Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/languedocien, enne s. et adj.

Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 161-162).

LANGUEDOCIEN, ENNE s. et adj. (lan-ghe-do-siain-iène). Géogr. Habitant du Languedoc ; qui appartient au Languedoc ou à ses habitants :Les Languedociens. Les mœurs languedociennes. On accuse les Languedociennes d’être impérieuses et volontaires dans l’intérieur de leur maison. (A. Hugo.)

— s. m. Linguist.. Patois parlé dans le Languedoc.

— Encycl. Linguist. L’idiome propre aux habitants du Languedoc a la même origine et date de la même époque que les langues des différents peuples de l’Europe occidentale qui dans la décadence de l’empire romain passèrent sous une domination étrangère ; le mauvais latin qu’ils parlaient, déjà mélangé d’un grand nombre d’expressions locales, s’altéra par degrés et acheva de se corrompre en se mêlant avec le langage des nouveaux peuples qui succédèrent aux Romains ; ce ne fut plus qu’un jargon informe qui se ressentit de la barbarie de ces temps ; mais ce jargon prit de bonne heure une forme plus développée dans les provinces méridionales. La dénomination de langue d’oc fut appliquée, depuis le milieu du XIIIe siècle, aux provinces méridionales de la France, que nos rois avaient nouvellement acquises, et au langage qu’on y parlait. « La langue d’oc, dit l’abbé de Sauvages, est l’ancien langage qui s’est perpétué en grande partie dans le languedocien moderne ; ce langage était divisé autrefois, comme il continue de l’être aujourd’hui, en différents dialectes qui, depuis Antibes jusqu’à Bordeaux, se rapprochent, se mêlent, se fondent, pour ainsi dire, par des nuances insensibles l’un dans l’autre, en sorte qu’on ne saurait assigner les limites qui les séparent, ni marquer où l’un finit et où l’autre commence, et que le Rhône même ne tranche point les dialectes de sa droite d’avec ceux de sa gauche ; ils portent chacun des empreintes l’un de l’autre et tout ce qui peut établir entre eux une sorte de consanguinité. »

Le dialecte languedocien, ayant toujours été cultivé, est le patois qui a conservé le plus de pureté et le plus de ressemblance avec l’ancienne langue des troubadours. « Le fond de la langue, dit M. Raynouard, est resté à peu près le même, quant à la grammaire et quant à l’acception des mots ; mais c’est principalement dans les désinences qu’existent des différences produites soit par la suppression de la consonne finale ou par son changement en une diphthongue, soit par le changement de la voyelle finale en une autre voyelle ou en une diphthongue, etc. D’autres différences ont été l’effet du changement des voyelles intérieures, telles que l’o, l’u en ou, etc. » Ainsi parlar, retener, venir, etc., des troubadours ont perdu l’r final dans le languedocien actuel ; les adjectifs, les participes en at, it, ut, les substantifs en at, ut, etc. de l’idiome ancien n’ont plus conservé le t final dans le patois ; ainsi encore l’l final, l’o final et l’ufinal des substantifs et adjectifs de l’ancien idiome se sont changés en ou dans le languedocien moderne ; l’a final s’est de même changé en o dans la plupart des substantifs et adjectifs féminins. Ces indications, qui pourraient être beaucoup plus nombreuses, suffisent évidemment pour faire connaître les rapports intimes de l’idiome actuel du Languedoc avec la langue des troubadours. Cette grande ressemblance explique comment il a la plus grande extension territoriale de tous les patois. Il ne se parle pas seulement dans toute l’ancienne province du haut et du bas Languedoc et dans les Cévennes c’est-à-dire dans les départements de la Haute-Loire, de la Lozère, de l’Ardèche, du Gard, de l’Hérault, du Tarn et de l’Aude, mais aussi dans le comté de Foix, aujourd’hui le département de l’Ariége, et dans le Quercy et le Rouergue ou dans les départements du Lot et de l’Aveyron. Dans les départements de Lot-et-Garonne et de Tarn-et-Garonne, il se confond avec le gascon, et, dans le département des Pyrénées-Orientales, avec le roussillonnais. On distingue cinq sous-divisions de ce dialecte, savoir :1° le langage de l’Aude et de l’Hérault, qu’on reconnaît pour le plus doux ; 2° le langage de Nîmes ; 3° celui des Cévennes, qui passe pour être le plus pur, notamment dans le département de la Lozère ; 4° celui de l’Aveyron et du Lot ; 5° celui des autres départements ci-dessus nommés.

Depuis quelque temps, la langue française exerce sur le languedocien une influence croissante, qui a produit déjà une altération prononcée des termes et des formes grammaticales. « Cette altération des termes, dit un érudit languedocien, bien plus rapide depuis le milieu du XVIIIe siècle, est devenue d’autant plus sensible qu’elle a atteint notre idiome dans ses derniers retranchements, la classe du bas peuple. Si nous descendons vers cette classe pour y interroger les deux extrémités de la génération présente, les vieillards et les jeunes gens, nous serons à même d’apprécier toute la différence qu’a mise un demi-siècle dans le choix des termes. Les vieillards nous diront : croumpa, barà, bermà, cougnat, et une foule d’autres mots qu’il est inutile d’amonceler ici, tandis que nous entendrons les jeunes gens nous dire de préférence achéta, ferma, diminuâ, béou-fréra, mots visiblement français avec des terminaisons languedociennes ; ne perdons pas de vue, cependant, que dans les villages l’altération est beaucoup moins prononcée. Il est à remarquer encore que les mots destinés à caractériser des êtres métaphysiques, ou à exprimer des idées abstraites, s’altèrent aisément, tandis que les mots faits pour désigner des objets réels et d’un usage journalier traversent les siècles sans éprouver une grande altération. C’est aussi cette dernière sorte de mots qui offre à l’œil de l’étymologiste le plus de trace des langues anciennes. »

Le languedocien a une littérature très-riche. Dans le XVIIe siècle, Goudouli, ou Godolin, contemporain des grands écrivains qui illustrèrent le siècle de Louis XIV, donna une telle vogue au dialecte toulousain et sut inspirer aux Languedociens un tel enthousiasme pour leur langue, que ses poésies se lisent et se chantent, encore aujourd’hui, très-généralement dans le midi de la France. Goudouli possédait à fond sa langue et sut lui donner toutes les formes et toutes les couleurs. Il trouva des vers aussi heureux pour chanter la louange d’un roi que pour égayer un repas par une chanson à boire ou un conte badin. Parmi ses nombreux imitateurs, nous ne nommerons que Michel, qui écrivit dans la nuance du dialecte languedocien qui se parle à Nîmes, et Le Sage, qui se servit de celui de Montpellier. L’un et l’autre se sont essayés dans tous les genres de la poésie légère. Aubanel a traduit depuis en vers languedociens quelques odes d’Anacréon, que l’on a réimprimées à plusieurs reprises. Dans ce siècle, nous avons, de Martin, des Contes et beaucoup de Poésies (Montpellier, 1827) ; Meyzonnet, a publié un Pouema aou sugié de la salada de l’estau d’Escamandie (Nîmes), et Fabre, le Siège de Cadaroussa, poëme languedocien fort estimé, surtout à cause de la pureté du langage, que l’auteur a su préserver de tout mélange avec des mots et des tournures françaises. Tandon a aussi écrit, en languedocien, des Fables et contes, qui témoignent d’une rare facilité, et Cyr. Rigaud quelques jolies chansons et un poème intitulé : Las amours de Mounpélié. Nous pourrions citer, en outre, pour la littérature languedocienne et surtout pour la littérature toulousaine, un grand nombre de pièces détachées, de divers auteurs, qu’il serait trop long d’énumérer.

Parmi les ouvrages qui s’occupent du patois languedocien, nous citerons surtout : les Joyeuses recherches de la langue tolosaine, par Cl. Odde (Toulouse, 1578, in-8o) ; le Dictionnaire languedocien-français, de l’abbé de Sauvages, auquel nous consacrons une notice particulière (v. dictionnaire languedocien-français) ; les Loisirs d’un Languedocien, par Martin (Montpellier, 1827, in-8o) ; et le Vocabulaire des mots romano-languedociens dérivant directement du grec, par Eug. Thomas (Montpellier, 1843, in-4o).