établirais en terre ferme[67]. »

Ces conditions accablantes et humiliantes consternèrent les plénipotentiaires hollandais. Ils représentèrent tout ce qu’elles avaient d’excessif, et firent observer que la république ne pouvait pas accorder celles qui entamaient le territoire des sept provinces sans se démembrer, celles qui touchaient au commerce sans se ruiner, celles qui concernaient la religion sans se perdre par le renversement de la base fondamentale sur laquelle reposait leur état, et enfin consentir à la députation et à la médaille sans se déshonorer[68]. M. de Pomponne était d’avis d’adoucir ces conditions, mais M. de Louvois insista pour qu’on les maintînt, en disant « qu’il connaissait la timidité des Hollandais, qui croiraient avoir gagné tout ce qu’on ne leur ôterait pas[69]. » Les plénipotentiaires hollandais n’osèrent pas conclure. Ils demandèrent et ils obtinrent de Louis XIV cinq jours avant de rien décider, et M. de Groot retourna précipitamment à La Haye afin d’instruire les États de ces dures exigences et leur laisser le choix dangereux de s’y soumettre ou de les rejeter. M. de Guent resta seul auprès de Louis XIV, M. d’Odyck ayant accompagné M. de Groot et s’étant ensuite retiré de la négociation lorsqu’il apprit qu’elle était désapprouvée par la Zélande.

Arrivé à La Haye, M. de Groot communiqua les tristes propositions dont il était chargé aux États de Hollande. Il leur dit d’examiner avec la plus sérieuse attention, sans trouble et sans colère, s’ils étaient en mesure de se défendre contre un ennemi qui avait déjà pénétré jusqu’au milieu de leur pays, et d’entreprendre, dans ce cas, une résistance désespérée. Mais il les engagea, s’ils ne croyaient pas le pouvoir, à continuer la négociation en décidant, ou d’y comprendre les trois provinces envahies, ou de la réduire aux quatre provinces qui ne l’étaient pas encore, ou enfin de traiter pour la Hollande seule qui, séparée des autres, obtiendrait plus aisément de meilleures conditions. Il parut incliner à ne pas rompre la négociation. Mais cette fois l’indignation ranima les courages, et, méprisant les conseils d’une honteuse prudence, on aima mieux périr en se défendant qu’en se soumettant. Toutefois, quelques villes opinèrent encore pour les résolutions pusillanimes. De ce nombre furent Leyde, Dordrecht, Delft et Hoorn. Elles dirent qu’il n’y avait aucun espoir d’arracher à l’ennemi ce qu’il avait conquis, et de conserver contre lui ce qui restait à la république ; qu’on ne pouvait se maintenir dans aucune des cinq positions occupées par les faibles troupes des Provinces-Unies ; qu’il suffisait à l’armée française d’en forcer une seule pour que toute la Hollande méridionale fût perdue ; qu’il fallait donc négocier, et, à la rigueur, traiter uniquement pour la Hollande, si l’on ne voulait pas bientôt demeurer sans patrie.

Cet avis que la faiblesse dont il devait pénétrer les ames rendait au fond moins prudent qu’une résolution téméraire, mais capable, en étant généreuse, d’exalter les courages jusqu’à l’héroïsme, fut combattu par ceux même qui avaient naguère conseillé l’accommodement. Les députés de la noblesse déclarèrent qu’on ne saurait accepter des conditions aussi dures et aussi déshonorantes ; qu’à traiter, il ne fallait céder que Maëstricht et Clèves, et comprendre les sept provinces dans la négociation. Haarlem, qui avait été très animée pour la négociation, opina pour la rupture. Enfin M. Hop, pensionnaire d’Amsterdam, représenta que cette négociation avait été entamée sans le consentement des autres provinces, malgré la protestation de la Zélande, et contre l’avis de la principale ville de Hollande ; qu’elle mécontentait leurs alliés les Espagnols, qu’elle empêchait les princes de l’Europe alarmés de la grandeur excessive de la France, et disposés dès-lors à ne pas souffrir qu’elle se rendît maîtresse des Provinces-Unies, de marcher à leur secours ; qu’on ne devait pas s’effrayer des conquêtes de Louis XIV, qui en était déjà embarrassé parce qu’il fallait y mettre de fortes garnisons, et qui dès-lors n’avait plus les moyens d’en faire beaucoup de nouvelles. Il conclut qu’il fallait rompre la négociation, et se défendre jusqu’au bout avec la dernière vigueur. Ce généreux sentiment prévalut, et tous les membres de l’assemblée jurèrent de sacrifier leurs biens et leurs vies pour la défense du territoire et le salut de la patrie[70].

Tel fut l’effet des propositions révoltantes remises par M. de Louvois. Elles provoquèrent une résolution désespérée que contribua à faire prendre aussi une révolution populaire qui venait de s’accomplir. Cette révolution devait accompagner et servir le projet d’une résistance nationale. Le parti du stathoudérat, qui avait déjà fait de si grands progrès, fut plus indigné encore que le parti républicain des conditions honteuses auxquelles il fallait traiter avec Louis XIV. Dans les dangereuses extrémités où l’état se trouvait réduit, il regarda le prince d’Orange comme seul capable de conjurer sa perte. Il crut donc le moment venu d’abattre ce parti de Lowestein qui se montrait faible après avoir été imprévoyant, et dont la puissance chancelante ne pouvait pas être soutenue par les frères de Witt, puisque l’un, le ruard (bailli) de Putten, était malade à Dordrecht, et que l’autre, le grand pensionnaire, était retenu au lit par ses blessures. Résolu de rétablir le stathoudérat, et n’espérant pas y faire consentir les membres des États qui naguère en avaient juré l’abolition par l’édit perpétuel, ce parti eut recours aux violences populaires pour les y contraindre. Il commença donc cette révolution par des soulèvemens dans les villes où les régences étaient contraires au stathoudérat, mais où le peuple, les ministres protestans et les milices bourgeoises, lui étaient extrêmement favorables.

La ville de Weere, dont le prince d’Orange était marquis, donna le signal en Zélande. Celle de Dordrecht, patrie des de Witt et depuis long-temps à la tête des régences républicaines, la suivit de près en Hollande et imprima au mouvement révolutionnaire un caractère plus sérieux. Le peuple insurgé arbora sur les tours de la ville deux drapeaux, l’un orange, l’autre blanc, en plaçant le premier au-dessus du second avec ces mots : Orange dessus, Witt dessous[71]. Il contraignit en même temps la régence épouvantée d’envoyer une députation au prince d’Orange, de l’appeler du camp de Bodegrave dans la ville, et, quand il y fut, de le proclamer stathouder. Les magistrats de Dordrecht, sous le coup des menaces du peuple, renoncèrent les premiers à l’édit perpétuel, dispensèrent le prince d’Orange lui-même du serment qu’il avait prêté de ne jamais accepter le stathoudérat, et l’investirent du titre et du pouvoir qu’avaient possédés ses ancêtres. Le prince ne se contenta point de cette dispense civile et il réclama une dispense religieuse. Deux ministres protestans le délièrent de son serment dans toutes les formes, et son ambition rassurée se donna alors un libre cours[72].

Tous les magistrats signèrent la révocation de l’édit perpétuel, qui fut portée à Corneille de Witt pour qu’il y donnât son adhésion. Mais le ruard de Putten, toujours malade et toujours courageux, répondit qu’on ne lui ferait pas violer le serment qu’il avait prêté aux États, et dont personne n’avait le droit de le dispenser. Le peuple grondait autour de sa maison, et les députés représentèrent au ruard qu’il y avait tout à craindre pour lui s’il ne cédait pas. Mais il leur répondit qu’il avait naguère entendu siffler les boulets à ses oreilles, et qu’il ne redoutait point les cris d’un peuple qui, après tout, n’avait que le pouvoir de le tuer. Il demeura inflexible. Sa femme, accourue auprès de lui avec ses enfans, le conjura alors en pleurant de ne pas se perdre par un refus inutile. Le ruard résista d’abord à ses supplications et à ses larmes. Mais, enfin, se laissant toucher par elles, il signa l’acte de révocation, en ajoutant à son nom les lettres V. C. (vi coactus), que le peuple, instruit par un ministre de leur signification, le força encore d’effacer[73]. Une fois la révolution commencée dans les villes, elle ne s’arrêta plus. Elle éclata à Rotterdam, à Gouda, à Haarlem, à Delft, à Amsterdam, et enfin à La Haye, où le peuple obligea les États de Hollande à la sanctionner[74].

Ce fut dans la nuit du 1er au 2 juillet que fut adoptée cette grande résolution par l’assemblée des États. Chacun était décidé à la prendre, mais personne n’osait la proposer. L’édit perpétuel, que tous les membres des États avaient juré de ne pas enfreindre, ne leur interdisait pas seulement de rétablir le stathoudérat, mais les obligeait à ne jamais proposer la révocation de cette nouvelle loi fondamentale de la république. Chez ces hommes honnêtes et religieux, les scrupules de la conscience balançaient le sentiment de la crainte et la puissance de la nécessité. Enfin le député de Rotterdam demanda la permission de reprendre son serment avant d’entretenir l’assemblée d’une chose que chacun comprenait, et qu’il ne pouvait nommer sans parjure. Plusieurs députés réclamèrent une explication plus claire. Mais aucun d’eux ne se souciait de la donner, lorsque le député de Leyde s’écria hardiment qu’il s’agissait, comme tout le monde le voyait bien, de révoquer l’édit perpétuel. L’aveu une fois fait, la délibération marcha rapidement. Les députés s’accordèrent une dispense mutuelle du serment qu’ils avaient prêté cinq années auparavant, et, le lendemain, l’édit perpétuel du 5 août 1667, qui abolissait le stathoudérat, fut aboli lui-même[75].

Quatre jours après, toutes les villes ayant été consultées et s’étant prononcées légitimement, les États de Hollande et de West-Frise proclamèrent à quatre heures du matin : Guillaume-Henri d’Orange, stathouder, capitaine-général et amiral de leur province[76]. La province de Zélande imita cet exemple, et, le 8 juillet, les États-Généraux ayant confirmé cette haute dignité au prince d’Orange, il vint le 10 à La Haye prêter serment comme stathouder[77]. En le nommant, la république sacrifia en partie la liberté de ses institutions à l’indépendance de son territoire, et chercha son salut, ainsi que le font tous les peuples libres lors des grandes crises, dans l’unité de commandement et la dictature militaire.

L’élévation du prince d’Orange excita un grand enthousiasme dans les provinces qui n’étaient pas encore envahies. On se persuada, sous l’empire des vieux et des patriotiques souvenirs, que le descendant de Guillaume et de Maurice d’Orange, qui avaient fondé et défendu la république contre les armes espagnoles, saurait la délivrer de l’invasion française. On crut que l’électeur de Brandebourg, son parent, qui s’était engagé, par le traité de Cologne sur la Sprée, conclu le 26 avril 1672, à secourir les Provinces-Unies avec une armée de vingt mille hommes, n’hésiterait plus à faire marcher ses troupes. On s’attendit à ce que l’empereur Léopold, pressé par la reine d’Espagne et par l’électeur de Brandebourg, de ne pas laisser succomber une république dont la ruine entraînerait la perte des Pays-Bas et porterait la frontière de la France jusqu’à la Westphalie, romprait avec Louis XIV pour prévenir un aussi grand bouleversement territorial[78]. On espéra surtout que le stathoudérat conféré au prince d’Orange comblerait les vœux du roi d’Angleterre, son oncle, et le détacherait de l’alliance française. Cette dernière espérance n’était pas sans quelque fondement. On connaissait, dans les Provinces-Unies, l’extrême mécontentement qu’avait fait éprouver en Angleterre l’union de Charles II avec Louis XIV pour écraser une république protestante. L’opinion publique s’y était universellement déclarée contre une guerre dont les succès étaient aussi menaçans pour la religion et pour la liberté de la Grande-Bretagne que pour l’indépendance des Provinces-Unies. Aussi, par un instinct prévoyant, s’était-on élevé de toutes parts contre les projets sinistres qu’on supposait à Charles II en le voyant allié au chef du catholicisme et de la monarchie absolue en Europe. M. Colbert de Croissy, ambassadeur de Louis XIV à Londres, écrivait à sa cour : « On aura beaucoup de peine à contenir les malintentionnés dans le devoir, car il est certain que la déclaration que le roi d’Angleterre a fait publier pour la liberté de conscience, les indices ou plutôt les preuves manifestes que le duc d’York a données de sa conversion et les soupçons qu’on a aussi de celle du roi, ont si fort irrité contre le gouvernement toutes les autres religions, qu’on ne voit que libelles et qu’écrits séditieux. Le comte d’Arlington m’en a fait voir un qui fait connaître au vrai les desseins du roi d’Angleterre et tend à remuer les protestans et les presbytériens contre l’ennemi commun qu’il dit être le pape, le roi d’Angleterre et ses ministres[79]. »

Ces sentimens avaient acquis encore plus de vivacité par les victoires de Louis XIV. L’envie s’était ajoutée à la crainte. « L’heureux succès des glorieuses entreprises de votre majesté, écrivait M. Colbert de Croissy à Louis XIV, excite beaucoup la jalousie chez ses voisins. Aussi n’omet-on rien, principalement au lieu où je suis, pour en interrompre le cours. L’ambassadeur d’Espagne y fait tout ce qu’il peut tant par lui-même que par les partisans du roi son maître, et il n’a pas de peine à attirer dans ses sentimens et le peuple et les principaux de cette cour, qui ne cessent de blâmer le roi, le duc d’York et les principaux ministres, et de crier qu’il est de l’intérêt de l’Angleterre de s’opposer plutôt que de concourir à la grandeur de votre majesté[80]. »

Le peuple, la cour, et, parmi les ministres même, le duc de Buckingham, naguère si zélé pour l’alliance française, montraient les appréhensions les plus grandes des progrès de Louis XIV. Charles II, dont la volonté était cependant si mobile, conservait seul toute la fermeté de ses précédentes résolutions. Loin de s’alarmer des conquêtes de Louis XIV, il en montrait de la joie[81], et il disait à M. Colbert de Croissy « que, malgré les intrigues de sa cour et l’animosité de son peuple contre l’union qu’il avait faite avec le roi très-chrétien, lui et son frère étaient inébranlables, et qu’ils se mettraient en état de maintenir cette union envers et contre tous[82]. »

Ce fut au milieu de cette agitation des esprits que les députés hollandais débarquèrent en Angleterre. M. Boreel, l’ancien ambassadeur des Provinces-Unies, qui n’était pas encore parti de Londres, avait vainement demandé pour eux des passeports à Charles II. Ce prince lui avait répondu qu’il ne voulait rien entendre que de concert avec Louis XIV. En apprenant l’arrivée de MM. d’Halewyn et de Dyckweld sur les côtes de la Grande-Bretagne, il les avait menacés de les faire enfermer à la Tour pour être venus dans son royaume sans avoir obtenu des passeports. Ils avaient noblement répondu qu’ils étaient prêts à s’y rendre pourvu qu’ils y trouvassent des commissaires chargés de négocier la paix avec eux. Charles II craignant, s’ils approchaient de Londres, que le peuple ne se livrât à de dangereuses démonstrations, les fit conduire au château de Hamptoncourt, où, gardés étroitement, ils ne purent communiquer avec personne[83].

Pendant qu’il agissait avec cette sincérité et cette vigueur, Louis XIV, qui ne voulait lui donner aucun sujet de défiance et aucun prétexte d’abandon, l’avait fait prévenir avec la plus grande diligence de toutes les démarches et de toutes les propositions des États-Généraux. Ne se bornant point à les communiquer à l’ambassadeur anglais, Godolphin, qui le suivit pendant toute cette campagne, il les avait transmises à M. Colbert de Croissy pour qu’il en instruisît directement Charles II. Après lui avoir exposé les offres des États-Généraux et ses demandes pour lui et pour ses alliés, il ajoutait : « J’ai voulu vous faire savoir, sans perdre de temps, l’état de l’affaire pour que vous appreniez au roi d’Angleterre que, non-seulement je n’ai point voulu admettre une négociation de paix sans savoir son sentiment, mais même sans y faire la même mention de ses intérêts que des miens. Je ne doute pas qu’il n’en ait usé de la même manière à mon égard, puisque j’ai appris qu’en même temps que les États avaient envoyé vers moi, ils avaient fait passer une semblable députation en Angleterre[84]. »

Afin de prendre part aux négociations sérieuses entamées au camp de Louis XIV, Charles II résolut d’y envoyer lord Halifax, membre de son conseil privé, que devaient suivre bientôt le duc de Buckingham et le comte d’Arlington, ses deux principaux ministres. Malgré cette résolution, le duc de Buckingham engagea, avant de partir, une négociation détournée avec les députés hollandais, par l’entremise de leur secrétaire nommé Kingscot. Il aurait voulu conclure une paix séparée, mais les députés n’avaient pas les pouvoirs nécessaires pour accorder les conditions qu’il exigeait d’eux. Charles II désavoua cette négociation, assurant à M. Colbert qu’il en avait fait honte au duc de Buckingham. Il ne songea « qu’à continuer la guerre en amusant, dit M. Colbert, le public d’une espérance de paix pour empêcher qu’il ne se formât de ligue en faveur des Hollandais[85]. »

Devancés par lord Halifax, qui se rendit directement au camp de Louis XIV, le duc de Buckingham et le comte d’Arlington s’embarquèrent, au commencement de juillet, pour aller négocier sur le continent. Ils avaient les pleins pouvoirs de Charles II, qui leur donna l’ordre d’agir d’un parfait accord avec les commissaires du roi de France. Les plénipotentiaires britanniques voulurent passer par la Hollande, afin de proposer des avantages particuliers au prince d’Orange et le décider à un prompt accommodement. Ils arrivèrent à La Haye le 5 juillet, au moment où les villes et les États lui décernaient le titre de stathouder. Le peuple, de plus en plus rassuré sur les dispositions du roi d’Angleterre par cette élévation de son neveu, accueillit ses ambassadeurs comme des envoyés de paix et des protecteurs de la république. Le duc de Buckingham et le comte d’Arlington traversèrent La Haye au milieu des plus touchantes acclamations, et les témoignages d’un peuple qui mettait en eux son espoir durent les remplir de trouble et de regret. Aussi le duc de Buckingham, qui n’aurait pas voulu la ruine des Provinces-Unies et qui aimait mieux tromper que déplaire, ayant rendu visite à la princesse douairière d’Orange, lui dit pour la rassurer qu’ils étaient bons Hollandais. — Il suffirait, lui répondit-elle, que vous fussiez bons Anglais[86]. Ils allèrent ensuite au camp de Bodegrave, où ils eurent de longues conférences avec le prince d’Orange. Celui-ci, qui avait reçu des États le pouvoir de traiter, n’offrit pour le roi de France que Maëstricht et les places du Rhin. Le duc de Buckingham parut donner d’abord au prince d’Orange des espérances que le comte d’Arlington mit tous ses soins et toute son honnêteté à lui enlever. Mais à la fin le duc de Buckingham lui-même, faisant céder ses sentimens particuliers à ses ordres, le pressa d’accepter les conditions des deux rois ; et comme le prince s’obstinait, il lui dit : Les glaces de l’hiver feront bientôt tomber ce que les inondations de l’été ont conservé. Ne voyez-vous pas que la république est perdue ? — Je sais un sûr moyen de ne pas le voir, répondit résolument le prince d’Orange ; c’est de périr dans le dernier retranchement[87].

N’ayant pu obtenir du stathouder aucunes concessions satisfaisantes, les plénipotentiaires anglais se rendirent auprès de Louis XIV, qu’ils trouvèrent au camp de Zeist, à deux lieues d’Utrecht, avec lord Halifax et le duc de Montmouth. Les propositions du prince d’Orange ne pouvaient pas convenir au roi victorieux qui avait refusé celles de M. de Groot et qui persistait avec opiniâtreté dans les siennes. Louis XIV, s’appuyant sur les traités conclus, n’eut pas de peine à faire souscrire les ambassadeurs britanniques aux conditions qu’il avait exigées, en ajoutant toutes celles qui pouvaient convenir à leur maître touchant l’honneur du pavillon, le droit de pêche, la possession des côtes de Zélande, et même le gouvernement absolu du reste de la république pour son neveu, le prince d’Orange.

On résolut alors de faire une dernière tentative pour séduire l’ambition de ce jeune prince. Les ambassadeurs anglais envoyèrent MM. Sylvins, Seymour, Jermyn, neveu du comte de Saint-Albans, du camp de Zeist au camp de Bodegrave, pour lui offrir la souveraineté héréditaire de sa patrie. Le prince d’Orange répondit froidement qu’on lui faisait cette proposition vingt-quatre heures trop tard, puisqu’il venait de prêter serment aux États en qualité de stathouder. M. Sylvius, lui ayant rappelé avec une hardiesse blessante qu’il avait aussi juré de ne jamais accepter l’offre du stathoudérat, et qu’ayant enfreint le premier serment, il lui était bien permis de manquer au second, le prince fut profondément irrité ; mais il se contint, et il répliqua avec calme que les États qui avaient eu le pouvoir de faire l’édit perpétuel avaient eu le droit de le révoquer, et que, dégagé par eux de son serment, il avait pu accepter d’eux le stathoudérat sans aucun scrupule[88]. Il ajouta qu’ayant l’honneur d’être sorti du sang royal d’Angleterre, le roi de la Grande-Bretagne aurait grand sujet de le désavouer pour son parent s’il renonçait ainsi à sa réputation et à sa conscience, et il finit en disant qu’il s’embarquerait pour Batavia plutôt que de signer la ruine de la république et de recevoir la souveraineté des mains de ses ennemis[89].

Il n’y avait plus rien à attendre de la volonté froide et inflexible du nouveau chef de la république. Les deux rois confirmèrent alors leurs anciens engagemens par un traité que signèrent, le 16 juillet, au camp d’Heeswick, près de Bois-le-Duc, les ambassadeurs de Charles II et les deux ministres de Louis XIV, MM. de Pomponne et de Louvois. On s’obligea des deux côtés à ne faire ni paix ni trêve avec les États-Généraux sans y consentir de part et d’autre, à se communiquer les propositions qu’on recevrait mutuellement, et à ne traiter jamais qu’aux conditions remises à M. de Groot pour la France, et aux conditions suivantes pour l’Angleterre[90] :

1o L’abaissement du pavillon des flottes entières des Provinces-Unies, qui seraient tenues d’abattre leur mât de hune devant un seul navire anglais, dans toute la mer britannique jusqu’aux côtes de Hollande ;

2o La liberté accordée aux Anglais demeurés dans la colonie de Surinam d’en sortir pendant une année entière avec tous leurs biens ;

3o Le bannissement du territoire de la république de tous les réfugiés anglais qui avaient été déclarés coupables du crime de lèse-majesté, ou qui avaient écrit des libelles séditieux contre le roi, ou qui avaient conspiré contre lui ;

4o Un million de livres sterling pour les frais de la guerre, dont 400,000 payables au mois d’octobre et le reste par annuités de 100,000 liv. sterl. ;

5o Une redevance annuelle de 10,000 liv. sterl. pour la pêche du hareng sur les côtes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande ;

6o La souveraineté de ce qui resterait des Provinces-Unies, après la part qui en serait détachée pour les deux rois et leurs alliés, en faveur du prince d’Orange, ou tout au moins la perpétuité du stathoudérat dans sa famille ;

7o Un traité de commerce qui réglerait avantageusement les rapports des négocians anglais dans les Indes ;

8o Enfin la remise de l’Écluse des îles de Walcheren, de Cadsant, de Gorée, de Woorne, pour servir de garantie à l’exécution des conditions précédentes[91].

Louis XIV s’applaudit beaucoup d’avoir lié étroitement le roi d’Angleterre, et de s’être assuré qu’il ne négocierait pas séparément. Il exprima sa satisfaction par de riches présens diplomatiques aux signataires du traité[92], et il écrivit à Charles II : « La justice et la fermeté réciproques avec lesquelles nous avons formé notre alliance ont servi d’un solide fondement à la guerre que nous nous sommes obligés d’entreprendre. La fidélité avec laquelle nous la maintenons contribuera principalement à continuer les heureux succès de cette même guerre, ou à la terminer par une paix honorable. Les ambassadeurs extraordinaires de votre majesté, qui nous ont été également recommandables par leur rang, leur mérite et la juste confiance que votre majesté a en eux, lui témoigneront qu’ils ont trouvé en nous les mêmes sentimens qu’ils étaient chargés de nous faire connaître de sa part ; qu’ils nous ont vu au milieu des progrès si grands et si heureux dont il a plu à Dieu de bénir nos armes, toujours prêt à en arrêter le cours, lorsque nous le pourrons faire à des conditions sûres, équitables et glorieuses, et toujours dans la constante résolution de n’admettre aucune proposition de nos ennemis, sans la communiquer en même temps à votre majesté, et sans faire un seul intérêt de nos intérêts communs[93]. »

En même temps les ambassadeurs britanniques envoyèrent au prince d’Orange, par M. Sylvius, les conditions auxquelles les deux rois consentaient à la paix avec les États-Généraux, et le traité d’étroite union qu’ils venaient de conclure entre l’Angleterre et la France. Afin de lui ôter l’espérance qu’il pouvait fonder encore sur leur désaccord, ils lui écrivirent : « Votre altesse ne trouvera pas mauvais qu’ayant remarqué ce que les députés de MM. les États, envoyés aux deux rois, ont fait pour leur donner de la jalousie l’un contre l’autre, comme si leur intention était de trouver leur compte à part, nous lui envoyions aussi la copie de l’acte que nous venons de faire avec MM. les commissaires de sa majesté très chrétienne, par lequel les États verront ce qui en est, et les mesures qu’ils auront à garder à l’avenir dans leur désir de faire la paix[94]. » Ils le prièrent en même temps de leur renvoyer dans dix jours la réponse des États aux propositions des deux rois[95].

En recevant communication des demandes des deux rois, dont la sollicitude pour lui semblait même destinée à le compromettre vis-à-vis des États, le stathouder se montra fort indigné. Il se rendit sur-le-champ à La Haye, pour les faire connaître aux États-Généraux, qui partagèrent ses sentimens[96], et qui, le 21 juillet, à sept heures du soir, les rejetèrent en ces termes : « Ayant été délibéré sur les conditions de paix proposées par le seigneur roi de France et par le seigneur roi d’Angleterre, après avoir pris le très prudent avis de son altesse, il a été trouvé bon et arrêté de déclarer par les présentes que, bien que leurs hautes puissances fussent très aises de voir la paix rétablie entre lesdits seigneurs rois de France et de la Grande-Bretagne et cet état, néanmoins les conditions dont il vient d’être parlé sont si dures et si insupportables, que leurs hautes puissances ne se pourront jamais résoudre à les accepter, mais qu’elles se trouvent forcées de défendre cet état et ses habitans de tout leur pouvoir ; et d’attendre le succès qu’il plaira à Dieu de leur donner[97]. » Pour toute réponse aux propositions des deux rois, le prince d’Orange envoya cette déclaration des États[98].

Après avoir signé le traité d’Heeswick, les ambassadeurs anglais, ne se bornant point à unir les forces de leur pays avec celles de la France contre la république aux abois, cherchèrent à détacher le seul et faible allié qui l’eût encore secourue. Ils prirent congé de Louis XIV et se rendirent à Anvers. Là ils virent le comte de Monterey et lui représentèrent le danger auquel il exposait les Pays-Bas espagnols en assistant les Hollandais ; ils le menacèrent de la guerre s’il continuait à les défendre, et ils l’engagèrent même à s’emparer, pour le compte de son roi, des places où ses troupes avaient été admises comme auxiliaires. L’honneur castillan se révolta à cette odieuse ouverture, et le fils de don Louis de Haro répondit avec une fierté indignée : « Que la postérité ne reprocherait jamais au roi catholique d’avoir trahi des amis qu’il avait promis de secourir, ni à la nation espagnole d’avoir suivi un aussi détestable conseil[99]. »

Cependant le stathouder n’avait pas encore perdu tout espoir de détacher l’Angleterre de la France. Il essaya d’empêcher Charles II de ratifier le traité d’Heeswick en lui offrant toutes les satisfactions qu’il pouvait désirer. Lorsque M. Sylvius retourna en Angleterre, il le chargea de proposer à son roi le salut du pavillon tel qu’il l’exigeait, la propriété de l’île de Surinam, une subvention annuelle de 100,000 livres tournois pour la pêche du hareng, quatre millions pour les frais de la guerre, et la cession de l’Écluse comme garantie et jusqu’à l’accomplissement des autres conditions, s’il consentait à faire une paix séparée avec les Provinces-Unies[100]. Mais Charles II, fidèle à ses animosités contre la Hollande et à l’alliance française, rejeta ces offres et ratifia le traité d’Heeswick. Il ordonna aux députés hollandais qui étaient encore à Hamptoncourt et qu’il avait gardés comme otages de M. Sylvius, de sortir de son royaume, et il dit à M. Colbert de Croissy « qu’il voyait bien que l’insolence de cette république n’était pas encore abattue, et qu’il ne fallait plus songer qu’à la réduire par terre et par mer à la dernière extrémité[101]. »

Il ne restait plus qu’à combattre. Le prince d’Orange fit afficher sur toutes les places publiques de la Hollande les conditions déshonorantes proposées par les deux rois, et la république retrouva dans le désespoir le courage que lui avait fait perdre la rapidité de ses désastres. On ouvrit toutes les écluses, on brisa les digues, on inonda tout ce qui pouvait être inondé encore, et l’on s’apprêta bravement à se défendre[102]. Cette détermination était d’autant plus hardie, au moment où elle fut prise, que les troupes de terre étaient peu nombreuses et peu résolues, que le prince d’Orange manquait même de boulets et n’avait que soixante quintaux de poudre.

Heureusement la république venait d’échapper, par l’assistance inattendue de la mer, à une descente qui aurait achevé de la perdre. Ruyter, n’ayant que quarante-sept vaisseaux imparfaitement équipés et approvisionnés, douze frégates et une vingtaine de brûlots, avait reçu l’ordre de ne pas attaquer les flottes combinées d’Angleterre et de France qui, après s’être ravitaillées, s’avançaient, fortes de cent soixante voiles, pour opérer le débarquement qu’avait empêché la bataille de Solbaie. L’amiral hollandais devait surveiller leurs mouvemens, et il se posta à Gorée. Après avoir paru à la vue de Schevelingh, village voisin de La Haye, les deux flottes combinées, au lieu de se porter sur la Zélande, que couvrait Ruyter, se dirigèrent vers le Texel, dans l’intention de débarquer leurs troupes sur les côtes de la Hollande septentrionale et de combiner les opérations de l’armée navale avec celles de l’armée de terre. Le 14 juillet, elles attendirent le flux de la marée pour entrer dans le Texel. Mais un vent de nord-ouest qui venait de souffler avec force, avait refoulé et amoncelé les eaux dans la mer fermée du Zuyderzée ; en sorte que ce jour-là, ce qui ne se voyait jamais à une pareille époque de l’année, le reflux dura douze heures au lieu de six, et les empêcha de pénétrer dans le Zuyderzée. Ce mouvement extraordinaire des eaux annonçait la tempête. Elle se déchaîna le lendemain avec violence, dura plusieurs jours, dispersa les deux flottes qui, battues par les vents, perdirent plusieurs vaisseaux de guerre et de charge, renoncèrent à leur entreprise, et rentrèrent dans les ports[103] sans avoir même pu surprendre les navires hollandais qui arrivaient chargés des richesses des Indes orientales, et qui trouvèrent un refuge à l’embouchure de l’Ems[104].

Mais ce qui contribua plus encore que la tempête à sauver la république, fut le ralentissement des opérations militaires causé par l’affaiblissement de l’armée d’invasion. On éprouva alors les fâcheuses conséquences de la faute qu’avait conseillée M. de Louvois en faisant décider qu’on garderait un si grand nombre de places. L’armée, épuisée par plus de cinquante garnisons[105], fut hors d’état de rien entreprendre de sérieux. Turenne, qui était entré dans Nimègue le 9 juillet, s’empara encore le 19 de Crèvecœur, et le 22 de Bommel[106]. Mais ce fut le terme de ses conquêtes. Il est vrai qu’après la prise de ces deux dernières places on menaça la Hollande sur une ligne continue depuis la mer jusqu’à la Meuse, par Naarden sur le Zuyderzée, Woerden sur le vieux Rhin, Bommel sur le Vhaal, et Crèvecœur sur la Meuse. Placée dans ces positions avancées, l’armée eut l’ordre de ne plus rien entreprendre[107], et elle attendit l’hiver, pour pénétrer, à l’aide des glaces, jusqu’au centre de la Hollande. Louis XIV partit le 26 juillet du camp de Boxtel, traversa les Pays-Bas espagnols avec une forte escorte de cavalerie, et se rendit à Saint-Germain, où il arriva le 1er août au soir. Il avait nommé le maréchal de Turenne gouverneur de la province d’Utrecht, et l’avait laissé comme généralissime de ses troupes[108].

Pendant que tout cela se passait, la haine contre les frères de Witt ne se calmait point, malgré les blessures de l’un et la maladie de l’autre. Le grand pensionnaire, que son intégrité aurait dû mettre au-dessus de tout soupçon, et qui, pendant deux années consécutives, avait pressé vainement les États-Généraux de pourvoir à la défense de la république, accusé dans des libelles de concussion et de trahison, se crut obligé de se justifier devant les États. — « Quoique j’aie toujours été du sentiment, leur écrivit-il, qu’on ne pouvait mieux détruire ces sortes de calomnies qu’en les méprisant et en faisant voir qu’on n’y est pas sensible, cependant comme il y a cette fois une accusation positive d’avoir détourné les deniers consacrés aux dépenses secrètes, j’ai jugé à propos, n’étant pas en état de paraître en personne dans l’assemblée de vos nobles et grandes puissances, à cause de mes blessures, de les informer sincèrement par les présentes de la vérité du fait[109]. » Il n’eut pas de peine à se justifier, car il prouva que vu, comme il le disait, le naturel méfiant de la nation, il n’avait voulu se charger du maniement d’aucuns deniers publics. Dans la noble générosité de son ame, espérant que le stathouder, qui se disait encore son ami affectionné, lui rendrait publiquement justice, comme il n’eût pas manqué de le faire envers lui, il invoqua son témoignage. Mais le prince d’Orange ne répondit à sa lettre que dix jours après l’avoir reçue. Calculant, dans cette tardive réponse, toutes ses paroles avec l’habileté froide d’un ambitieux, il laissa le grand pensionnaire sous le poids de tous les reproches qui le rendaient l’objet de la défiance et de l’animosité populaires. Il dit qu’il n’avait aucune connaissance du fait de détournement d’argent, à l’égard duquel le grand pensionnaire ne pouvait pas invoquer de meilleur témoignage que celui des députés des États. Quant à l’insuffisance des préparatifs pour la défense de la république, il répondit : que, distrait par tant d’affaires, dans ces temps malheureux, il ne lui avait pas été possible de s’engager dans la recherche des choses passées, et de savoir ce qui manquait à l’armée, et à qui en était la faute. C’est pourquoi, ajouta-t-il avec des éloges qui dans le moment semblaient ironiques, vous trouverez bien mieux la justification que vous attendez de moi dans les actions de prudence que vous avez faites[110].

De son côté, Ruyter, instruit des accusations dont Corneille de Witt avait été l’objet pendant la dernière campagne navale, le justifia publiquement dans une lettre qu’il écrivit aux États de Hollande : « Je me trouve obligé, leur dit-il, pour mon propre honneur et pour la défense de la vérité et de la justice, de déclarer dans la sincérité de mon cœur, à vos nobles et grandes puissances, que le ruard de Putten, en qualité de député et commissaire de la flotte, a vécu avec moi dans une union vraiment fraternelle et dans une amitié cordiale, sans qu’il y ait jamais eu entre nous la moindre mésintelligence ; qu’il a toujours marqué une grande ardeur d’en venir aux mains avec les ennemis, et qu’il n’a jamais moins fait paraître d’animosité à l’égard des Français que des Anglais ; que ce fut lui qui, au conseil de guerre, proposa d’attaquer l’ennemi, et qu’il appuya sa proposition de raisons si fortes, que la résolution en fut prise unanimement, qu’il fit voir pendant la bataille une fermeté extraordinaire, et se montra disposé le lendemain à recommencer le combat que n’accepta point la flotte ennemie[111]. » Ce noble personnage suppliait les États de désabuser ceux qui étaient prévenus d’une fausse opinion sur ce sujet. Mais, loin de servir le ruard, il se compromit lui-même auprès d’un peuple passionné, qui ne voulait pas être éclairé sur les hommes qu’il détestait.

Les fougueux partisans du stathouder nourrissaient contre le grand pensionnaire et contre le ruard des ressentimens implacables. Ces ressentimens, provoqués par les souvenirs du passé, étaient entretenus par la défiance de l’avenir. M. de Witt, bien que discrédité, conservait encore la position supérieure qui faisait de lui le premier personnage civil de la république. Ses amis, dont le zèle était alors refroidi par la frayeur, dominaient toujours dans l’assemblée des États, et occupaient les régences des villes. On craignait, dans le parti du stathouder, que les vicissitudes des évènemens et l’inconstance du peuple, si fréquente dans les pays libres, ne le relevassent après l’avoir abattu. On redoutait tout au moins, entre le prince d’Orange et lui, un arrangement qui aurait mis l’inexpérience du stathouder à la merci de l’habileté du grand pensionnaire, et qui aurait privé ses amis des emplois politiques dans lesquels cette réconciliation aurait maintenu ses adversaires.

Le prince d’Orange avait offert en effet à M. de Witt, s’il voulait s’unir à lui, de lui conserver son ancienne autorité et de se conduire par ses conseils. Mais M. de Witt, outre la difficulté qu’il devait trouver à devenir le second dans l’état après avoir été si long-temps le premier, avait compris tous les obstacles qui s’opposaient à une semblable union. Il avait répondu avec un grand bon sens et une noble honnêteté : « Les peuples me haïssent sans que je leur en aie donné aucun sujet. Ces sortes de haines sont ordinairement les plus violentes. Son altesse ne retirerait donc pas de mes services tout l’avantage qu’elle en pourrait attendre. Tout ce qui passerait par mes mains serait suspect, et, quelque précaution que je prisse, on me rendrait toujours responsable des mauvais succès. Je souhaite de tout mon cœur que les desseins du prince réussissent pour le bien de l’état, mais il a besoin d’une autre personne que moi pour le seconder. Quant à l’offre de me conserver le même crédit sous le stathoudérat, c’est la chose du monde la moins capable de m’éblouir. Je n’en ai jamais désiré que pour être mieux en état de rendre service à ma patrie ; c’est là l’unique but que je me suis toujours proposé, et je ne souhaite rien pour mon avantage particulier. Je serais indigne de la confiance que mes maîtres ont eue en moi, si je continuais de les servir par un principe si lâche et si indigne d’un honnête homme[112]. »

Il refusa donc, et il résolut même de se démettre de sa charge de grand pensionnaire. Le 4 août, se trouvant à peu près guéri de ses blessures dont la plus profonde n’était pas toutefois entièrement fermée, encore faible et pâle, il se rendit au sein des États pour accomplir cette grande résolution, et leur dit :

« Très nobles et très puissans seigneurs, il y a eu dix-neuf ans, le 30 du mois passé, que j’ai servi dans votre assemblée en qualité de pensionnaire de Hollande et de West-Frise. Pendant ce temps-là, l’état a été exposé à de grandes guerres et à d’autres calamités qui par le secours de Dieu, par la sagesse de vos nobles et grandes puissances, comme aussi par leur courage et leur conduite, ont été heureusement terminées ou surmontées. Vos nobles et grandes puissances savent très bien avec quel zèle et avec quelle étude je me suis appliqué depuis plusieurs années à détourner les occasions de mésintelligence et de rupture que nous avons maintenant avec les puissans ennemis de cet état. Elles n’ignorent pas combien de fois j’ai pris la liberté de leur représenter les malheurs qui pourraient arriver si l’on n’apportait pas sérieusement et de bonne heure les remèdes nécessaires au mal dont nous étions menacés ; mais Dieu, dans les décrets de sa sainte, bien qu’incompréhensible providence, a permis que les affaires aient empiré et que l’on en soit venu à cette guerre funeste, quoique l’état en général et la province de Hollande en particulier aient eu assez de temps pour s’y préparer et se pourvoir de toutes les choses nécessaires à une vigoureuse défense ».

Il en appela alors aux registres de l’assemblée et aux souvenirs de ses membres pour attester la diligente sollicitude avec laquelle il avait si souvent proposé de prendre toutes les mesures que réclamait le salut de la république, et, après avoir signalé l’injuste défiance du peuple qui lui attribuait les malheurs publics, quoiqu’il fût, disait-il, un simple serviteur de l’état exécutant les ordres de ses maîtres, il ajouta : « On se déchaîne si furieusement contre moi, que je ne puis juger autre chose, en bonne conscience, sinon que mes services seraient désormais préjudiciables à l’état, puisqu’il suffirait que j’eusse été employé à mettre par écrit les résolutions de vos grandes et nobles puissances pour les rendre désagréables au peuple, qui ne les exécuterait pas avec autant de promptitude qu’il le faudrait pour le bien et l’utilité de la patrie. C’est pourquoi j’ai cru que ce serait faire une chose très avantageuse à l’état que de supplier vos nobles et grandes puissances, comme je les en supplie très humblement, qu’il leur plût d’avoir la bonté de me dispenser de l’exercice de ma charge[113]. »

Sa démission fut acceptée, quoique le collége des nobles et les députés de plusieurs villes ne voulussent pas d’abord y consentir, et on l’appela, selon son désir, à siéger dans le grand conseil[114]. Mais sa renonciation au pouvoir ne désarma point ses ennemis. De plus cruelles épreuves lui étaient encore réservées. Ceux qui voulaient la ruine des de Witt, ayant essayé vainement d’y parvenir à l’aide de l’assassinat, recoururent à un moyen plus odieux encore pour la consommer.

Un chirurgien-barbier, nommé Tichelaar, que Corneille de Witt, en sa qualité de ruard de Putten, avait fait condamner pour crime, l’accusa d’avoir comploté la mort du prince d’Orange. Afin de donner quelque fondement à une accusation aussi invraisemblable, il s’était présenté chez le ruard, avait demandé à lui parler en secret, et avait offert de s’ouvrir à lui sur une affaire importante. Le ruard, connaissant la perversité audacieuse de cet homme, avait évité le piége qui lui était tendu, et avait dit à Tichelaar : « Si vous avez quelque chose d’utile à me découvrir, je suis prêt à vous entendre et à vous seconder ; mais, si c’est une mauvaise affaire, n’en parlez pas, car je la dénoncerais tout de suite à la régence ou à la justice[115]. » Tichelaar l’avait alors quitté, et s’étant rendu auprès de M. d’Albrantsweert, maître d’hôtel du prince d’Orange, de M. de Zuylestein, son oncle naturel, il avait accusé Corneille de Witt d’avoir voulu le corrompre pour qu’il tuât le stathouder. La cour de Hollande, saisie de cette accusation, envoya à Dordrecht son procureur-fiscal pour arrêter Corneille de Witt et le conduire dans les prisons de La Haye. Comme les citoyens de Dordrecht ne relevaient que du tribunal de la ville, il fallut soustraire par surprise le ruard à sa juridiction naturelle. Le dimanche 24 juillet, à midi, pendant que les magistrats et la plupart des habitans étaient au temple, le procureur-fiscal descendit chez Corneille de Witt, qui le suivit sans résistance et fut transporté à La Haye. Les magistrats de Dordrecht envoyèrent des députés pour le réclamer et se plaindre de la violation de leurs priviléges ; mais la cour de justice de Hollande ne fit point droit à leur requête.

Après avoir reçu la déposition du dénonciateur qui, conformément à la loi, demeura prisonnier, elle interrogea l’accusé, qui repoussa avec une indignation hautaine le soupçon d’un crime aussi abominable et aussi éloigné de lui. Il ajouta que, s’il avait pu imaginer un semblable dessein, il avait un bras pour l’exécuter, sans avoir besoin de celui de Tichelaar. Il n’y avait, à l’appui de l’accusation, ni preuves, ni témoins, ni vraisemblance, et il était impossible d’admettre qu’un personnage honnête et prudent comme le ruard eût pu concevoir l’idée d’un si grand attentat, et surtout n’eût pas craint, dans un entretien inattendu, d’en faire la confidence et d’en proposer l’exécution à un homme noté d’infamie et qui était son ennemi. C’est ce que ne manquèrent pas de soutenir le père, le frère, la femme, les amis du prisonnier. Ils protestèrent contre la procédure inique qui mettait la dénonciation d’un repris de justice en balance avec la parole d’un des premiers citoyens de la république. Mais la cour de Hollande, réduite alors à trois juges, les autres étant absens ou s’étant récusés, placée sous l’influence de la haine ou de la frayeur, persista dans ses poursuites. À défaut de preuves, elle espéra forcer Corneille de Witt à se reconnaître lui-même coupable, et elle décida qu’il serait soumis à la question préparatoire.

Le 18 du mois d’août, le geôlier vint lui annoncer qu’il avait ordre de ne rien lui donner à manger. Le lendemain, il fut conduit dans la salle de la question. L’exécuteur, après lui avoir demandé pardon, lui fit ôter presque tous ses vêtemens et serra d’abord fortement ses pieds entre deux planches appelées les brodequins. Les juges n’étaient point encore arrivés, dans la crainte sans doute de se trouver en face du ruard avant qu’il fût vaincu par la douleur. Cette première épreuve de la torture irrita vivement Corneille de Witt, qui menaça le bourreau de le frapper. — Vous vous plaignez déjà, lui dit celui-ci, ce n’est rien encore, vous feriez mieux d’avouer. En même temps, lui ayant attaché un poids de cinquante livres à chaque orteil avec une ficelle pleine de nœuds, il lui tourna les bras en arrière, l’enleva jusqu’à ce que les deux poulies auxquelles il était suspendu se fussent rencontrées, et l’agita d’une manière terrible. Les juges entrèrent dans le moment et lui dirent : Confessez votre crime. Le ruard, rassemblant toutes ses forces, s’écria — Quand on me couperait par morceaux, on ne me ferait pas avouer une chose à laquelle je n’ai jamais pensé. On l’étendit alors sur une table, et, pendant qu’il citait ses juges devant le tribunal de Dieu, on lui serra la tête entre quatre chevilles de fer. Mais cet homme d’un invincible courage s’éleva jusqu’au bout, par l’énergie de la volonté et le besoin de ne pas trahir son innocence, au-dessus des angoisses et des accablemens de la douleur. Au plus fort de la torture, bravant ses juges anéantis, il se mit à réciter fièrement les vers d’Horace :

Justum et tenacem propositi virum
Non civium ardor prava jubentium,
Non vultus instantis tyranni
Mente quatit solida
[116].

L’héroïque patient sortit vainqueur de la lutte. Ses juges, qui n’avaient pu le convaincre ni par les faits ni par ses aveux, auraient dû proclamer son innocence. Mais, n’osant pas commettre un excès d’injustice en le punissant de mort, et ne voulant pas, dans l’aveuglement de leur passion ou le trouble de leur frayeur, l’acquitter entièrement, ils le déclarèrent déchu de toutes ses charges et dignités, et banni à perpétuité de la province de Hollande et de West-Frise. Cette sentence livrait aux fureurs du peuple le ruard, que les juges ne justifiaient pas assez s’ils le trouvaient innocent, et ne punissaient pas assez s’ils le trouvaient coupable. Ce peuple de plus en plus égaré dans sa haine, et craignant que sa victime ne lui échappât, exerçait depuis le 16 août une surveillance active sur la prison, et il avait menacé tous ceux qui demeuraient dans le voisinage de démolir leurs maisons si le prisonnier s’évadait par leur connivence.

Le matin du 20 août, après que la sentence eut été communiquée au ruard et avant qu’il pût sortir, les ennemis des de Witt, voulant frapper les deux frères du même coup, eurent recours à une perfidie pour attirer le grand pensionnaire dans la prison. Sur leur invitation, le geôlier envoya successivement l’un de ses aides et sa servante annoncer à Jean de Witt que son frère allait être mis en liberté ; mais qu’il désirait, auparavant, le voir et l’entretenir. La fille du grand pensionnaire, qui était tendrement aimée de lui et qu’agitaient de funestes pressentimens, le conjura de ne pas sortir. L’un de ses amis chercha à l’en détourner aussi en lui faisant craindre un piége ; mais ni les conseils de cet ami clairvoyant ni les prières de sa fille, qui embrassait ses genoux en pleurant, n’eurent le pouvoir de l’arrêter. La vive affection qui l’unissait à son frère et le mépris qu’il avait eu toute sa vie pour le danger, l’emportèrent sur la prudence ; et, après avoir reçu de ses enfans un tendre et dernier embrassement, il partit. Il se rendit à la prison, qui n’était pas éloignée de sa demeure, à pied, suivi de deux secrétaires et d’un serviteur, après avoir ordonné qu’on lui envoyât son carrosse pour le reprendre et pour ramener le ruard, que la torture avait mis hors d’état de marcher.

En arrivant à la prison, il la trouva gardée par deux cavaliers et deux bourgeois sous les armes. Dès que le ruard le vit entrer dans sa chambre, il s’écria : Ah ! mon frère, que venez-vous faire ici ? — Quoi ! lui dit Jean de Witt, ne m’avez-vous pas envoyé chercher ?Non¨¨¨, répondit le ruard. — Alors, repartit avec calme Jean de Witt, nous sommes perdus. Les deux frères réunis s’entretinrent de ce qui leur restait à faire. Jean de Witt envoya l’un de ses secrétaires chercher copie de la sentence de bannissement contre laquelle le ruard, ne voulant pas adhérer à sa condamnation, s’était déjà pourvu devant le grand conseil. En attendant son retour, que le peuple empêcha, Jean de Witt pressa son frère de se désister d’un appel qui suspendait sa délivrance, compromettait sa vie et ne laissait aucun espoir de faire éclater son innocence à des yeux fermés par la passion. Corneille de Witt persista dans sa dangereuse résolution, et le procureur fiscal vint lui signifier qu’il avait lui-même soumis la sentence à la révision du grand conseil.

Pendant que les deux frères délibéraient ainsi, Tichelaar, rendu à la liberté, ameutait contre eux le peuple de La Haye. Par le conseil de ceux qui étaient décidés à les perdre, il parcourut les rues en criant que le ruard allait être délivré ; que, s’il n’avait pas avoué son crime, c’est qu’il n’avait subi qu’un simulacre de torture ; que les juges, malgré leur partialité envers lui, l’avaient trouvé tellement coupable, qu’ils n’avaient pas osé l’absoudre. Il ajoutait que les deux frères étaient ensemble dans la prison, et qu’il fallait se débarrasser enfin de ces deux ennemis du prince d’Orange au moment où ils en sortiraient. Le peuple soulevé par Tichelaar poussa le cri aux armes ! aux armes ! et se porta avec fureur autour de la prison. Il y trouva le carrosse de Jean de Witt, qu’il renvoya en proférant des vociférations contre le traître qu’on voulait ramener en triomphe.

Jean de Witt, alarmé de ce tumulte, essaya s’il serait encore temps pour lui de se retirer. Il se fit ouvrir la porte de la prison ; mais les bourgeois qui la gardaient lui barrèrent le passage, et le peuple, en le voyant, cria : Tirez sur lui ! tirez sur lui ! La porte fut aussitôt refermée, et Jean de Witt, devenu prisonnier à son tour, retourna auprès de son frère.

L’émotion populaire gagna toute la ville, et le nombre des furieux s’augmentait d’un moment à l’autre. Les États de Hollande, qui étaient assemblés ce jour-là pour nommer un successeur au grand pensionnaire, avertis de ce dangereux tumulte, délibérèrent sur les moyens de l’arrêter. Ils écrivirent au prince d’Orange, qui était au camp devant Alfen, pour lui demander des troupes qu’il n’envoya point. Ils chargèrent en même temps les conseillers-députés de veiller au maintien du repos public et à la sûreté des frères de Witt. Les conseillers-députés prescrivirent au comte de Tilly de se porter vers la prison avec les trois compagnies de cavalerie qui formaient la garnison de La Haye, et de contenir les séditieux. Ils donnèrent malheureusement le même ordre aux six compagnies bourgeoises, qui étaient animées des mêmes sentimens de haine et de cruauté que le peuple, et dont la présence devait augmenter le désordre et le danger. Celles-ci occupèrent les diverses avenues de la prison, et l’une d’elles se rangea devant la porte, tandis que le comte de Tilly, à la tête de ses cavaliers, se porta sur la place, en face d’elle, la sépara des autres compagnies, et les tint toutes en échec par sa courageuse contenance. Il ordonna à sa troupe d’avoir toujours l’arme haute, sans tirer un seul coup, à moins qu’elle ne fût attaquée par les bourgeois. Ces derniers, de leur côté, tinrent les mousquets posés sur la fourchette, prêts à faire feu. La cavalerie régulière et la milice bourgeoise, dont l’une voulait sauver les frères de Witt, et dont l’autre voulait les égorger, demeurèrent en présence pendant quatre heures, toujours prêtes à en venir aux mains, la première menacée, la seconde excitée par la foule bruyante des assassins qui s’agitaient et se pressaient autour d’elles.

La cruauté du peuple devenait plus grande de moment en moment. Craignant de perdre sa proie, il voulut s’assurer que les deux frères étaient toujours dans la prison. Vers onze heures et vers midi, des officiers et quelques bourgeois, suivis d’une trentaine de mutins, montèrent auprès d’eux et constatèrent qu’ils restaient à leur merci. Jean de Witt leur parla de l’innocence de son frère et de la sienne avec une douceur persuasive qui les ébranla. À une heure, le procureur fiscal, Jean Ruisch, vint mettre auprès des prisonniers une garde de quelques bourgeois pour veiller à la sûreté du pensionnaire et du ruard, en les engageant à prendre patience jusqu’à ce que le tumulte fût apaisé. Les deux frères invitèrent les bourgeois à se mettre à table avec eux, après quoi le ruard, que la torture avait brisé, se jeta sur son lit, en robe de chambre, tandis que le grand pensionnaire, assis auprès de lui, prit la Bible, et lui en lut quelques chapitres.

Cependant la foule devenait de plus en plus impatiente. Sa fureur se tournait contre la troupe qui l’empêchait d’assouvir ses ressentimens. Les bourgeois eux-mêmes s’excitaient les uns les autres à tirer sur le comte de Tilly, dans l’espoir que ses soldats se disperseraient s’il était tué. Le comte, qui voyait une lutte sanglante prête à s’engager, sortit des rangs, s’avança seul sur le front de la compagnie bourgeoise, et dit à ses officiers : « Messieurs, si vous voulez remplir la ville de carnage, vous n’avez qu’à tirer les premiers ; mais vous pourrez bien vous en repentir. » Les bourgeois, contenus par cette fermeté, répondirent que ce n’était pas leur intention, et l’engagèrent à se retirer avec sa troupe. Mais il refusa de le faire, et les bourgeois, voyant qu’ils ne pouvaient pas l’y contraindre en l’intimidant, eurent recours à un autre moyen.

Quelques-uns d’entre eux se rendirent auprès des conseillers-députés pour leur demander de rappeler la cavalerie. Ils n’en trouvèrent que deux restés à leur poste[117], dans ce moment de trouble et de péril. Pendant qu’ils les pressaient d’éloigner les uniques défenseurs des de Witt, on vint annoncer que les matelots et les paysans des villages voisins marchaient sur La Haye pour la piller. Ce bruit servit leurs desseins, et les conseillers-députés, craignant de s’exposer eux-mêmes à la rage du peuple, firent donner à M. de Tilly l’ordre verbal de se porter avec sa troupe aux ponts-levis de la ville pour en empêcher l’entrée. Le comte de Tilly, fidèle à son devoir jusqu’au bout, ne voulut pas quitter le poste qu’il occupait sans un ordre écrit. Cet ordre fatal fut signé. Quand il le reçut, il dit : « J’obéirai, mais les deux frères sont perdus. »

Cet ordre fut en effet leur arrêt de mort. Dès que la cavalerie eut quitté, vers quatre heures, sa position, les compagnies bourgeoises qu’elle avait tenu éloignées de la prison, s’avancèrent, ivres de bière, d’eau-de-vie, et avides de sang. La compagnie du drapeau bleu, plus ardente que les autres, déboucha la première et se plaça devant la porte de la prison, après en avoir écarté de vive force la compagnie du drapeau rouge, qui l’avait gardée jusque-là et qui était un peu plus modérée. Elle avait à sa tête l’échevin Van Banckhem, qui l’excitait hautement au meurtre des deux prisonniers. Trouvant la porte fermée, elle fit contre elle une décharge de mousqueterie qui la perça sans l’abattre ; alors un orfèvre nommé Verhoef, qui s’était fait remarquer depuis le matin parmi les plus emportés, alla prendre dans le voisinage un marteau et une hache pour la forcer. La porte, brisée en partie, commençait à céder sous les coups de ces furieux, quand le geôlier effrayé l’ouvrit et leur livra passage. Les assassins montèrent en foule l’escalier et se précipitèrent dans la chambre des prisonniers. Le ruard, en robe de chambre, était toujours étendu sur son lit, et son frère, en manteau de velours, était assis auprès de lui, lisant la sainte Écriture. Verhoef, courant au lit du ruard, en tira les rideaux avec violence et cria : — Traître, prépare-toi, tu vas mourir. Corneille de Witt se releva, les mains jointes et dans l’attitude d’un homme priant Dieu. Au même moment, l’un de ceux qui venaient d’entrer lança contre lui un coup de crosse de fusil qui brisa les colonnes du lit et qui ne l’atteignit point. Son frère ayant voulu intercéder pour lui, reçut à la tête une blessure qui le couvrit de sang. Malgré les efforts des bourgeois à la garde desquels ils avaient été confiés et qui s’étaient laissé toucher par leur malheur et leur courage, ils furent entraînés hors de la chambre. Sur le haut de l’escalier ils s’embrassèrent, et, tandis que le ruard descendait lentement, appuyé sur son frère, il fut frappé par derrière avec tant de violence, qu’il roula tous les degrés jusqu’à la porte. La troupe féroce déboucha ainsi dans la rue, poussant devant elle ses deux victimes, le ruard tout meurtri, Jean de Witt la tête nue et le visage ensanglanté.

Ceux qui les attendaient au dehors les accueillirent par des cris féroces. Ils voulaient les traîner jusqu’à l’échafaud, qui n’était pas éloigné, mais leur rage n’eut pas le temps d’attendre. Dès que le ruard sortit de la prison, il fut terrassé par deux coups de crosse que lui portèrent un boucher et un marchand de vin ; il reçut aussitôt une balle dans les reins, et la foule sanguinaire se jeta sur lui pour l’achever. Dans le même instant, Jean de Witt partageait le sort de son frère. Un notaire, nommé Van Soenen, lui porta le premier un coup de pique dans le visage. Quoiqu’aveuglé par le sang, Jean de Witt essaya de fuir ; mais les bourgeois impitoyables serrèrent leurs rangs et le traquèrent comme une bête fauve. L’un d’eux tira sur lui, et, son mousquet n’ayant pas fait feu, il l’abattit d’un coup de crosse. Jean de Witt qui, dans ces momens extrêmes, n’avait rien perdu de la fermeté de son esprit et de la constance de son ame, blessé, meurtri, mourant, se releva sur ses genoux, tendit les mains vers le ciel, et ouvrit la bouche pour prier Dieu, quand un de ses assassins le renversa sur le dos, lui mit le pied sur la gorge, et lui tira un coup de pistolet dans la tête en criant : « Voilà l’édit perpétuel à terre ! »

Après les avoir massacrés, ce peuple féroce se livra aux derniers excès contre leurs cadavres. Il les dépouilla entièrement, les traîna à travers les rues jusqu’à l’échafaud, et là, en présence d’un pasteur protestant, le sombre et violent Simon Simonides, qui assistait à ces horribles scènes et qui les encourageait, il les suspendit par les pieds avec des mèches de mousquet à défaut de cordes, dos à dos, la tête en bas, les mutila d’une manière révoltante, et ne les abandonna qu’après avoir assouvi sur eux toute sa rage[118]. La triste famille des de Witt, les ayant fait enlever pendant la nuit pour leur donner la sépulture, eut beaucoup de peine à les reconnaître, tant ils étaient défigurés. Leur malheureux père, qui avait été le chef de la faction de Lowestein, et qui avait élevé dans l’amour d’une liberté austère ces deux fils, la joie et la gloire de sa vieillesse, se démit de sa charge à la cour des comptes[119], pour ne rien devoir à une république aussi ingrate, et aller pleurer en sûreté la mort cruelle de ses fils auxquels il survécut peu de temps.

Ainsi périrent ces deux hommes d’un mérite supérieur et d’une haute vertu. Ils étaient dans toute la force de l’âge, Jean de Witt ayant à peine atteint sa quarante-septième année, et le ruard sa quarante-neuvième. Doués l’un et l’autre d’un esprit élevé, d’une ame ferme, d’un rare désintéressement et d’un inflexible courage, ils aimaient par-dessus tout leur patrie. Corneille de Witt avait quelque chose d’altier dans sa simplicité, de dur dans son énergie ; mais il portait le dévouement à ses devoirs jusqu’au sacrifice de lui-même, la patience dans les maux jusqu’au mépris de la douleur, et il avait une intrépidité héroïque. Jean de Witt mettait plus de souplesse dans sa force et d’aménité dans sa vertu. Sobre, simple, intègre, infatigable au travail, il avait, dit un des contemporains qui l’ont le mieux connu, beaucoup de soin de sa santé et peu de sa vie[120], ce qui lui donnait le moyen de suffire à tous ses devoirs et la hardiesse de ne rien craindre. Savant du premier ordre et politique profond, il s’entretenait avec Huyghens des plus difficiles problèmes des mathématiques[121], avec Spinosa des plus hautes questions de la métaphysique, et il luttait en Europe d’habileté avec Lionne et d’influence avec Louis XIV. Il connaissait à merveille les divers intérêts des états qu’il maniait adroitement. Il savait traiter avec les hommes, sur lesquels il exerçait l’ascendant d’une raison puissante, d’une sincérité habile, d’une modération soutenue, d’une gravité honnête. Ferme dans ses résolutions sans être jamais blessant dans ses manières ou emporté dans ses paroles ; réfléchi, mais insinuant, il avait toujours sur les autres l’avantage que donnent des avis mûrement médités et des desseins conçus avec prudence. Grace à ses soins diligens, sa patrie, parvenue au plus haut degré de prospérité et de grandeur, avait été long-temps l’arbitre des négociations et la dominatrice des mers. Chef modeste, mais obéi, d’une république de provinces et de villes, il concentrait entre ses mains les ressorts compliqués de tant de pouvoirs et de volontés sans en laisser voir l’imperfection et la diversité. Cet homme habile ne s’était perdu en quelque sorte que par trop de prévoyance et de patriotisme, et il avait ruiné ses desseins en voulant mieux en assurer la longue durée. Au lieu de rester l’allié de Louis XIV dont il ne pouvait pas contenir l’ambition, puisqu’il ne disposait que d’un pays faible et ne ralliait contre lui que des princes sans accord et sans résolution, il avait essayé d’arrêter ses envahissemens et de limiter sa grandeur. Il n’avait pas vu qu’il s’exposait aux ressentimens d’un ennemi inexorable, sans se procurer des alliés sûrs. Il n’avait pas suffisamment compris qu’il précipitait sa patrie dans un péril prochain pour la préserver d’un danger éloigné ; que, si elle n’était pas brisée par la redoutable puissance qui allait fondre sur elle, il périrait infailliblement lui-même avec son parti, et que le stathoudérat, institution des temps de crainte et de guerre, s’élèverait de nouveau sur les ruines de ses propres établissemens. C’est ce qui arriva d’une manière si fatale et si cruelle. Ce citoyen pur et grand, et son frère non moins admirable que lui, rendus responsables des revers publics, tombèrent victimes de l’ingratitude d’un peuple qu’ils avaient sagement gouverné ou glorieusement défendu.

Heureusement les Provinces-Unies trouvèrent alors dans le prince d’Orange un homme supérieur, dont les qualités n’étaient pas au-dessous de leurs périls. Jean de Witt l’avait fait élever avec soin, afin qu’il pût servir dignement sa patrie, si les évènemens ou la faveur populaire le donnaient un jour pour chef à la république. Quoique à peine âgé de vingt-deux ans, il était instruit, froid, réfléchi, pénétrant, et avait une maturité de jugement qui précédait en lui l’expérience. Il possédait la valeur, l’ambition et l’opiniâtreté de ses ancêtres. Profondément dissimulé, d’une patience à toute épreuve, incapable de fatigue et de découragement, il n’avait besoin ni d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. Successeur de Guillaume et de Maurice de Nassau, qui avaient fondé l’indépendance des Provinces-Unies contre l’Espagne, il devait maintenant la rétablir contre la France. Il accepta cette noble et difficile tâche avec résolution, et l’accomplit avec succès.

Mignet.
  1. IIIe et IVe volumes des Négociations relatives à la Succession d’Espagne sous Louis XIV, dans la grande collection de documens inédits sur l’histoire de France, publiée par le gouvernement.
  2. « Louis XIV entra en campagne, dit Napoléon dans l’examen des campagnes de Turenne, avec plus de cent mille hommes, les trois quarts en infanterie, ayant un équipage de siége et de campagne ; cela forme une nouvelle ère de l’art militaire. » (Mémoires de Napoléon, t. V, p. 128.) — Turenne avait présidé lui-même à tous les préparatifs de la campagne. (Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 115.)
  3. Voir le Premier état du maréchal de Turenne, intitulé : Vivres et munitions pour la Meuse et le Rhin, dans les Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 116-117.
  4. Lettres de Louis XIV à l’électeur de Cologne et à l’évêque de Munster. (Œuvres, t. III, p. 131-132.)
  5. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 124-126. — Histoire du vicomte de Turenne, par Ramsay, t. I, p. 441-442 (édition in-4o ; Paris, 1735).
  6. Histoire du vicomte de Turenne, t. I, p. 442-443. — Mémoires de Napoléon, t. V, p. 123-124. — Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 126.
  7. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 152 à 183. — Histoire de Turenne, t. I, p. 444-445
  8. Lettre de Louis XIV à M. Colbert, du camp de Metz, le 31 mai 1672. (Œuvres, t. III, p. 183. — Histoire du vicomte de Turenne, t. I, p. 445-446.)
  9. Mémoires de Gourville, p. 406, dans le LIIe volume de la Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France de Petitot.
  10. Cerisier, Tableau de l’histoire générale des Provinces-Unies, t. VII, p. 240 (édition d’Utrecht, 1781, in-12).
  11. Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 210 (édition de La Haye, 1726, grand in-fo.).
  12. Histoire inédite de M. de Wicquefort, p. 58-66 du liv. XX, dans le manuscrit no XXVI, au dépôt des affaires étrangères. — M. de Wicquefort était ami des de Witt, a eu entre les mains les registres des délibérations des États-Généraux, et avait long-temps correspondu avec M. de Lionne.
  13. Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 198, 211 et 216.
  14. Histoire de Turenne, t. I, p. 445-446 — Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 185-189.
  15. Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 216.
  16. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 193.
  17. La fameuse île des Bataves, formée par le Vhaal, le Rhin et le Leck.
  18. Lettre de Louis XIV à la reine, du camp de Tolhuys, le 12 juin 1672, dans laquelle il raconte le passage du Rhin. (Œuvres, t. III, p. 195-198.) — Histoire de Turenne, t. I, p. 449-452. — Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 219-220. — Leclerc, Histoire des provinces-unies des Pays-Bas, t. III, p. 274, col. 2, et p. 275, col. 6 (édition d’Amsterdam, 1728, grand in-fo.)
  19. « Le passage du Rhin est une opération militaire du quatrième ordre, puisque dans cet endroit le fleuve est guéable, appauvri par le Vhaal, et n’étant d’ailleurs défendu que par une poignée d’hommes. » (Mémoires de Napoléon, t. V, p. 129, sur les campagnes de Turenne).
  20. Manuscrit no XXVI, p. 76-82 du XXe livre de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort. — Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 225. — Leclerc, Hist. des Provinces-Unies, t. III, p. 275, col. 2.
  21. C’est l’avis de Gourville. « M. le prince, dit-il, ayant été blessé au passage de Tolhuys, bien des gens ont prétendu que cet accident fut en partie cause de ce que l’on n’acheva pas la conquête. » (Mémoires de Gourville, p. 540, vol. LII de la collection Petitot).
  22. « L’épouvante y fut si grande, dit Gourville, que les juifs d’Amsterdam me firent dire qu’ils donneraient deux millions à M. le prince, s’il voulait sauver leur quartier. » (Ibid.)
  23. « Le prince de Condé et le maréchal de Turenne avaient conseillé au roi, immédiatement après le passage du Rhin, de ne rendre aucun prisonnier (on en fit en quelques jours vingt mille), de les envoyer travailler au canal de Languedoc, de raser la plupart des places fortes que l’on prendrait, et de ne garder que celles qui seraient nécessaires pour la conservation des conquêtes. Le roi paraissait goûter leurs conseils ; mais Louvois, qui était d’un autre sentiment, fit délivrer tous les prisonniers pour une rançon médiocre, et conserver toutes les places fortifiées. Ainsi, l’armée française fut presque épuisée par plus de cinquante garnisons. » (Histoire de Turenne, t. I, p. 462.)
  24. Histoire de Turenne, t. I, p. 453-458. — Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 199-216. — Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 225-236.
  25. Correspondance de Hollande, vol. XCII.
  26. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 217.
  27. Histoire de Turenne, t. I, p. 459. — Cerisier, Histoire générale des Provinces Unies, t. VII, p. 251.
  28. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 217. — Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 236
  29. Manuscrit no XXVI, p. 117 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort. — Histoire de Turenne, t. I, p. 453. — Cerisier, Histoire générale des Provinces-Unies, t. VII, p. 252.
  30. Histoire de Turenne, t. I, p. 459. — Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 234-235.
  31. Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 237.
  32. Boismêlé, Histoire générale de la marine française, t. II, p. 504 (édition de Paris, 1742, in-4o). — Basnage, Annales, t. II, p. 205.
  33. Boismêlé, Histoire générale de la marine française, t. II, p. 505. — Le duc d’York, dans ses mémoires, s’en donne moins. — Vie de Jacques II, d’après les mémoires écrits de sa propre main, par le révérend J.-S. Clarke, traduction de Jean Cohen, Paris, 1819, in-8o, t. I, p. 235-236. Lingard, Histoire d’Angleterre, vol. XII, p. 310 (traduction de M. le baron Roujoux, Paris, 1829, in-8o), suit l’indication des mémoires de Jacques II.
  34. Basnage, Annales, t. II, p. 206.
  35. Manuscrit no XXVI, p. 93-99 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort. — Basnage, Annales, t. II, p. 206-208. — Vie de Jacques II, t. I, p. 240-247. — Lingard, t. XII, p. 311-315. — Lettre imprimée de H. Savile, écrite le 16 juin à bord du Prince, contenant le récit de la bataille. (Corresp. d’Angl., vol. CIII.)
  36. Manuscrit no XXVI, p. 123-124 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort. — Cerisier, Histoire générale des Provinces-Unies, t. VII, p. 265.
  37. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 238.
  38. C’était le fils du célèbre Grotius.
  39. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 251-252.
  40. Correspondance de Hollande, vol. XCII.
  41. Lettre de Louis XIV à M. Colbert de Croissy, son ambassadeur à Londres, du 23 juin 1672. (Correspondance d’Angleterre, vol. CIII)
  42. Ibid.
  43. Par l’Édit perpétuel du 5 août 1667.
  44. Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 327-331.
  45. Jusqu’en 1668. À cette époque, il en eut 4,000.
  46. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 295. Cerisier, Histoire générale, t. VII, p. 359-360.
  47. Basnage, Annales, etc. t. II, p. 295.
  48. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 291-294. — Leclerc, Histoire des Provinces-Unies, t. III, p. 288-289.
  49. Nom donné à la bataille livrée dans la baie de Southwold.
  50. Lettre de Jean de Witt à Ruyter, dans l’Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 497. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 283-284.
  51. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 283. — Leclerc Histoire, etc., t. III, p. 289, col. 2. — Cerisier, Histoire générale, t. VII, p. 353-354. — Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 261-262 (édition de La Haye, 1703, in-12).
  52. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 298. — Cerisier, Histoire générale, t. VII, p. 358. — Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 262.
  53. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 291-292.
  54. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 258-259. — Basnage, Annales, t. II, p. 293. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 356.
  55. Histoire de la vie et de la mort de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 435 (édit. d’Utrecht, 1709, in-12). — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 294. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 357.
  56. Manuscrit no XXVI, p. 134 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort.
  57. Toute cette importante délibération est détaillée de la page 129 à la page 139 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort, manuscrit no XXVI, au dépôt des affaires étrangères. — Voir aussi Basnage, Annales, etc., t. II, p. 211-215. — Cerisier, Tableau de l’histoire générale des Provinces-Unies, t. VII, p. 268-281, qui cite Wagenaar (dont l’histoire est en néerlandais), t. XIX, p. 51 et suiv. — Leclerc, Histoire des Provinces-Unies, t. III, p. 280-281.
  58. Page 139 du volume manuscrit XXVI, au dépôt des affaires étrangères.
  59. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 245.
  60. Page 140 du vol. XXVI, au dépôt des affaires étrangères. — Voir aussi Basnage, Annales, etc., t. II, p. 245-246.
  61. Page 142 du vol. XXVI, au dépôt des affaires étrangères.
  62. Page 142 du vol. XXVI, au dépôt des affaires étrangères.
  63. Il était mort neuf mois auparavant, le 1er septembre 1671.
  64. « Pomponne jugea que le roy ferait bien d’accepter ces offres ; mais les sentimens violens et passionnés de Louvois l’emportaient et le firent charger de conditions qui ne pouvaient pas être plus dures après la conquête entière. » (Manuscrit no XXVI, p. 143 du liv. XX de l’Histoire inédite de M. de Wicquefort).
  65. Dépêche de Louis XIV à M. Colbert de Croissy, du camp de Zeist, le 1er juillet 1672. (Correspondance d’Angleterre, vol. CIII.) — Cette lettre contient le récit de la négociation et les conditions exigées des Hollandais. — Voir aussi Basnage, Annales, t. II, p. 246 à 248.
  66. Dépêche de Louis XIV à M. Colbert de Croissy, du 1er juillet 1672.
  67. Dépêche de Louis XIV à M. Colbert de Croissy, du 23 juin 1672. (Correspondance d’Angleterre, vol. CIII.)
  68. Manuscrit no XXVI, p. 146 du liv. XX de l’Histoire inédite de Wicquefort.
  69. Ibid., p. 147.
  70. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 249-251.
  71. Witte en hollandais signifie blanc.
  72. Manuscrit no XXVI, p. 13-19, du liv. XXI de l’Histoire inédite de Wicquefort. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 284-285. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 328-332.
  73. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 273-274 — Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 448-449. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 333-334. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 285-286.
  74. Manuscrit no XXVI, p. 21 du livre XXI de l’Histoire inédite de Wicquefort. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 335-340. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 286-287.
  75. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 275-276. — Basnage, Annales, t. II, p. 288. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 341-345.
  76. Manuscrit no XXVI, p. 25-26 du liv. XXI de l’Histoire inédite de Wicquefort.
  77. Ibid., p. 27-31 ; et Basnage, Annales, etc., t. II, p. 289.
  78. C’est ce qui arriva. L’empereur Léopold conclut à Berlin avec l’électeur de Brandebourg, le 29 juin, un traité ratifié le 13 juillet pour protéger l’empire, et à La Haye, avec les États-Généraux, le 25 juillet, un traité ratifié un mois après, et par lequel il s’engagea à secourir les Provinces-Unies.
  79. Dépêche de M. Colbert de Croissy à Louis XIV, du 7 juin 1672. (Correspond. d’Angl., vol. CIII.)
  80. Dépêche de M. Colbert de Croissy à Louis XIV, du 20 juin 1672.
  81. Ibid., du 16 juin 1672.
  82. Ibid.
  83. Lettre des députés hollandais au greffier Gaspard Fagel, datée de Hamptoncourt, le 20 juillet 1672, dans Basnage, Annales, etc., t. II, p. 452-453.
  84. Lettre de Louis XIV à M. Colbert de Croissy, du camp de Doësbourg, le 23 juin 1672. (Corresp. d’Angl., vol. CIII.)
  85. Dépêche de M. Colbert de Croissy au marquis de Pomponne, du 27 juin 1672. (Ibid.)
  86. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 225. — Cerisier, Histoire générale, etc, t. VII, p. 305-306.
  87. Cerisier, p. 307.
  88. Manuscrit no XXVI, p. 107-167 du livre XX de l’Histoire inédite de Wicquefort.
  89. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 255-256.
  90. Ce traité est au dépôt des affaires étrangères.
  91. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 257. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. II, p. 309-318.
  92. « Il donna au duc de Buckingham une boîte à portrait enrichie de diamans d’une valeur de 28,000 liv. tournois ; au comte d’Arlington, une boîte semblable de 12,900 liv., avec une bague d’un diamant de 36,000 liv. ; au duc de Montmouth, une bague d’un diamant de 17,500 liv. ; à lord Halifax, une boîte à portrait enrichie de diamans de 10,540 liv. » (Registre des présens diplomatiques, au dépôt des affaires étrangères.)
  93. Lettre de Louis XIV à Charles II, du camp de Boxtel, du 17 juillet 1672. (Corresp. d’Angl., vol. III.)
  94. Lettre du duc de Buckingham et du comte d’Arlington au prince d’Orange, du camp de Boxtel, le 17 juillet 1672. (Ibid.)
  95. Ibid.
  96. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 311.
  97. Extrait des registres des résolutions des hauts et puissans seigneurs des États-Généraux des provinces-unies des Pays-Bas. Signé par le greffier, M. Gaspard Fagel.
  98. Dépêche de M. Colbert de Croissy à Louis XIV, du 11 août 1672. — « Il n’a pas seulement daigné, dit-il, donner des réponses aux conditions sous lesquelles votre majesté et le roi d’Angleterre voulaient bien lui accorder la paix ; mais il a envoyé un extrait du registre des délibérations des États-Généraux, par lequel il traite les conditions de dures et d’insupportables. » (Corresp. d’Angl., vol. CIII.)
  99. Manuscrit no XXVI, p. 178 du liv. XX de l’Histoire inédite de Wicquefort.
  100. Dépêche de M. Colbert de Croissy à Louis XIV, du 8 août 1673. (Correspond. d’Angl., vol. CIII.)
  101. Dépêche de M. Colbert de Croissy à Louis XIV, du 8 août 1673.
  102. Manuscrit no XXVI, p. 31 du liv. XXI de l’Histoire inédite de Wicquefort.
  103. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 262-263.
  104. Vie de Jacques II, t. I, p. 250-251. — Lingard, t. XII, p. 328.
  105. Histoire de Turenne, t. I, p. 462.
  106. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 135.
  107. « Que je ne veux plus qu’on fasse rien. » (Agenda de Louis XIV, Œuvres, t. III, p. 235.)
  108. Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 250-251.
  109. Son mémoire aux États est dans Basnage, t. II, p. 295-296, et dans l’Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 457-463.
  110. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 195-197.
  111. Cette lettre est du 4 août. Elle est en entier dans Basnage, Annales, etc., t. II, p. 301-302, et dans l’Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 501-505.
  112. Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 285-286. — Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 470-472.
  113. Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 473-480. — Samson, Histoire de Guillaume III, t. II, p. 379-383. — Basnage, Annales, t. II, p. 308-309.
  114. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 309.
  115. Lettre de Jean de Witt à Ruyter, dans Basnage, Annales, etc., t. II, p. 299-300.
  116. Manuscrit no XXVI, p. 53 à 58 du liv. XXI de l’Histoire inédite de Wicquefort. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 302 à 305. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 383-388. — Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 512-513.
  117. MM. d’Asperen et de Bosvelt, avec le secrétaire des États, M. Van Beaumont.
  118. Histoire de Corneille et de Jean de Witt, t. II, p. 516 à 529. — Basnage, Annales, etc., t. II, p. 311 à 316. — Cerisier, Histoire générale, etc., t. VII, p. 391 à 413.
  119. Basnage, Annales, etc., t. II, p. 317.
  120. Mot de sir W. Temple sur le grand pensionnaire, qu’il avait intimement connu et avec lequel il avait conclu plusieurs négociations importantes.
  121. Entre autres ouvrages, il a fait Elementa Linearum curvarum, Leyde.