Guerre d’Alexandrie

Pseudo-Jules César
(œuvre attribuée à Aulus Hirtius ou à Gaius Oppius)
Guerre d’Alexandrie
Trad. Nisard - 1865
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1. Évènements d’Égypte
2. Affaires d’Asie
3. Affaires d’Illyrie
4. Affaires d’Espagne
5. César en Asie

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COMMENTAIRES SUR LA GUERRE D’ALEXANDRIE(1).

I. La guerre d’Alexandrie ayant éclaté, César fait venir de Rhodes, de Syrie et de Cilicie toute sa flotte ; demande des archers aux Crétois, et des cavaliers à Malchus, roi des Nabatéens ; ordonne que l’on cherche de tous côtés des machines, qu’on lui envoie des vivres, qu’on lui amène du secours. En attendant il augmente, chaque jour, ses fortifications par de nouveaux ouvrages ; tous les endroits de la ville qui lui ont paru faibles, sont garnis de tortues et de mantelets : en même temps, par le moyen de trous pratiqués aux édifices qu’il a en son pouvoir, il bat à coup de bélier les édifices les plus proches ; et tout le terrain qu’il ruine ou qu’il prend de force, il l’emploie à étendre ses fortifications ; car Alexandrie est à peu près à l’abri de l’incendie, parce qu’il n’entre ni charpente ni bois dans ses constructions, que tous les étages y sont voûtés, et les toits recouverts en maçonnerie ou pavés. César s’appliquait surtout, en poussant en avant ses ouvrages et ses mantelets, à couper du reste de la ville la partie que le marais rétrécissait le plus du côté du midi : il espérait par ce partage de la ville en deux, d’abord gouverner plus commodément ses troupes concentrées sur un seul point ; ensuite, porter secours à celles qui se trouveraient pressées et leur prêter main-forte de l’autre côté de la ville ; enfin, se procurer en abondance l’eau qu’il n’avait qu’en petite quantité et le fourrage qui lui manquait absolument. Or, le marais pouvait le fournir de tout cela largement.

II. Les Alexandrins, de leur côté, ne mettaient dans leurs préparatifs ni retard ni lenteur. En effet, ils avaient envoyé dans toute l’Égypte et à toutes les frontières du royaume, des députés et des commissaires chargés de hâter les levées et déjà ils avaient fait un amas considérable de traits et de machines, et attiré une foule immense d’hommes. En outre, de vastes ateliers avaient été établis dans la ville. De plus, tous les esclaves qui étaient d’âge à servir avaient été armés, et ceux dont les maîtres étaient riches leur donnaient chaque jour la solde et la nourriture. Par cette multitude, bien distribuée, étaient défendues les fortifications des quartiers les plus reculés ; quant aux vieilles cohortes, elles étaient placées dans les postes les plus importants de la ville, et on les avait exemptées de tous travaux, afin qu’elles fussent toujours fraîches et prêtes à porter secours. On avait fermé toutes les rues et tous les carrefours par un triple rempart de quarante pieds de haut, et bâti en pierres équarries ; les parties basses de la ville étaient défendues par de très hautes tours à dix étages. Ils en avaient aussi construit d’autres toutes semblables, mais mobiles, qu’ils conduisaient sur des roues, au moyen de cordages et de chevaux, partout où il était nécessaire.

III. La ville, fort riche et abondamment pourvue, fournissait à tous ces préparatifs. D’ailleurs, les habitants, qui étaient on ne peut plus industrieux et adroits, exécutaient si bien tout ce qu’ils nous avaient vu faire, que nos ouvrages semblaient n’être qu’une copie des leurs. Ils inventaient aussi beaucoup de choses par eux-mêmes ; ils nous attaquaient et se défendaient tout ensemble. Du reste, dans les conseils et dans les assemblées, les principaux d’entre eux leur représentaient que le peuple romain prenait insensiblement l’habitude de s’établir dans ce royaume ; que peu d’années auparavant Gabinius était arrivé en Égypte avec une armée ; que Pompée, dans sa fuite, y avait cherché un asile ; que César y était venu avec des troupes ; que le meurtre de Pompée n’avait pas empêché César de séjourner parmi eux ; que s’ils ne le chassaient, leur royaume deviendrait une province romaine ; qu’il fallait se bâter, car le mauvais temps et la saison retenaient César et l’empêchaient de recevoir des secours par mer.

IV. Cependant une querelle s’étant élevée comme on l’a vu plus haut, entre Achillas, qui commandait aux vieilles troupes, et Arsinoé, fille cadette de Ptolémée, chacun deux cherchait à surprendre l’autre et à s’emparer du pouvoir : Arsinoé prévint Achillas en le faisant assassiner par l’eunuque Ganymède, son gouverneur. Par cette mort, se trouvant sans compétiteur, elle obtint seule toute l’autorité. Le commandement de l’armée est confié à Ganymède. Celui-ci accepte cette charge, fait de nouvelles largesses aux soldats, et pourvoit à tout avec une égale activité.

V. Alexandrie est presque tout entière minée, et a des canaux souterrains qui partent du Nil et par lesquels l’eau est conduite dans les maisons des particuliers, où, avec le temps, elle dépose et s’éclaircit peu à peu. Les maîtres et les domestiques n’usent d’aucune autre eau ; car celle qu’apporte le Nil est tellement trouble et limoneuse, qu’elle engendre toute sorte de maladies : cependant le bas peuple est obligé de s’en contenter, parce que dans toute la ville il n’y a pas une fontaine. Or, le fleuve traversait justement la partie de la ville qu’occupaient les Alexandrins. Cette circonstance donna lieu à Ganymède de songer qu’il pourrait ôter l’eau à nos gens, qui, distribués de côté et d’autre pour la défense des ouvrages, allaient dans les maisons particulières puiser l’eau des puits et des citernes.

VI. Ce projet adopté, il entreprend un travail grand et difficile. En effet, il nous coupa d’abord toute communication avec les canaux de la partie de la ville qu’il occupait ; ensuite, à force de roues et de machines, il éleva l’eau de la mer et la fit couler des quartiers supérieurs dans celui de César. Aussi, bientôt, l’eau qu’on allait puiser aux citernes voisines parut-elle plus salée que de coutume, et nos soldats étaient tout surpris, ne sachant d’où cela pouvait provenir. Il avaient peine à en croire leur goût, quand ceux de leurs camarades, qui étaient postés plus bas, disaient que leur eau était toujours de même espèce et de même saveur qu’à l’ordinaire ; ils les comparaient l’une avec l’autre, et en les dégustant, ils reconnaissaient combien elles étaient différentes. Mais au bout de quelques jours, l’eau du quartier le plus élevé ne pouvait plus se boire d’aucune façon, et celle de la partie inférieure commençait à se corrompre et à devenir salée.

VII. Dès lors il n’y eut plus de doute : la frayeur fut si grande que tous se regardèrent comme réduits à la dernière extrémité. Les uns murmuraient de ce que César tardait à se rembarquer ; les autres craignaient un malheur encore plus grand, parce que, si près des Alexandrins, on ne pourrait ni leur cacher les préparatifs de la fuite, ni même atteindre les vaisseaux, s’ils voulaient s’y opposer et nous poursuivre. Il y avait d’ailleurs, dans le quartier que César occupait, un grand nombre d’habitants qu’il n’avait pas fait sortir de leurs maisons, parce qu’ils feignaient de nous être fidèles et d’avoir quitté le parti de leurs concitoyens. Or, défendre ici les Alexandrins, essayer de prouver qu’ils ne sont ni fourbes ni trompeurs, ce serait entreprendre une tâche aussi longue qu’inutile ; car, quiconque a une fois pratiqué cette nation, connaît son caractère, et l’on ne peut douter que ce ne soit l’espèce d’hommes la plus portée à la trahison.

VIII. César relevait le courage des soldats par ses consolations et par ses conseils. Il leur disait « qu’en creusant des puits on pourrait trouver de l’eau douce ; car la nature avait mis des veines d’eau douce au sein de tous les rivages ; que si le littoral d’Égypte était différent de tous les autres, eh bien ! puisqu’ils étaient maîtres de la mer et que l’ennemi n’avait pas de flotte, on ne saurait les empêcher de faire venir tous les jours de l’eau douce par leurs vaisseaux, soit du Paratonium (3), qui était sur leur gauche, soit de l’île du Phare qu’ils avaient à droite, le vent ne pouvant jamais être contraire à la navigation de ces deux côtés à la fois : quant à la fuite, qu’il n’y avait pas à y songer, non pas seulement pour ceux qui estimaient l’honneur avant tout, mais même pour ceux qui ne se souciaient de rien que de la vie ; que c’était déjà une grande affaire pour eux que de soutenir de leurs retranchements les attaques de l’ennemi, et qu’en les quittant ils auraient tout à la fois l’infériorité du poste et celle du nombre ; qu’il faudrait beaucoup de temps et de peine pour passer dans les vaisseaux, surtout au sortir des chaloupes ; que les Alexandrins, au contraire, étaient d’une rare agilité et connaissaient parfaitement les lieux ; que ces hommes, dont le succès augmentait encore l’audace, gagneraient les devants, et s’empareraient des hauteurs et des maisons ; que, de là, ils s’opposeraient à notre retraite et à notre embarquement ; qu’il fallait donc renoncer à ce projet, et ne plus penser qu’à vaincre à tout prix. »

IX. Après avoir ainsi parlé aux soldats, et les avoir tous ranimés, César donne l’ordre aux centurions de tout quitter pour faire travailler bravement à creuser des puits, jour et nuit, sans relâche. Chacun s’y étant mis avec ardeur, on trouva en une seule nuit une grande quantité d’eau douce. Ainsi, en peu de temps et avec peu de travail, il fut paré au mal que ceux de la ville avaient tenté de nous faire par de longues machinations et avec les plus grandes peines. Deux jours après, la trente-septième légion, composée des soldats de Pompée qui avaient capitulé, et que Domitius Calvinus avait fait embarquer avec des vivres, des armes, des traits et des machines, aborda sur les côtes d’Afrique un peu au-dessus d’Alexandrie. Le vent d’orient, qui ne cessait de souffler depuis plusieurs jours, l’avait empêché de gagner le port ; mais toute cette côte est admirable pour les vaisseaux qui veulent rester à l’ancre. Cependant, comme les vents contraires la retinrent longtemps et qu’elle vint à manquer d’eau, elle dépêcha à César un vaisseau léger pour l’avertir de ce qui se passait.

X. César voulant voir par lui-même ce qu’il avait à faire, monta sur un navire et se fit suivre de toute sa flotte, sans toutefois emmener de troupes avec lui ; car devant s’éloigner à quelque distance, il ne voulait pas dégarnir ses retranchements. Étant arrivé au lieu que l’on appelle Chersonèse, et ayant mis à terre ses rameurs pour qu’ils fassent de l’eau, quelques-uns s’écartèrent trop loin des vaisseaux, dans le but de piller, et tombèrent entre les mains des cavaliers ennemis, lesquels surent par eux que César était venu avec sa flotte et n’avait aucun soldat dans ses vaisseaux. Sur cet avis, nos ennemis s’imaginèrent que la fortune leur offrait une occasion magnifique pour un coup décisif ; et en conséquence ils armèrent tous les vaisseaux qu’ils trouvèrent en état de faire voile et allèrent à la rencontre de César qui revenait avec sa flotte. Ce jour-là, il était décidé à ne pas combattre, pour deux motifs : il n’avait pas de soldats avec lui, et la dixième heure était déjà passée. Or, il considérait que la nuit donnerait plus de confiance à des hommes sûrs de la connaissance des lieux, tandis qu’elle lui ôterait à lui-même jusqu’à l’avantage d’exhorter les siens; car à quoi servent les exhortations là où le courage et la lâcheté doivent être également inconnus ? Par ce motif César fit ranger le plus de vaisseaux possible vers la côte, estimant que l’ennemi ne viendrait pas l’y chercher.

XI. Il y avait un navire rhodien à la droite de césar, assez éloigné du reste de la flotte. Les ennemis, l’ayant aperçu, ne purent se contenir, et quatre vaisseaux pontés, ainsi que plusieurs barques découvertes, vinrent fondre sur lui impétueusement. César fut obligé d’aller à son secours pour ne pas recevoir en sa présence un honteux affront, quoique, si un malheur lui fût arrivé, il l’eût regardé comme bien mérité. Le combat s’engagea avec une grande vigueur de la part des Rhodiens, qui, s’étant toujours distingués dans les combats de mer par leur habileté et leur courage, n’hésitèrent pas à soutenir tout le poids de l’action, surtout dans cette circonstance, afin qu’on ne pût pas dire que c’était par leur faute qu’on eût reçu un échec. Aussi, le combat fut-il très heureux. On prit à l’ennemi une galère à quatre rangs, une autre fut coulée à fond, deux autres complètement dégarnies ; en outre, un grand nombre d’hommes furent tués sur les autres vaisseaux. Si la nuit n’eût mis fin au combat, César se serait emparé de toute la flotte. Ce revers ayant consterné les ennemis, et le vent contraire s’étant adouci, César ramena dans Alexandrie ses vaisseaux de transport, remorqués par sa flotte victorieuse.

XII. Ce qui désespéra surtout les Alexandrins, c’est qu’ils se voyaient vaincus, non par le courage de nos soldats, mais par la seule adresse de nos matelots…… (4) Ils résolurent de se défendre du haut des édifices, et firent des retranchements avec tout ce qu’ils purent trouver, tant ils avaient peur que notre flotte ne vînt les attaquer jusque sur terre. Cependant, lorsque Ganymède eut promis, dans le conseil, de remplacer les vaisseaux qu’on avait perdus, et même d’en augmenter le nombre, ils se mirent à travailler avec ardeur, et à radouber les vieux vaisseaux avec plus de zèle et de confiance que jamais ; et quoiqu’ils en eussent perdu plus de cent dix, soit dans le port, soit dans les arsenaux, ils ne renoncèrent pas au projet de recomposer leur flotte ; car ils voyaient bien que, s’ils étaient les plus forts sur mer, ils empêcheraient César de recevoir ni vivres ni secours. D’ailleurs, habitués à la navigation, nés dans une ville et dans un pays maritimes, exercés dès l’enfance à la vie de mer, ils désiraient recourir à cet élément qu’ils considéraient comme un bien naturel et domestique, et ils sentaient l’avantage qu’ils auraient avec leurs petits vaisseaux. Aussi s’appliquèrent-ils de tout cœur à préparer leur flotte.

XIII. Il y avait à toutes les bouches du Nil des vaisseaux placés là pour exiger les droits d’entrée. Il y avait aussi, au fond de l’arsenal royal, de vieux bâtiments qui n’avaient point servi depuis plusieurs années. On radouba ces derniers, et l’on fit venir les autres à Alexandrie. On manquait de rames ; les portiques, les gymnases, les édifices publics furent découverts, et l’on eut des rames avec la charpente : l’industrie naturelle des habitants et la richesse de la ville suppléèrent à tout. Il ne s’agissait pas d’ailleurs d’une longue navigation ; ils voulaient seulement pourvoir à la nécessité présente et se mettre en état de combattre dans le port. Aussi, en peu de jours et contre l’attente générale, ils eurent vingt-deux galères à quatre rangs et cinq à cinq rangs, auxquelles ils en ajoutèrent beaucoup d’autres de moindre importance et découvertes ; et, après les avoir essayées à la rame, dans le port, ils les chargèrent de soldats choisis, et se munirent eux-mêmes de toutes les choses nécessaires pour livrer combat. César n’avait que neuf galères de Rhodes (car des dix qu’on lui avait envoyées, une s’était perdue sur la côte d’Égypte), huit du Pont, cinq de Lycie, douze d’Asie. Dans le nombre il y en avait cinq à cinq rangs, et dix à quatre rangs : le reste était au-dessous de cette grandeur et la plupart découvertes. Néanmoins, se fiant au courage de ses troupes, il se préparait à combattre.

XIV. Quand on en fut venu au point de compter chacun sur ses forces, César fait faire à sa flotte le tour du Phare, et paraît en bataille devant l’ennemi. Il place les Rhodiens à l’aile droite, et ceux du Pont à la gauche. Entre les deux ailes il laisse un espace de quatre cents pas, lequel lui a paru suffisant pour la manœuvre. Derrière cette ligne il place en réserve les autres vaisseaux, désignant expressément à chacun d’eux celui qu’il doit suivre et soutenir. Les Alexandrins, de leur côté, se présentent en bataille avec une égale résolution. Ils placent sur le front vingt-deux galères à quatre rangs, et les autres sur la seconde ligne comme auxiliaires. Ils disposent en outre une grande quantité de petits vaisseaux et de barques remplies de torches et de joncs enduits de soufre, dans l’espoir de nous effrayer par leur nombre, leurs cris et la flamme. Entre les deux flottes se trouvait un passage étroit plein de bancs de sable qui font partie de l’Afrique ; car les Égyptiens ont coutume de dire que la moitié d’Alexandrie appartient à l’Afrique. Chacun attendit assez longtemps quo l’autre le franchît le premier ; parce que celui qui entrerait devait avoir plus de peine à développer sa flotte, et, en cas d’accident, à opérer sa retraite.

XV. Les vaisseaux rhodiens étaient commandés par Euphranor, que sa grandeur d’âme et son courage rendaient plus comparable à nos hommes qu’aux Grecs. Son habileté et sa valeur bien connues l’avaient fait choisir par les Rhodiens pour être à la tête de la flotte. Il s’aperçut de l’hésitation de César : « Tu me parais craindre, dit-il, qu’en entrant le premier dans ces passages, tu ne sois obligé de combattre avant d’avoir pu déployer toute ta flotte. Confie-nous ce soin ; nous soutiendrons le combat sans tromper ton attente, jusqu’à ce que le reste des vaisseaux soit passé. Nous aurions trop de honte et de douleur à voir plus longtemps ces gens-là nous braver en face. » César, après l’avoir encouragé et comblé d’éloges, donne le signal du combat. Quatre vaisseaux rhodiens s’avancent par-delà le détroit ; les Alexandrins les enveloppent et se précipitent sur eux. Les nôtres soutiennent le choc et, par une manœuvre habile, se dégagent ; et ils y mettent tant d’adresse que, malgré l’inédu nombre, aucun n’expose le flanc, aucun ne perd ses rames, mais que tous présentent toujours la proue à l’ennemi. (7) Cependant le reste de la flotte avait suivi. Alors, l’espace étant trop étroit pour s’étendre, il fallut nécessairement renoncer à l’art, et le succès du combat ne dépendit plus que de la valeur. (8) Il n’y eut en ce moment ni habitant d’Alexandrie ni soldat de nos troupes qui songeât ou à l’attaque ou aux travaux de défense ; tous montaient sur les toits et sur les lieux les plus élevés, d’où ils pouvaient apercevoir le théâtre du combat, et chacun, par ses voeux et ses prières, demandait pour les siens la victoire aux dieux immortels.

(1) Au reste, les chances du combat n’étaient pas égales. Pour nous, une défaite nous enlevait tout asile sur terre et sur mer, et une victoire ne décidait rien : eux, au contraire, vainqueurs ils avaient tout, et vaincus ils pouvaient tenter encore la fortune. (2) C’était d’ailleurs quelque chose de bien sérieux et de bien triste de voir les plus graves intérêts et le salut de tous remis aux mains d’un petit nombre : que l’un d’eux vînt à manquer de constance ou de courage, il compromettait le reste de l’armée, qui n’aurait pu combattre pour elle-même. (3) C’est ce que César, les jours précédents, avait souvent répété à ses soldats, afin qu’ils se conduisissent d’autant plus bravement qu’ils allaient avoir entre leurs mains le salut commun. (4) Chacun en allait dit autant à ses camarades, à ses amis, à ses proches, avant leur départ, les conjurant de ne pas tromper l’attente de ceux qui les avaient choisis pour prendre part à ce combat. (5) Aussi se comportèrent-ils si vaillamment que l’art et l’adresse des ennemis, habitués a la navigation et à la mer, ne leur furent d’aucun secours, que le nombre de leurs vaisseaux, très supérieur a celui des nôtres, ne leur servit de rien, et que l’élite de leurs combattants, choisis sur une si grande multitude, ne put égaler nos troupes en courage. (6) On leur prit dans ce combat une galère à cinq rangs et une à deux rangs, avec tous les soldats et les matelots ; trois furent coulées à fond, sans qu’aucun de nos vaisseaux eût été endommagé. (7) Le reste de leurs navires s’enfuit vers la ville, où, des môles et des édifices qui nous dominaient, on les défendit si bien qu’il nous fut impossible de les atteindre.

Attaque et prise de Pharos par César

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(1) César, voulant empêcher que pareille chose ne se renouvelât, crut devoir mettre tout en oeuvre pour s’emparer de l’île et de la jetée qui y conduisait ; (2) car, les fortifications étant en grande partie achevées, il se flattait qu’il pourrait attaquer en même temps l’île et la ville. (3) Cette résolution prise, il met sur des barques et des chaloupes dix cohortes, l’élite de son infanterie légère, et ceux des cavaliers gaulois qui lui parurent les plus propres à son dessein : puis, pour faire diversion, il fit attaquer par ses galères l’autre côté de l’île, promettant de grandes récompenses à celui qui s’en rendrait maître le premier. (4) D’abord les ennemis soutinrent notre attaque avec un courage égal au nôtre ; ils combattaient à la fois du haut des toits des maisons et de dessus le rivage, dont nos gens avaient de la peine à approcher à cause de l’escarpement de la côte ; et ils défendaient l’étroite entrée du havre avec des esquifs et cinq vaisseaux longs qu’ils manoeuvraient avec adresse. (5) Mais lorsque après avoir reconnu les lieux et sondé les gués, quelques-uns des nôtres eurent pris terre et eurent été suivis par d’autres, et que tous ensemble ils attaquèrent avec vigueur ceux des ennemis qui se tenaient sur le rivage, tous ceux du Phare tournèrent le dos, (6) abandonnèrent la garde du port, et, s’étant approchés du rivage et du bourg, sortirent des vaisseaux pour défendre les maisons.

(1) Mais ils ne purent tenir longtemps dans leurs fortifications, quoique, toute proportion gardée, leurs maisons fussent à peu près dans le genre de celles d’Alexandrie ; que leurs hautes tours, qui se touchaient, leur tinssent lieu de rempart, et que les nôtres n’eussent ni échelles, ni claies, ni rien de ce qu’il faut pour un siège, (2) mais la peur ôte le jugement et les forces, comme il arriva alors. (3) Ces mêmes hommes, qui prétendaient nous résister sur un terrain égal et uni, consternés de la fuite de leurs concitoyens et de la mort d’un petit nombre, n’osèrent nous attendre dans des maisons hautes de trente pieds ; ils se précipitèrent du haut de la digue dans la mer, et gagnèrent, à la nage, la ville qui était à huit cents pas de distance. (4) Cependant beaucoup d’entre eux furent tués ou pris ; le nombre des prisonniers s’éleva à six cents.

Attaque de l’Heptastade

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(1) César, ayant accordé le butin aux soldats, abandonna les maisons au pillage, fortifia le château bâti en face du pont le plus voisin du Phare, et y mit une garde : (2) les habitants du Phare l’avaient évacué. L’autre pont, mieux fortifié et plus rapproché de la ville était défendu par les Alexandrins. Mais le lendemain, César l’attaque de la même manière, comptant qu’une fois maître de ces deux postes, il pourrait interdire aux ennemis toute excursion maritime et empêcher leurs brigandages soudains. (3) Déjà, de dessus les vaisseaux, avec les machines et les flèches, il les avait chassés du pont et repoussés dans la ville ; trois cohortes environ avaient été débarquées, le lieu étant trop étroit pour en contenir davantage : le reste de ses troupes était resté à bord. (4) César donna l’ordre de fortifier le pont du côté de l’ennemi et de combler avec des pierres l’arche par où passaient les vaisseaux. (5) Ce dernier ouvrage achevé, aucune chaloupe ne pouvait plus sortir. À l’égard du premier, à peine l’eut-on commencé, que toutes les troupes des Alexandrins s’élancèrent hors de la ville, et vinrent se placer dans un endroit spacieux, en face des retranchements du pont. En même temps ils firent approcher vers la digue les brûlots qu’ils avaient coutume de lancer par les ponts pour mettre le feu à nos vaisseaux de charge. (6) Nos soldats combattaient du haut du pont et de la digue ; l’ennemi, de la place en face du pont, et des vaisseaux près de la digue.

Mouvement tournant des Alexandrins. Déroute des Romains

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(1) Tandis que César, ainsi occupé, exhortait les soldats, un grand nombre de nos rameurs et de nos matelots sortant des longs navires se jetèrent sur la digue. (2) Chez les uns, c’était curiosité, chez les autres, désir de combattre. D’abord ils écartèrent de la digue les vaisseaux ennemis à coups de pierres et de frondes, et il sembla que la multitude de leurs traits produisait beaucoup d’effet. (3) Mais quelques Alexandrins qui avaient osé sortir de leurs vaisseaux les ayant pris en flanc, de même qu’ils s’étaient avancés sans raison, ils commencèrent à fuir à la hâte vers leurs vaisseaux sans suivre leurs enseignes ni garder de rang. (4) Enhardis par leur fuite, les Alexandrins sortirent en plus grand nombre et pressèrent plus vivement nos gens effrayés. En même temps ceux de nos soldats qui étaient restés sur les galères retiraient les échelles et se hâtaient de gagner le large dans la crainte de tomber au pouvoir des ennemis. (5) Troublés par tout ce désordre, les soldats de nos trois cohortes qui étaient placés à la tête de la digue et du pont, entendant derrière eux de grands cris, voyant la fuite des leurs et accablés d’ailleurs d’une grêle de traits, craignirent d’être enveloppés et de perdre tout moyen de retraite si nos vaisseaux s’éloignaient ; ils abandonnèrent les fortifications commencées à la tête du pont, et coururent de toutes leurs forces vers les vaisseaux. (6) Les uns, ayant gagné les plus proches, les firent couler à fond par leur nombre et leur poids ; les autres, qui tenaient bon, incertains du parti qu’il fallait prendre, furent tués par les Alexandrins ; quelques-uns, plus heureux, ayant pu atteindre les vaisseaux qui étaient à l’ancre, se sauvèrent sains et saufs ; un petit nombre se débarrassant de leurs boucliers et résolus à tout risquer, gagnèrent à la nage les vaisseaux voisins.

César se sauve à la nage. Courage des Romains

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(1) César, en exhortant les siens de tout son pouvoir à tenir ferme sur le pont et aux retranchements, courut le même danger. Quand il les vit tous plier, il se retira sur sa galère. (2) Mais comme beaucoup de monde s’y précipitait après lui, et que cette foule empêchait de manoeuvrer et de s’éloigner de terre, prévoyant ce qui allait arriver, il se jeta à la mer et gagna à la nage les vaisseaux qui étaient restés plus loin. (3) De là il envoya des chaloupes au secours des siens et en sauva plusieurs. Mais pour ce qui est de sa galère, trop chargée, elle s’enfonça et périt avec tous ceux qui étaient dessus. (4) Nous perdîmes dans ce combat environ quatre cents légionnaires et un peu plus de rameurs et de matelots. (5) Les Alexandrins, aussitôt après, fortifièrent le château par des ouvrages considérables et par toutes sortes de machines, et, déblayant l’arche que nous avions comblée, ils assurèrent un libre passage à leurs vaisseaux.

(1) Nos soldats, loin de se laisser abattre par cet échec, n’en furent que plus ardents et plus animés, et redoublèrent d’efforts pour enlever les retranchements de l’ennemi ; (2) et dans les combats journaliers qu’amenait le hasard, si les Alexandrins faisaient quelque sortie ....... Rien n’égalait le zèle de nos soldats. C’était au point que les proclamations de César étaient au-dessous de l’ardeur que les légions montraient pour travailler ou pour se battre, et qu’on avait plus de peine à les contenir et à les détourner des actions les plus périlleuses, qu’à les animer au combat.

César rend aux Alexandrins leur roi

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(1) Les Alexandrins voyant que les Romains ne se laissaient pas amollir par le succès, et que les revers ne servaient qu’à les exciter ; n’espérant pas retrouver une occasion plus favorable que les deux précédentes ; agissant, à ce qu’il est permis de supposer, soit d’après le conseil des partisans du roi qui étaient auprès de César, soit d’après leur propre pensée qu’ils avaient communiquée au roi par des envoyés secrets et qui avait obtenu son approbation, députèrent vers César pour lui demander de laisser aller leur roi et de le rendre à ses sujets : (2) ajoutant que toute la nation, fatiguée du gouvernement d’une jeune fille qui n’avait qu’une autorité précaire, et de la cruelle domination de Ganymède, était disposée à se soumettre aux ordres du roi ; et que s’il leur conseillait de donner à César leur foi et leur dévouement, aucune crainte ne serait capable de les empêcher de se rendre à lui.

(1) César ne connaissait que trop cette nation perfide, toujours habile à feindre les sentiments qu’elle n’a pas ; cependant il jugea à propos de céder à leur demande, persuadé que s’ils pensaient véritablement ce qu’ils disaient, le prince, après son départ, demeurerait fidèle ; ou que si, comme cela était plus conforme à leur naturel, ils ne voulaient un roi que pour en faire leur chef dans cette guerre, il y aurait pour lui plus de gloire et d’honneur à avoir affaire à un roi qu’à un ramas d’aventuriers et d’esclaves. (2) Ainsi, après avoir exhorté ce jeune prince à bien ménager le royaume de ses pères ; à sauver sa belle patrie que ravageaient le fer et la flamme ; à ramener ses sujets à la raison et à les maintenir dans de sages sentiments ; enfin à rester fidèle au peuple romain et à César qui avait en lui une telle confiance qu il le rendait à ses ennemis armés : tenant dans sa main la main du jeune roi qui était déjà grand, il voulut prendre congé de lui. (3) Mais le roi, savant dans l’art de feindre, pour ne pas dégénérer du caractère de sa nation, commença par prier César, en pleurant, de ne pas le renvoyer : "Il lui serait moins doux, disait-il, de régner que de jouir de la présence de César." (4) Après avoir essuyé les larmes du jeune homme, César, ému lui-même, l’assura que s’il était sincère, ils seraient bientôt réunis, et le renvoya vers les siens. (5) Mais ce prince, comme échappé de prison, dès qu’il fut en liberté, se mit à faire à César une guerre furieuse, de telle sorte qu’on pouvait croire que les larmes qu’il avait versées dans cette entrevue étaient des larmes de joie. (6) Plusieurs, parmi les lieutenants, les amis, les centurions et les soldats de César, n’étaient pas fâchés de ce qui arrivait, prétendant qu’avec son excessive bonté il avait été la dupe d’un enfant ; comme si dans cette occasion César eût agi par pure bonté et non dans des vues pleines de prudence.

Engagement naval à Canope. Mort d’Euphranor

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(1) Les Alexandrins s’étaient aperçus qu’en se donnant un chef, ils n’en étaient pas devenus plus forts ni les Romains plus faibles. Ils virent avec un vif chagrin que les troupes méprisaient la jeunesse et l’incapacité de leur roi, et que tous leurs desseins échouaient. Le bruit s’étant répandu que l’on amenait à César de grands secours de Syrie et de Cilicie (ce dont César lui-même n’avait pas encore été informé), ils résolurent d’intercepter les convois qui nous venaient par mer. (2) À cet effet, ayant fait partir des vaisseaux et mis plusieurs navires en embuscade vers Canope, ils se préparaient à surprendre nos convois. (3) Dès que César en est instruit, il fait armer et partir sa flotte sous la conduite de Tibérius Néro. Elle est accompagnée des vaisseaux rhodiens, commandés par Euphranor, sans lequel il ne s’était donné aucun combat naval, et avec qui nous avions toujours été heureux. (4) Alors la Fortune, qui d’ordinaire réserve les plus grandes disgrâces à ceux qu’elle a le plus favorisés, avait changé tout à coup et était devenue contraire à Euphranor. (5) En effet, lorsque nous fûmes arrivés à Canope et que les deux flottes eurent engagé le combat, Euphranor, qui, selon sa coutume, était entré le premier dans l’action, et qui avait percé et coulé à fond une trirème, en poursuivit trop loin une autre qui était près de celle-là ; mais le reste de la flotte n’ayant pas été assez prompt à le suivre, il fut enveloppé par les Alexandrins. (6) Personne ne lui porta secours, soit que l’on eût trop de confiance en son courage et en son bonheur, soit que chacun craignît pour soi. Ainsi il se distingua seul dans ce combat, et seul y périt avec sa galère victorieuse.

Marche de Mithridate vers Alexandrie

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(1) Vers ce même temps, Mithridate de Pergame, homme d’une haute naissance, distingué par ses talents militaires et sa bravoure, et cher à César pour sa constante fidélité, envoyé, dès le commencement de la guerre d’Alexandrie, en Syrie et en Cilicie, afin d’y aller chercher des secours, revint par terre avec des troupes nombreuses, que sa diligence et l’affection des habitants de ce pays lui avaient fait rassembler en peu de temps. (2) Il les amena à Péluse, qui joint l’Égypte à la Syrie. Achillas avait mis une forte garnison dans cette place, dont il connaissait les avantages ; car on ne peut entrer en Égypte du côté de la mer que par le Phare, et du côté de la terre que par Péluse ; en sorte que ces deux postes sont comme les clefs du royaume. Mithridate l’investit tout à coup avec des forces considérables ; et, malgré la résistance opiniâtre des habitants, grâce au grand nombre de ses troupes, qui lui permettait d’en envoyer de fraîches relever celles qui étaient fatiguées ou blessées, et aussi à force de persévérance et de fermeté, il emporta cette place le même jour qu’il l’avait attaquée, et y mit garnison. (3) Après ce succès, il marcha sur Alexandrie pour joindre César, et, par cette autorité qui d’ordinaire accompagne le vainqueur, il soumit toute la contrée qu’il traversa et l’obligea à se déclarer pour César.

(1) À peu de distance d’Alexandrie, est une des contrées les plus célèbres de l’Égypte, qu’on appelle le Delta, à cause de sa ressemblance avec la lettre grecque de ce nom. De ce côté en effet, le Nil, quittant sa rive d’une façon merveilleuse pour se partager peu à peu en deux branches qui vont toujours s’élargissant, tombe dans la mer en deux endroits fort éloignés l’un de l’autre. (2) Le roi, informé de l’approche de Mithridate et sachant qu’il devait passer ce fleuve, envoya contre lui de nombreuses troupes qu’il croyait suffisantes pour vaincre et détruire Mithridate, ou tout au moins pour l’arrêter. (3) Or, bien qu’il désirât le vaincre, il lui suffisait de l’empêcher de joindre César. (4) Les premières troupes qui purent passer le fleuve et rencontrer Mithridate, se hâtèrent de l’attaquer pour ne pas avoir à partager avec les autres l’honneur de la victoire. (5) Mithridate, qui avait eu la prudence de se retrancher selon notre coutume, soutint leur choc ; ensuite, quand il les vit approcher des retranchements sans précaution et sans ordre, il fit une sortie générale, et en tua un grand nombre. (6) Et si la connaissance des lieux, ou les vaisseaux sur lesquels ils avaient passé le fleuve, n’eussent sauvé les autres, ils auraient été complètement détruits. (7) Toutefois, remis un peu de leur frayeur, ils se réunirent aux troupes qui les suivaient, et revinrent attaquer Mithridate.

(1) Mithridate envoie avertir César de ce qui s’est passé ; Ptolémée en est également instruit par les siens. L’un et l’autre partent à peu près en même temps ; le roi, pour accabler Mithridate ; César, pour le soutenir. (2) Le roi abrégea sa route en s’embarquant sur le Nil, où il avait une grosse flotte toute prête. César ne voulut pas prendre la même route, dans la crainte d’avoir à combattre sur le fleuve ; mais, prenant un détour par mer le long de cette côte que l’on dit faire partie de l’Afrique, comme nous l’avons remarqué plus haut, il parut à la vue des troupes royales, avant qu’elles n’eussent commencé l’attaque, et joignit Mithridate vainqueur, et son armée intacte. (3) Le roi avait établi son camp sur une hauteur fortifiée par la nature, qui dominait la plaine de toutes parts, et était couverte de trois côtés par différentes sortes de défense. L’un de ces côtés était appuyé au Nil ; l’autre formait la partie la plus élevée de la hauteur ; le troisième était bordé par un marais.

Bataille du Nil

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(1) Entre le camp du roi et le chemin suivi par César, coulait une rivière étroite, mais aux bords escarpés, qui se déchargeait dans le Nil. Elle était éloignée du camp royal d’environ sept mille pas. (2) Quand le roi eut appris que César venait de ce côté, il envoya toute sa cavalerie et l’élite de son infanterie légère, pour l’empêcher de passer la rivière, et l’attaquer de la rive avec avantage ; car, dans cette situation, le courage ne servait de rien et la lâcheté n’avait rien à craindre. (3) Mais nos soldats, cavaliers et fantassins, étaient désespérés de voir les Alexandrins oser tenir si longtemps devant eux. (4) C’est pourquoi les cavaliers Germains, qui étaient allés çà et là chercher un gué, passèrent la rivière à un endroit où les bords en étaient moins escarpés ; et en même temps les légionnaires, après avoir abattu de grands arbres, qu’ils jetèrent d’un bord à l’autre, en les couvrant de terre à la hâte, atteignirent la rive qu’occupaient les ennemis. (5) Ceux-ci craignirent si fort leur attaque, qu’ils cherchèrent leur salut dans la fuite : mais ce fut inutilement ; car peu de fuyards purent gagner le camp du roi ; presque tout le reste fut tué.

(1) César, après ce brillant succès, ne doutant pas que son arrivée subite ne répandît la terreur parmi les Alexandrins, marcha aussitôt en vainqueur sur le camp du roi. (2) Mais le voyant entouré d’ouvrages considérables, bien fortifié par la nature, et défendu par des troupes nombreuses qui en bordaient les retranchements, il ne voulut pas exposer à cette attaque des soldats que la marche et le combat avaient fatigués. Il campa donc à peu de distance de l’ennemi. (3) Le jour suivant, il fit attaquer, par toutes ses troupes, un château que le roi avait fortifié dans un village voisin de son camp, et réuni à ce camp par une ligne de communication pour ne pas perdre le village ; et il l’emporta. Ce n’est pas qu’il ne crût pouvoir réussir avec moins de monde ; mais il voulait effrayer les Alexandrins par cette victoire et attaquer aussitôt le camp du roi. (4) En conséquence, du même pas que nos soldats poursuivirent les Alexandrins fuyant du château au camp, ils arrivèrent aux retranchements et commencèrent à combattre de là avec ardeur. (5) Ils ne pouvaient attaquer que par deux endroits, ou par la plaine dont l’accès était libre, on par un espace de médiocre étendue qui séparait le camp du Nil. (6) Les plus nombreuses et les meilleures troupes de l’ennemi défendaient le côté dont l’accès était le plus facile. Celles qui gardaient le côté du Nil pouvaient aisément nous repousser et nous blesser ; car nous étions accablés, de front, par les traits des remparts ; et à revers, du côté du fleuve, nous étions harcelés par de nombreux vaisseaux remplis d’archers et de frondeurs.

(1) César voyait que ses troupes ne pouvaient combattre avec plus de bravoure ; et que pourtant elles faisaient peu de progrès à cause du désavantage du terrain. S’étant aperçu que la partie la plus élevée du camp ennemi était dégarnie de troupes, soit parce qu’elle se défendait d’elle-même, soit parce que les uns, par curiosité, les autres par le désir de combattre, l’avaient abandonnée pour courir au lieu où se passait l’action, il ordonna aux cohortes de tourner le camp et de gagner cette hauteur : il avait mis à leur tête Carfulénus, homme non moins distingué par son grand coeur, que par ses talents militaires. (2) Dès qu’elles furent arrivées, comme elles trouvèrent peu de résistance et qu’elles combattirent avec vigueur, les Alexandrins, effrayés par les cris qui s’élevaient de divers points, et par cette attaque inopinée, se mirent à fuir partout dans le camp. (3) Animés par ce désordre, les nôtres forcèrent presque en même temps tous les quartiers ; déjà la hauteur avait été enlevée, et nos gens, tombant de là sur les ennemis, en avaient fait un grand carnage. (4) La plupart des Alexandrins, pour fuir le péril, se précipitèrent en foule du haut des remparts du côté qui joignait le fleuve. (5) Les premiers, ayant été écrasés en grand nombre dans le fossé, facilitèrent la fuite des autres. (6) Il est certain que le roi lui-même prit la fuite, et se jeta dans un vaisseau ; mais la quantité de ceux qui gagnaient à la nage les navires les plus rapprochés, fit couler à fond ce vaisseau, et le roi périt.

Victoire des Romains. Reddition d’Alexandrie

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(1) Après un si prompt et si heureux succès, César, comptant sur l’effet d’une pareille victoire, se rendit à Alexandrie avec sa cavalerie, par le plus court chemin de terre, et entra en vainqueur par le côté que l’ennemi occupait. (2) Et il ne se trompa point dans l’idée qu’il eut, qu’après la nouvelle de ce combat, les ennemis ne penseraient plus à la guerre. (3) Il recueillit à son arrivée le digne fruit de son courage et de sa grandeur d’âme ; car tous les habitants ayant jeté leurs armes, abandonné leurs retranchements, pris des habits de suppliants comme font ceux qui veulent implorer la grâce du vainqueur, et précédés de ce qu’ils avaient de plus sacré, comme quand ils voulaient apaiser la juste colère de leurs rois, vinrent au devant de César, et se livrèrent entre ses mains. (4) César, après avoir accepté leur soumission et les avoir rassurés, se rendit à travers les retranchements ennemis dans les quartiers de ses troupes, lesquelles se réjouissaient non seulement de sa victoire qui terminait la guerre, mais aussi de son heureux retour.

Règlement des affaires d’Égypte

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(1) César, maître de l’Égypte et d’Alexandrie, y établit pour rois ceux que Ptolémée avait désignés par son testament, en suppliant le peuple romain de n’y rien changer. (2) En effet, le roi, qui était l’aîné des deux fils, étant mort, il donna la couronne au plus jeune et à l’aînée des filles, Cléopâtre, qui, fidèle au parti de César, n’avait point quitté le quartier qu’il occupait. À l’égard d’Arsinoé, la plus jeune, sous le nom de laquelle Ganymède, ainsi que nous l’avons rapporté, avait longtemps exercé une cruelle tyrannie, il résolut de la faire sortir du royaume, dans la crainte que les séditieux ne se servissent d’elle pour exciter de nouveaux troubles avant que l’autorité des deux rois eût eu le temps de s’affermir. (3) Ne prenant avec lui que la sixième légion composée de vétérans, il laissa les autres en Égypte pour mieux assurer le pouvoir des rois que leur dévouement à César rendait peu agréables à leurs sujets, et qui, établis rois depuis si peu de jours, n’avaient pas encore ce prestige qui ne s’attache qu’à une autorité ancienne. (4) Il pensait aussi qu’il était de notre dignité et de notre intérêt de les soutenir avec nos troupes s’ils demeuraient fidèles, ou de les réprimer avec ces mêmes troupes, s’ils étaient ingrats. (5) Après avoir ainsi tout terminé et arrangé, César prit par terre le chemin de la Syrie.

2. Affaires d’Asie

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Domitius et Pharnace

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(1) Tandis que ces choses se passent en Égypte, le roi Déjotarus vient trouver Domitius Calvinus, à qui César avait donné le gouvernement de l’Asie et des provinces voisines, et le prie de ne pas permettre que Pharnace retienne et dévaste la Petite-Arménie, son royaume, et la Cappadoce, royaume d’Ariobarzane ; représentant que si on ne les met à couvert de ces hostilités, il leur sera impossible d’exécuter les ordres de César et de fournir l’argent qu’ils ont promis. (2) Domitius ne pensait pas seulement que cet argent était indispensable pour les frais de la guerre ; il jugeait aussi qu’il serait honteux au peuple romain et à César, et déshonorant pour lui-même, que les états de rois nos alliés et nos amis fussent usurpés par un prince étranger. Il envoya donc sans retard des députés à Pharnace, afin qu’il eût à se retirer de l’Arménie et de la Cappadoce, et à ne pas profiter des embarras de la guerre civile pour porter atteinte aux droits et à la majesté du peuple romain. (3) Persuadé que cette injonction aurait plus de poids s’il se rapprochait encore de ce pays avec son armée, il alla rejoindre ses légions, mena avec lui la trente-sixième, et envoya les deux autres en Égypte à César qui les avait demandées : toutefois, l’une d’elles n’arriva pas à temps pour la guerre d’Alexandrie, parce qu’elle avait pris le chemin de terre par la Syrie. (4) À la trente-sixième légion Domitius en joignit deux de celles de Déjotarus, qui étaient, depuis plusieurs années, dressées et armées selon notre usage. Il y ajouta cent cavaliers et en reçut autant d’Ariobarzane. (5) Il envoya P. Sestius au questeur C. Plétorius, avec ordre de lui amener la légion qu’il avait levée à la hâte dans le royaume de Pont ; et Q. Patisius en Cilicie pour en faire venir des secours. Toutes ces troupes, par l’ordre de Domitius, se réunirent promptement à Comane.

(1) Cependant des envoyés de Pharnace vinrent annoncer qu’il avait quitté la Cappadoce ; que s’il avait retenu la Petite-Arménie, c’est que son père lui avait transmis ses droits sur ce pays ; qu’au reste il demandait que la décision entière de ce différend fut remise à César : qu’il était prêt à se soumettre à son jugement. (2) Domitius vit bien que si Pharnace avait évacué la Cappadoce, ce n’était que par nécessité et non de bon gré, jugeant sans doute plus facile de défendre l’Arménie, qui était voisine de ses états, que la Cappadoce qui en était plus éloignée, et croyant que Domitius amènerait avec lui trois légions, mais qu’ayant appris qu’il en avait envoyé deux à César, cette nouvelle l’avait enhardi à garder l’Arménie. C’est pourquoi Domitius persista à exiger qu’il sortit également de ce royaume, parce qu’il n’avait pas plus de droit sur l’un que sur l’autre ; lui faisant dire qu’il n’était pas juste de demander qu’on laissât la question indécise jusqu’à l’arrivée de César ; car il fallait d’abord remettre les choses dans leur état primitif. (3) Après cette réponse, il se mit en marche pour l’Arménie avec les troupes dont j’ai parlé ci-dessus, et prit la route par les hauteurs ; car, en partant du Pont, on trouve, depuis Comane, une haute montagne boisée, qui s’étend jusqu’à la Petite-Arménie et la sépare de la Cappadoce. Cette route par les hauteurs avait ce double avantage qu’elle garantissait l’armée contre une attaque subite de l’ennemi, et que la Cappadoce, située au pied des montagnes, devait lui fournir abondamment des vivres.

Arrivée de Domitius à Nicopolis. Ruses et manoeuvres de Pharnace

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(1) Pendant ce temps, Pharnace envoya à Domitius de nombreux messagers, chargés de traiter de la paix avec lui et de lui offrir de riches présents ; (2) mais Domitius les refusa toujours, en répondant aux députés qu’il n’avait rien plus à coeur que de maintenir la dignité du peuple romain et le pouvoir des rois nos alliés. (3) Après une marche longue et non interrompue, il arriva à Nicopolis, ville de la Petite-Arménie, située dans une plaine, mais ayant sur deux de ses côtés de hautes montagnes assez éloignées de la ville. Il posa son camp environ à sept mille pas de Nicopolis. (4) Comme il fallait, au sortir du camp, traverser des défilés étroits et difficiles, Pharnace mit là en embuscade l’élite de son infanterie et presque toute sa cavalerie, en faisant répandre dans ces gorges grand nombre de bestiaux, et en commandant aux habitants de la ville et de la campagne d’y rester comme à l’ordinaire, (5) afin que, si Domitius s’avançait en ami, il n’eût aucun soupçon en voyant les troupeaux et les hommes errer çà et là dans les campagnes, comme à l’arrivée d’un ami ; et que, s’il entrait en ennemi, ses soldats se débandassent pour piller, et qu’ainsi dispersés, il fût aisé de les tailler en pièces.

(1) Tout en préparant ces pièges, il ne laissait pas d’envoyer des députés à Domitius pour lui parler de paix et d’amitié, croyant par là le tromper plus aisément. (2) Mais, loin de là, l’espoir d’un accommodement ne fit qu’engager Domitius à ne pas quitter son camp. Ainsi Pharnace, voyant que l’occasion lui était échappée et craignant que son mauvais dessein ne fût découvert, rappela ses troupes auprès de lui. (3) Le jour suivant, Domitius rapprocha son camp de Nicopolis. Pendant que nos troupes se retranchaient, Pharnace rangea les siennes en bataille, suivant leur ordre habituel, (4) c’est-à-dire sur une seule ligne avec trois corps de réserve aux deux ailes. Le centre était disposé de la même façon ; et, dans les deux intervalles, à droite et à gauche, étaient plusieurs corps rangés aussi sur une seule ligne. (5) Domitius acheva ses retranchements en couvrant les ouvrages d’une partie de ses troupes.

(1) La nuit suivante, Pharnace, ayant intercepté des courriers qui portaient à Domitius des nouvelles d’Alexandrie, apprit que César était en grand péril, et pressait Domitius de lui envoyer promptement des secours, et de s’approcher lui-même de cette ville par la Syrie. (2) Alors il regarda comme une victoire de pouvoir gagner du temps, persuadé que Domitius serait forcé de partir au plus tôt. (3) En conséquence, il fit élever deux retranchements, hauts de quatre pieds et assez peu éloignés l’un de l’autre, du côté de la ville, par où nous pouvions plus facilement l’approcher et l’attaquer : il se proposait de ne pas faire avancer ses troupes au-delà de cet espace. (4) Il rangeait toujours son armée en bataille entre ces deux lignes ; seulement il plaçait toute sa cavalerie sur les ailes en dehors des retranchements. Elle ne pouvait autrement lui être d’aucun usage ; elle était d’ailleurs de beaucoup plus nombreuse que la nôtre.

Défaite de Domitius devant Nicopolis

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(1) Domitius, plus inquiet du danger où se trouvait César que du sien propre, ne crut pas cependant pouvoir se retirer en sûreté s’il acceptait les conditions qu’il avait rejetées d’abord, ou s’il paraissait s’éloigner sans motif. Il fit donc sortir ses troupes de son camp, et les rangea en bataille. (2) Il plaça la trente-sixième légion à l’aile droite, celle du Pont à l’aile gauche, et celle de Déjotarus au centre, en laissant toutefois entre les ailes l’intervalle le plus étroit possible. Le reste des cohortes fut placé en réserve. Les deux armées ainsi rangées, on marcha au combat.

(1) Le signal ayant été donné des deux côtés en même temps, on court les uns contre les autres : le combat s’engage avec une ardeur égale, mais avec des succès divers. D’une part, la trente-sixième légion, qui était tombée sur la cavalerie du roi, en dehors de la tranchée, combattit si heureusement, qu’elle parvint jusqu’aux murs de la ville, traversa le fossé et prit l’ennemi à revers. (2) Mais, d’autre part, la légion du Pont ayant un peu plié, et la seconde ligne ayant voulu tourner le retranchement pour prendre l’ennemi en flanc, elle fut accablée et percée de traits au passage même du fossé. Quant aux légions de Déjotarus, c’est à peine si elles soutinrent le premier choc ; (3) de sorte que les troupes du roi, victorieuses à leur droite et au centre, se portèrent sur la trente-sixième légion. Celle-ci soutint vaillamment l’attaque du vainqueur, bien qu’enveloppée par des forces considérables ; et, avec une rare présence d’esprit, se formant en pelotons, elle gagna le pied des montagnes où Pharnace ne voulut pas la suivre à cause des difficultés du terrain. (4) Ainsi, la légion du Pont ayant péri presque tout entière, et la plus grande partie des soldats de Déjotarus ayant été tués, la trente-sixième légion se porta sur les hauteurs sans avoir perdu plus de deux cent cinquante hommes. (5) Quelques chevaliers romains, d’une grande illustration, périrent aussi dans ce combat, mais, malgré cet échec, Domitius recueillit les débris de son armée et se retira tranquillement par la Cappadoce en Asie.

Pharnace ravage le Pont

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(1) Pharnace, enflé de ce succès et se flattant qu’il en allait de César selon ses voeux, s’empara du Pont avec toutes ses troupes : et là, en vainqueur et en roi cruel, se promettant un sort plus heureux que celui de son père, il détruisit plusieurs villes, pilla les biens des citoyens romains et ceux des habitants, (2) et infligea des supplices plus affreux que la mort à tous ceux qui se distinguaient par leur âge et leur beauté. S’étant ainsi rendu maître du Pont sans avoir éprouvé de résistance, il se vantait d’avoir reconquis le royaume de son père.

3. Affaires d’Illyrie

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Situation de l’Illyrie

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(1) Vers le même temps on reçut un échec en Illyrie, province qui, dans les mois antérieurs, avait été conservée non pas seulement sans honte, mais même avec gloire. (2) L’été précédent, César y avait envoyé, avec deux légions, son questeur Q. Cornificius en qualité de propréteur ; et, quoique cette province, peu riche par elle-même, et de plus ruinée par des troubles intérieurs et par le voisinage de la guerre, fût peu en état d’entretenir une armée, cependant Cornificius, par sa prudence, son activité et son extrême réserve, sut la couvrir et la défendre. (3) Il enleva plusieurs châteaux, situés sur des hauteurs, dont les maîtres se prévalaient pour courir la campagne et y porter la guerre : il en abandonna le pillage à ses soldats ; et, quoique le butin fût peu considérable, il ne laissa pourtant pas que d’être agréable à cause de la pauvreté de la province, et surtout parce qu’il était la récompense du courage. De plus, quand, après la journée de Pharsale, Octavius se fut retiré dans ce golfe avec une flotte imposante, Cornificius, avec quelques vaisseaux des Iadestins, peuple qui avait toujours montré un attachement singulier à la république, s’empara des vaisseaux d’Octavius qui s’étaient dispersés, et, les réunissant à ceux des alliés, se mit en état de tenir la mer avec une flotte. (4) D’un autre côté César victorieux, occupé à poursuivre Pompée bien loin de là, ayant appris que plusieurs de ses ennemis avaient, à cause de la proximité des lieux, porté les débris de leurs troupes de Macédoine en Illyrie, écrivit à Gabinius de s’y rendre avec ses légions nouvellement levées, de se joindre à Q. Cornificius, et de pourvoir ensemble à la sûreté de cette province ; et, dans le cas où elle pourrait se passer de tant de troupes, de les mener en Macédoine : (5) car il pensait que, du vivant de Pompée, cette province serait toujours prête à recommencer la guerre.

Arrivée, échec et mort de Gabinius

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(1) Gabinius vint en Illyrie au milieu de l’hiver, dans la plus mauvaise saison de l’année, soit qu’il crût cette province plus riche qu’elle n’était, soit qu’il comptât beaucoup sur la fortune de César, ou qu’il se fiât à son propre courage et à ses talents, qui l’avaient souvent fait sortir avec bonheur des entreprises les plus grandes et les plus hardies : mais il ne trouva point de secours dans cette province, en partie ruinée, en partie mal intentionnée, et les mauvais temps ne lui permettaient pas de tirer des vivres par mer. De sorte que toutes ces difficultés l’obligeaient à faire la guerre, non comme il aurait voulu, mais comme il pouvait. (2) Ainsi forcé, par le besoin des subsistances, d’attaquer dans la saison la plus rude des châteaux et des places fortes, il essuya de fréquents échecs ; et ses mauvais succès le firent si mépriser des Barbares que, comme il se retirait à Salone (ville maritime habitée par de braves et fidèles citoyens romains), ils osèrent l’attaquer dans sa marche et le forcer au combat. (3) Après avoir perdu, dans cette occasion, deux mille soldats, trente-huit centurions et quatre tribuns, il gagna Salone avec le reste des troupes ; et, peu de mois après, dénué de tout, il y mourut de maladie. (4) Ses revers et sa mort soudaine inspirèrent à Octavius un grand espoir de se rendre maître de la province ; mais la Fortune, si puissante à la guerre, l’activité de Cornificius et la valeur de Vatinius eurent bientôt arrêté ces succès.

Arrivée et succès de Vatinius, qui délivre Épidaure

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(1) Vatinius apprit, à Brindes, où il était alors, par de fréquentes lettres de Cornificius qui l’appelaient au secours de l’Illyrie, ce qui s’était passé dans cette province. Sachant que M. Octavius s’était allié avec les Barbares, et qu’en plusieurs endroits il assiégeait nos postes, soit en personne avec sa flotte, soit par terre avec les Barbares ; quoique affaibli par le mauvais état de sa santé, et bien que ses forces ne répondissent pas à son courage, il surmonta, par son énergie, les difficultés de la maladie, de la saison, et les embarras d’un départ précipité. (2) En effet, comme il avait peu de galères dans le port, il écrivit en Achaïe à Q. Calénus de lui envoler une flotte. (3) Comme elle tardait trop pour le péril où nous étions, car nous ne pouvions résister aux attaques d’Octavius, il arma d’éperons les vaisseaux de charge assez nombreux qu’il avait, mais qui n’étaient pas de grandeur suffisante pour servir dans une bataille, les réunit à ses galères, (4) et, ayant ainsi augmenté sa flotte, il y embarqua des vétérans de toutes les légions, qui étaient restés malades à Brindes, lorsque l’armée dut passer en Grèce, et il partit pour l’Illyrie. Il reprit plusieurs villes maritimes qui nous avaient abandonnés pour se livrer à Octavius, passa outre devant celles qui persistèrent dans leur désobéissance ; et, sans se laisser retarder ni arrêter par rien, il s’appliqua à poursuivre Octavius avec toute la célérité possible. (5) À son arrivée il le força de lever le siège d’Épidaure, qu’il tenait bloqué par terre et par mer, et où nous avions une garnison qu’il recueillit dans ses vaisseaux.

Préparatifs de combat naval

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(1) Octavius, informé que la flotte de Vatinius était, en grande partie, composée de petits vaisseaux de charge, et comptant sur la supériorité de la sienne, s’arrêta vers l’île de Tauris. Vatinius, qui le poursuivait toujours, naviguait également de ce côté, non qu’il sût qu’Octavius l’y attendait, mais parce qu’il avait résolu de le suivre encore plus loin. (2) Arrivé près de Tauris, et ses vaisseaux se trouvant écartés les uns des autres, à cause du gros temps, Vatinius, qui n’avait aucun soupçon que l’ennemi fût là, vit tout à coup arriver sur lui, la vergue à mi-mât, un vaisseau chargé de combattants. (3) À cette vue, il ordonne d’amener les voiles promptement, de baisser les vergues et de s’armer ; et, ayant fait déployer le pavillon, ce qui était le signal du combat, il avertit ainsi les vaisseaux qui le suivaient de faire de même. (4) Nos soldats, surpris, se préparaient en diligence, tandis que l’ennemi sortait du port tout préparé. De part et d’autre on se range en bataille, Octavius avec plus d’ordre, Vatinius avec plus de résolution.

Victoire navale de Vatinius à Tauris. Retour à Brindes

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(1) Vatinius, considérant que, soit pour la grandeur, soit pour le nombre des vaisseaux, il était inférieur à l’ennemi, avait mieux aimé s’en remettre aux hasards du combat. En conséquence, avec sa galère à cinq rangs, il fondit le premier sur celle d’Octavius, qui en avait quatre. (2) Comme celle-ci faisait force de rames, les deux vaisseaux se choquèrent si rudement que celui d’Octavius perdit son éperon et demeura engagé dans son bordage. (3) Sur tous les autres points, le combat s’engagea avec vigueur, principalement autour des chefs. Chacun courant au secours du sien, la mêlée devint effrayante sur un espace étroit : (4) mais plus les vaisseaux pouvaient se serrer de près, plus les soldats de Vatinius avaient d’avantage. Avec un admirable courage, ils n’hésitaient pas à sauter de leurs vaisseaux dans ceux des ennemis ; et, rendant par ce moyen les armes égales, comme ils l’emportaient de beaucoup en valeur, ils avaient le dessus. (5) La galère d’Octavius lui-même est coulée à fond ; beaucoup d’autres sont prises ou enfoncées, après avoir été percées de l’éperon ; les soldats qui les montent sont égorgés ou précipités dans la mer. (6) Octavius se jette dans une chaloupe ; mais trop de monde s’y étant sauvé avec lui, elle est submergée. Tout blessé qu’il est, il gagne à la nage son bâtiment d’escorte ; (7) et la nuit ayant mis fin au combat, il s’enfuit à force de voiles au milieu d’une tempête, suivi de quelques-uns de ses vaisseaux échappés par hasard.

(1) Après ce succès, Vatinius donna le signal de la retraite, et entra victorieux, avec tous les siens, dans le même port d’où la flotte d’Octavius était sortie pour le combattre. (2) Il lui prit dans cette action une galère à cinq rangs, deux à trois rangs, huit à deux, et un grand nombre de rameurs. Le jour suivant fut employé par lui à radouber ses vaisseaux et ceux qu’il avait pris ; et, le troisième jour, il se dirigea sur l’île d’Issa, où il croyait qu’Octavius se serait réfugié. (3) Il y avait dans cette île une ville très considérable, et très liée à Octavius ; (4) mais à l’arrivée de Vatinius, ses habitants vinrent se rendre en suppliants ; et ils lui apprirent qu’à la faveur d’un bon vent, Octavius avec quelques petits vaisseaux qui lui restaient avait gagné les côtes de la Grèce, d’où il devait passer eu Sicile, puis en Afrique. (5) Ainsi, après avoir terminé en peu de temps cette expédition glorieuse, après avoir pacifié l’Illyrie, qu’il remit à Cornificius, et chassé la flotte ennemie de tout le détroit, Vatinius, vainqueur, se retira à Brindes, avec son armée et sa flotte en bon état.

4. Affaires d’Espagne

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Mauvais rapports de Longinus et de ses administrés

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(1)Tandis que César assiégeait Pompée à Dyrrachium, qu’il triomphait à Pharsale et combattait à Alexandrie au milieu des périls que la renommée exagérait encore, Cassius Longinus, qu’il avait laissé en Espagne, en qualité de propréteur, pour gouverner la province ultérieure, soit par sa méchanceté naturelle, soit par ressentiment d’une blessure qu’il avait reçue par trahison dans ce pays pendant qu’il y était questeur, avait amassé contre lui beaucoup de haine. Il avait pu aisément s’en apercevoir, et par sa propre conscience qui le portait à croire que les gens du pays le payaient de retour, et par toute sorte de preuves et de marques que lui en donnaient ces peuples, peu habitués à dissimuler leur mauvais vouloir ; en sorte qu’il désirait opposer à l’aversion de la province l’affection des troupes. (2) Aussi dès qu’il les eut rassemblées, il promit cent sesterces à chaque soldat ; et, peu après, ayant pris Médobrège en Lusitanie, et le mont Herminius, où les habitants de Médobrège s’étaient retirés, comme il y avait été salué imperator, il donna en effet cent sesterces à chacun d’eux. (3) Les nombreuses largesses qu’il ne cessait d’accorder augmentaient en apparence l’attachement de l’armée ; mais au fond elles amenaient peu à peu le relâchement de la discipline.

(1) Cassius, après avoir mis ses légions en quartiers d’hiver, se rendit à Cordoue pour régler l’administration de la province. Comme il avait contracté beaucoup de dettes dans cette ville, il résolut de les acquitter aux dépens de la province, qu’il accabla des plus lourds impôts. Selon la coutume des prodigues, il se servait du prétexte spécieux de ses libéralités pour multiplier les demandes ; (2) on taxait les riches ; et non seulement Longinus souffrait qu’ils apportassent cet argent, mais même il les y obligeait. Les moindres sujets de mécontentement suffisaient contre ceux qui avaient de la fortune, et aucune espèce de gain, soit important et avouable, soit faible et secret, n’était négligé ni dans la maison, ni au tribunal de l’imperator. (3) Il n’y avait personne, ayant quelque chose à perdre, qui ne fût d’abord cité et puis convaincu. Ainsi, outre la crainte de se voir enlever son patrimoine, on avait celle, bien plus vive, des dangers personnels que l’on courait.

(1) Par ces motifs, il arriva que Longinus, se conduisant sous le titre d’imperator comme il s’était conduit sous celui de questeur, les peuples de la province conjurèrent une seconde fois contre lui. (2) Quelques-uns même de ses favoris entretenaient cette haine, car, quoiqu’ils eussent leur part dans ses pillages, ils n’en détestaient pas moins l’homme au nom duquel ils commettaient ces exactions, et ne se sachant gré qu’à eux-mêmes des rapines dont ils profitaient, ils se plaignaient de Cassius pour celles qu’ils manquaient ou qui étaient réclamées. (3) Il leva une cinquième légion ; la haine qu’on avait contre lui s’accrut par cette nouvelle levée et par la dépense qu’elle exigea. Il forma un corps de trois mille chevaux, ce qui augmenta de beaucoup les charges. Enfin il ne laissait à la province aucun repos.

Longinus se prépare à passer en Afrique

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(1) Sur ces entrefaites il reçut des lettres de César, qui lui enjoignaient de passer en Afrique avec son armée et de se rendre par la Mauritanie sur la frontière de Numidie, à cause que le roi Juba avait envoyé de grands secours à Cn. Pompée et paraissait disposé à en envoyer de plus grands encore. (2) À la réception de ces lettres, il fut rempli d’une joie extraordinaire ; car elles lui offraient l’occasion de piller de nouvelles provinces et un royaume fort riche. (3) Il part donc pour la Lusitanie afin d’y rassembler ses légions et ses troupes auxiliaires. Cependant, pour que rien ne l’arrête à son retour, il charge des hommes sûrs de lui tenir prêts cent vaisseaux et des vivres, et de faire la répartition et la levée des impôts. Son retour fut plus prompt que l’on ne croyait ; (4) car ni la peine ni l’activité ne coûtaient à Cassius, surtout quand il souhaitait quelque chose.

Tentative de meurtre sur Longinus

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(1) Quand il eut rassemblé son armée sur un seul point et assis son camp près de Cordoue, il déclara à ses soldats, dans une réunion, les ordres de César, leur promit à chacun cent sesterces quand il serait arrivé en Mauritanie, et ajouta que la cinquième légion resterait en Espagne. (2) Au sortir de l’assemblée il entra dans Cordoue ; et, le même jour, vers midi, comme il se rendait au palais, un certain Minucius Silon, client de L. Racilius, lui présenta une requête, comme eût fait un soldat demandant quelque grâce ; puis ayant passé derrière Racilius, qui marchait à côté de Cassius, comme pour attendre la réponse, il jugea le moment favorable, saisit Cassius de la main gauche, et de la droite lui donna deux coups de poignard. (3) Un cri s’élève, tous les conjurés accourent. Minucius Flaccus perce de son épée le licteur le plus proche, et, après l’avoir tué, blesse le lieutenant Q. Cassius. (4) T. Vasius et L. Mercello, complices et compatriotes de Flaccus (car ils étaient tous d’Italica), le secondent. L. Licinius Squillus se précipite sur Longinus déjà terrassé, et lui fait quelques légères blessures.

(1) On accourt à la défense de Cassius, car il avait toujours près de lui une garde et plusieurs vétérans armés de dards. (2) Ceux-ci ferment le passage au reste des conjurés qui venaient à la file pour achever l’assassinat, et au nombre desquels se trouvaient Calpurnius Salvianus et Manilius Tusculus. (3) Minucius étant tombé en fuyant sur des pierres qui embarrassaient le chemin, est accablé et conduit vers Cassius, que l’on avait porté chez lui. Racilius se retira dans la maison d’un de ses amis, qui demeurait près de là ; pour y attendre la nouvelle positive de la mort de Cassius. (4) L. Laterensis, qui n’en doutait pas, court au camp, plein de joie, et félicite les soldats de la seconde légion et ceux de la levée faite dans le pays, auxquels il savait que Cassius était particulièrement odieux : la multitude l’élève sur le tribunal et le salue préteur ; (5) car il n’y avait personne ou qui fût né dans la province, ou qui appartînt à la légion du pays, ou qui eût été en quelque sorte naturalisé par un long séjour, comme étaient les soldats de la seconde légion, qui ne partageât la haine qu’inspirait Cassius. À l’égard de la trentième et de la vingt unième légions, elles avaient été levées depuis peu de mois en Italie par César, qui les avait données à Cassius ; la cinquième avait été récemment formée sur les lieux.

(1) Cependant on annonce à Laterensis que Cassius est vivant. Plus affligé que troublé de cette nouvelle, il se remet promptement, et va voir Cassius. (2) En apprenant ce qui se passe, la trentième légion se rend à Cordoue pour secourir son général. La vingt unième fait de même ; la cinquième les imite. (3) Des deux légions qui restaient dans le camp, la seconde craignant de rester seule, et de montrer par là ses sentiments, suivit l’exemple des trois autres. Quant à la légion du pays, elle persista, dans son projet, et nulle crainte ne put l’ébranler.

Châtiments et tractations

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(1) Cassius fait arrêter ceux qu’on désigne comme complices : il renvoie au camp la cinquième légion, ne retenant près de lui que trente cohortes. (2) Sur la déposition de Minucius, qui dénonce comme faisant partie des conjurés L. Racilius, L. Laterensis et Annius Scapula (celui-ci était l’un des hommes les plus distingués et les plus estimés du pays, et son familier à l’égal de Laterensis et de Racilius), Cassius, sans différer plus longtemps sa vengeance, les fait mettre à mort. (3) Il livre Minucius à ses affranchis pour l’appliquer à la torture. Il leur livre aussi Calpurnius Salvianus, qui avoue sa participation au complot, et dénonce d’autres conjurés, conformément à la vérité, disent les uns, contraint par la douleur, disent les autres. L. Mercello subit le même supplice. (4) Squillus nomme plusieurs complices : Cassius les fait mourir, à la réserve de ceux qui se rachètent à prix d’argent ; (5) car il traite publiquement avec Calpurnius pour dix mille sesterces, et avec Q. Sextius pour cinquante mille. Si ces hommes étaient réellement coupables, Cassius, en leur remettant pour de l’argent la mort et la torture, prouvait bien que son avarice égalait sa cruauté.

Exactions et nouveaux préparatifs de départ de Longinus

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(1) Quelques jours après, il reçut des lettres de César, qui lui apprenaient la défaite de Pompée et sa fuite. (2) À cette nouvelle, il n’éprouva qu’une joie mêlée de chagrin : la victoire lui faisait plaisir, mais la fin de la guerre mettait un terme à sa licence. Il ne savait ce qu’il devait préférer, ou de n’avoir rien à craindre ou de pouvoir tout oser. (3) Quand il fut guéri de ses blessures, il manda tous ceux qui s’étaient engagés à lui payer certaines sommes, et leur enjoignit de les acquitter ; ceux qui lui paraissent s’être imposés trop bas, il les taxe plus haut. (4) En même temps, parmi les nouvelles levées, se trouve-t-il des soldats tirés des colonies ou des villes de la province qu’effraie le service d’outre-mer, il les invite à racheter leur congé. Par là, il se fit un grand revenu ; mais il souleva une haine plus grande encore. (5) Ensuite il passa en revue toute l’armée. Il envoya vers le détroit les légions et les troupes auxiliaires qu’il devait conduire en Afrique ; (6) pour lui, il se rendit à Hispalis, afin d’inspecter la flotte qu’il y faisait équiper. Il y séjourna quelque temps à cause d’une ordonnance qu’il avait publiée dans toute la province, portant que ceux qui n’avaient pas encore payé leur taxe, eussent à se présenter à lui. Cet appel troubla profondément tout le pays.

Mutinerie des légions. Thorius chef des factieux

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(1) Sur ces entrefaites, L. Titius, alors tribun militaire dans la légion espagnole, lui annonce que le bruit court que la trentième légion, commandée par le lieutenant Q. Cassius, et campée près de la place d’Ilipa, s’était révoltée, avait tué quelques centurions qui s’opposaient à ce qu’on déployât les enseignes, et était allé joindre la seconde légion qui marchait vers le détroit par une autre route. (2) Dès qu’il en est instruit, Cassius part de nuit avec cinq cohortes de la vingt unième légion, et arrive le matin à Naeva. Après s’y être arrêté ce jour-là pour voir de quoi il s’agissait, il se dirige sur Carmon. (3) Il y trouve rassemblées la trentième et la vingt unième légions, quatre cohortes de la cinquième et toute la cavalerie, et apprend que les Espagnols ont surpris quatre cohortes près d’Obucula, les ont emmenées avec eux à la seconde légion ; que toutes se sont réunies, et ont choisi pour chef T. Thorius d’Italica. (4) Aussitôt il tient conseil, dépêche Marcellus à Cordoue pour la maintenir dans le devoir, et le lieutenant Q. Cassius à Hispalis. (5) Peu de jours après, on lui rapporte que l’assemblée de Cordoue s’est séparée de son parti, et que Marcellus, soit de gré soit de force (car on en parle diversement), fait cause commune avec ceux de Cordoue : on ajoute que deux cohortes de la cinquième légion, en garnison à Cordoue, ont suivi cet exemple. (6) Furieux de ces nouvelles, Cassius lève son camp, et, le lendemain, arrive à Ségovie sur le fleuve Singilis. Là, ayant harangué les troupes pour s’assurer de leurs dispositions, il reconnut que si elles lui restaient fidèles, ce n’était pas pour lui, mais à cause de César absent, et qu’elles braveraient tous les périls pour rendre la province à César.

(1) Cependant Thorius amène les vieilles légions à Cordoue ; et, pour qu’on ne pût attribuer la révolte à son mauvais esprit et à celui de ses troupes, et en même temps pour opposer à Cassius, qui se couvrait du nom de César, une autorité également respectable, il déclara publiquement que c’était pour Pompée qu’il venait recouvrer cette province. (2) Peut-être aussi agissait-il autant par haine pour César que par affection pour Pompée, dont le nom pouvait beaucoup sur ces légions que M. Varron avait commandées ; mais on ne peut faire que des conjectures sur le motif qui le faisait agir. Tel était au moins celui qu’il alléguait ; (3) et ses soldats s’en cachaient si peu qu’ils portaient le nom de Pompée écrit sur leurs boucliers. (4) À l’arrivée des légions, une foule nombreuse, composée d’hommes, de femmes, d’enfants, alla à leur rencontre, les priant de ne pas les traiter en ennemis, de ne pas saccager leur ville, protestant qu’ils partageaient le sentiment général à l’égard de Cassius, et demandant seulement à n’être pas forcés d’agir contre César.

Marcellus succède à Thorius. Réaction de Longinus

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(1) L’armée, touchée des prières et des larmes de cette multitude, voyant qu’elle n’avait pas besoin du nom ni du souvenir de Pompée pour poursuivre Longinus, qui était également en horreur au parti de César et à celui de Pompée, et que ni Marcellus ni l’assemblée de Cordoue ne consentiraient à abandonner la cause de César, enleva le nom de Pompée de dessus les boucliers, mit à sa tête Marcellus, qui se déclarait hautement pour César, le salua préteur, et, se joignant aux habitants, vint camper près de Cordoue. (2) Deux jours après, Cassius vint aussi camper à environ quatre mille pas de cette ville, sur une hauteur en deçà du fleuve Bétis ; et de là il écrivit à Bogus, roi de Maurétanie, et à M. Lépidus, proconsul de l’Espagne citérieure, de venir promptement au secours de la province, en considération de César. Cependant il entre en ennemi sur le territoire de Cordoue, dévastant la campagne et brûlant les maisons.

Marcellus et Longinus se défient vainement. Marcellus rejoint Longinus à Ulia

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(1) Irritées de ces ravages et de ces indignités, les légions qui avaient pris Marcellus pour chef coururent à lui en foule, et le prièrent de les mener au combat, plutôt que de les laisser contempler lâchement les plus précieuses possessions des habitants de Cordoue ainsi désolées par le pillage, le fer et la flamme. (2) Marcellus, qui regardait un combat comme une chose très malheureuse, en ce que la victoire et la défaite devaient également tourner au désavantage de César, mais persuadé aussi qu’il n’était pas en son pouvoir de l’empêcher, fait passer le fleuve à ses légions, et les range en bataille. (3) Ensuite, voyant que Cassius tenait son armée rangée sur la hauteur derrière son camp, et qu’il ne descendrait pas en plaine, il persuada à ses troupes de rentrer dans le leur. Il commença donc la retraite. (4) Cassius, qui se savait plus fort que lui en cavalerie, la détacha sur la queue des légions qui se retiraient, et nous tua beaucoup de monde sur le bord du fleuve. (5) Marcellus, ayant compris par cet échec le désavantage et le danger qu’il y avait à passer le fleuve, transporta son camp au-delà du Bétis. Plusieurs fois les deux généraux mirent leurs armées en bataille ; mais les difficultés du terrain les empêchaient d’en venir aux mains.

(1) Marcellus était de beaucoup supérieur en infanterie ; car toutes ses légions étaient composées de vétérans éprouvés dans un grand nombre de combats. À l’égard de Cassius, il comptait plus sur la fidélité de ses troupes que sur leur valeur. (2) Les deux camps étaient voisins l’un de l’autre, et Marcellus s’était emparé d’une position favorable pour bâtir un fort, d’où il pouvait priver d’eau l’ennemi, lorsque Cassius, qui craignait de se voir en quelque sorte assiégé dans un pays où il était généralement détesté, décampa de nuit en silence, et gagna au plus vite la ville d’Ulia, sur le dévouement de laquelle il comptait. (3) Il posa son camp si près des remparts qu’il se trouva garanti de tous côtés et par la nature du terrain (car Ulia est située sur une hauteur), et par les fortifications de la ville. (4) Marcellus l’y suivit et campa en face de lui, le plus près possible de cette place ; ensuite, ayant reconnu les lieux, il trouva qu’il était forcé de prendre le parti qu’il souhaitait le plus, celui de ne pas combattre ; au lieu que, si le terrain l’eût permis, il n’eût pas pu résister à l’ardeur des soldats. Il résolut toutefois d’empêcher Cassius de courir la campagne, ne voulant pas que plusieurs villes eussent leur territoire ravagé comme Cordoue. (5) Ayant élevé des forts dans des situations avantageuses et enserré la ville dans ses ouvrages, il enferma dans ses lignes et Ulia et Cassius. (6) Avant que ces travaux fussent achevés, Cassius mit toute sa cavalerie en campagne : il y voyait le grand avantage d’empêcher, par elle, Marcellus d’envoyer au fourrage et aux vivres ; tandis qu’elle l’aurait fort embarrassé, si, assiégé, il eût été obligé de la nourrir sans en tirer aucun service.

Bogus vient renforcer Longinus

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(1) Peu de jours après, le roi Bogus, ayant reçu les lettres de Cassius, arriva avec ses troupes, lui amenant une légion et plusieurs cohortes d’auxiliaires espagnols. (2) Car, ainsi que cela se voit d’ordinaire dans les guerres civiles, à cette époque quelques cités avaient pris parti pour Cassius, le plus grand nombre pour Marcellus. (3) Bogus s’avança avec ses troupes vers les fortifications extérieures de Marcellus. Le combat fut vif des deux côtés, et le succès divers, la Fortune transportant souvent la victoire de l’un à l’autre. Toutefois Marcellus ne put pas être chassé de ses lignes.

Médiation de Lépidus. Sortie de Cassius

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(1) Cependant Lépidus arriva de la province citérieure, avec trente-cinq cohortes tirées des légions, beaucoup de cavalerie et d’autres troupes auxiliaires, dans l’intention de travailler avec impartialité à réconcilier Cassius et Marcellus. (2) À son arrivée, Marcellus va le trouver sans hésiter et lui remet ses intérêts entre les mains : Cassius au contraire se tient enfermé dans son camp, soit qu’il crût mériter plus d’égards que Marcellus, soit qu’il craignît que son adversaire, par ses déférences, n’eût déjà prévenu Lépidus contre lui. (3) Lépidus établit son camp devant Ulia et agit de concert avec Marcellus. Il défend tout combat, et invite Cassius à le venir trouver en engageant sa foi qu’il ne lui sera fait aucun mal. (4) Après avoir longtemps hésité sur ce qu’il devait faire et sur la confiance qu’il devait avoir dans la parole de Lépidus, Cassius, ne voyant nulle ressource pour lui, s’il persistait dans son dessein, demanda que les fortifications fussent détruites, et qu’on lui laissât un libre passage. (5) Déjà on était convenu d’une trêve ; déjà on comblait les retranchements d’où les gardes s’étaient éloignées, lorsque les troupes de Bogus vinrent attaquer un des forts de Marcellus, près du camp de ce roi, sans que personne s’y attendît, excepté peut-être Cassius, car on doutait fort de sa loyauté. Beaucoup de soldats furent tués ; (6) et si Lépidus qui accourait, indigné, avec des forces, n’eût promptement arrêté le combat, le mal aurait été plus grand.

Fuite et mort de Longinus

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(1) Le passage étant ouvert à Cassius, Marcellus et Lépidus joignirent leur camp et partirent ensemble pour Cordoue, tandis que Cassius prit avec ses troupes le chemin de Carmon. (2) Vers le même temps Trébonius vint en qualité de proconsul pour gouverner la province. Dès que Cassius fut instruit de son arrivée, il mit ses légions et sa cavalerie en quartier d’hiver, ramassa en diligence tout ce qu’il avait, et partit pour Malaca. Il s’y embarqua malgré le mauvais temps, ne voulant pas, disait-il, se mettre à la discrétion de Trébonius, de Lépidus et de Marcellus ; ne voulant pas, disaient ses amis, traverser avec moins d’appareil une province dont une grande partie l’avait abandonné ; mais, selon l’opinion commune, désirant mettre en sûreté le fruit de ses innombrables rapines. (3) Il partit par un temps assez favorable pour la saison. Comme il s’était arrêté à l’embouchure de l’Èbre pour y passer la nuit, il s’éleva peu après une violente tempête malgré laquelle il partit, croyant pouvoir sans péril continuer sa route ; mais porté par le courant rapide du fleuve, et repoussé par les vagues de la mer qui refluaient à l’embouchure, ne pouvant ni avancer ni reculer, il périt avec son vaisseau.

5. César en Asie

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Règlement des affaires de Syrie

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(1) Tandis que de l’Égypte César venait en Syrie, il apprit par des citoyens et par des lettres qui arrivaient de Rome, qu’il y avait beaucoup de désordre et de faiblesse dans le gouvernement et que toutes les affaires de la république étaient mal administrées. D’un côté, l’opiniâtreté des tribuns du peuple excitait de funestes séditions ; d’autre part, l’ambition et la mollesse des tribuns militaires et des chefs des légions avaient introduit dans l’armée des nouveautés dangereuses qui énervaient la discipline. Tout cela demandait sa présence. Mais il voulait, avant tout, ne laisser les provinces et les contrées où il était venu, qu’après y avoir assuré la paix intérieure, ainsi que le respect des droits et des lois, et leur avoir ôté toute crainte de l’ennemi du dehors. (2) C’est ce qu’il espérait pouvoir faire en peu de temps dans la Syrie, la Cilicie et l’Asie, provinces alors paisibles. Il ne voyait pas les mêmes facilités en Bithynie et dans le Pont ; (3) car il ne savait pas que Pharnace eût quitté ce dernier pays, et il ne croyait pas même qu’il en voulût sortir, tant il était fier de l’avantage qu’il avait remporté sur Domitius Calvinus. (4) César s’arrêta dans presque toutes les villes les plus importantes, y accorda à ceux qui s’étaient bien conduits des récompenses publiques et personnelles, prit connaissance des anciennes contestations et les régla, reçut l’hommage des rois, des tyrans, des gouverneurs de la province et des pays voisins, qui accoururent à lui, les chargea de veiller à la conservation et à la défense de la province, et les renvoya on ne peut mieux disposés pour lui et pour la république.

Règlement des affaires de Cilicie et de Cappadoce

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(1) Après avoir passé quelques jours dans cette province, il laisse à Sextus César, son ami et son parent, le commandement des légions et de la Syrie, et passe en Cilicie sur la même flotte qui l’avait amené. (2) Il convoque par députés, toutes les villes de cette province à Tarse, la plus importante et la plus forte place du pays. (3) À peine y a-t-il réglé toutes les affaires de cette province et des états voisins, que l’impatience de combattre l’en fait partir. Il traverse à grandes journées la Cappadoce, s’arrête deux jours à Mazaca, et vient à Comane où se trouve le temple de Bellone, le plus ancien et le plus vénéré de la Cappadoce. Telle est pour ce temple le dévotion des peuples : du consentement de tous, le prêtre de la déesse est, après le roi, le second personnage du royaume en majesté, en autorité, en pouvoir. (4) César conféra cette dignité à Lycomède, homme des plus illustres de la Bithynie, issu des anciens rois de Cappadoce, dont les droits incontestables avaient été méconnus parce que sa couronne, par le malheur de ses ancêtres, avait passé dans une autre famille, et qui redemandait le sacerdoce. (5) À l’égard d’Ariobarzane et d’Ariarathe, son frère, qui tous deux avaient bien servi la république, il confirma le premier dans la possession du trône et plaça l’autre sous l’autorité et la dépendance de son frère, afin qu’il ne fût pas tenté d’exciter des troubles, et qu’il n’inspirât point d’inquiétude. Après cela il continua sa route avec la même rapidité.

Soumission de Déjotarus

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(1) Comme il approchait du Pont et des frontières de la Gallo-Grèce, Déjotarus, alors tétrarque de presque toute cette province, bien que les autres tétrarques lui disputassent ce titre qu’ils prétendaient ne lui être pas dû, ni d’après les lois ni d’après la coutume, et reconnu sans contestation roi de la Petite-Arménie qui lui avait été donnée par le sénat, vint se présenter à lui dépouillé des insignes de la royauté, non pas même sous les habits d’un simple particulier, mais sous le costume d’un accusé et d’un suppliant ; il le supplia de lui pardonner ; si, se trouvant dans un pays où César n’avait pas de troupes, il avait été forcé de se mettre avec les siennes dans le parti de Pompée ; (2) ajoutant qu’il ne lui appartenait pas d’être le juge des différends qui s’élevaient parmi le peuple romain, et qu’il avait dû obéir aux autorités du moment.

(1) Sur cela, César lui rappela les nombreux services qu’il lui avait rendus et les décrets qu’il avait fait rendre en sa faveur lorsqu’il était consul : il lui dit avec reproches qu’aucun motif ne rendait son imprudence excusable ; car un homme si avisé et si habile n’avait pu ignorer qui était maître dans Rome et dans l’Italie, ni de quel côté était le sénat, le peuple romain, la république ; ni enfin qui avait été consul après L. Lentulus et C. Marcellus : que toutefois il voulait bien lui pardonner en considération de ses anciens services, d’une vieille hospitalité, de leur liaison, de sa dignité, de son âge, et des prières d’une foule d’hôtes et d’amis qui étaient accourus implorer sa grâce. Il ajouta qu il prendrait plus tard connaissance de la querelle qu’il avait avec les autres tétrarques. Ensuite il lui rendit les ornements royaux ; (2) mais en lui ordonnant d’amener celle de ses légions qu’il avait armée et disciplinée à la romaine, ainsi que toute sa cavalerie, dont il avait besoin pour la guerre.

César dans le Pont reçoit les envoyés de Pharnace

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(1) Lorsque César fut arrivé dans le Pont, il assembla toutes ses troupes, qui étaient peu nombreuses et manquaient d’expérience, à l’exception de la sixième légion, composée de vétérans, qu’il avait amenée d’Alexandrie, mais qui était tellement affaiblie par les fatigues et les dangers, par ses courses sur terre et sur mer, et par de continuels combats, qu’à peine comptait-elle mille hommes. Le reste ne consistait qu’en trois légions : l’une, qui était celle de Déjotarus ; les deux autres, qui s’étaient trouvées à la bataille de Cn. Domitius contre Pharnace. (2) Des envoyés de ce roi vinrent trouver César, et le prièrent de ne pas entrer chez eux en ennemi, l’assurant que Pharnace était prêt à obéir aveuglément à ses ordres, (3) et lui représentant surtout qu’il n’avait jamais voulu donner aucun secours à Pompée contre lui, comme avait fait Déjotarus, à qui il avait pardonné.

(1) César répondit que Pharnace n’aurait pas à se plaindre de son équité s’il tenait ses promesses ; (2) mais il avertit les députés avec douceur, selon sa coutume, de ne pas lui opposer l’exemple de Déjotarus, et de ne pas trop se prévaloir de ce qu’ils n’avaient pas secouru Pompée ; (3) qu’il n’y avait rien à quoi il se prêtât plus volontiers qu’à pardonner aux suppliants ; mais que pour les torts faits aux peuples des provinces, il ne pouvait pas les excuser dans ceux-là même qui lui avaient rendu quelque service ; (4) que celui dont ils venaient de se vanter avait été plus utile à Pharnace, en lui épargnant une défaite, qu’à César, que les dieux immortels avaient rendu vainqueur. (5) Cependant il voulait bien pardonner à Pharnace les injures, les mauvais traitements qu’il s’était permis contre les citoyens romains qui commerçaient dans le Pont, puisque ces maux étaient irréparables ; (6) car Pharnace ne pouvait rendre la vie à ceux qu’il avait égorgés, ni la virilité à ceux qu’il avait mutilés, supplice plus affreux que la mort pour des citoyens romains : (7) mais que Pharnace sortît du Pont sans retard, qu’il remît en liberté les familles des receveurs du trésor, qu’il restituât aux Romains et aux alliés ce qu’il leur avait enlevé ; (8) alors seulement il pourra lui envoyer les présents et les dons que les généraux de Rome, après la victoire, avaient coutume de recevoir des amis de la république. Pharnace lui avait, en effet, envoyé une couronne d’or. Après cette réponse il congédia les députés.

Temporisations de Pharnace

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(1) Pharnace promit tout sans hésiter, espérant que César, pressé de partir, se hâterait d’ajouter foi à ses promesses, et saisirait une occasion honorable pour aller au plus tôt terminer des affaires plus importantes ; car personne n’ignorait que bien des raisons le rappelaient à Rome. Il se met donc à l’oeuvre lentement, demandant des délais, sollicitant de nouvelles conditions, cherchant en un mot à éluder ses engagements. (2) César reconnut le stratagème et fit alors, par nécessité, ce que, dans la plupart des circonstances, il faisait par goût, c’est-à-dire qu’il en vint aux mains beaucoup plus tôt qu’on ne s’y attendait.

Pharnace et César prennent position à Zéla

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(1) Il y a dans le Pont une ville nommée Zéla, assez forte par sa position, bien que située dans une plaine. Car un tertre naturel et qu’on dirait fait de main d’homme en soutient les murailles de tous côtés. (2) Tout autour de la ville sont un grand nombre de hautes collines entrecoupées de vallons. La plus haute d’entre elles, qui est presque jointe à la ville par des chemins élevés qui vont de l’une à l’autre, est fameuse dans le pays par la victoire que Mithridate remporta sur Triarius, et par l’échec de notre armée : elle n’est guère éloignée de Zéla que de trois mille pas. (3) Ce fut là que Pharnace vint camper avec toutes ses troupes, et il releva les anciennes fortifications de ce poste qui avait été si avantageux à son père.

(1) César plaça son camp à cinq mille pas de l’ennemi. Voyant que les vallons qui défendaient le camp du roi défendraient aussi le sien à la même distance, pourvu que l’ennemi, qui en était plus rapproché, ne s’en emparât pas le premier, il fit porter des fascines dans les retranchements. (2) Cet ordre ayant été promptement exécuté, la nuit suivante, à la quatrième veille, laissant tout son bagage dans le camp, il part avec toutes ses légions, et, au point du jour, sans que l’ennemi en eût aucun soupçon, il occupa les mêmes lieux où Mithridate avait eu l’avantage sur Triarius. (3) Il y fit alors transporter par les valets de l’armée, les fascines amassées dans le camp ; afin qu’aucun soldat ne quittât les travaux, le nouveau camp n’étant séparé de l’ennemi que par un vallon qui n’avait pas plus de mille pas.

Téméraire attaque de Pharnace

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(1) Lorsque le jour parut, Pharnace, s’étant aperçu de ce qui se passait, rangea toutes ses troupes en bataille devant son camp ; mais le chemin qui le séparait de nous était si difficile que César ne vit d’abord, dans ce mouvement, qu’une manoeuvre indifférente, qui n’avait d’autre but que de de retarder nos travaux en nous obligeant à tenir plus de monde sous les armes, ou de nous faire voir que le roi ne comptait pas moins, pour défendre son poste, sur la valeur des siens que sur ses fortifications. Ainsi, sans s’étonner, il fit continuer les travaux par la plus grande partie de ses troupes, en mettant la première ligne en bataille devant ses retranchements. Mais Pharnace, soit qu’il fût encouragé par le bonheur de ce poste, ou animé par les auspices et les augures favorables, comme nous l’apprîmes dans la suite ; soit qu’il nous crût moins nombreux que nous n’étions et qu’il prît pour autant de soldats cette multitude de valets occupés au travail journalier de transporter des fascines ; soit encore qu’il fût plein de confiance dans ses vieilles troupes, qui, comme ses députés l’avaient dit avec jactance, avaient livré vingt-deux batailles et remporté autant de victoires ; soit enfin qu’il méprisât une armée que lui-même avait repoussée lorsqu’elle était conduite par Domitius, il résolut de combattre, et commença à descendre la montagne. À ce spectacle, César ne put s’empêcher de rire de cette vaine bravade, de ces troupes entassées dans un poste où jamais homme sage n’eût pensé à s’engager. Cependant Pharnace, descendu dans le vallon, commença à remonter du même pas la colline opposée avec ses troupes en bon ordre.

LXXV. César, frappé d’une témérité ou d’une audace si incroyable, se voyant attaqué au dépourvu, rappelle en même temps les soldats du travail, leur fait prendre les armes, place en avant les légions, range l’armée en bataille ; ce qui, dans la surprise, effraya les nôtres. Nos rangs ne sont pas encore bien formés, que déjà les chariots du roi, armés de faux, y portent le désordre ; mais bientôt nous les accablons sous une grêle de traits. Ces chariots étaient suivis de l’armée ennemie. Le combat s’engage avec de grands cris ; nous y fûmes heureusement servis par la disposition du terrain, et surtout par la protection des dieux immortels, qui ne se montre jamais mieux, à la guerre, que dans les occasions où la prudence ne peut rien.

LXXVI. Après une lutte animée et opiniâtre, l’aile droite, où était la sixième légion, composée de vétérans, commença la victoire, et culbuta les ennemis sur la pente du coteau. Beaucoup plus tard, mais toujours à l’aide de ces mêmes dieux, l’aile gauche et le centre défirent toutes les troupes du roi, lesquelles furent chassées de ce poste avec autant de promptitude et de facilité qu’elles en avaient mis à le gravir : le désavantage de la position aida à les accabler. Beaucoup de soldats furent tués, et beaucoup d’autres écrasés par les leurs dans la déroute ; et ceux qui purent se sauver en fuyant et regagner la hauteur, ayant jeté leurs armes dans la fuite, se trouvèrent sans défense. Quant aux nôtres, animés par le succès, ils n’hésitèrent pas à gravir ce coteau dangereux et à attaquer les retranchements. Comme ils n’étaient défendus que par les cohortes qu’y avait laissées Pharnace, le camp fut bientôt enlevé. Tout fut tué ou pris. Pour Pharnace, il s’enfuit avec quelques cavaliers ; et si l’attaque de son camp ne lui eût pas donné le loisir de s’échapper, il serait tombé vivant au pouvoir de César.

LXXVII. César, tant de fois vainqueur, ressentit de cette victoire une joie incroyable. En effet, il avait terminé rapidement une guerre importante (12), et le souvenir du péril le charmait d’autant plus que la difficulté même de réussir lui avait facilité la victoire. Après avoir ainsi reconquis le Pont, et abandonné tout le butin aux soldats, il part le lendemain avec ses cavaliers équipés à la légère, ordonne à la sixième légion de se rendre en Italie pour y recevoir les récompenses et les honneurs qu’elle mérite, renvoie à Déjotarus ses troupes, et laisse dans le Pont deux légions sous le commandement de Coelius Vinicianus.

LXXVIII. De là il traverse la Gallo-Grèce et la Bithynie pour se rendre en Asie[1], décidant les différends de toutes ces provinces, et réglant les droits des tétrarques, des rois et des villes. Quant à Mithridate de Pergame, qui, comme on l’a vu, nous avait secondés en Égypte avec tant de zèle et de bonheur, prince d’ailleurs de race royale, et qui avait reçu une éducation de roi, car Mithridate, roi de toute l’Asie, l’avait tiré de Pergame bien jeune encore, et l’avait gardé avec lui, dans son camp, pendant plusieurs années, César l’établit roi du Bosphore, auparavant possédé par Pharnace, et assura ainsi la tranquillité des provinces romaines contre les insultes des Barbares et des rois nos ennemis, en plaçant entre eux et elles un roi tout dévoué. Il lui adjugea pareillement la tétrarchie de la Gallo-Grèce, comme lui revenant d’après les lois du pays et par le droit de sa naissance, quoique Déjotarus en fût en possession depuis plusieurs années. Du reste, il ne s’arrêta nulle part plus longtemps que les troubles intérieurs de Rome ne semblaient le lui permettre ; et, après avoir tout terminé avec autant de bonheur que de célérité, il arriva en Italie plus tôt qu’on ne l’attendait.



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  1. C’est-à-dire dans la province romaine ou l’Asie proconsulaire.