Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/phallus s. m.

Administration du grand dictionnaire universel (12, part. 2p. 751-752).

PHALLUS s. m. (fal-luss — mot lat. provenu du gr. phallos, phalès, qui signifiait sans doute primitivement dard, comme kontos, latin contus, qui s’emploie aussi dans l’acception de pénis. Le grec phallus, phalês, en effet, représente exactement le sanscrit bhalta, bhalti, espèce de flèche, de la racine bhali, frapper, tuer. Dans un langage grossier, ou emploie aussi quelquefois le mot dard pour désigner le pénis). Antiq, Représentation du membre viril, que l’on portait dans les fêtes d’Osiris, dans celles de Bacchus, etc. : Le phallus était l’emblème du principe générateur. (Acad.) Séisostris fit ériger des PHALLUS partoutil pénétra. (B. Const.)

— Par ext. Membre viril.

— Fig. Homme sensuel, matériel : Néron peut être amoureux, Mahomet, non : Néron, c’est un phallus ; Mahomet, c’est un cerveau. (V. Hugo.).

— Bot. Genre de champignons, type de la famille des phalloïdées, dont l’espèce type habite l’Europe centrale : Peu de temps après son évolution, te phallus impudicusse désorganise. (Léveillé.)

Encycl. Hist. relig. L’adoration du phallus est commune à tous les cultes primitifs. Les vieilles civilisations égyptienne, phénicienne, judaïque, assyrienne, incloue nous ont laissé des traces non équivoques de leur commune vénération pour ce simulacre, qui’eut sa place dans les cérémonies religieuses de la Grèce et de Rome, et dont le souvenir sacré n’est pas encore effacé dans l’Inde. Avant de passer rapidement en revue les différentes phases du culte phallique, il n’est pas inutile de faire remarquer que, dans ces différents milieux, le phallus fut longtemps un symbole auguste, vraiment religieux et saint, et que les obscénités qu’a pu grouper autour de lui. la vieillesse des peuples ne peuvent être imputées à son origine et à son symbolisme primitif. On n’explique pas mieux ht formation des cultes par les instincts déréglés des peuples que par le fanatisme des prêtres. Ces systèmes, ingénieux au xviip-" siècle, sont aujourd’hui puérils.

Quelle est la plus ancienne manifestation du phallus comme symbole religieux ? Question qu’il est impossible de résoudre, mais qui perd de son importance quand on songe qu’une simultanéité, indépendante de toute influence, a dû fournir le même symbole pour exprimer la même idée physique. L’Égypte nous offre jusqu’ici les plus antiques monuments du culte phallique ; c’est donc par l’Egypte que nous allons commencer.

Égypte. Dans cette terre des mythes, le phallus était placé dans les temples ; cette image rappelait le membre viril du taureau, d’Apis, et non celui de l’homme. Hérodote précise le rôle que jouait alors le phallus. « Les Égyptiens, dit le père de l’histoire, célèbrent la fête de Bacchus (Osiris) à peu près de la même manière que les Grecs ; mais, au lieu de phallus, ils ont inventé des figures d’environ une coudée de haut, qu’on fait mouvoir par le moyen d’une corde. Les femmes portent, dans les bourgs et les villages, ces figures, dont le membre viril n’est guère moins grand que 1b reste du corps et qu’elles font remuer. Un joueur de flûte marche à la tête. Elles le suivent en chantant. » Remarquons que le phallus était porté en triomphe lors des fêtes d’Osiris, divinité solaire, et que, dans ce cas, ce symbole exprimait la puissance fécondante de l’astre bienfaisant sans lequel la vie n’existerait pas. Au reste, Plutarque, après avoir indiqué qu’Osiris était figuré avec trois phallus, donne la raison de cette représentation :« Ce dieu est le principe de la génération, et tout principe, par sa faculté productive, multiplie tout ce qui sort de lui. ' Le phallus conservait son caractère hiératique et sacré dans les cérémonies privées. Vivant Denon raconte qu’un phallus de proportion plus qu’humaine et qui devait provenir d’un taureau avait été embaumé et placé dans la sépulture d’une femme, où on l’a trouvé posé sur la partie correspondante de cette momie féminine. La légende d’Osiris et de Typhon, dont le mythe recouvre des vérités physiques et des vérités morales, se rattache par tout un côté à la religion phallique. Cette religion dura jusqu’au ive siècle de l’ère moderne ; quand, en 389, l’évêque


Théophile détruisit par la violence, au nom du nouveau Dieu, les monuments de la sagesse égyptienne, les représentations phalliques se réfugièrent dans la profondeur des puits, dans l’ombre des nécropoles, et l’historien Socrate déclare, plusieurs siècles après, avoir vu avec horreur « des figures infâmes » dans les souterrains du temple de Bacchus.

Palestine. Les Hébreux empruntèrent aux Égyptiens le dieu générateur Apis et le culte du phallus. Us lui donnèrent une assez grande extension, puisque la mère du roi en était la prêtresse ; que Aza les dépouilla de cette divinité, brisa les simulacres offerts à l’adoration des fidèles et brûla les ustensiles du culte dans le lit desséché du Cédron. Ezéchiel reproche à son tour au peuple infidèle les mêmes erreurs : « Vous avez pris des objets de parure, des vases d’or et d’argent qui m’appartenaient, et vous en avez fait des images viriles, et vous avez forniqué avec ces images. » Le phallus hébraïque Mipheletzeth fut, pendant neuf cents ans, le rival souvent victorieux de Jéhovah.

Syrie, Phénicie, etc. Lucien, dans le traité de la Déesse syrienne, mentionne l’existence, devant le temple d’Hiérapolis, de deux phallus de dimensions colossales, portant cette inscription : « Bacchus (Osiris) a élevé ces phallus à Junon (Isis), sa belle-è)mère. » Tous les ans, durant sept jours et sept nuits, un prêtre se tenait, priant, au sommet de l’un de ces phallus. En Phénicie, ce simulacre était également en honneur ; là, il avait un caractère solaire évident. Le mythe d’Adonis, dont les parties génératrices sont tranchées par la dent d’un sanglier, est la plus complète et la plus claire manifestation de cette idée physique. Le bel Adonis, que les filles de Sidon pleurèrent ensuite avec des préoccupations de plus en plus étrangères a l’astronomie, guéri de sa blessure, consacra le phallus, image de la partie blessée ; et c’était une grande joie a Byblos que la résurrection du dieu Soleil, le retour de toute la nature à la virilité, que l’hiver avait éteinte. La Phrygie offre également le mythe d’un dieu solaire et phallique, Atis. En Assyrie comme en Phénicie, le phallus figurait dans les mystères et dans les pompes religieuses. Alexandre Polyhistor, en parlant du temple de Bèlus, à Babylone. et des idoles variées et monstrueuses qui s’y trouvaient, dit qu’une de ces idoles avait deux têtes, l’une appartenant à l’homme et l’autre à la femme, ainsi que les parties de la génération des deux sexes. » Les membres destinés à la gènération, dit le géographe Ptolémèe, sont sacrés chez les peuples de l’Assyrie et de la Perse parce qu’ils sont les symboles du Soleil, de Saturne et de Vénus, planètes qui président à la fécondité. > La réunion des deux simulacres masculin et féminin se retrouve aussi dans l’Inde ; le symbolisme du Lingam consiste surtout en des représentations androgynes et panthéistiques, homme et femme, terre et ciel, soleil et lune. Les lingams de l’Inde offrent toute une série phallique indépendante et que nous avons étudiée à part. V. lingam.

Amérique. Le phallus d’Amérique ne nous présente pas une filiation apparente avec les phallus antiques ; ce symbole, d’aiîleurs, est trop simple et trop naturel pour que nous refusions à aucun peuple de l’avoir imaginé sans influence extérieure. Quoi qu’il en soit, à Tiascalla, ville du Mexique, on révérait l’acte de la génération sous les symboles réunis des parties caractéristiques des deux sexes. La mythologie mexicaine reconnaissait Tuzolteuti pour dieu de la luxure. Enfin, dit Dulaure, « lorsqu’on fit la découverte du Mexique, on trouva, dans la ville de Panuco, le culte particulier du phallus bien établi ; sa figure était adorée dans les temples. » Les naturels de Taïu avaient la même religion ; on a trouvé un de leurs phallus. « Il est représenté, dit Moreuu de Saint-Méri, dans une grandeur naturelle ; la forme en est régulière ; le gland est perforé ; il est aplati à sa buse pour recevoir une forme de charnière, » La plupart des phallus taïtiens sont des ex-voto ou des amulettes.

Grèce. Le phallus n’eut pas tout d’abord, chez les Grecs, l’importance religieuse qu’il avait depuis longtemps dans les croyances asiatiques. La première période du polythéisme grec, la plus pure, la plus exempte de mélange étranger, ne présente aucun exemple du culte du phallus. Le mythe seul de Saturne présente les parties génitales comme emblème religieux ou plutôt physique. Mais à la seconde époque, lors de l’invasion des dieux syriens, le phallus s’introduisit avec eux dans les cérémonies helléniques ; un dieu étranger, un dieu nouveau, l’Asiatique Bacchos ou Dionysos, divinité solaire et génératrice, associa à ses pompes les emblèmes phalliques, et, comme il parut a une époque de décadence, le phallus ne fut pas salué sur la terre hellenique par des hommages toujours intelligents. À cette époque, Melampos institua les phallophories ou processions phalliques, dans lesquelles on portait triomphalement, comme en Égypte, l’emblème de la génération. Au commencement, si l’on en croit Plutarque, ces fêtes ne présentèrent point le luxe et la licence qui y éclatèrent plus tard. « Rien n’était plus simple et plus gui à la fois, dit-il dans son traité de l’Amour des richesses. Deux hommes marchaient à la tête du cortège : l’un portait une outre de vin et l’autre un cep de vigne ; le troisième traînait un bouc ; un quatrième portait un panier de ligues, et la marche était fermée par une figure de phallus. Aujourd’hui, ajoute-t-il, cette heureuse simplicité est négligée ; on la fait même disparaître sous un vain appareil de vases d’or et d’argent, d’habits superbes, de chevaux attelés à des chars et de déguisements bizarres. « D’abord s’avançaient des bacchantes portant des vases pleins d’eau, nuis des canéphores portant des corbeilles d’or, où s’enroulaient des serpents apprivoisés et qui contenaient une foule de choses mystiques : le sésame, le sel, symbole de la sagesse, la férule, le lierre, les pavots et des gâteaux de forme obscène. Après les canéphores venaient les phallophores, troupe d’hommes masqués avec des feuilles de lierre, d’acamba et de serpolet, la tête ceinte d’une couronne de lierre et couverts de l’amict et de la robe augurale ; chacun d’eux tenait en main un long bâton d’où pendait un phallus. Cette première partie du cortège s’appelait phallophorie, phallogogie ou periphallie. Là ne s’arrêtait point la procession. Les phallophores étaient suivis d’un chœur de musiciens qui, au son des instruments, chantaient des hymnes en l’honneur du phallus, poussant par intervalle le cri sacré d’Euoi Bacchè ! Io Baeehè ! Les ithyphalles venaient ensuite, vêtus de robes de femme, les mains couvertes de gants sur lesquels des fleurs étaient peintes, la tête couronnée et contrefaisant les ivrognes, sous une tunique blanche, et l’amict tarentin à demi ouvert. Il chantaient également des chants phalliques et poussaient le cri : Eithé mê ithyphallê ! A leur suite étaient portés divers objets sacrés, parmi lesquels figurait le vase mystique. Des bacchantes et des satyres suivaient cette procession : les unes, presque nues sous la peau de tigre passée en écharpe, agitant des torches ou des thyrses, échevelées et furieuses, menaçant de leurs thyrses les spectateurs et hurlant : Euoï ! ou agitant, dans la danse dite phallique, leurs corps lascifs en mouvements impétueux et obscènes ; les autres, les satyres, traînant des boucs aux cornes enguirlandées de fleurs et destinés aux sacrifices, et, au milieu d’eux, Silène vacillant sur son âne. On comprend a quelles scènes lubriques devait donner lieu une semblable procession, et nous ne traduirons pas en français les paroles dans lesquelles le médecin Areteus désigne ce que les satyres regardaient comme le signe le plus évident de la faveur du dieu. Quelques satyres étaient vêtus d’une façon particulière ; les monuments antiques nous les montrent portant un masque, les jambes couvertes d’une peau de bouc et armés d’un phallus artificiel simulé dans un état indécent. Bien qu’il faille se défier du témoignage des Pères de l’Église, il est facile d’admettre comme eux que toutes sortes d’obscénités étaient commises par les satyres et les bacchantes. La procession était suivie de jeux qui n’étaient pas moins excitants : on disposait des outres gonflées par-dessus lesquelles sautaient nus les jeunes gens ; ils devaient aussi courir, les yeux bandés, parmi des phallus suspendus à des colonnes, à des arbres, et celui qui se heurtait contre un de ces phallus regardait l’accident comme un heureux augure.

Dès qu’ils eurent adopté le culte phallique, les Athéniens y persévérèrent avec ferveur et l’introduisirent dans les cérémonies consacrées aux autres divinités que Bacchus. Le phallus apparaît alors dans les fêtes d’Aphrodite et de Déméter. Dans le culte d’Aphrodite, il était associé au mullos féminin, et aux initiés de Vénus ; à Chypre, on donnait un phallus et une poignée de sel. On voit encore figurer un phallus de verre, qui servait en même temps de vase à boire, dans les orgies des baptes, sorte de secte mystique fondée en l’honneur de Vénus Cotylo ou Vénus populaire, dont les mystères étaient célébrés de nuit en Thrace, à Athènes, à Corinthe et dans l’Ile de Chio.

Comme symbole de la fécondité, on l’associa naturellement aux mystères de Démêter. TertuUien dit à ce propos, dans son livre contre les valentiniens : « Tout ce que ces mystères d’Eleusis ont de plus saint, ce qui est caché avec le plus de soin, ce qu’on est admis à ne connaître que fort tard et ce que les ministres du culte, nommés epoptes, font si ardemment désirer, c’est le simulacre du membre viril. » Il y a là de la mauvaise foi ou tout au moins de l’ignorance. Croire que le but des mystères d’Eleusis était de voir un phallus quelconque, ce qui n’avait rien de bien mystérieux dans un temps où les phailophories en exhibaient en public un si grand nombre, c’est être bien loin de la vérité ; Tertullien eût pu dire que l’initiation avait pour but d’expliquer aux novices le sens du symbole phallique. Dans les thesmophories, célébrées en l’honneur de Cérès, ou voyait une troupe de femmes, suivies chacune d’une servante portant une corbeille où se trouvait le gâteau consacré à Cérès ou à Proserpine, entourant proeessionnellement un ithyphalle porté au bout d’une perche. Là encore, le symbole féminin était associé au symbole masculin, et l’on en donnait la raison aux initiés dans une légende bizarre : on disait que Cérès, cherchant sa fille, était arrivée


à Eleusis ; là, se trouvant fatiguée, elle demanda l’hospitalité à une femme nommée Baubo qui, pour rafraîchir la déesse, lui offrit la boisson mystérieuse nommée cycéon. La déesse, trop triste, refusa ; mais la vieille femme imagina de la faire rire en lui montrant inopinément ce que la pudeur ordonne de tenir caché. Ce moyen réussit ; la déesse se mit à rire et mangea ; elle voulut, en conséquence, que le mullos figurât dans son culte. Telle est l’histoire racontée par Clément d’Alexandrie et Arnobe.

Le phallus était aussi consacré à Apollon et figurait dans les fêtes dédiées à ce dieu, qui, se célébrant le 6 du mois targilion (mois de mai), s’appelaient targilies. Il signifiait là encore la fécondité, ou plutôt la virilité et la force, que les bienfaits du soleil entretiennent dans la nature. Il était porté par des jeunes gens et était suspendu à des branches d’olivier avec des légumes et des pains.

Rome. La mythologie romaine est un panthéon de toutes les croyances antiques ; tous les phallus asiatiques et grecs s’y donnèrent rendez-vous. Ce fut sous la secondé guerre punique que les livres sibyllins conseillèrent aux Romains l’adoption du culte phrygien da la Magna Mater du mont Ida ; à cette époque, déjà, la légende était ancienne et populaire chez les Romains, qui croyaient se rattacher par Enée aux peuples de la phrygie. Ils adoptèrent facilement un culte qui amena chez eux toutes les autres superstitions orientales. Asdrubal venait d’être battu à Métaure (207 av. J.-J.), et les oracles prédisaient une victoire complète aux Romains si la Mater Idæa, avec son cortège mystique, entrait dans Rome. La translation de la déesse de Pessinonte fut le premier pas fait vers l’Asie par la religion romaine. Bientôt après, Rome subit l’influence de la civilisation hellénique, et tous les vieux cultes païens dont l’Orient était rempli débordèrent sur le monde romain. Le phallus fut d’abord rattaché au culte de Bacchus. « La partie sexuelle de l’homme, dit saint Augustin, est consacrée dans le temple de Liber ; celle de la femme, dans les sanctuaires de Libéra, même déesse que Vénus, et ces deux divinités sont nommées le Père et la Mère parce qu’elles président à l’acte de la génération. » Les libérales, bacchanales romaines, avaient lieu à peu près à la même époque que les phallophories en Grèce et les fêtes d’Osiris en Égypte, au commencement du printemps. Ce culte se manifestait aussi par des fêtes agricoles. On promenait le phallus à travers les champs. À Lavinium, selon Varron, cité par saint Augustin, les fêtes ne duraient pas moins d’un mots. On y chantait des chansons obscènes, et l’on voyait s’avancer jusqu’au milieu de la place publique un char qui portait un énorme phallus sur lequel les mères de famille venaient déposer des guirlandes et des couronnes. Aux fêtes de Vénus, les dames romaines allaient adorer le phallus dans un sanctuaire qui lui était consacré sur le mont Quirinal, et, de là, elles transportaient en grande pompe ce simulacre obscène jusqu’au temple de Vénus Erynné, situé près de ia porte Colline ; elles lui faisaient toucher la statue de la déesse et le reconduisaient à son sanctuaire avec la même pompe.

Le phallus servait aussi d’amulette et passait pour détruire l’ensorcellement, le mauvais œil ; on l’appelait alors fascinium. Les dames romaines en portaient des colliers, et il en a été trouvé de grandes quantités k Pompéi et Herculanum ; on en a trouvé également en métal et en pâte de toutes les couleurs dans les tombeaux égyptiens. Les Romains fabriquaient des verres à boire en forme de phallus ; c’est à ce singulier ustensile que fait allusion Juvénal (satire II) :

Vitreo bibil Me Priapo.

Le culte phallique persévéra en Grèce, k Rome, en Égypte, en Orient au moins jusqu’au ive siècle, ainsi qu’en témoigne la réprobation dont le frappèrent les Pères de l’Église. On voit la superstition des amulettes priapiques durer bien au delà et jusqu’à nos jours en Italie, quoique l’Église ait anathématisé le fasciatum au ixe siècle, défense renouvelée par les statuts synodaux du Mans en 1547 et par ceux de Tours en 1396. ■ L’usage, dit Dulaure, de placer des phallus à l’extérieur des édifices publics, afin de les préserver de maléfices, est constaté par plusieurs monuments existants ; on en voyait sur les bâtiments publics des anciens. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que les chrétiens, dirigés par leurs vieilles superstitions, en ont placé même sur leurs églises. ■ Des pains phalliques étaient bénis par le clergé. Toute l’Italie catholique continua de croire à l’influence du phallus pendu au cou des enfants, et cet emblème a plus que tous les autres le droit de revendiquer l’universalité.

— Bot. Les phallus, par leur forme générale, ressemblent beaucoup aux morilles ; mais ils s’en distinguent par un volva ou coiffe membraneuse, qui les enveloppe dans le jeune âge, se déchire ensuite au sommet, pour livrer passage k la plante, et reste adhérente en forme de collier à la base du pédicule ; leur réceptacle ou chapeau est conique ou campanule, percé, libre dans toute son étendue, adhérent seulement au sommet du pédicule ; sa face externe est creusée d’alvéoles polygonaux, remplis par une masse charnue qui renferme les spores et se résout


tard en une liqueur noirâtre. Ces champignons ont souvent le chapeau percé au sommet. « Quand le phallus, dit Bulliard, est arrivé à un certain moment, la volve est tendue, résistante, élastique, et se rompt k sa partie supérieure. Elle se crève toujours avec un certain effort, et quelquefois avec une explosion presque aussi forte qu’un coup de pistolet. Il arrive même que, si on a mis ce champignon dans un vase de terre ou de faïence, dont il remplisse toute la capacité et au fond duquel il y ait un peu d eau, il brise ce vase quand la volve se crève. Ceci se remarque principalement quand l’air atmosphérique est en même temps chaud et sec. »

Peu de temps après que ce champignon est arrivé à son entier développement, il se désorganise, en répandant une odeur infecte et cadavéreuse qui le décèle k de grandes distances, quand on est sous le vent ; alors il est envahi par les mouches et autres insectes qui se nourrissent d’animaux morts ; si le temps est humide et pluvieux, les insectes sont moins nombreux, et une partie du chapeau se résout en déliquium.

L’espèce la plus commune de ce genre est le phallus ou satyre impudique, ainsi nommé k cause de sa forme caractéristique, et qu’on appelle aussi quelquefois, par euphémisme ou par bienséance, morille fétide. Il est assez répandu dans les bois, vers la fin de l’été et au commencement de l’automne, et, pour peu qu’il soit abondant, son odeur est insupportable, t Soumis k l’analyse, dit M. Léveillé, le phallus a fourni k Braconnot de l’eau, une huile épaisse, de la cétine, du sucre de champignon, de la fongine, du mucus, de l’albumine, une matière animale, de l’acide acétique, de l’acétate d’ammoniaque et du phosphate de potasse. Pleischel dit que le mucilage de la volve se comporte comme un acide avec le papier de tournesol ; qu’il le rougit et possède presque toutes les propriétés de la bassorine ; que le pédicule est formé en grande partie par de la fongine, et que, dans le latex, il existe du sucre de champignon. On pourrait, d’après Krombholtz, le manger quand il est encore renfermé dans sa volve ; son goût et son odeur alors n’ayant rien de désagréable, il doit être très-nourrissant, parce qu’il contient de la fongine et de la bassorine en grande quantité. Pourtant Krombholtz n’en a pris une tranche, à l’état cru et jeune, qu’avec la plus grande répugnance, et il n’a pu en goûter préparé en sauce, comme le ceps. Malgré cela, rien ne prouve qu’il soit vénéneux, puisqu’il a fait prendre le latex en décomposition à des serins, à des tortues, à un chien, et même k un jeune homme bien portant, sans qu’il soit survenu le plus léger accident. »

L’ancienne médecine attribuait au phallus quelques propriétés spéciales ; on l’administrait, en poudre ou en infusion dans du vin, comme aphrodisiaque et prolifique ; on le recommandait aussi contre les affections goûtteuses ; maintenant il n’est plus employé. Toutefois, dans certains pays, on croit encore, sans doute à cause de sa forme, qu’il pourrait être utile pour la fécondation des animaux ; aussi le récolte-t-on avec soin avant sa maturité ; on le fait sécher en plein air ou à la fumée ; puis on le réduit en poudre, qu’on fait infuser dans une liqueur spiritueuse, pour en donner une certaine dose aux animaux dont on veut multiplier la race.

Le phallus d’Hadrien a été confondu par les anciens naturalistes avec l’espèce précédente, qui est beaucoup plus commune ; il croît surtout en Hollande ; mais on l’a trouvé aussi en France, aux environs de Blois. Hadrianus Junius, qui l’a découvert, en fait un éloge pompeux ; il le regarde comme une merveille de la nature, Clusius dit qu’il en avait reçu plusieurs à Amsterdam, et qu’il ne pouvait pas les serrer dans sa main sans éprouver une sorte d’engourdissement. A cette époque, on regardait la liqueur noirâtre produite par ce ehampignon comme un excellent remède contre la goutte.

Le phallus mokusin a le pédicule couleur de chair, le chapeau rouge et un peu anguleux. Il croit en Chine, sur les racines et les feuilles décomposées du mûrier. D’après le Père Cibot, ce champignon acquiert tout son développement en douze heures, après quoi il se décompose en répandant une odeur désagréable. Les Chinois le mangent lorsqu’il n est pas encore attaqué par les insectes ; ils l’emploient aussi en médecine contre les ulcères cancéreux.

Le phallus à réseau ferait une exception à la règle, s’il est vrai que son odeur soit vive et agréable.