Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/désir s. m.

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 2p. 561-562).
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DÉSIR s. m, (dé-zir. L’Académie indiqua que plusieurs écrivent et que beaucoup prononcent désir — lat. desiderium ; de desiderare, désirer). Acte de l’âme qui aspire à la possession ou à la réalisation d’une chose : Exprimer un désir. Former, concevoir un désir. Satisfaire un désir. Le bonheur et le déSir ne peuvent se trouver ensemble. (Epictète.) De nouveaux désirs naissent de ceux que vous venez de voir satisfaits. (Boss.) Rien ne découvre tant le fond du cœur et de la conscience des hommes que leurs désirs. (Fléch.) Les désirs d’un ami malheureux sont des ordres. (Sterne.) Le désir est une espèce de mésaise que l’amour du bien-être met en nous. (Vauven.) Tout désir est un besoin, une douleur commencée. (Volt.) Prévenir tous les désirs n’est pas l’art de les contenter, mais de les étendre. (J.-J. Rouss.) Malheur à celui qui n’a plus de désirs ou qui en a trop ! (J.-J : Rouss.) La privation d’un objet nous donne ce malaise que nous nommons besoin et d’où naissent nos désirs. (Condill.) La soif des désirs s’irrite à mesure qu’on la satisfait. (Guicbardin.) L’homme n’est riche que dans la modération de ses désirs. (De Bônald.) Le désir est un mouvement de l’âme vers un objet qui t’attire. (J. de Maistre.) C’est un grand mal pour. l’homme d’arriver trop tôt au bout de ses désirs, et de parcourir en quelques années les illus : ons d’une longue vie. (Chateaub.) Peu de désirs, peu de déceptions. (Descuret.) Nous rions des Danaïdes ; leur cuve est celle de nos désirs. (Boiste.) Nul être humain ne peut combler les désirs d’un autre. (De Custine.) Le désir croit avec l’attrait. (H. Taine.) Le désir est fils du besoin. (V. Cousin.) Le désir est comme un vide qui se creuse dans notre être, et que la satisfaction vient combler. (Ch. Dollius.) Les désirs sont la richesse du pauvre, et ne ruinent pus les riches. (A. Karr.) Le démon a pour lui ce pouvoir de tenter les âmes par leurs propres désirs ; qui est le plus puissant de tous. (St-Marc Girard.) Le désir d’un meilleur état est la source de tout le mal dans le monde. (Renan.) Le désir entre toujours pour moitié dans te regret. (Toussenel.) Le désir devient passion à mesure qu’il avança dans la voie où il a pris naissance. (Ch. Baiily.) Nos tristesses sont du. même ordre que nos désirs, puisque nos désirs déçus les composent. (Prévost-Paradol.) lin Europe, le désir est enflammé par la contrainte ; en Amérique, il s’émousse par la liberté. (H. Beyle.)

Qui borne ses désirs est toujours assez riche.

Voltaire.0

Le désir est parfois moins grand que le bonheur.

A. de Musset.0

Il faut régler ses goûts, ses travaux, ses plaisirs,
Mettre un but à sa course, un terme à ses désirs.

{{Alinéa|Voltaire.

La vertu, qui n’admet que de sages plaisirs,
Semble d’un ton trop dur gourmander nos désirs.

L. Racine.0

Un désir bien réglé doit toujours être égal ;
Ce qui combat un bien ne peut être qu’un mat.

Quinault.0

Pour contenter ses frivoles désirs,
L’homme insensé vainement se consume.

Racine.0

Etendre son esprit, resserrer ses désirs.
C’est là le grand secret ignoré du vulgaire.

Lamartine.0

Le désir n’est rien que martyre ;
Content ne vit le désireux,
Et l’homme mort est bien heureux.
Heureux qui plus rien ne désire !

Ronsard.0

|| Objet désiré : La paix est mon seul désir.

Léon seul est ma joie, il est mon seul désir.

Corneille.0

Tous vos désirs, Esther, vous seront accordés.

Racine.0

— Particulièrem. Appétit des sens qui pousse les sexes l’un vers l’autre : On doit s’interdire tes désirs, car les désirs conduisent aux actions. (H. Beyle.) Le désir est une affinité des sens, une loi physique. (Laténa.) Le désir, en amour, veut détruire les obstacles qui l’attirent, et il meurt sur les débris d’une vertu vaincue. (G. Sand.)

Le moindre désir qui l’effleure de l’aile
Met un voile de pourpre à la sainte pudeur.

A. de Musset.0

C’est rabaisser l’hymen au niveau d’un plaisir
Que d’en faire le but d’un amoureux désir.

Ronsard.

Désir de fille est un feu qui dévore.
Désir de nonne est cent fois pis encore.

Gresset.

— Ane. prat. Au désir de, suivant qu’il est réglé par : Au désir de la loi, de l’ordonnance.

Antonymes. Apathie, inappétence, indifférence. — Crainte.

Encycl. Philos. Le désir est une inclination de l’âme vers un but déterminé. Il est difficile d’en fournir une analyse exacte.

La destination de tous les êtres de la nature n’est pas la même ; de la différence de leurs désirs procède la différence de leur orfanisme. La Providence a assigné à chaque tre organisé un rôle distinct. Le désir, qui dérive de la raison, sans quoi il ne serait qu’un mode de l’instinct, a chez l’hbmrae un caractère particulier. C’est chez lui un penchant impérieux, et continuel qui le dispose à se rapprocher des objets en harmonie avec la fin de ses facultés, et dont il considère la possession comme le bonheur, la privation comme une source d’inquiétude, de malaise et d’abattement.

Cette inclination secrète de l’âme vers certains objets est commune à tous les hommes. Elle est le ressort de notre être et la cause immédiate de nos actions.

La plupart des psychologues avaient l’habitude de la considérer comme un fait purement affectif, c’est-à-dire comme un acte ou une manière d’être de la sensibilité. On en rapporte maintenant une part au principe actif ouàla volonté. Jouffroy, dont le talent comme psychologue jouit d’une si grande autorité, ne distingue pas encore dans le désir le côté actif. « La sensibilité, dit-il, étant agréablement affectée, commence par s’épanouir, pour ainsi dire, sous la sensation ; elle se dilate et se met au large, comme pour absorber plus aisément et plus complètement l’action bienfaisante qu’elle éprouve ; c’est la le premier degré de son développement. Bientôt ce premier mouvement se détermine davantage et prend une direction ; la sensibilité se porte hors d’elle et se répand vers la cause qui l’affecte agréablement : c’est le second degré. Enfin à ce mouvement expansif finit tôt ou tard par en succéder un troisième, qui en est comme la suite et le complément : non-seulement la sensibilité se porte vers l’objet, mais elle l’aspire à elle ; elle tend à le ramener à elle, à se l’assimiler, pour ainsi dire. Le mouvement précèdent était purement expansif, celui-ci est attractif ; par le premier, la sensibilité allait à l’objet agréable ; par le second, elle y va encore, mais pour 1 attirer et le rapporter à elle : c’est le troisième et dernier degré de son développement. »

Jouffroy nomme lui-même ces trois degrés : joie, amour et désir. Pour démontrer que le désir n’est point du ressort exclusif de la sensibilité, il suffit de remarquer que la sensibilité est, en général, la faculté d’éprouver du plaisir et de la douleur, et que dans le désir il y a autre chose que du plaisir et de la douleur. Cet élément distinct de la sensibilité est le mouvement attractif indiqué par Jouffroy. 11 signale la présence d’une faculté différente du sens affectif, qui est la volonté.

De même que, dans le phénomène de l’attention, il ny a pas seulement de l’intelligence, mais un acte de la volonté dirigeant l’entendement vers un objet particulier, de même ici la volonté intervient pour diriger non plus l’entendement, mais le sens affectif vers un but qui n’est point une connaissance, mais un sentiment. D’où l’on peut conclure que le désir est au sentiment ce que l’attention est à la connaissance.

Le langage lui-même consacre cette observation, car désirer, dans le sens ordinaire, équivaut à vouloir. On dit indifféremment : Je désire aller à tel endroit, ou Je veux aller à tel endroit. Le désir diffère cependant de la volonté, en ce qu’il est spontané ; un acte volontaire est toujours un acte de réflexion, de sorte qu’entre un désir et un acte volontaire il n’y a de différence que la réflexion ; en d’autres termes, la part affective du désir est dans l’homme l’œuvre de l’instinct, et la part volontaire, le fruit de la liberté et de la réflexion. Il y a donc toujours un côté affectif dans le désir, Quand il commence au degré de Jouffroy, l’âme s’ouvre à un sentiment de plaisir ; si ce sentiment n’est pas satisfait, un sentiment contraire, appelé tristesse, lui succède. Son effet est le besoin. Le besoin est suivi d’une aspiration de l’âme à le satisfaire, et c’est là proprement le désir. Les termes souvenir et espérance servent encore à qualifier le désir. Le souvenir a trait à un désir satisfait et qui n’existe plus ; l’espérance, à un désir non satisfait, mais pour lequel il y a des motifs pour qu’il le soit. C’est pourquoi Malebranche définit le désir « l’idée d’un bien que l’on ne possède pas, mais que l’on espère de posséder. » Il participe donc de la raison. Les minéraux ont des affinités, les animaux des instincts : l’homme seul a des désirs, parce qu’il pense.

On a vu plus haut que le désir a une liaison intime avec la volonté. Condillac et La Romiguière l’avaient considéré comme le principe générateur de la volonté. Dans leur théorie, je désire signifie toujours je veux. Il est constant que le désir sollicite la volonté, provoque l’action, et, en un grand nombre de cas, la détermine ; mais il en est de même de toutes les facultés de l’âme : toutes ont la volonté pour ministre. C’est même ce qui les fait libres, car si elles ne pouvaient traduire la pensée en acte, elles seraient entièrement passives et soumises au


joug de la nécessité pure. On a voulu voir dans le désir l’essence et la nature même de l’âme. Il fait partie de cette nature, mais ne la constitue pas. « Si la nature de l’âme consistait primitivement à désirer, dit M. Charles Jourdain ; si, envisagée dans son fond, dans son essence, elle n’était autre chose qu’un désir non interrompu poursuivant sans relâche une fin indéterminée, le désir devrait suffire pour rendre compte de tout ce qu’elle est et de tout ce qui se passe en elle, de ses facultés et de ses modifications… Il y a chez l’homme un sentiment non moins énergique et non moins profond que celui du pouvoir volontaire, je veux dire le sentiment de son unité et de son identité. Chacun de nous sait clairement que le principe de son être est un, simple, indivisible, qu’il ne change pas, ne se renouvelle pas, mais qu’il reste aujourd’hui ce qu’il était hier et ce qu’il sera demain. » Nos désirs si multiples, si changeants, si opposés ne sont donc pas la cause de cette unité.

Le désir se distingue de l’appétit par deux caractères essentiels ; 1o il ne vient pas du corps ; 2o il n’agit pas périodiquement comme, par exemple, la faim. Quant à ses espèces, Dugald-Stewart en a dressé une classification assez généralement admise. Il les divise en cinq classes : 1o le désir de connaissance ou principe de curiosité ; 2o le désir de société ; 3o le désir d’estime ; 4o le désir du pouvoir ou principe d’ambition ; 5o le désir de supériorité ou principe d’émulation. Le désir de connaissance ou principe de curiosité est le premier qui se développe dans l’enfance. Les propriétés des choses et les lois matérielles de la nature en sont d’abord l’objet. En ce moment, il est uniforme ; plus tard il varie d’un individu à un autre suivant le milieu qu’on habite, l’éducation qu’on reçoit ou la constitution héréditaire. De là la variété des carrières poursuivies, variété nécessaire dans l’économie de la civilisation. Le désir de connaissance n’est pas intéressé. De même que la faim n’a pas pour objet le bonheur, mais la nourriture, de même 1 objet de la curiosité est de savoir et non d’être heureux.

Le désir de la société n’est peut-être que le fruit » d’une longue élaboration historique. Dans tous les cas, il est devenu une loi de la nature humaine. Abstraction faite des affections bienveillantes qui nous disposent à vouloir le bonheur des autres, et des avantages que procure l’état social, le désir de la société est un des ressorts de la vie. Il intéresse au suprême degré notre bonheur personnel. On a prétendu qu’il n’était que le fruit d’une habitude:soit ; mais, en l’état actuel, la solitude absolue est un supplice qu’on n’ose même pas infliger aux criminels.

Le désir d’estime est également un de ceux qui se développent de bonne heure chez l’enfant. Avant d’avoir pu mesurer l’utilité d’inspirer à autrui une bonne opinion de nous-mêmes, le mépris nous incommode et les égards nous sont agréables. Quelques moralistes rigides blâment cette tendance primitive de notre nature. Salomon est d’avis que la science est une vanité ; l’ascétisme considère l’amour de la société comme une faiblesse ; pour Pascal, le désir d’être estimé d’autrui prouve qu’on ne l’est pas de soi-même, et qu’on cherche ailleurs des compensations. Ce sont là des sentiments individuels auxquels répugne la presque unanimité de l’espèce.

Le désir du pouvoir est certainement l’œuvre de l’état social et ne saurait être envisagé comme une faculté primitive de notre nature. Toutes les fois que l’homme peut se considérer comme l’auteur d’un effet, un mouvement de joie et d’orgueil se manifeste en lui. Ce mouvement est proportionnel à la grandeur de l’effet produit. On remarque aussi cette disposition chez les enfants dès leur bas âge. Dans l’adolescence, elle se fait jour de tous les côtés, principalement dans les exercices gymnastiques, par l’étalage de leur force physique ; puis vient le désir de la force intellectuelle et les luttes de l’école, auxquelles succèdent celles de la vie publi âue, politique ou privée. « Nous cherchons, it Dugald-Stewart, dans la supériorité de la fortune et du rang, ou dans celle plus flatteuse encore de nos talents intellectuels, les moyens d’étendre notre influence sur les autres : la force de l’entendement, l’étendue des connaissances, les artifices de la persuasion et les finesses de l’habileté sont mises en œuvre pour ce but. Quelle autre idée que celle du pouvoir réjouit l’orateur dans le sentiment de son éloquence, quand il fait taire par l’ascendant de son génie la raison des autres, qu’il tourne à ses desseins leurs désirs et leurs passions, et que, sans le secours de la force ou la splendeur du rang, il devient l’arbitre des nations ? »

Le désir du pouvoir entre dans le goût qu’on a pour la propriété, par conséquent dans l’avarice, dans l’amour de la liberté, car on veut avoir la faculté de suivre ses inclinations et de briguer la possession des choses que l’absence de la liberté met dans les mains d’un seul ou de quelques-uns. Cieéron voit surtout dans le désir du pouvoir l’amour du bien-être, ou, mieux encore, l’envie de vivre à sa guise, à Ceux qui le recherchent, dit-il, se proposent le même but que les princes, vivre à leur fantaisie. Ils trouvent une satisfaction à ce but, en ce qu’ils


ne manquent de rien, n’obéissent à rien, jouissent d’une liberté entière. »

Le désir de la supériorité semble au premier abord se confondre avec le précédent : il est beaucoup plus large néanmoins. Dugald-Stewart le regarde comme le véritable principe actif ; il est la cause de l’émulation. Quand l’émulation est accompagnée de malveillance, elle s’appelle l’envie. « L’émulation, dit le docteur Butler, est proprement le désir de devenir supérieur à ceux avec qui nous nous comparons ; vouloir y parvenir en abaissant les autres au-dessous de notre niveau, telle est la nature de l’envie. Ainsi la passion naturelle de l’émulation et la passion dépravée de l’envie ont exactement le même but ; faire le mal n’est donc pas la fin de l’envie, mais le moyen dont elle use pour arriver à sa fin. » L’émulation existe à divers degrés chez les animaux.

Outre les cinq espèces de désirs précédents, l’homme en a d’autres qui sont artificiels ; tels sont le désir des richesses pour elles-mêmes, du luxe, des meubles, des objets d’art, des collections, etc. Cette classification de nos désirs ne s’applique d’ailleurs qu’à leurs objets. Par rapport à leur origine, on les divise en désirs naturels et en désirs acquis. On apporte les premiers en naissant, et on acquiert les autres par les habitudes particulières que l’on contracte. Les désirs naturels dépendent de notre constitution et se retrouvent chez tout le monde ; les désirs artificiels n’existent que chez quelques-uns. Une qualité commune aux désirs naturels et artificiels est, au surplus, de n’être jamais satisfaits que pour un instant. La nature a voulu qu’ils se renouvelassent sans cesse, afin de ne point nous laisser inactifs ; car, il ne faut pas s’y tromper, avoir des désirs et travailler à les satisfaire, c’est vivre, et l’on vit d’autant plus que ces désirs sont plus grands et nos moyens de les satisfaire plus puissants.

— Bibliogr. V. Th. Meid, Essai sur les facultés actives de l’homme (Londres, 1812, 3 vol, in-8<>, liv. III) ; Dugald-Stewart, Esquisses de philosophie morale, traduit par Jouffroy (Paris, 1S26, 1 vol. in-8<>, 2e part., sect. 3) ; Dugald-Stewart, Philosophie des facultés actives et morales de l’homme (liv. I) ; Ad. Garnier, Traité des facultés de l’âme, passim ; dictionnaire de la conversation au mot désir ; Ch. Jourdain, au mot désir, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques.