Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/muguet

1874 (Tome 11, part. 2, pp. 670–672).
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  1. Substantif
  2. Adjectif

MUGUET s. m. (mu-ghè — dimin. de l’ancien français muge, qui s’est dit pour musc ou muguet. Le muguet a été ainsi nommé parce qu’il porte des fleurs d’une odeur légèrement musquée. Muguet, d’ailleurs, a signifié musqué, et noix muguette s’est dit pour noix muscade). Bot. Genre de plantes, de la famille des asparaginées : Connaissez-vous rien de plus charmant que les blancs et gentils grelots du mugubt de mai ? (Lecoq.)

J’aime à sentir au bois les muguets et le thym.

Th. de Banville.

Muguet reine des bois, Aspérule odorante.

Muguet du Japon, Ophiopogon du Japon.

— Fam. Homme élégant, affecté dans sa toilette et qui fait le galant auprès des dames : Vous autres, messieurs les damoiseaux et muguets, êtes pour tout sujet occupés à faire l’amour à vos dames. (Pasq.)

Tiens, voilà des muguets qui se raillent de toi.

V. Hugo.

Il la retrouve en bonne compagnie,
Dansant, sautant, menant joyeuse vie,
Et des muguets avec elle à foison.

La Fontaine.

Ah ! maintenant plus d’une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L’oreille au guet.

A. de Musset.

— Pathol. Maladie caractérisée par la sécrétion d’une fausse membrane, déterminée par l’inflammation générale ou partielle de la muqueuse des voies digestives.

— Art. vétér. Chancre qui se développe, dans la bouche des agneaux.

— Encycl. Bot. Les muguets sont des plantes herbacées, vivaces, à souche rampante, à feuilles lancéolées ovales, peu nombreuses, souvent réduites à deux, toutes radicales, sessiles, du milieu desquelles s’élève une hampe simple, portant des fleurs en grappe ; ces fleurs présentent un périanthe globuleux, urcéolé ou campanule, à six dents réfléchies en dehors ; six étamines insérées à la base du périanthe ; un ovaire à trois loges biovulées, surmonté d’un style simple, terminé par un stigmate à trois angles obtus. Le fruit est une baie globuleuse, à trois loges. Les espèces de ce genre sont peu nombreuses.

Le muguet commun, appelé aussi muguet, de mai, lis des vallées, et simplement muguet, est une plante basse, à fleurs blanches, odorantes, auxquelles succèdent des baies rouges. Il est très-répandu en Europe, et se trouve dans les bois, les vallées ombragées, où il fleurit au printemps. On le cultive dans les jardins, surtout dans les jardins paysagers bien accidentés, où il est facile de trouver des situations qui lui conviennent ; il n’en est pas de même dans les parterres, ou il faut le placer dans une plate-bande contre un mur exposé au nord, parce qu’il aime les lieux frais et ombragés. Il n’est pas difficile sur le sol, et ne redoute guère que les terres argileuses à l’excès. On le multiplie aisément en divisant ses rhizomes, récoltés dans les bois, et en les replantant au commencement de l’automne. On pourrait aussi le propager par graines ; mais celles-ci sont rares, et les sujets ainsi obtenus ne fleurissent qu’au bout de trois ou quatre ans. Toutefois, ce dernier procédé est le seul employé pour obtenir de nouvelles variétés ; parmi celles-ci, on remarque surtout les muguets à fleurs doubles et à fleurs roses. Cette espèce est très-recherchée comme plante d’agrément ; dans la saison, on les vend sur les marchés, par grosses bottes ; les promeneurs ne manquent pas d’en cueillir des bouquets dans les bois ; il a été un temps où cette fleur rivalisait, chez les amateurs, avec la rose et l’œillet.

Le muguet a une odeur suave, pénétrante, un peu musquée, assez forte pour produire des accidents quand il y a beaucoup de ces fleurs dans une chambre fermée. Toutes les parties de cette plante ont une saveur acre, amère et nauséeuse. Ses fleurs sont employées en médecine. On les récolte pour cela au printemps, au moment où elles s’épanouissent. Séchées rapidement au soleil et renfermées en un lieu sec, elles perdent leur odeur, mais conservent leur saveur. Elles ont été vantées comme céphaliques, antispasmodiques, purgatives et vomitives ; on les a conseillées comme un succédané de la scammonée ; on les a employées aussi, mêlées avec du miel, contre les fièvres d’automne ; mais elles ont l’inconvénient de produire des coliques plus ou moins fortes. Ces fleurs séchées et pulvérisées fournissent une poudre sternutatoire très-énergique, qu’on administre contre les grandes douleurs de tête, les migraines, les fluxions chroniques des yeux et des oreilles, les vertiges qui suivent la suppression du mucus nasal, les mouvements convulsifs, etc. Mélangées avec la marjolaine, les feuilles de bétoine et l’arum, elles forment la poudre dite de Saint-Ange.

L’infusion des fleurs de muguet dans l’eau ou l’alcool passe encore pour un très-bon cordial ; on l’emploie contre les affections nerveuses, comateuses, les vertiges, l’apoplexie, l’épilepsie, la paralysie, les convulsions, etc. L’eau distillée jouissait autrefois, sous le nom d’aqua aurea (eau d’or), d’une réputation merveilleuse ; on lui attribuait la propriété de ranimer les forces vitales. « En quelques endroits de l’Allemagne, dit V. de Bomare, on mêle des fleurs de muguet, qu’on a desséchées pendant l’été, avec le raisin, et on en prépare un vin dont on se sert pour toutes les maladies auxquelles l’eau et l’esprit de ces fleurs sont propres.» L’extrait alcoolique que l’on obtient de ces fleurs a une saveur amère et possède des propriétés purgatives ; on l’a indiqué comme pouvant fournir un bon succédané de l’aloès.

En agriculture, le muguet, bien qu’il abonde parfois dans les pâturages, n’a qu’une médiocre, importance ; ses feuilles sont broutées par les chèvres, les moutons et surtout par les chevaux. Macérées avec de la chaux, elles donnent une belle couleur verte, assez solide pour être employée dans les arts. Leur extrait passe pour un excellent sudorifique. Les fleurs sont quelquefois employées dans la parfumerie ; elles communiquent leur odeur à l’huile dans laquelle on les fait infuser. Les baies ont été vantées, en médecine, comme vermifuges et contre l’épilepsie et les fièvres intermittentes. Le rhizome n’a pas été utilisé jusqu’à présent ; il est probable qu’il possède des propriétés analogues à celles du polygonatum (sceau de Salomon). Cette dernière plante et quelques espèces voisines avaient été primitivement rangées parmi les muguets, auxquels elles ressemblent par leurs fleurs, tout en présentant des caractères distinctifs suffisants pour en faire un genre à part.

— Pathol. Si l’inflammation des voies digestives existe seule, elle constitue une stomatite, une angine ou une gastro-entérite, etc.; mais lorsqu’il s’y ajoute un élément pseudo-membraneux-crémeux, elle prend un autre nom, celui de muguet ; nous ajoutons la qualification de crémeux, car toute espèce de phlegmasie pseudo-membraneuse de la muqueuse digestive n’est point le muguet.

Quoiqu’on ait pu observer quelques malades chez lesquels le muguet occupait la muqueuse digestive dans la plus grande partie de son étendue, il est reconnu qu’il est souvent limité à une seule région du canal alimentaire, surtout à la bouche. Dans cette cavité, il affecte de préférence la langue, la face interne des joues et la voûte palatine, rarement le voile du palais et les gencives. Toutes ces parties peuvent être simultanément ou isolément le siège de l’exsudation plastique. Celle-ci est plus rare dans le pharynx ; cependant, dans les cas graves, elle s’y montre assez fréquemment sur les côtés de l’épiglotte et quelquefois sur la paroi postérieurs du pharynx. Quels que soient son siégé et son étendue dans ce conduit, elle cesse toujours à l’ouverture postérieure des fosses nasales. D’un autre côté, elle ne pénètre jamais dans la cavité du larynx et des conduits aérifères. M. Lélut, il est vrai, a vu quelques grains pseudo-membraneux au bord libre de l’épiglotte et à l’ouverture supérieure du larynx ; mais au delà de la glotte, où cesse tout à fait l’épithélium de la muqueuse aérienne, on n’a jamais constaté la présence d’un véritable muguet. Celui-ci, au contraire, pénètre souvent dans l’œsophage, qu’il occupe en totalité ou en partie. On observe même des cas dans lesquels il siége exclusivement dans ce conduit. À l’ouverture cardiaque de l’œsophage s’arrête l’épithélium de la portion supérieure du canal digestif ; cependant ce changement de structure ne rend pas impossible la production du muguet. dans l’estomac et l’intestin ; seulement, il est plus rare. Quelques auteurs, M. Véron entre autres, ont nié sa présence dans le gros intestin ; mais une observation rapportée par Valleix et une autre analogue de Billard ont mis le fait hors de doute.

La production plastique débute ordinairement sous la forme de petits grains demi-transparents, qui deviennent rapidement blancs ou opaques, du volume d’une tête d’épingle, produisant un relief peu prononcé à la surface de la muqueuse. Les grains s’étendent peu à peu, se réunissent à ceux du voisinage et finissent par former des plaques plus ou moins étendues. La plaque ainsi constituée par la réunion des grains, offre une surface inégale et comme chagrinée. Lorsque, une plaque de muguet s’étant détachée, l’exsudation plastique se renouvelle non plus par points isolés, mais à la fois sur toute la surface malade, elle prend l’aspect uni des fausses membranes ordinaires. Cet aspect est encore plus marqué si à une seconde éruption en succède une troisième, puis une quatrième, et ainsi de suite. Quand la plaque ne se détache pas de bonne heure, elle devient de plus en plus épaisse, à mesure que de nouvelles couches de matière plastique s’y ajoutent ; cette épaisseur va quelquefois jusqu’à 0m,002 ou 0m,003.

La couleur du muguet est toujours blanche dans le commencement, et souvent elle reste telle jusqu’à la fin ; mais, quelque temps après le début, elle peut être jaune ou d’un brun plus ou moins foncé.

La consistance du muguet est peu considérable ; c’est une substance molle, pultacée, assez analogue au caséum, friable comme lui, s’écrasant facilement sous le doigt. L’adhérence du muguet est généralement d’autant plus grande que son apparition est plus récente.

MM. Lélut et Valleix admettent que la fausse membrane du muguet pourrait bien n’être que la dégénérescence de l’épithélium. Si cette dégénérescence a lieu primitivement dans les couches externes de la cuticule muqueuse, pendant que les couches profondes restent intactes, ou bien si, pendant que l’épithélium s’altère pour prendre l’aspect du muguet, il s’en reproduit un nouveau au-dessous, le muguet paraît alors sus-épithéliaque. C’est ce qui s’observe presque toujours à la face supérieure et à la base de la langue, sur le voile du palais, les amygdales, en nautet en arrière du pharynx. Si, au contraire, c’est la couche profonde de l’épithélium qui s’altère. la première, la couche externe qui la recouvre ne se laisse point déchirer tout de suite, et c’est alors que le muguet paraît sous-épithéliaque ; cette disposition se rencontre surtout sur le bord libre des lèvres.

Quelques auteurs ont prétendu que le muguet affecte les follicules muqueux ; c’est l’opinion de M. Auvity et de M. Véron. Ce qui prouve l’analogie du muguet avec les sécrétions muqueuses et surtout épithéliaques, c’est qu’en traitant la fausse membrane par des réactifs, comme l’a fait M. Lélut, on peut arriver à des résultats à peu près identiques à ceux qu’ont obtenus pour le mucus Fourcroy, Vauquelin, Berzélius, pour l’épiderme Bichat et Vauquelin. L’analyse Chimique montre aussi une très-grande ressemblance entre le muguet et la couenne du sang, les fausses membranes des séreuses, de la vessie, du croup, comme l’ont établi les recherches de Schwilgué, Double et Bretonneau. De même aussi que les autres fausses membranes des muqueuses, celle du muguet n’est point susceptible de s’organiser. La membrane muqueuse, au-dessous du muguet, présente le plus souvent, même après la mort, la rougeur, le ramollissement, l’épaississement qui caractérisent un état inflammatoire. Cette inflammation est encore rendue plus évidente pendant la vie dans les parties, accessibles à la vue, par la turgescence sanguine et la douleur qui accompagnent le muguet. Non-seulement la muqueuse présente au-dessous du muguet les caractères d’une inflammation plus ou moins marquée, mais encore celle-ci se rencontre dans des portions de muqueuse où, pendant la vie ou après la mort, on ne trouve pas de muguet. Souvent celui-ci est disséminé, peu abondant, et cependant la bouche, le pharynx, l’œsophage, l’estomac et l’intestin sont le siège d’une inflammation manifeste. Les ulcérations sont fréquentes à la voûte du palais et beaucoup plus rares dans les autres points de la cavité digestive. La véritable gangrène de la muqueuse digestive, dans le cas de muguet, est beaucoup moins commune qu’on ne le croyait autrefois, parce qu’on se laissait induire en erreur par l’aspect noirâtre et le ramollissement extrême qu’offre quelquefois la couche pseudo-membraneuse. Quant aux autres maladies, telles que la pneumonie, l’œdème, etc., dont on rencontre sur beaucoup de cadavres les traces anatomiques, elles constituent des altérations secondaires ; ou, pour mieux dire, il n’y a entre elles et le muguet qu’une coïncidence sans intérêt.

Le jeune âge est la cause prédisposante qui a le plus d’influence sur le développement du muguet. Cette maladie est excessivement rare chez l’adulte et le vieillard ; elle l’est presque autant dans tout le cours de l’enfance, à l’exception des deux ou trois premiers mois qui suivent la naissance. Dans l’immense majorité des cas, c’est dès les premiers jours de la vie qu’elle se déclare. M. Véron pense que le muguet prend souvent naissance dans le sein même de la mère. Sur 917 enfants malades observés par Billard, 218 ont été affectés de muguet. En 1884, sur 657 enfants admis dans le service de M. Baron, Valleix dit que 140 ont été atteints. Presque tous les auteurs admettent qu’une constitution primitivement faible ou affaiblie par de mauvaises conditions hygiéniques est une circonstance très-favorable au développement du muguet. Parmi les conditions hygiéniques, l’encombrement, le mauvais air, etc., paraissent être, des causes réelles, mais accessoires, du développement de la maladie. Celle qui semble avoir une influence prédominante est l’alimentation. La mauvaise alimentation consiste en ce que la mère ou la nourrice a un lait peu abondant ou de mauvaise qualité, ou bien en ce que l’allaitement a été suspendu et remplacé par l’allaitement artificiel, ou bien en ce que cet allaitement artificiel aura eu lieu avec un lait de mauvaise qualité ou d’autres liquides mal appropriés à l’état du tube digestif, qui commence à peine à fonctionner. On observe le muguet chez beaucoup d’enfants qui sont allaités au moyen de biberons trop durs ou qui s’altèrent rapidement ; chez ceux qui prennent difficilement le sein et qui s’épuisent en succions inutiles, soit parce que le mamelon n’est pas assez volumineux, soit parce qu’il est gonflé et crevassé, soit enfin parce qu’on le couvre de bouts de sein de liège, de peau ou de caoutchouc, Valleix mentionne encore l’usage prématuré des bouillies, qui sont si peu aptes à remplacer l’allaitement maternel. À ce propos, il cite quelques expériences tentées par M. Natalis Guillot sur les matières fécales d’enfants nouveau-nés que l’on nourrissait avec de la bouillie. Ces recherches lui ont montré que l’aliment n’est qu’incomplètement digéré, et cette mauvaise digestion serait, suivant Valleix, la cause de l’entérite qui, pour lui, constitue le point de départ du muguet. Enfin, on a aussi noté l’abus des purgatifs chez les jeunes enfants.

Les relevés de Billard et de Valleix établissent que le muguet est plus fréquent pendant les fortes chaleurs, c’est-à-dire dans les mois de juillet, août, septembre. MM. Blache et Guersant croient avoir observé que le muguet, analogue en cela aux affections catarrhales, est plus fréquent en hiver. Le muguet existe rarement sous la forme épidémique ailleurs que dans les hôpitaux. Dans la pratique particulière, on l’observe souvent à l’état sporadique. Dans les hôpitaux d’orphelins, s’il affecte toujours un grand nombre d’enfants à la fois, c’est que là se trouvent réunies toutes les causes occasionnelles de la maladie. D’après MM. Trousseau et Delpech, le muguet s’observe souvent pendant les épidémies de fièvre puerpérale, aussi bien que les ophthalmies purulentes, la phlébite ombilicale, la péritonite et l’érésipèle.

La maladie ne paraît point contagieuse. Dugès prétend que le mal se propage aisément d’un enfant malade à un enfant bien portant, s’ils tettent la même nourrice. Quelques auteurs récents ont avancé, depuis que les recherches micrographiques ont conduit à constater dans la maladie du muguet le développement de l’oïdium albicans, que ce végétal parasite joue un rôle dans la production du mal ; mais il est suffisamment établi, contrairement à cette hypothèse, que l’oïdium du muguet n’entre dans l’affection que comme un accessoire, nullement comme une cause ; seulement, il peut concourir à la rendre transmissible.

La marche de la maladie comprend trois périodes. La première, qui est celle d’invasion, présente tous les symptômes qui précédent l’apparition du muguet dans les parties accessibles à la vue, c’est-à-dire l’érythème des fesses et des membres inférieurs, la diarrhée, la rougeur de la bouche, la gonflement des papilles de la langue et le commencement du mouvement fébrile. Bientôt le pouls s’accélère, prend de l’ampleur et monte à 120, 140 et même 160 pulsations. À la même époque, la face pâlit ou prend une couleur terne jaunâtre, qu’elle garde jusqu’au dernier instant. Après ces premiers accidents, une coloration érythémateuse se manifeste dans la bouche ; les papilles de la langue, surtout de la pointe, se tuméfient ; toute la langue devient d’un rouge vif comme dans la scarlatine, et la rougeur s’étend de là à toutes les parties de la bouche. Cette cavité est sèche, chaude ; la succion devient douloureuse, la déglutition l’est aussi quelquefois, et l’arrière-bouche présente une vive rougeur. Dans la seconde période apparaît la fausse membrane. Les premiers grains du muguet se manifestent le plus ordinairement sur la langue. Ces grains, d’un petit volume, et d’abord transparents, deviennent rapidement d’un blanc mat ou luisant ; ils se multiplient et, par leur réunion, forment des plaques irrégulières d’un blanc laiteux, qui ressemblent à une couche caséeuse ou crémeuse. Ces plaques s’étendent de proche en proche sur toutes les parties de la bouche, existent souvent en grande quantité au devant des piliers antérieurs du voile du palais et dans l’angle des commissures des mâchoires ; elles se propagent sur les amygdales et dans le pharynx.

Lorsque le muguet est confluent et formé de couches pultacées très-épaisses, l’enfant témoigne la douleur et la gêne qu’il éprouve en tirant fréquemment la langue hors de la bouche, en mâchonnant sans cesse. Il refuse de prendre le sein, ou l’abandonne aussitôt qu’il l’a saisi, et même rejette les boissons qu’on lui verse dans la bouche, parce qu’il ne peut les avaler sans souffrir. La chaleur et la sécheresse de la bouche sont très-prononcées ; lorsqu’on y introduit le doigt, l’enfant s’impatiente et pousse des cris. Pendant que les phénomènes locaux se développent, l’érythème, la diarrhée, qui existaient déjà, persistent ou même augmentent d’intensité. La diarrhée est très-liquide et souvent de couleur verte, quelquefois jaunâtre ; parfois elle présente des flocons qui paraissent être des débris de fausse membrane entraînes des voies digestives supérieures ou de l’estomac et de l’intestin. Le ventre se tend et se météorise, devient douloureux à la pression, surtout vers la fosse iliaque droite et l’épigastre. L’enfant a, par intervalles, une agitation qui révèle l’existence des coliques, ou résulte de l’inflammation douloureuse de la bouche. Quelques enfants ont des vomissements bilieux ou muqueux. Le pouls conserve la fréquence de la première période, et la peau présente une chaleur fébrile. Quand les fausses membranes gagnent l’arrière-gorge, le cri devient rauque et voilé. Des ulcérations, qui quelquefois, se montrent dès la première période, s’établissent en différents points de la bouche, surtout à la voûte du palais. Enfin, l’érythème des fesses, se propageant aux régions voisines, peut y déterminer des ulcérations ; on l’observe aussi très-souvent aux talons et aux malléoles.

La troisième période diffère suivant que la maladie tend à se terminer par la mort ou par la guérison. Dans le premier cas, la violence de tous les symptômes tombe pour faire place à un état de collapsus. L’érythème pâlit, les ulcérations se dessèchent, la diarrhée diminue ou se suspend. L’exsudation disparaît par lambeaux et ne se reproduit qu’incomplètement ; le pouls descend jusqu’à 80, 70, et même 60 pulsations ; la peau se refroidit, les cris s’affaiblissent, l’agitation fait place à l’insensibilité, l’amaigrissement est extrême et le faciès devient sénile et décrépit. Quelquefois surviennent des gonflements œdémateux avec rougeur obscure du nez, de la lèvre inférieure, du cou ; enfin la mort arrive ordinairement sans agonie. Lorsque la maladie doit se terminer par la guérison, la troisième période est marquée par le décroissement rapide des symptômes, sans abattement des forces, sans refroidissement des extrémités. La durée de la maladie est excessivement variable. Se prolongeant pendant peu de jours, chez quelques enfants faiblement atteints ou soustraits de bonne heure aux causes de l’affection ; elle peut, dans des circonstances contraires, revêtir l’état aigu pendant deux ou trois semaines. Lorsque, après cette durée, la mort n’a pas mis fin à la maladie, celle-ci peut passer à l’état chronique. C’est alors qu’on voit quelquefois, pendant deux ou trois mois, quelques grains de muguet se reproduire dans la bouche.

Le diagnostic du muguet n’offre aucune difficulté quand il siège dans les parties accessibles à la vue ; mais, comme l’éruption ne se fait pas dès le commencement, c’est par l’existence de la diarrhée, de l’érythème des fesses, et surtout par la rougeur de la bouche, qu’on pourra prévoir l’apparition prochaine de la fausse membrane. On conçoit qu’il est tout à fait impossible de reconnaître, si les symptômes gastro-intestinaux se lient à un muguet de l’estomac et de l’intestin, ou à une inflammation de ces organes sans fausse membrane. Il est encore plus difficile de diagnostiquer l’existence du muguet dans l’œsophage. Dans la pratique particulière, lorsque surtout les conditions hygiéniques sont satisfaisantes, le muguet est très-souvent une maladie sans gravité ; il n’en est pas de même dans des conditions opposées. Dans l’hôpital des Enfants trouvés de Paris, par exemple, la mortalité est très-considérable.

« Lorsque le muguet est une affection purement locale, dit Trousseau, on le fait disparaître facilement : il suffit de porter sur les parties malades un collutoire boraté. Voici la formule que j’emploie habituellement : borate de soude et miel, de chacun 10 grammes. On barbouille sept ou huit fois tout l’intérieur de la bouche de l’enfant avec cette mixture, et, généralement, en vingt-quatre ou quarante-huit heures le mal est enlevé, Il se peut faire qu’une partie du médicament soit avalée par le malade ; mais à cela il n’y a pas grand inconvénient, car le borax n’est pas plus nuisible que le bicarbonate de soude ; il y aura même cet avantage que, si le muguet a envahi les parties inférieures du pharynx et l’œsophage, le collutoire pourra agir efficacement sur les tissus profondément atteints. Cette médication topique est tellement en usage dans mes salles, que les infirmières n’attendent souvent pas la venue du médecin pour traiter les enfants qui ont le muguet, et qu’il nous arrive fréquemment qu’on nous présente des petits malades qui, la veille, en étaient atteints, et qui, en quelques heures, ont été complètement débarrassés. Il est nécessaire cependant de continuer le traitement, alors même que le muguet a disparu, parce qu’il reste à combattre l’inflammation de la membrane muqueuse buccale, sous l’influence de laquelle il s’est développé, inflammation qu’il faut nécessairement modifier, sous peine de voir reparaître les accidents qui avaient si rapidement cédé. Le borate de soude peut être remplacé par le chlorate de potasse employé de la même façon et aux mêmes doses ; je dois dire cependant que le chlorate de potasse ne m’a jamais paru agir aussi rapidement que le borax. Si le muguet résiste à l’action de ces modificateurs, il en est un auquel il ne résiste jamais, c’est le nitrate d’argent. Une solution faible, c'est-à-dire dans les proportions de 1 gramme de sel pour 10 grammes d’eau distillée, me paraît préférable au crayon de pierre infernale, parce qu’il est plus facile d’aller toucher avec un pinceau tous les plus petits recoins de la bouche. Peut-être le nitrate d’argent présente-t-il cet inconvénient que, lorsque l’enfant en avale, il peut provoquer des nausées, des vomissements même ; mais on est à même de parer à ces inconvénients, sans grande gravité d’ailleurs, en ayant soin d’injecter de l’eau dans la bouche aussitôt après l’opération. Chez l'adulte, ces inconvénients seraient plus sérieux, en ce sens que le nitrate d’argent noircirait les dents. On y suppléerait, dans le cas où le muguet ne céderait pas aux collutoires de borax ou de chlorate de potasse, par les cautérisations avec des solutions de sulfate de zinc ou de sulfate de cuivre au dixième, en recommandant aux malades de se rincer la bouche et de cracher immédiatement après. Quand, chez un enfant, le muguet se lie à un mauvais état général dépendant d’une mauvaise alimentation, il faut au plus vite lui donner une bonne nourrice. Une alimentation réparatrice (et le lait de la femme est la meilleure nourriture qui convienne aux nouveaux-nés) pourra seule, en remettant l’enfant dans de bonnes conditions, s’opposer à la reproduction du muguet que les applications topiques ne feraient disparaître que momentanément. S’il existait de l’érythème des fesses, de l’ulcération des malléoles et des talons, on peut les combattre avantageusement. Pour cela on saupoudrera les parties malades avec du sous-nitrate de bismuth. Si cela ne suffit pas, on emploiera un mélange de poudre d’amidon et de précipité blanc. Si la guérison tarde encore, on fera des lotions avec de l’eau phagédénique, ou on touchera les points ulcérés avec une solution faible de sulfate de cuivre. Lorsque le muguet se lie à des troubles digestifs chez un enfant d’ailleurs convenablement alimenté, c’est à ces troubles digestifs, c’est à la phlegmasie gastro-intestinale qu’il faut s’adresser. Les préparations alcalines sont, dans ces cas, d’une grande utilité. Le carbonate de chaux (la craie préparée), délayé dans du sirop et donné au malade quatre, cinq, six fois par jour, à la dose de 0gr,25 à 0gr,80 avant que l’enfant tette ; l’eau de chaux, à la dose de 40, 50, 60 grammes, administrée dans le courant de vingt-quatre heures avant ou après le repas, ont souvent rendu de réels services. Le sous-nitrate de bismuth est aussi indiqué ; on le donne à la dose de 2, 3, 4 grammes et davantage, en l’incorporant à du sucre en poudre que l’enfant avale facilement. Il est nécessaire avant tout, de régler l’alimentation, de donner à teter à des heures et à des intervalles aussi réguliers que possible.»

— Art vétér. Muguet des agneaux. Cette affection, qui porte encore le nom vulgaire de chancre, est analogue à celle du muguet des enfants. Elle se fait remarquer sur les veaux et les agneaux, mais surtout sur ces derniers, notamment lorsqu’ils sont élevés dans des lieux bas et humides, dans des bergeries malpropres, chaudes, peu aérées, et renfermant un trop grand nombre d’individus. Mais, pour déterminer le développement de l’affection, il faut encore le concours de causes occasionnelles qui peuvent irriter le tube digestif, comme le défaut d’allaitement, le sevrage prématuré, le peu de lait fourni par la mère, la mauvaise qualité de ce liquide l’usage de mauvais aliments, etc.

Dans les premiers temps de la maladie, la muqueuse buccale devient rouge, chaude ; puis on aperçoit sur le frein de la langue, le palais, les lèvres, de petites vésicules qui laissent écouler un liquide jaunâtre et un peu blanchâtre lorsqu’on les ouvre. Ces vésicules ne tardent pas à se crever, et, à leur place, se montrent des ulcérations quelquefois très-nombreuses et qui se recouvrent d’une couche grisâtre, puis noirâtre. Bientôt enfin, il se développe un cryptogame (oïdium, albicans). Indépendamment de tous ces caractères, on constate que la salive est acide et peu abondante. Ces désordres de la muqueuse buccale tourmentent beaucoup les malades, leur ôtent la facilité de teter et ont souvent une terminaison funeste.

Le traitement de cette maladie doit être surtout préservatif. Il faut élever les jeunes animaux dans un lieu sain et aéré, les maintenir dans une température modérée ; sèche ; nourrir les mères de manière à en faire de bonnes nourrices ; ne pas opérer le sevrage brusquement et suppléer à la diminution ou au manque de lait par des aliments de facile digestion.

Le traitement curatif consiste, lorsque l’inflammation de la bouche est simple, à faire des injections avec le nitrate de potasse. S’il existe des aphthes, il faut les détruire par un mélange légèrement caustique fait avec 32 grammes d’eau de Rabel, 120 à 130 grammes de miel et 90 à 100 grammes d’eau. On mélange le tout, et avec un pinceau on cautérise vivement l’intérieur de la bouche. Il se forme, sur les ulcérations, des croûtes jaunâtres, noirâtres, qui tombent au bout de quelques jours et à la place desquelles la muqueuse apparaît intacte. Si l’oïdium albicans existe sur les ulcérations, il faut éviter l’emploi des acides qui favorisent le développement des cryptogames, et faire des injections dans la bouche avec de l’eau tenant en dissolution de la potasse, de la soude ou de l’ammoniaque ; au bout de quatre ou cinq jours de ce traitement, les cryptogames ont disparu et l’animal est guéri.

MUGUET, ETTE adj. (mu-ghè, è-te — rad. muguet). Qui appartient aux muguets, aux élégants : Des manières muguettes. Des propos muguets.

 . . . Et vous verrez ces visites muguettes
D’un œil à témoigner de n’en être point soûl ?

Molière.

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