Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/dupe s. f.

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1403-1404).

DUPE s. f. (du-pe. — L’origine de ce mot n’est pas certaine. Frisch a proposé de le rapporter au souabedüppel, imberbe ; Chevallet et Littré remarquent que dupe est du féminin et a été le nom de la huppe, oiseau qui passe pour un des plus niais ; de sorte que la"huppe ou la duppe aurait été prise, dans le jargon ou argot du temps, pour une personne facile à tromper. C’est ainsi qu’aujourd’hui nous disons un pigeon pour désigner une personne de ce genre. Quant à l’origine du mot duppe ou dupe, dans le sens de huppe, il est possible qu’il soit une altération du mot huppe lui-même, mais cela n’est nullement certain). Personne qui a été trompée, jouée, ou qui est facile à tromper : C’est une DUPE, une vraie, une bonne, une franche dupe. C’est sa dupe. Il en a été la dupe. Passer pour dupe. Être pris pour dupe. Il n’a pas trouvé sa dupe. Il fut la dupe de leurs mensonges. Les plus fins sont toujours de grandes dupes du côté de la flatterie. (Mol.) Je ne veux plus être la dupe des ingrats ni mettre les hommes à portée d’être injustes. (Volt.) Le temps des prophètes est passé ; celui des dupes ne passera point. (Grimm.) On n’est pas tout à fait la DUPE d’une femme tant qu’elle n’est point la votre. (Chamfort.) Tout homme, et un Français plus qu’un autre, abhorre d’être pris pour dupe. (H. Beyle.) En amour, il peut y avoir une dupe, jamais deux. (A. Fée.) Une vieille coquette ne fait plus qu’elle de dupe. (La Rochef.-Doud.) Les peuples ont plus d’une fois été dupes et victimes d’une reconnaissance et d’une admiration imprudentes. (Fr. Pillon.) Le masque de la bonté est celui avec lequel les hypocrites font le plus de dupes. (Boitard.) N’est-ce pas notre faute à tous, quand nous sommes dupes de notre vanité ? (G. Sand.)

Lui qui connaît sa dupe et qui veut en jouir,
Par cent dehors fardés a l’art de l'éblouir

Molière.

 Oncque il ne fut plus forte dupe
Que ce vieillard, bonhomme au demeurant.

LA FONTAINE.

S’il faut opter, si, dans ce tourbillon,
       Il faut choisir d’être dupe ou fripon,
Mon choix est fait ; je bénis mon partage :
Ciel ! rends-moi dupe, et rends-moi juste et sage.

VOLTAIRE.

Le désir de gagner, qui nuit et jour occupe,
    Est un dangereux aiguillon ;
Souvent, quoique l’esprit, quoique le cœur soit bon,
    On commence par être dupe,
On finit par être fripon.

Mme  Deshoulières.

— Faculté de l’âme qui est trompée par une autre : L’esprit est toujours la dupe du cœur. (La Rochef.) L’esprit et le cœur sont tour à tour dupes de l’imagination. (P. Bacon.)

— Adjectiv. : Il n’est pas si dupe que vous le pensez. Celui qui ne prévoit rien est souvent dupe ; celui qui prévoit trop est toujours malheureux. (La Bruy.) Les hommes sont plus dupes d’eux-mêmes qu’ils ne le croient. (Beaumarch.) L’orgueil, dans un jeune homme, n’est bon qu’à le rendre dupe. (J. Droz.)

La vanité nous rend aussi dupes que sots

Florian.

Être la dupe d’une affaire, d’un marché, N’y pas trouver son compte, y avoir son intérêt sacrifié.

Être sa dupe, sa propre dupe, Se tromper soi-même, se faire illusion : Nous sommes plus souvent dupes de nous-mêmes que des autres. (Beauchène.)

— Rem. On met ordinairement ce mot au singulier lorsqu’il se rapporte à un nom ou pronom au pluriel qui désigne plusieurs personnes trompées en même temps par le même moyen : Nous en fûmes la dupe. Les personnes de bonne foi sont souvent la dupe des gens intéressés. (Acad.) C’est là un des artifices de la gloire véritable, les médiocres seuls en sont la dupe. (E. Quinet). Mais s’il s’agit de tromperies successives, l’emploi du pluriel est préférable : De tout temps les hommes furent dupes les uns des autres.

- Antonymes. Dupeur, fripon, trompeur.

Dupes (journée des). On a donné ce nom à un petit événement du règne de Louis XIII (11 novembre 1630), qui, par ses péripéties et son dénoûment, a gardé la physionomie d’une véritable comédie historique et politique.

En septembre 1630, pendant que le cardinal de Richelieu faisait la guerre en Savoie, le roi, qui était allé se montrer aux troupes pour ranimer leur courage, tomba assez gravement malade à son retour à Lyon. Sa femme, Anne d’Autriche, depuis longtemps en froid avec lui, lui donna des soins qui amenèrent entre eux une réconciliation. Elle en profita pour seconder sa belle-mère, Marie de Médicis, dans sa guerre acharnée contre Richelieu. Ces deux femmes ne laissèrent plus respirer le fantôme de roi pendant sa pénible convalescence. Troublé, indécis, comme toujours, il leur promit, pour se débarrasser de toute obsession, de prendre un parti définitif après son retour à Paris.

Le cardinal, qui était venu à Lyon auprès du roi, se préparait à tout événement, et le duc de Montmorency lui avait commandé, dit-on, des relais pour le conduire au besoin à Avignon.

Mais bientôt Louis XIII fut en état de partir pour Paris. Sur la route, sans avouer à Richelieu quelle demi-promesse il avait faite aux deux reines, il l’engagea vivement à se réconcilier avec Marie de Médicis. Celle-ci, à peine arrivée à Paris, recommença ses instances pour faire disgracier et chasser son ennemi. Pour vaincre les dernières irrésolutions de son fils, elle l’attira à son palais du Luxembourg, le matin du 11 novembre, et, afin de n’être point troublée dans son œuvre et dans cette entrevue décisive, elle feignit d’avoir, ce jour-là, pris médecine, ce qui lui fournissait un prétexte pour défendre l’entrée de sa chambre à qui que ce fût. Tenant là sous sa main, sous son ardente volonté, la triste marionnette royale, elle redoubla d’efforts, elle mit tout en œuvre, sa tendresse maternelle, l’intérêt de l’État, la sûreté du roi, etc. Tout à coup survint un visiteur qu’elle n’attendait guère : le cardinal ! Il avait eu connaissance de l’entrevue, il était accouru, et, sans s’inquiéter de la farce de la purgation, il était entré en gagnant une femme de service. Il y eut une explosion. Accablé d’invectives, Richelieu essaya de fléchir son ennemie par une soumission apparente et même par d’humbles supplications ; mais il ne put rien obtenir. Alors, se tournant vers le roi, il le pria de lui permettre de s’éloigner, ne voulant plus être une cause de trouble et de désunion. En obtenant un ordre de départ, il évitait au moins la Bastille, car il savait qu’après sa chute il avait tout à craindre de ses ennemis. Fatigué par ces scènes violentes, le roi lui accorda sa demande, ce qui équivalait à une destitution. Tout semblait fini ; Louis XIII donna son consentement à la nomination du garde des sceaux de Marillac au poste de premier ministre, puis il partit pour Versailles, où il n’y avait encore qu’un petit château pour les chasses royales. Le reine mère nageait dans toutes les ivresses de l’orguei1 satisfait et de la haine assouvie. Le bruit de la chute du puissant ministre attira aussitôt des flots de courtisans et d’ambitieux au Luxembourg, où déjà se distribuaient les emplois et les dignités. Pendant ce temps, Richelieu, conseillé et encouragé par le cardinal de La Valette, courait à Versailles, sous le prétexte d’aller prendre congé du roi. La Valette l’avait décidé à cette démarche en lui répétant le proverbe populaire : Qui quitte la partie la perd. Il allait de nouveau tenter le jeu. Admirablement servi d’ailleurs par le duc de Saint-Simon, qui plaida sa cause avec chaleur, puis 1’introduisit par un escalier dérobé dans le cabinet du roi, il se justifia facilement et reprit en un instant l’ascendant qu’on croyait détruit pour jamais. Les dupes furent punies cruellement : Marillac alla mourir en exil ; Bassompierre fut jeté à la Bastille, où il demeura douze ans ; d’autres furent emprisonnés, ou chassés de la cour, ou destitués.

Telle fut cette journée fameuse, combat d’intrigues entre deux factions également puissantes, et qui, en définitive, consolida le pouvoir du cardinal. Rien ne peint mieux, d’ailleurs, l’aventureuse mobilité des monarchies : un verrou poussé, la reine mère suivant son fils à Versailles, le plus mince incident enfin pouvait changer l’issue des événements et donner un autre cours à l’histoire de ce temps. Louis XIV ayant conservé, dans ses constructions, l’habitation de son père, on peut voir encore l’escalier dérobé qui joue un rôle si important dans cette scène et par lequel Richelieu fut introduit auprès du roi. Il est situé dans un petit couloir à l’angle sud-ouest de la salle où sont aujourd’hui les portraits des rois de France. Voyez, pour ces détails, Curiosités historiques, par Le Roi, bibliothécaire de Versailles (1864).