Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/dernier, ière adj.

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 2p. 508).

DERNIER, IÈRE adj. (dèr-nié, iè-re.-Ce mot est une contraction du vieux français derrenier, qui est lui-même pour derrainier, lequel est dérivé de l’ancien adjectif derrain, plus anciennement déerrain, daerrain. Les formes romanes corrélatives sont : picard, dérain, darain, derne, dergner ; wallon, diérain ; namurois, dérain ; rouchi, darrain. Ces formes représentent le latin fictif deretranus, fait de de rétro, qui est le type du français derrière, et dont un autre dérivé, derelrarius, a produit le provençal derrier, derrcr, derier, derer, darrier, dernier, et le catalan derrcr, darrer, même sens. Le dernier est donc, étymologiquement, celui qui est placé, qui vient

par derrière ou en arrière). Qui est, qui vient après tous les autres : La dernière année du règne de Louis XIV. /.«derniers beaux jours de la saison. L’avarice est la dernière et la plus absolue de nospassions. (Vauven.) Juvénal est le plus véhément et le dbrnhjr des satiriques latins. (Boissonade.) J’appartiens toujours au dernier caprice qui traverse mon cerveau malade. (G. Sand.)’ Le ciel est la dernière chose qu’un avare cherche à gagner. (Petit-Senn.) Le plaisir est la dernière passion des vieilles sociétés. (St-Marc Gir.)

Mais ce champ ne se peut tellement moissonner Que les derniers venus n’y trouvent à glaner. La Fontaine.

Partout l’on dit ouvertement

’ Que Clémentine est si galante,

Que le premier qui se présente

Devient aussitôt son amant ;

Mais, certes, c’est lui faire injure : Ce n’est point le premier venu

Qui fait succomber sa vertu,

C’est le dernier, je vous le jure.

Damon, connu par mille écarts divers, Vient d’épouser la prude Orphise. Hier, au sortir de l’église,

La dame lui disait : • Enfin de vos travers Vous voilà revenu, mon arai, je l’espère. Vous serez sage désormais.

— J’en conviens, dit Damon, j’eus la tête légère ; Je vais tout réparer, oui, je vous le promets ;

Ne craignez point, charmante Orphise, Que je me démente jamais,

Je viens de faire ici ma dernière sottise. >

il Qui doit venir après tous les autres : Ces événements passeront dans nos annales jusqu’à nos derniers neueua ;. (Mass.) Il Qui reste, qui subsiste après tous les autres : Employer jusqu’à SOn DERNIER SOU.

— Final, qui termine la carrière : Toucher à sa dernière heure. Être à ses derniers moments. La dernière heure de l’aristocratie est sonnée. (Chateaub.) Il Qui achève, qui termine complètement : Mettre la dernière mai» à un ouorage. Faire ses derniers préparatifs. Donner un dernier coup d’ail au dîner.

— Qui précède immédiatement le temp3 actuel : L année dernière. Le mois dernier. La semaine dernières. Dimanche dernier. Lundi dernier. Ces derniers jours. La philosophie entière du dernier siècle est tout à fait athéisiique. (J. de Maistre.) Il Qui est plus récent que tous les autres : La dernière guerre. La dernière assemblée. Il Qui est exprimé après les autres : Le désespoir tient à la fois de la colère et de la crainte, mais davantage de ce dernier sentiment : c’est la frayeur de l’avenir. (Lélut.)

— Suprême, extrême en bien ou en mal : Le dernier degré de perfection. Le dernier avilissement. Une toilette du dernier goût. Faire les derniers efforts pour réussir. Cette proposition est du dernier ridicule. La fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité. (La Bruy.) La physionomie slupide des idiots, leur extérieur sale et repoussant, expriment le dbrnier degré de dégradation de l’espèce humaine. (Calmeil.) On jouit de soi-même au milieu de la vie la plus pénible, au sein de la dernière misère. (Prévost-Parndol.) Il Infime, plus petit que tous les autres : Jusque dans les derniers détails, l’économie tout entière des poissons contraste avec celle des oiseaux. (G. Cuv.) Il Décisif, qui l’emporte sur tous les autres : La dernière raison des déterminations libres de la volonté est en elle-même. (Royer-Collard.) L’autorité de la conscience est la derniers autorité dans laquelle vient se résoudre l’autorité de toutes les autres facultés. (V. Cousin.) L’hérédité est l’espoir du ménage, le contre-fort de la famille, la raison derniers de la propriété. (Proudh.j

DERN

Dernier bien, Extrême perfection ; parfaite intimité : Votre coiffure est du dernier bien. Je suis du dernier bien avec Voltaire ; j’ai reçu de lui une lettre de quatre pages aujourd’hui. (Mrae.du Défiant.)

Dernier mot, Conditions, concessions au delà desquelles on est fermement résolu à ne pas aller : Est-ce votre dernier mot ? Dites votre dernier mot. ii Au dernier mot, Sans en rien rabattre ou sans y rien ajouter : J’en veux cent francs, au dbrnier mot.

En dernier lieu, À la fin, la dernière fois : Quand je le vis en dernier lieu, tï était déjà alité.

En dernière analyse, Pour terminer, pour conclure, en résumé, en définitive : La certitude de toutes nos connaissances repose, en dernière analyse, sur la véracité supposée de notre intelligence. (Jouffroy.)

C’est le dernier homme, la dernière femme à qui, C’est à lui, à elle moins qu’à tout autre que : C’est le dbrnier hommb à qui je confierais un secret,

— Ane. coût. Dernier vivant tout tenant, Dans les coutumes d’Artois et de Cambrésis, Epoux survivant qui profitait en totalité d’une acquisition faite en commun pendant le mariage, en vertu d’une stipulation expresse que la coutume autorisait.

—Substanti v. La personne, la chose qui vient après toutes les autres, dans le temps, la place ou le rang : Être le dernier. Arriver le dernier. Si ion ne faisait attention qu’à la figure, on pourrait regarder l’orang-outang comme le premier des singes ou le dernier des hommes. (Buff.) Le dernier des mendiants est un homme comme le roi. (Frédéric II.) Un jour viendra qui sera le dernier de celle terre. (Ballanche.) Il Celui qui survit à tous les autres : Le dernier de sa famille. Le dernier de sa race. Se faire tuer jusqu’au dernier. Le christianisme est la dernière des religions. (Jouffroy.)

— Celui, celle dont on vient de parler, après avoir parié des autres, dans l’ordre du discours : Il y a plus d’outils que d’ouvriers, et de ces derniers plus de mauvais que d’excellents. (La Bruy.) Les bons et les mauvais princes ont été également loués pendant leur vie ; il semble que les basses flatteries ont été plus prodiguées à ces derniers. (Mass.)

Le dernier des, Celui qui met fin à la série des : Brutus et Cassiiis furent les derniers des Domains. Philopœmen fut le dernier des Grecs.

Ce roi que l’Orient, tout plein de ses exploits, Peut nommer justement le dernier de ses rois.

Racine.

Il Le plus vil, le plus méprisable ou le plus misérable : La dernière des créatures. Duclos, pour exprimer le mépris, avait une formule favorite ; il disait toujours : « C’est t’avani-dernier des hommes. — Pourquoi i’ucani-DERNiER ? — Pour ne décourager personne : car il y a presse. »

Le dernier des mortels est maître de son cœur.

Chômer.

— Prov. Aux derniers les bons, Ce qui reste après le choix des autres est souvent le meilleur.

— s. m. Littér. Dernière syllabe ou dernière partie du mot d’une charade :

Mon tout sur mon premier fait ouïr mon dernier.

(Charade sur le mot pinson.) Pour faire mon dernier. Iris prend mon premier. Et quitte mon premier pour faire mon entier. (Charade sur le mot découdre.)

— Jeux. À la paume, Chacune des deux parties de la galerie les plus éloignées de la corde. n-Auoir le dernier, Être touché le dernier, à certains jeux de course, et fig. Avoir" la dernière réplique, parler le dernier. On dit aussi, dans ce dernier sens, avoir lb

DERNIER MOT.

— Antonyme. Premier.

— AlluS. bist. Les derniers Romain*. Le dernier de. Grec», Mots qui s’emploient

tantôt sérieusement, tantôt ironiquement, pour désigner tous ceux qui conservent la tradition d’un passé qu’ils sont presque seuls à représenter. C’est une allusion à Brutus et à Cassius, qui conservèrent dans une société en décadence les mœurs et les vertus des anciens temps. Le dernier des Grecs est le nom que l’on donne souvent à Philopœmen, en qui l’amour de la liberté, chez les Grecs, jeta son dernier éclat. Voici quelques applications de ces allusions :

« Il s’agit d’une étude historique, l’Académie royale de peinture et de sculpture, par M. L. Vitet. M. Vitet est un des derniers Romains, un des hommes les plus compétents pour traiter cette grande question de l’art, si massacrée depuis quelque temps, qu’on peut dire qu’elle a eu, elle aussi, ses journées de septembre. »

Edmond Texier.

■ Le club patriotique se trouvait donc dissous de fait, et les seuls membres qui fussent restés fidèles à ses principes, peut-être parce qu’on n’avait rien fait pour les en détacher, en étaient réduits à se consoler entre eux. « Nous sommes les derniers des Romains de Châteaugiron, ■ disait d’un ton d’amertume

DERN

l’ex-greffier, qui, comme on a pu le voir, se piquait d’érudition littéraire. »

Charles de Bernard.

« On s’accorde depuis longtemps à proclamer que la’ Consolation philosophique de Boece est un beau livre. Ce dernier des Romains, comme l’ont appelé quelques critiques, surpasse tellement Martianus Capella, Cassiodore, Isidore de Se ville, tous les écrivains de son siècle, et païens et chrétiens, qu’il ne peut leur être comparé sans injure. »

(Le Siècle.)