Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/septembriseur s. m.

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 2p. 570-571).

SEPTEMBRISEUR s. m. (sè-ptan-bri-zeur — rad. septembre). Hist. Nom donné à ceux qui prirent part aux massacres, de Septembre.

— Encycl. Ce nom sinistre est resté aux exécuteurs des massacres de septembre 1792, à tous ceux qui, à tort ou à raison, ont été accusés d’avoir trempé dans les égorgements ou de les avoir conseillés, organisés ou dirigés.

Nous n’avons pas à répéter ici les détails qui figurent à l’article consacré à ces tragiques événements, et nous devons nous borner à quelques notes sur les malheureux qui se sont souillés en y prenant part.

Rappelons d’abord que beaucoup des hommes politiques qu’on a plus tard accusés, au milieu des luttes violentes des partis, y sont pour la plupart restés étrangers et ne sont coupables que de n’avoir rien fait pour les empêcher. Nous renvoyons, au surplus, le lecteur aux notices biographiques relatives à ces personnages, dans lesquelles nous nous sommes efforcé de faire à chacun sa part de responsabilité.

Nous avons rapporté qu’on attribuait l’horrible initiative au comité de surveillance de la commune, où figurait Marat, et nous avons cherché à établir dans quelle mesure cette accusation pouvait être fondée. Quant aux massacreurs proprement dits, à ceux qui trempèrent leurs mains dans le sang, il semble certain qu’ils n’étaient pas en très-grand nombre. Nous ne parlons ici que de ceux qui exécutaient, non de ceux qui excitaient, qui approuvaient ou qui assistaient aux tueries comme à un spectacle. On a fait la remarque qu’il se trouvait parmi les égorgeurs bon nombre de ces fédérés marseillais qui étaient depuis quelque temps à Paris et qui avaient combattu au 10 août. Cela est constaté par les relations des prisonniers qui ont échappé au massacre, notamment par l’abbé Sicard, par l’abbé Saurin, par Journiac-Saint-Méard, par le frère de Bertrand de Molleville, etc. Les trois derniers durent même leur salut à la connaissance qu’ils avaient du patois provençal.

Cependant, il y avait aussi, et probablement en majorité, des habitants de Paris et même des gens établis ; dans l’enquête qui fut faite plus tard, on voit figurer sur las listes des joailliers, des avocats, des bouchers, des fruitiers, etc.

Il faut dire que, du temps de la réaction, la meurtrière accusation de septembriseur était devenue fort banale ; on l’appliquait aux meilleurs patriotes, à tous ceux qui avaient manifesté des opinions républicaines un peu ardentes, et il est certain que la plupart de ceux qui en furent flétris ne la méritaient pas. Nous verrons encore Bonaparte, devenu premier consul, déporter les républicains en les classant pêle-mêle sous cette odieuse épithète, afin de les déshonorer en les sacrifiant. Terroriste ! septembriseur ! ces appellations étaient devenues les injures courantes par lesquelles le flot de la réaction montant toujours, on en arriva peu à peu à désigner indistinctement tous les républicains. Sous la Restauration, c’était tout à fait consacré. L’académicien Tissot fut lui-même victime de cette stupide accusation, comme nous le racontons dans la biographie de Mme de Lamballe. Quant aux vrais septembriseurs, la plupart restèrent inconnus et impunis. Nous donnerons ici quelques renseignements sur ceux qui sont signalés dans les documents historiques et judiciaires.

Dès les premières séances de la Convention, les girondins (qui d’ailleurs, eux non plus, n’avaient rien tenté pour empêcher le massacre) réclamèrent la punition des assassins de Septembre et parvinrent d’abord à faire diriger des poursuites contre ceux qui avaient imité en quelques villes de province les égorgements de Paris.

À Charleville, où le lieutenant-colonel d’artillerie Juchereau avait été tué, l’instruction judiciaire fut sans résultat, les assassins étant des fédérés de passage inconnus dans la ville.

À Couches, près d’Autun, le 17 janvier 1793, neuf individus furent condamnés à mort par contumace. Trois furent saisis, mais remis en liberté le 16 août ; l’un deux se nommait Antoine Forobert. En l’an III, reprise de la procédure : deux condamnations à mort.

À Reims, les poursuites aboutirent, également en l’an III, à la condamnation à mort de Leclère, porteur de journaux, et de Cenis-Sauris, brocanteur, et à la condamnation à six ans de fers du cordonnier Leblanc et du vitrier Tullien.

À Meaux (an IV), quatre condamnations à mort : Fr. Lombard, tisserand ; Denis Petit, fripier ; Pierre Robert, cordonnier ; P. Lemoine, dit Moreau, portefaix. Un autre portefaix, Adrien Leredde, vingt ans de fers.

Un de ceux auxquels on attribuait le massacre des prisonniers d’Orléans amenés à Versailles, le fameux Fournier l’Américain, arrêté, puis remis en liberté, puis poursuivi de nouveau en l’an IV et acquitté, fut condamné à la déportation par Bonaparte. Il échappa deux ans, fut arrêté en l’an XI, enfermé en diverses prisons et enfin envoyé à Cavenne, d’où il parvint à s’échapper.

Mais revenons aux septembriseurs de Paris.

À plusieurs reprises, les girondins demandèrent qu’ils fussent poursuivis, dans l’intérêt de la justice sans doute, mais comptant bien aussi envelopper dans ces poursuites quelques-uns de leurs ennemis. Mais la Convention, craignant de réveiller le souvenir de ces scènes terribles et d’ouvrir la porte à des représailles et des réactions sans fin, refusa de s’engager dans cette voie. Elle suspendit même les procédures commencées dans les départements et qui ne furent reprises que plus tard.

Ce ne fut que pendant la réaction thermidorienne que la question fut de nouveau posée. Le 4 messidor de l’an III, décret ordonnant des poursuites. Le tribunal criminel de Paris commence à instrumenter, recevant de toutes mains renseignements, pièces, dénonciations, etc., ce qui doit rendre fort circonspect, car il est probable que beaucoup de ces communications plus ou moins anonymes, en ce temps de furieuse réaction, devaient être entachées de haine et de mensonge.

L’amnistie du 4 brumaire an IV, rendue lors de la clôture de la Convention et de la mise en vigueur de la constitution nouvelle, suspendit encore une fois les poursuites.

Mais le tribunal criminel de Paris ne voulut pas se résigner à l’avortement de l’instruction commencée. Le 20 ventôse an IV (10 mars 1796), il vint en corps à la barre des Cinq-Cents réclamer l’autorisation de poursuivre de nouveau. Quelques jours après, l’Assemblée fit droit à cette demande par un décret.

Les enquêtes, les dénonciations, les instructions recommencèrent donc avec activité. Cette immense procédure est conservée au greffe criminel de la cour de Paris. Nous donnerons quelques-uns de ses résultats.

Affaire de l’Abbaye (le président du tribunal improvisé, Maillard, était mort), neuf accusés : P.-F. Damiens, vinaigrier ; Ant. Bourre, ex-garde-française, gendarme ; Jean Debèche, joaillier ; A.-V.-Séb. Godin, boucher, puis entrepreneur des transports militaires ; Fr. Maillet, ex-garde-française ; L.-Aug. Ledoux, savetier ; F.-Louis Mayeux, défenseur officieux ; And.-Nic. Lyon, limonadier ; P. Dubois, charron.

Deux condamnations seulement, Damiens et Bourre, à vingt ans de fers. Les sept autres acquittés, faute de preuves.

Massacre de la Force, 16 accusés : Ant.-Vict. Crappier, marchand de bas ; Fr.-Bap.-Joach. Bertrand, tambour-maître ; Fr. Lachève, serrurier ; Angélique Voyez, femme Nicolas, regrattière ; Cl.-Ant. Badol, gendarme ; Jacq. Laty, libraire et brocanteur ; P. Laval, marchand de tabac ; Siméon-Ch. Fr. Vallée, marchand de tableaux, puis secrétaire analyseur du comité de sûreté de la Convention ; Michel Marlet ; P.-Mart. Monneuse, marchand mercier, officiel municipal ; Jean Gonord, charron ; J.-Nic. Bernard, cordonnier ; Jean-Gratien-Alex. Petit-Mamin, rentier ; René Joly, lieutenant de l’armée révolutionnaire ; P. Chantrot, défenseur officieux ; P.-Nic. Régnier, gendarme.

Quelques-uns étaient accusés d’avoir fait les fonctions de juge, les autres d’avoir participé aux massacres. Quinze furent acquittés ; le seizième, Régnier, fut condamné à vingt ans de fers.

Enfin quatorze autres, accusés de faits semblables à l’occasion des égorgements de Saint-Firmin, de la Salpêtrière, de Bicêtre et des Carmes, furent tous acquittés, y compris Joachim Ceyrat, juge de paix, accusé faussement, puisqu’il fut prouvé qu’au moment du massacre des Carmes il présidait l’assemblée de sa section, dans l’église Saint-Sulpice ;

Ainsi, cette énorme procédure avait abouti au total à trois condamnations, soit que le jury voulût ensevelir ces sanglants souvenirs dans l’oubli, soit qu’on manquât de preuves, soit que la plupart des inculpés eussent, en effet, été accusés faussement. Ce qu’il y a de certain, c’est que beaucoup des égorgeurs (comme les fédérés du Midi, par exemple) avaient disparu, dispersés par les événements. Il est à croire aussi que d’autres s’étaient mis à l’abri des poursuites.

Parmi les assassins de la Force, les documents signalent encore : le tambour Charlat, qui aurait porté le premier coup à Mme de Lamballe et qui partit ensuite pour l’armée, où ses camarades, pénétrés d’horreur, le tuèrent ; le boucher Grison et le nègre Delorme. On sait d’ailleurs combien d’hommes furent dans la suite accusés d’avoir participé au meurtre de Mme de Lamballe ou porté sa tête ; cela devint une véritable légende dans les quartiers de Paris. Outre Tissot, de l’Académie française, on désignait encore un marbrier de la rue des Postes, un libraire-éditeur du Palais-Royal nommé Vente, un certain Sainte-Agathe, enfin le rôtisseur et marchand de volailles Biennais, devenu fournisseur de Napoléon. Ce dernier, accusé sous la Restauration par le pamphlétaire royaliste Barruel-Beauvert, le fit condamner comme calomniateur. Mais, toujours poursuivi par les mêmes allégations (probablement mensongères), le malheureux finit par se tuer de désespoir. Sa fille était encore, en 1870, marchande de poisson dans les marchés de Paris, et, chose qui montre la ténacité des traditions populaires, vraies ou fausses, on se racontait encore à l’oreille cette légende d’un autre âge, que son père avait porté au bout d’une pique la tête de la princesse de Lamballe.

Pour terminer, nous rappellerons les mesures qui furent prises par le premier consul à l’occasion de la machine infernale que des chouans avaient fait éclater sur son passage dans la rue Saint-Nicaise. Fouché affirma catégoriquement que le coup venait des royalistes. Mais Bonaparte saisit l’occasion pour proscrire une nouvelle fournée de républicains. Il fit rendre un sénatus-consulte autorisant son gouvernement à prendre, contre tous les individus qu’il lui plairait de désigner, une mesure de haute police extraordinaire. Ce sénatus-consulte fut rendu le 15 nivôse an IX (5 janvier 1801) ; il condamnait sommairement à la déportation cent trente citoyens qui, presque tous, avaient marqué dans la Révolution, et la plupart d’une manière honorable, en les flétrissant de l’épithète calomnieuse de septembriseurs. Parmi eux figuraient l’ex-général Rossignol, les anciens juges Villain d’Aubigny et Pépin Desgrouettes, le juge de paix Joachim Ceyrat ; André Corchand, commissaire du pouvoir exécutif ; Leroy, dit Eglator, instituteur et conseiller municipal ; d’autres anciens membres de la commune de Paris, le limonadier Chrétien, Fournier, dit l’Américain, Monneuse, René Joly, Petit-Mamin, etc.

Parmi les déportés, il y avait d’anciens acquittés de floréal an IV, et quelques-uns peut-être qui avaient réellement trempé dans les journées de Septembre ; mais il était de la dernière évidence que, pour la grande majorité, l’accusation était fausse de parti pris. C’était la vendetta napoléonienne qui se poursuivait contre les républicains avec autant de froide cruauté que de mauvaise foi.

Les victimes furent déportées aux îles Séchelles, dans la mer des Indes ; quelques autres à Cayenne. Presque tous périrent de misère ou de fièvres pestilentielles.