Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/calvinisme s. m.

Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 1p. 188-191).

CALVINISME s. m. (kal-vi-ni-sme — rad. Calvin). Doctrine religieuse de Calvin : Celui de ses aïeux qui avait embrassé le calvinisme fut obligé d’abandonner sa patrie. (Condorcet.) Le calvinisme fut la religion de tous les insurgés. (Mignet.) Le papisme pousse au célibat, le calvinisme pousse à la famille. (Balz.)

C’est, selon eux, prêcher un calvinisme horrible.
                 Boileau.

J’ai vu naître autrefois le calvinisme en France.
                 Voltaire.

— Par ext. Ensemble des personnes qui professent le calvinisme : Louis XIV, qui avait proscrit le calvinisme avec tant de hauteur, fit la paix, sous le nom d’amnistie, avec un garçon boulanger. (Volt.)

Encycl. I. — Exposition sommaire de la doctrine calviniste. Pour donner une idée générale de la doctrine calviniste, il convient d’abord de citer Bossuet.

« Par son esprit pénétrant et par ses décisions hardies, Calvin, dit l’auteur de l’Histoire des variations, raffina sur tous ceux qui avaient voulu, en ce siècle-là, faire une Église nouvelle, et donna un nouveau tour à la Réforme prétendue. Elle roulait principalement sur deux points, sur celui de la justification et sur celui de l’eucharistie. Pour la justification, Calvin s’attacha, autant pour le moins que Luther, à la justice imputative, comme un fondement commun de toute la nouvelle réforme ; et il enrichit cette doctrine, de trois articles importants. Premièrement cette certitude, que Luther reconnaissait seulement pour la justification, fut étendue par Calvin au salut éternel ; c’est-à-dire qu’au lieu que Luther voulait seulement que le fidèle se tînt assuré, d’une certitude infaillible, qu’il était justifié, Calvin voulut qu’il tînt pour certaine avec sa justification sa prédestination éternelle : de sorte qu’un parfait calviniste ne peut non plus douter de son salut qu’un parfait luthérien de sa justification….. De là s’ensuivait un second dogme : c’est qu’au lieu que Luther demeurait d’accord que le fidèle justifié pouvait déchoir de la grâce, Calvin soutient au contraire que la grâce, une fois reçue, ne se peut plus perdre : ainsi qui est justifié et qui reçoit une fois le Saint-Esprit est justifié et reçoit le Saint-Esprit pour toujours. C’est ce dogme qui est appelé l’inamissibilité de la justice. Il y eut encore un troisième dogme que Calvin établit comme une suite de la justice imputée : c’est que le baptême ne pouvait pas être nécessaire au salut, comme le disent les luthériens….. Si nous sommes justifiés par la seule foi, le baptême n’est nécessaire ni en effet ni en vœu. C’est pourquoi Calvin ne veut pas qu’il opère en nous la rémission des péchés ni l’infusion de la grâce, mais seulement qu’il en soit le sceau et la marque que nous l’avons obtenue. Il est certain qu’en disant ces choses, il fallait dire en même temps que les petits enfants étaient en grâce indépendamment du baptême. Aussi Calvin ne fit-il point de difficulté de l’avouer. C’est ce qui lui fit inventer que les enfants des fidèles naissaient dans l’alliance, c’est-à-dire dans la sainteté que le baptême ne faisait que sceller en eux… Quand je regarde Calvin comme l’auteur de ces trois dogmes, je ne veux pas dire qu’il soit absolument le premier qui les ait enseignés ; car les anabaptistes et d’autres encore les avaient déjà soutenus, ou en tout ou en partie, mais je veux dire qu’il leur a donné un nouveau tour, et a fait voir mieux que personne le rapport qu’ils ont avec la justice imputée….. Jusqu’ici Calvin s’est élevé au-dessus des luthériens, en tombant aussi plus bas qu’ils n’avaient fait. Sur le point de l’eucharistie, il s’éleva non-seulement au-dessus d’eux, mais encore au-dessus des zwingliens ; et, par une même sentence, il donna le tort aux deux partis qui divisaient depuis si longtemps toute la nouvelle réforme. Il y avait quinze ans qu’ils disputaient sur le point de la présence réelle, sans jamais avoir pu convenir, quoi qu’on ait pu faire pour les mettre d’accord, lorsque Calvin, encore assez jeune, décida qu’Us ne s’étaient point entendus, et que les chefs des deux partis avaient tort : Luther, — pour avoir trop pressé la présence corporelle ; Zwingle et CEcolampade, pour n’avoir pas assezexprimé que la chose même, c’est-à-dire que le corps et le sang étaient joints aux signes ; parce qu’il fallait reconnaître une certaine présence de Jésus-Christ dans la cène qu’ils n’avaient pas bien

comprise Il y eut un dernier point qui

donna à Calvin grand crédit parmi ceux qui se piquaient d’avoir de l’esprit. C’est la hardiesse qu’il eut de rejeter les cérémonies beaucoup plus que n’avaient fait les luthériens ; car ils s’étaient fait une loi de retenir celles qui n’étaient pas manifestement contraires à leurs nouveaux dogmes. Mais Calvin fut inexorable sur ce point, Jl condamnait Mélanchthon qui trouvait à son avis les cérémonies trop indifférentes ; et si le culte qu’il introduisit parut trop nu à quelques-uns, cela même fut un nouveau charme pour les beaux esprits qui crurent par ce moyen s’élever au-dessus des sens et se distinguer du vulgaire.» De nos jours, M. Mignet a, d’un crayon sûr, esquissé la physionomie générale du calvinisme. Nous trouvons., dans son intéressant Mémoire sur l’établissement de la fléforme à Genève, une exposition sommaire de la théologie calviniste qui mérite de fixer l’attention. Comme Bossuet, M. Mignet constate d’abord que toute l’originalité de Calvin est dans la coordination logique et la systématisation rigoureuse des principes émis par ses devanciers. « Calvin, dit-il, n’inventa rien. En effet, il prit à Luther sa théorie de la justification chrétienne, à Zwingle sa théorie de !a présence spirituelle, aux anabaptistes leur théorie de l’inamissibilité du Saint-Esprit ou de la grâce quand on l’avait une fois reçue. De ces trois dogmes très-légèrement modifiés et très-habilement fondus ensemble, il composa un

système qui fut à lui, et qui prit son nom. »

Pour assigner & ce système de Calvin les caractères qui lui appartiennent, et marquer les différences qui le séparent des autres doctrines protestantes, M. Mignet s’arrête à considérer les origines et les caractères généraux du protestantisme, l’essence du christianisme

Ïirimitif et les développements qu’avait pris e culte, c’est-à-dire l’application du christianisme, sous l’action prolongée du sacerdoce. C’était, dit-il, sur le dogme de la rédemption que reposait le christianisme. D’après ce dogme l’homme, porté au mal et condamné à la mort éternelle par l’effet de son origine et l’inclination vicieuse, avait eu besoin que Dieu envoyât son Fils sur la terre et le sacrifiât sur la croix pour lui afin qu’il pût échapper au mal et acquérir l’immortalité. Cette rédemption de l’homme par le Fils de Dieu avait eu pour conséquences les dogmes de la trinité, de l’incarnation, de la double nature de Jésus-Christ, etc., qui formaient son essence, ou le christianisme par rapport à Dieu ; et les sacrements qui formaient son application, ou le christianisme.par rapport à l’homme. Les hérésies des cinq premiers siècles avaient attaqué l’essence même du christianisme, parce qu’elles éta.snt una protestation de l’esprit philosophique contru les croyances incompréhensibles de la foi ; les hérésies du xvie siècle n’attaquèrent que l’application du christianisme à l’homme, parce qu’elles furent une protestation de l’esprit moral contre les abus qu’en avait faits le sacerdoce. La querelle entre Luther et le pape naquit, en effet, comme on sait, d’une question d’application du christianisme, c’est-à-dire de la distribution des indulgences. Le clergé romain avait singulièrement étendu les moyens de rachat. Ces

moyens étaient réduits, dans la primitive Eçlise, h quelques sacrements, fondés eux-mêmes sur des paroles précises de Jésus-Christ. Ils étaient les signes de l’action de Dieu sur l’homme pour le régénérer ; ils exigeaient la foi et commandaient la vertu. Ainsi le baptême était à l’homme sa tache originelle par la communication de l’esprit de Dieu, en vertu de ces paroles : Quiconque aura été baptisé, et croira en moi, ne mourra point éternellement. La pénitence, fondée sur ces autres paroles, de Jésus-Christ à ses apôtres : Tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel, offrait à l’homme qui, malgré sa régénération, avait manqué aux préceptes de la loi chrétienne, un moyen de redevenir juste. L’eucharistie, instituée d’après la cène do Jésus-Christ avec ses apôtres et « tu’il avait recommandé de renouveler, en disant que le pain était son corps et le vin son sang, mettait l’homme en rapport complet avec Dieu par la communication de sa propre substance. Césystème aurait été imparfait si le baptême, qui introduisait l’homme dans la société rachetée en lui donnant l’esprit de Dieu ; l’eucharistie, qui l’y maintenait fortement en le pénétrant de son essence même ;*la pénitence, qui l’y faisait rentrer quand, malgré ces appuis, il avait succombé aux faiblesses de sa nature, ne lui avaient pas été conférés par les prêtres successeurs du pouvoir de Jésus-Christ. C est à quoi avait pourvu le sacrement de l’ordre, fondé sur la mission que Jésus-Christ avait lui-même donnée aux apôtres d’aller prêcher par toute la terre, de baptiser, de délier et de renouveler la cène. Mais l’Eglise avait étendu ce système. Afin qu’aucun acte et qu’aucun moment de l’existence n’échappassent à l’action de Dieu et ne manquassent d’un moyen de sajut, lu confirmation, Je

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> mariago et l’extrême-onction avaient été ajoutés aux quatre autres sacrements. On était allé encore plus loin. On avait créé des moyens de salut qui devaient suivre l’homme après la mort même. On avait admis, sous le nom de purgatoire, un lieu d’attente et d’épreuve, où les âmes punies temporairement pouvaient recevoir du prêtre, sans leur coopération, le pardon de leurs fautes et la rémission de leur châtiment. Par suite de cette nouvelle tendance sacerdotale, le salut n’avait pas été attaché aux sacrements seuls, mais souvent encore à des œuvres sans vertu, à des actes sans repentir, à des pratiques sans résultats. Des pèlerinages, l’invocation des saints, l’abstinence des viandes, certains vœux, des messes, des absolutions achetées, des indulgences répandues à profusion et à prix

d’argent avaient affaibli la morale en facilitant le salut, sans exiger la régénération de l’homme. C’est contre cette justification pécuniaire et extérieure, qui ne changeait pas la vie, qui n’améliorait pas la conduite, qui assurait au chrétien son salut moyennant l’acquittement d’un impôt établi sur ses désordres, qui substituait l’action du sacerdoce à l’action de la foi, et des formes impuissantes à une croyance intérieure et élevée que s’était prononcé Luther.

Après avoir montré le développement, au sein de l’Église et par l’Église, de l’appareil formaliste et sacramentaire, la végétation touffue et stérile des pratiques et des observances, M. Mignet caractérise la réforme de Luther. Cette réforme plaçait la justification du chrétien dans la foi seule. Luther avait fait, contre les pratiques sacerdotales, ce que saint Paul avait fait, quinze cents ans avant lui, contre le judaïsme, réduit aussi àdes cérémonies qui accablaient la foi, et dont l’observance semblait dispenser de la vertu. Saint Paul avait dit : Nous devons reconnaître que l’homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi. Luther avait également condamné les œuvres au nom de la foi, et proclamé que l’homme ne gagnait pas son salut par Sa conduite. Selon lui l’homme, placé sous la main de Dieu, recevait la foi de sa grâce, et le salut de soti supplice sur la croix. Il n’était pour rien ni dans sa foi ni dans son salut : créature faible, il était condamné au mal et à la mort, si la miséricorde de Dieu ne l’arrachait pas à l’un et à l’autre par un acte gratuit de sa puissance. De cette justification par la foi, et de cette foi qui venait de Dieu et non pas de l’homme, étaient découlées des conséquences considérables. Dans la philosophie chrétienne, l’action de la grâce avait été substituée à celle de la volonté, c’est-à-dire l’intervention de Dieu au libre arbitre de l’homme, pour l’accomplissement du salut, qui était la fin même du christianisme. Dans la pratique morale, les indulgences, les pèlerinages, les viandes défendues, le purgatoire, les vœux monastiques, le célibat des prêtres avaient été abolis. Une règle plus obligatoire dans ses prescriptions et plus conforme à la nature humaine dans son exercice avait remplacé, l’accomplissement de beaucoup d’actes stériles * ou la recherche d’une perfection si extrême et si peu accessible aux forces de l’homme, qu’elle le faisait souvent tomber, des hauteurs où elle voulait l’élever, dans des chutes plus profondes. Cette règle exigeait qu’on devint meilleur, moins pour se sauver que pour se conformer à la volonté de Dieu. Dans le culte, les sacrements étaient considérés comme les signes de l’action de Dieu, et non comme les instruments du salut de l’homme. Ils disposaient au salut, mais ils ne le conféraient pas. Leur nombre avait été réduit de sept à trois. Luther n’avait conservé que le baptême, la pénitence, la cène. Il avait changé le caractère de la cène, en ajoutant l’usage de la coupe à celui du pain et en rejetant la transformation complète des espèces, tout en y admettant la présence corporelle de Dieu. Dans le gouvernement de l’Église, l’unité do pouvoir avait été détruite. Luther avait proclamé que le pape n’était pas de droit divin, et n’avait conservé la juridiction religieuse que dans l’épiscopat, dont les membres demeuraient égaux sous un seul chef qui était Jésus-Christ. Le choix des évêques ou visiteurs avait été accordé au prince.

M. Mignet arrive enfin au calvinisme, après ce long mais inévitable détour, et nous montre Calvin complétant le système luthérien de la foi justifiante et y introduisant encore plus de suite, de rigueur et d’exagération. Luther avait prétendu que le chrétien se sauvait par la foi et qu’il était certain par elle de sa justification ; mais il avait ajouté que s’il ne pouvait pas acquérir tout seul son salut, il pouvait te perdre, et que pour être certain de sa justification momentanée, il ne l’était point de sa justification irrévocable. Il admettait la pénitence, puisqu’il reconnaissait la possibilité de la chute. C’est ici que Calvin le dépassa par une logique extrêmement hardie. Il dit que l’homme, une fois assuré de sa justification par la foi, — l’était aussi de sa sanctification, parce que Dieu ne pouvait pas lui donner et lui retirer sa grâce, le rendre alternativement l’objet de son choix et de sa réprobation. Le chrétien justifié fut élu de Dieu, il devint saint, il ne put ni faillir ni se perdre. Cette doctrine, qui poussait la grâce de Luther jusqu’à la prédestination de-Calvin, la justification du premier jusqu’à la sanctification du second, eut à son tour d’inévitables suites dans Je ottltef dans gouvernement, dans ta mp.

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raie. Les sacrements réduits à trois par Luther le furent à deux par Calvin : le baptême et la cène. Ces sacrements eux-mêmes se trouvèrent dépouillés de leur ancienne efficacité ou de leur mystérieuse grandeur. Les enfants des élus, et ici Calvin se rapproche des anabaptistes, n’eurent pas besoin du baptême pour entrer dans la société rachetée ; ils y furent compris par leur descendance seule, comme, avant la venue du Christ, l’homme, par sa descendance seule, avait été frappé de réprobation et de mort. Quant à la cène, adoptant l’opinion de Zwingle, il n’y fit communiquer Dieu qu’en esprit, de la même manière que Dieu était communiqué dans la prédication de sa parole et dans le baptême. Calvin n’admit point la pénitence, parce que, d’après son principe, le véritable élu, ne pouvant pas tomber, n’avait pas besoin de se relever. Il abolit l’épiscopat, comme Luther avait aboli la papauté, et confia le choix du ministre du culte, non au magistrat civil, mais à la société religieuse. U établit l’égalité sur les ruines de la hiérarchie sacerdotale. Il introduisit les laïques, sous le nom d’anciens, dans l’assemblée du consistoire qui conservait les doctrines et jugeait les mœurs. Son christianisme étant tout spirituel, il supprima comme inutiles les cérémonies que Luther avait laissées subsister comme indifférentes. Sa morale fut d’autant plus rigide que l’homme, une fois, selon lui, pénétré de la grâce de Dieu, dut s’en rendre digne par la pureté de ses mœurs et les vertus de sa vie. Elu de Dieu, U dut suivre son exemple et éviter d’autant plus de pécher, qu’il ne trouva plus la possibilité d’être absous. C’est ainsi que, poussant jusqu’aux extrémités les principes de Luther, Calvin fit avec exagération une doctrine de logiciens, un culte et une morale de puritains, un gouvernement de démocrates.

M. Mignet remarque que Calvin voulut soumettre le pouvoir civil au pouvoir religieux, contrairement à ce qui s’était pratiqué jusquelà dans la réformation. • En Angleterre, dit-il, le roi s’était emparé de la suprématie religieuse. En Allemagne, les princes et les villes impériales ne s’étaient pas, selon l’expression de Mélanchthon, mises en peine de la doctrine, mais seulement de la domination et de ta liberté (De doctrina religionis nihil laborant, tantum de regno et libertate sunt solliciti). En Suisse, les chefs de la réformation se plaignirent que le magistrat se fût fait pape. Chaque pays avait modelé le gouvernement de l’Église réformée sur celui de l’État. Calvin, qui se trouvait proscrit et placé dans une ville en possession récente de sa souveraineté, n’eut aucun ménagement pour l’autorité civile, et parvint à la dompter, parce qu’il la trouva plus faible que lui. Ayant l’exil pour point de départ ? il eut pour but la soumission du pouvoir politique. Il subordonna l’État à l’Église, la société civile à la société religieuse. • M. Mignet a très-bien vu que cette conception théocratique des rapports de la société civile et de la société religieuse est un des traits les plus caractéristiques du calvinisme. Mais il se trompe, selon nous, en l’attribuant exclusivement à l’exil de Calvin et à la faiblesse de l’autorité civile à Genève. Elle dérive très-logiquement de la doctrine calviniste. La papauté, dans le catholicisme, est la clef de voûte de l’édifice sacerdotal, la source du pouvoir religieux. En supprimant le sacrement de l’ordre et en abolissant la papauté, Luther enlevait à l’Église le principe d’une organisation et d’une vie indépendantes de l’État ; elle recevait de l’État sa forme et sa fonction ; elle cessait de se mouvoir et de se développer par elle-même. La conservation de l’épiscopat surtout était incompatible avec l’existence d’un pouvoir spirituel indépendant. Que pouvaient, que peuvent être des évêques séparés du pape, sinon des serviteurs de 1 autorité civile. Ainsi le protestantisme tendait à subordonner la religion à la politique, et cela d’autant plus qu’il était moins radical, et qu’il s’éloignait moins du catholicisme. Calvin voulut que l’Église, que la société religieuse eût une individualité propre, une vie propre, qu’elle fût un organisme et non un organe ; il comprit que là était la condition d’un prosélytisme durable, il comprit que pour remplir Cette condition il fallait placer en elle la source du pouvoir religieux, de l’autorité enseignante et dirigeante, et que cette source du pouvoir religieux, la papauté étant exclue, ne pouvait être placée que dans la communauté des fidèles. C’était le principe de la souveraineté du peuple introduit dans la constitution de l’Église. Ce principe, en faisant dériver le mandat sacerdotal de la volonté des fidèles, effaçait toute distinction essentielle entre les membres de l’Église enseignante et même toute distinction essentielle entre l’Eglise enseignante et l’Église enseignée ; il permettait de se passer, pour reconstruire une autorité religieuse, et du sacrement de l’ordre, et de la papauté, et de l’État. Enfin il s’accordait parfaitement avec cet autre principe calviniste : que la Bible, la parole écrite, doit être considérée comme la règle unique et absolue du dogme et du culte, et qu’il faut repousser absolument tout usage, toute cérémonie, toute croyance qu’on prétend y ajouter au nom de la tradition. La démocratie religieuse instituée par Calvin devait naturellement conduire à la démocratie politique, l’Église calviniste réalisant un type social qui devait fixer l’attention et sur lequel un État dont tes citoyens étaient cajviftistfi d^yftij fendre à se moqejcr, Ainsi,

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par la (constitution démocratique de l’Église calviniste, constitution qui assurait son autonomie ; «’expliquent tout à la fois le prosélytisme de cette Église et le caractère révolutionnaire de ce prosélytisme. De là les tendances républicaines du calvinisme signalées par divers écrivains. < Le parti qui porte le nom de Calviu, dit Bossuet, fut extraordinairement haï par tous les autres protestants, qui le regardèrent comme le plus fier, le plus inquiet et le plus séditieux qui eût encore paru.» « L’Écosse et l’Angleterre puritaines, dit Voltaire, voulaient s’ériger en république. C’était l’esprit du calvinisme : il tenta longtemps en France cette grande entreprise ; il l’exécuta en Hollande. • M. Micheiet a très-bien montré ce qu ?il y a de faux dans l’opinion qui, en France, lie la cause de l’aristocratie à celle du calvinisme et qui célèbre, dans la victoire du catholicisme sur la Réforme, celle de la démocratie sur la féodalité.

Un autre trait caractéristique du calvinisme sur lequel nous devons nous arrêter, c’est l’intolérance. On a souvent dit, et avec raison, que là démocratie et la liberté ne sont pas des compagnes inséparables. L’autorité démocratique est très-forte et peut être très-despotique ; elle l’est même avec d’autant moins de ’ scrupule qu’elle puise dans son impersonnalitê, dans l’intérêt général et dans la passion collective au nom desquels elle prononce, une sorte de légitimité, tout au moins d’irresponsabilité pour ses actes les plus excessifs. » La tyrannie d’un corps, dit Voltaire, est toujours plus impitoyable que celle d’un roi : il y a mille moyens d’apaiser un prince, il n’y en a point d’adoucir la férocité d’un corps entraîné par les préjugés. Chaque membre, enivré de cette fureur commune, la reçoit et la redouble dans les autres membres, et se.porte à l’inhumanité sans crainte, parce que personne ne répond pour le corps entier. • Trop souvent séparés ailleurs, l’esprit-démocratique et l’esprit libéral le sont d’une manière spécialement frappante dans le calvinisme. Il ne faut certainement pas demander à la réforme luthérienne, ni aux autres sectes protestantes, cet esprit de tolérance et de liberté qui est né du mouvement tout païen de la Renaissance, et qui s’est développé, en dehors de la théologie, par la littérature, la science et la philosophie profanes ; mais on peut dire que le calvinisme se distingue des autres sectes protestantes par le caractère systématique qu’il a donné à l’intolérance. Le fait s’explique non-seulement par le génie et le caractère du fondateur, mais encore par la consistance de l’autorité religieuse qu’il a établie, et surtout par la conception calviniste du gouvernement divin, par le dogme de la prédestination.

Le calvinisme ne considère en Dieu que la toute-puissance et la justice, une justice aussi terrible que contraire à notre raison. « Ce Dieu, dit Micheiet, qui d’avance sauve ou damne dans un arbitraire si terrible, diffère peu du royal législateur, comme on le trouve dans nos violentes ordonnances, ou dans la loi de Charles-Quint. » En niant la bonté en Dieu, le calvinisme la détruisait dans le cœur de l’homme. En posant le dualisme : prédestinés au salut, prédestinés à la damnation ; en déclarant à jamais certaines et fixes dans la volonté divine les deux conditions d’élus et do damnés ; en élevant entre elles une barrière infranchissable, il supprimait le repentir et le pardon, et ne laissait subsister entre les bons et les méchants, entre les fidèles et les infidèles, d’autre relation que celle de la haine et de la guerre. U faut voir en quels termes ce principe de la haine aux méchants, aux ennemis de Dieu, est exprimé par les disciples de Calvin : • Non, je n’ai point oublié, écrit Renée do France, duchesse de Ferrare, au réformateur, ce que vous m’avez écrit : que David a haï les ennemis de" Dieu de haine mortelle, et je n’entends point contrevenir ni déroger en rien à cela ; car, quand je saurais que le roi mon père, et la reine ma mère, et feu monsieur mon mari, et tous mes enfants, seraient réprouvés de Dieu, je les voudrais haïr de haine mortelle, et leur désirer l’enfer, et me conformer à la volonté de Dieu entièrement, s’il lui plaisait m’en faire la grâce. » Si le calvinisme inspirait de tels sentiments à une femme, est-il étonnant qu’il ait allumé le bûcher de Servet ?

— II. Histoirb du calvinisme.» Calvin, dit M. Mignet, prépara dans Genève une croyance et un gouvernement à tous ceux en Europe qui rejetteraient la croyance et s’insurgeraient contre le gouvernement de leur pays. C’est ce qui arriva en France sous la minorité de Charles IX ; en Écosse, sous le règne troublé de Marie Stuart ; dans les Pays-Bas, lors de la révolte des Provinces-Unies ; et en Angleterre, sous Charles Ier. Le calvinisme, religion des insurgés, fut adopté par les huguenots de France, les gueux des Pays-Bas, les presbytériens d Écosse, les puritains et les indépendants d’Angleterre. Expression du grand besoin de croire avec liberté qu’éprouvait alors le genre humain, il fournit un modèle et un moyen de réformation aux peuples dont les gouvernements ne voulurent pas l’opérer par eux-mêmes, sans être toutefois assez forts pour l’empêcher. ■ Introduit d’abord à Genève, le système de Calvin devait agiter soixante ans la France, servir à opérer la réformation dfÉcosse, contribuer à 1 émancipation de la Hollande, présider à la révolution d’Angleterre. Traçons une esquisse rapide des destinées du calvinisme en, ces divers pays, 190

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Le calvinisme à Genève. V. Calvin.

Le calvinisme en France. Dès son entrée en France, la Réforme avait été accueillie par la persécution ; mais, sous la persécution, les calvinistes se multipliaient, et la religion allait s’étendant au milieu des supplices. Sous Henri II, elle portait k deux mille le nombre de ses églises et prenait place au parlement, Henri II vint en personne y écouter une discussion sur ses édits contre les réformés. L’honnêteté courageuse de Dufaur et d’Anne Dubourg ne fut pas intimidée par la présence du roi. Ils s’élevèrent contre ces persécutions si peu chrétiennes, et le second, opposant au crime imaginaire de protestantisme les crimes plus réels de parjure et de débauche, parut ainsi désigner hautement le triste souverain qui prétendait à l’honneur de défendre l’Église romaine. Dubourg fut arrêté et brûlé vif en place de Grève.

Sous François II, les deux religions se trouvèrent pour la première fois en présence, formant deux partis prêts à la lutte : les calvinistes avaient pour chef le roi de Navarre et son frère le prince de Condé, tandis que le catholicisme se personnifiait dans la puissante maison de Lorraine, dans les Guises. Un coup de main faillit livrer le pouvoir aux réformas. Le prince de Condé, l’amiral de Coligny et un grand nombre de gentilshommes protestants préparèrent l’enlèvement du roi qu’on espérait surprendre à Amboise. V. Amboise (Conjuration d’). Mais l’entreprise fut prévenue et déjouée, ; les protestants conjurés furent égorgés isolément sur les chemins ; quelques-uns, réservés pour une exécution solennelle, furent décapites devant le roi et la cour.

L’avènement de Charles IX suspendit un instant les vengeances. Catherine de Médicis, qui redoutait les Guises, enflés par leur récente victoire, s’appuya contre eux sur le vénérable chancelier de L Hôpital qui, égaré en ce temps de guerre civile et de mutuelle intolérance, souffrait de tous les coups portés par les deux partis, soit à l’unité nationale, soit aux droits do la conscience. Mais les passions religieuses, emportant les esprits d’un côté ou de l’autre, devaient rendre cette politique longtemps impuissante. Après l’inutile colloque de Poissyv. Poissy (Colloque de)], qui mit en présence les théologiens des deux religions, le massacre des protestants à Vassy par les gens du duc de Guise donna le signal de la guerre civile fv. Vassy (Massacre de)]. Chaque parti appelle l’étranger sans scrupule. Les Guises recevaient les conseils et les secours du roi (l’Espagne ; les Anglais occupaient le Havre au nom des réformés. Rouen, emporté par les catholiques, fut pillé huit jours, pendant que les protestants attaquaient Paris, défendu par les Espagnols. Une bataille décisive fut livrée à Rennes ; les protestants y furent vaincus. Le duc de Guise vint assiéger Orléans et l’eût pris, si un protestant fanatique ne l’eût tué par trahison dans son camp. Les deux partis affaiblis, l’un par une défaite et l’autre par un meurtre, laissèrent Catherine de Médicis conclure la paix à Amboisa avec le prince de Condé. La paix d’Amboise ne fut qu’une courte trêve. Un an après, la lutte recommençait ; La bataille indécise de Saint-Denis fut suivie de la paix de Lonjumeau. Cependant la ruse et la violence étaient devenues les seules règles de la politique de la cour. On voulut frapper à la tête le parti protestant, surprendre Condé, Coligny, Jeanne d’Albret. Le coup de main fut manqué, et la guerre se ralluma. La bataille de Jarnac, dans laquelle périt le prince de Condé, et celle de Moncontour semblèrent accabler les calvinistes ; ils obtinrent pourtant, grâce à l’habileté et a l’énergie de Coligny, des conditions avantageuses, par la paix de Saint-Germain, conclue le 15 août 1570. On leur accordait, outre Je libre exercice du culte et l’égale admission à tous les emplois, quatre places fortes livrées a des garnisons protestantes, et la main de la sœur du roi pour le jeune Henri de Navarre. Mais cette paix recouvrait la Saint-Barthélémy (v. ce mot), l’épisode le plus horrible du xvie siècle et de toute notre histoire. « Si le souvenir de cette journée, dit M. Prévost-Paradol, ne peut s’ettacer de la mémoire des hommes, c’est que jamais un crime public n’a été aussi solennellement préparé, aussi cruellement accompli, aussi imprudemment Justine. Ce conseil des chefs de l’État organisant dans la cité l’assassinat et le pillage, ce jeune roi rassurant, par des embrassements hypocrites, ceux qu’il a désignés pour le meurtre, ce peuple ivre de sang, cette cour qui va en grande pompe voir à Montfaucon ce qui reste du corps de Coligny ; le massacre ranimé à Paris par un prétendu miracle, propagé dans toute la France par les ordres exprès du roi, officiellement applaudi par le roi d’Espagne et par la cour de Rome ; ce mélange repoussant de ferveur religieuse et de rage sanguinaire, de crédulité ridicule et d’impitoyable politique, tout contribue à donner a la Saint-Barthélémy la première place parmi les événements à la fois les plus déplorables et les plus instructifs qu’ait causés en Europe la lutte du protestantisme et de l’Église romaine. » Charles IX était mort, l’imagination frappée de son crime. Sous Henri III, les calvinistes reprirent les armes et arrachèrent au gouvernement de nouveaux traités. Plus occupé de ses plaisirs que de la lutte des deux religions, Henri IU secondait plutôt les pacifiques desseins du parti politique que la haine

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Impérieuse et pressante des catholiques et de leurs chefs. Ces derniers, voyant le peu de zèle du gouvernement et l’inconstance égoïste de sa politique, résolurent de ne plus compter que sur eux-mêmes, et la Ligue naquit. Elle s’appuyait sur l’Espagne, sur le saint-siége et sur la formidable puissance des passions populaires ; son objet principal et avoué était le maintien et la défense de la religion catholique. Son véritable chef était Henri de Guise, dont elle voulait faire le successur des Valois, sans respect du principe dynastique. L’ambition du duc de Guise touchait au but ; une insurrection de Paris lui avait donné la réalité du pouvoir royal en attendant qu’il en eût le titré. Mais le faible Henri III, qu’il avait forcé de s’enfuir dû Louvre et qui n’avait plus qu’une autorité nominale, se vengea de son humiliation en le faisant assassiner (1589). La mort du duc de Guise eut pour résultat de jeter le pouvoir royal dans une alliance nécessaire avec le parti protestant, et la Ligue dans une sorte d’opposition démocratique contre le pouvoir royal.

Cette situation politique se révéla d’une manière plus claire et plus décisive encore lorsque la mort d’Henri IU, assassiné par le moine Jacques Clément, le 31 juillet 1589, fit du roi de Navarre l’hériter légitime du trône. On vit l’Église catholique, poussée par l’instinct de conservation et faisant violence à son génie monarchique, invoquer hautem’ent ; en France la souveraineté populaire contre le principe légitimiste, le droit de la nation contre l’hérésie du souverain, en même temps qu’en Autriche, en Espagne, dans les Pays-Bas, elle invoquait la souveraineté royale contre l’hérésie des peuples. Henri IV eut donc à joindre, comme l’a dit Voltaire, le droit de conquête a son droit de naissance. Après avoir remporté successivement les victoires" d’Arqués (1589) et d’Ivry (1590), il vint assiéger Paris. La population parisienne, excitée chaque jour par des cérémonies religieuses et par des prédications ardentes, se défendit avec acharnement. La prince de Parme et les Espagnols, venus des Pays-Bas, forcèrent Henri IV il lever le siège. Mais la division était entrée dans la capitale et y préparait la paix, ; l’intervention de l’Espagne avait compromis la Ligue, et le sentiment national, réveillé et blessé par la perspective de la domination de Philippe II, ne tarda pas à balancer dans les âmes le sentiment religieux. Henri IV, qui par la nature et les tendances de son esprit appartenait plutôt au parti des politiques qu’à celui des protestants, leva tout obstacle à son avènement au trône en se faisant catholique. La Réforme s’était vue au moment de monter sur le trône avec lui. Il crut s’acquitter envers elle par l’édit de Nantes [v. Nantes (Edit de)]. Cet édit, le plus célèbre de la monarchie, donna à la religion catholique la suprématie officielle, à la religion protestante la liberté. Egale admission des protestants et des catholiques à toutes les charges, possession garantie de plusieurs places de sûreté, libre exercice du culte dans les châteaux et dans un certain nombre de villes, établissement d’une chambre protestante au parlement de Paris, et de chambres mi-partie à Castres, Bordeaux et Grenoble, faculté de se réunir par députés pour traiter avec le gouvernement des intérêts de la religion protestante : tels furent les droits que l’édit de Nantes accorda aux calvinistes.

Sous Louis XIII, les protestants, menacés par de Luynes, qui avait rétabli le catholicisme dans le Béarn, se réunirent en une grande assemblée siégeant à la Rochelle, et décidèrent de commencer une guerre nouvelle dont le but était l’établissement d’une sorte de république analogue à celle des Provinces-Unies. Mais cette tentative républicaine, confondue avec les soulèvements anarchiques de l’aristocratie, ne trouva aucun appui dans la nation. L’inégalité des forces, la terreur qu’inspiraient les cruautés de l’armée royale, et surtout la défection des nobles qui se vendirent à la cour, réduisirent les protestants à subir la paix de Montpellier. Les assemblées leur furent défendues, leurs places furent démantelées, sauf Montauban et la Rochelle qui restèrent inviolables. D’ailleurs les garanties les plus nécessaires stipulées par l’édit de Nantes furent confirmées.

L’édit de Nantes avait donné et la paix de Montpellier avait laissé aux protestants non-seulement la liberté de conscience, mais encore des garanties matérielles et une indépendance politique qui mettaient obstacle à l’unité de la nation, en formant un État dans l’État. Richelieu entreprit de leur ôter cette indépendance politique ; il y réussit par la prise de la Rochelle et des autres villes de refuge (1628) ; l’édit de Nantes ne fut plus dès lors qu une simple charte religieuse, et les calvinistes, désarmés, privés de toute force politique et militaire, n’eurent plus d’autre garantie que la parole royale. Bien faible garantie que respecta Mazann, Adèle à la tradition d’Henri IV et de Richelieu, mais qui ne les protégea point contre l’intolérance aussi impolitique qu’odieuse de Louis XIV.

Poussé par les jésuites et par M™e de Maintenonj secondé par les préjugés des catholiques éclairés, unanimes alors contre la liberté de conscience, Louis XIV entreprit de ramener la France à l’unité religieuse. Le gouvernement, mû par une seule volonté, se mit à l’ceuvre ; on n’employa d’abord que l’argent et la ruse, puis on trouva que ces moyens agis CALV

saient trop lentement ; l’impatience d’un pouvoir habitué à, né rencontrer aucune résistance fit recourir à la violence ouverte. Alors commença la plus honteuse et la plus dure des persécutions. On dérobait aux réformés leurs enfants pour les élever dans la religion catholique ; on déclarait leurs mariages nuls, afin de les réduire par la douleur de ne pouvoir légitimer leurs enfants ; les dragons, logés chez les protestants, étaient les missionnaires chargés de hâter les conversions, et Louvois les dirigeait dans cette besogne. Enfin, l’édit du 22 octobre, révoquant l’édit de Nantes, vint achever l’œuvre commencée en proclamant l’interdiction du culte public, l’expulsion des ministres, la démolition des temples et des écoles des réformés. La révocation de l’édit de Nantes eut deux résultats : l’émigration de plus de deux cent mille protestants, qui allèrent porter aux ennemis de la France, avec les secrets de notre industrie, le secours de leur ressentiment et de leur courage ; et les sanglantes guerres des Cévennes, qui donnèrent a l’Europe le spectacle d’une Saint-Barthélémy prolongée.

Après avoir reparu sous Louis XV, en 1746, dans le Dauphiné et le Languedoc, et subi de nouvelles persécutions, les calvinistes virent enfin luire le jour de cette tolérance que, sous l’inÛuence des philosophes, l’opinion réclamait avec une énergie croissante pour toutes les sectes. Malesherbes, dans un mémoire aussi noble qu’éloquent, demanda pour eux l’état civil en 1785. Ce droit leur fut accordé, sur le rapport du duc de Breteuil, et l’édit fut enregistré dans la séance royale de 1787. Fille de la philosophie du xvme siècle, la Révolution de 1789 consacra le grand principe de la liberté des cultes, inscrit depuis lors dans toutes nos constitutions. Depuis 1802, le culte calviniste est reconnu par l’État, qui en salarie les ministres. Enfin la charte de 1830, en cessant de reconnaître le catholicisme comme religion de l’État, a proclamé l’entière égalité de tous les cultes devant la loi.

Parmi les causes qui ont empêché le triomphe du calvinisme en France, on peut en signaler deux principales : la résistance du pouvoir royal a une révolution religieuse, et la formation du parti des politiques. La résistance de la royauté à la réformation religieuse fournit un obstacle d’autant plus redoutable à son établissement et à son progrès, que l’autorité monarchique en France était sortie triomphante de toutes les luttes du moyen âge, s’était fortement organisée et avait acquis un ascendant irrésistible. Mais d’où venait cette résistance de la royauté î D’un juste sentiment de son intérêt. Elle comprenait très-bien qu’elle n’avait rien à gagner et qu’elle avait beaucoup à perdre à la Réforme. • Qu’avaient à gagner les rois, dit très-bien M. Mignet, en adoptant la nouvelle religion ? Leur indépendance de la cour de Rome ? Ils l’avaient conquise depuis Philippe le Bel. L’obéissance de leur clergé ? Ils l’avaient rendu gallican par la pragmatique sanction qui l’avait soustrait à l’influence politique du pape ; monarchique, par le concordat de Léon X, qui l’avait placé sous la main du ■roi. L’acquisition de ses biens ? Ils en disposaient par la nomination aux bénéfices, par la possibilité de s’en approprier tes revenus ou même de les vendre. Ainsi la Réforme ne tentait pas leur ambition, mais de plus elle excitait leur crainte. Ils étaient parvenus à détruire le caractère féodal de la noblesse, la tendance ultramontaine du clergé, les constitutions républicaines des villes ; ils ne voulaient pas laisser pénétrer dans leurs États des idées d’indépendance et des causes de contestation qui pourraient aider la noblesse à reconstituer la féodalité, le clergé à reconnaître la suprématie romaine, les villes à rétablir la démocratie municipale, a 11 faut ajouter que le culte catholique avec la pompe de ses cérémonies, la morale catholique avec les Inépuisables pardons et les moyens de salut multipliés qu’elle offrait aux désordres, la hiérarchie catholique avec sa distinction tranchée d’une Église enseignée purement passive et d’une Église enseignante gouvernée par un petit nombre de chefs supérieurs, s’adaptait oien mieux à l’organisation d’une grande monarchie, à l’éclat, au luxe et aux vices d’une cour, que la hiérarchie élective et démocratique, le culte simple et nu, la morale sévère et intraitable du calvinisme.

La seconde cause que nous avons assignée à l’échec de la Réforme en France est également importante. Placée entre l’Espagne de Charles-Quint et de Philippe II et l’Angleterre de Henri VIII et d’Elisabeth, la France ne pouvait adopter une politique exclusivement religieuse sans se subordonner à l’une ou à l’autre de ces puissances ; aussi s’affranchitelle tout d’abord dans sa politique extérieure de toute préoccupation théologique, et se trouva-t-elîe appelée par la nature des choses à défendre en Europe l’équilibre des deux religions, au lieu de favoriser le triomphe do l’une d’elles. Cette politique d’équilibre, qui était au fond la politique de la liberté relifieuse, cette politique indifférente en matière e dogme, qui niait le fanatisme, le droit et le devoir absolu de la foi, devait forcément réagir à l’intérieur. Dès le commencement de la lutte entre catholiques et huguenots, il se forma un tiers parti qui voulut rendre cette lutte inutile, et qui, sans avoir combattu, finit par remporter la victoire. Ce tiers parti, dit des politiques, devait naturellement grandir, parce qu’il représentait l’intérêt français, le sentiment national, et aussi la modération, le

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bon sens, l’humanité, l’esprit philosophique et juridique, contre l’exclusivisme des deux partis religieux opposés. Sa tendance n’était pas de changer la religion de l’État, mais de séparer la politique de la religion à l’intérieur comme à 1 extérieur, et par là de rendre l’unité nationale indépendante de l’unité religieuse. « Faible à ses débuts, dit M. Prévost-Paradol, le parti politique alla croissant tous les jours, et devint avec le temps maître des affaires publiques ; il s’appliquait à distinguer dans la Réforme l’indépendance politique de la liberté religieuse, pour sacrifier la première au pouvoir royal et pour conserver la seconde aux consciences ; il se réjouit de la prise de la Rochelle, il gémit de la révocation de l’édit de Nantes, el parvint ainsi jusqu’à la Révolution française, où il consacra la liberté des cultes et leur égalité devant la loi. »

Le calvinisme en Écosse et en Angleterre. Le calvinisme avait de bonne heure pénétré en Écosse. Il s’y affermit sous la direction énergique de Jean Knox, qui apportait de Genève la fanatisme et la rigueur de Calvin. Un covenant avait resserré l’union des seigneurs écossais pour la défense de la Réforme, et l’appui d’Elisabeth les avait délivrés de la présence des troupes françaises, qui inquiétaient les réformateurs. Adopté, en 1550, par un votû solennel du parlement écossais, organisé pâlie Livre de la discipline, qui confiait le culte a de simples ministres, égaux entre eux et êltls par les fidèles, imposé par l’éducation aux, générations futures, le calvinisme presbytérien était maître du présent et de l’avenir du pay.f-Il pouvait défier les plus habiles et les plus vigoureux adversaires ; il défit en se jouant les tentatives de l’infortunée Marie Stuart, exposée, puis abandonnée par la France catholique et par le roi d’Espagne. Il est vrai que Mario Stuart, avec son cœur changeant, ses passions vives, son caractère tour à tour faible et emporté, n’était pas faite pour rétablir la fortune du catholicisme en Écosse, ni pour lui ouvrir l’Angleterre, dont on lui faisait imprudemment revendiquer la couronne. Il est vrai encore que le calvinisme écossais trouva, dans le voisinage de l’Angleterre protestante et dans le génie et le caractère d’Elisabeth, un appui bien autrement efficace que celui sur lequel pouvait compter l’Écosse catholique de la part de la France, de l’Espagne et du saint-Siège.

Pendant le règne d’Elisabeth, anglicans et calvinistes avaient été réunis, malgré les différences qui les séparaient dans les dogmes, dans le culte et dans la discipline, parce qu’ils avaient les mêmes ennemis h combattre : le saint-siége et la puissance espagnole. Chacune des deux religions avait d’ailleurs sonterritoiro distinct, l’Écosse et l’Angleterre formant deux royaumes séparés. Après la mort d’Elisabeth, l’union des deux pays sous un même sceptro mit les deux religions en présence, et, ouvrant une carrière nouvelle à leur prosélytisme, no tarda pas à développer leur antagonisme naturel. L’anglicanisme, qui avait gardé la hiérarchie êpiscopale, cet héritage du catholicismej représentait l’autorité, l’esprit traditionnaliste, monarchique, aristocratique ; lo

calvinisme, avec ses ministres élus, égaux entre eux, à peine distingués du reste des fidèles, représentait la liberté, la démocratie, la révolution. On comprend qu’ils se soient associés, le premier à toutes les prétentions de ta couronne, le second à toutes les revendications du peuple. C’est ainsi que la révolution anglaise nous offre deux conflits : un grand conflit politique entre la royauté et la nation, un grand conflit religieux entre l’Église établie d’Angleterre et les sectes dissidentes animées par l’esprit calviniste. Délivrée de la crainte du papisme et protégée par la royauté, l’Eglise établie poursuivait, au profit de sa domination, l’unité religieuse, et pour l’atteindre armait le pouvoir contre les non-conformistes. Ceux-ci ne cessaient de faire des progrès ; au lieu de.se laisser abattre par les persécutions, ils y puisaient de nouveaux motifs de s’attacher a leur foi, qui se fortifiait de leurs ressentiments. La secte puritaine se distinguait entra toutes par l’opiniâtreté de ses croyances et la dureté de son génie. Grands lecteurs de la Bible, les puritains se pénétraient de l’esprit d’indomptable ténacité et d’invincible espérance du peuple juif ; ils voyaient dans le roi, chef de l’Église anglicane, un de ces despotes asiatiques que maudissaient les prophètes et que combattaient les. héros d’IsraBl.

Notre intention n’est pas de retracer ici les diverses péripéties de la grande révolution à laquelle l’Angleterre doit sa liberté ; il suffit de rappeler comment l’esprit calviniste a inspiré, soutenu et, en réalité, accompli cette révolution. Ecoutons Voltaire : « Charles I«r voulut remplir les projets de son père dans la religion comme dans l’État. L’épiscopat n’avait point été aboli en Écosse au temps de la réformation, avant Marie Stuart ; mais ces évêques protestants étaient subjugués par les presbytériens. Une république de prêtres égaux entre eux gouvernait le peuple écossais. C’était le seul pays de la terre où les honneurs et les richesses ne rendaient pas les évêques puissants. La séance au parlement, les droits honorifiques, les revenus de leur siège leur étaient conservés ; mais ils étaient pasteurs sans troupeaux et pairs sans crédit. Le parlement écossais, tout presbytérien, na laissait subsister les évêques que pour les avilir. Les anciennes abbayes étaient entre les mains des séculiers, qui entraient au parlement en vertu de ce titre d’abbé. Peu & peu CALV

le nombre de ces abbés titulaires diminua., Jacques I« rétablit l’épiscopat dans tous ses droits. Le roi d’Angleterre n était pas reconnu chef de l’Église en Écosse ; mais, étant né dans le pays et prodiguant l’argent anglais, les pensions et les charges à plusieurs membres, il était plus maître à Édimbourg qu’à Londres. Le rétablissement de l’épiscopat n’empêcha pas l’assemblée presbytérienne de subsister. Ces "deux corps se choquèrent toujours, et la république synodale l’emporta toujours sur la monarchie épiscopale. Jacques, qui regardait les évêques comme attachés au trône, et les calvinistes presbytériens comme ennemis du trône, crut qu’il réunirait le peuple écossais aux évêques en faisant recevoir une liturgie nouvelle, qui était précisément la liturgie anglicane. Il mourut avant d’accomplir ce dessein, que Charles, son fils, voulut exécuter. La liturgie consistait dans quelques formules de prières, dans quelques cérémonies, dans un surplis que les célébrants devaient porter à l’église. À peine l’évêque d’Édimbourg eut fait lecture dans l’église des canons qui établissaient ces usages indifférents, que le peuple s’éleva contre lui en fureur, et lui jeta des pierres. La sédition passa de ville en ville. Les presbytériens firent une ligue, comme s’il s’était agi d’un renversement de lotîtes les lois divines et humaines. D’un côté, cette passion si naturelle aux grands de soutenir leurs entreprises, et de l’autre la fureur populaire, excitèrent la guerre civile. »

On reconnaît le puissant railleur. Il faut remarquer que Voltaire, voyant les faits à travers son mépris des passions religieuses, sa tendance à rapporter les grands événements a de petites causes, et peut-être un certain goût du bel ordre monarchique, ne paraît pas bien saisir la portée du mouvement, calviniste nj lui rendre justice. Jacques ne se trompait pas en regardant les évêques comme attachés au trône et les calvinistes presbytériens comme ennemis du trône * cette question de la liturgie, des cérémonies n était pas indifférente, parce qu’elle menaçait le calvinisme ; s’il ne s’agissait pas du renversement de toutes les lois divines et humaines, il s’agissait de l’abaissement du calvinisme, a la destinée duquel était liée celle de la liberté parlementaire.

Les Écossais armèrent. Charles fut obligé de demander au parlement anglais des subsides pour les combattre. Il fut heureux alors pour la révolution et la liberté que le parlement ne considérât pas comme futile, méprisable, injuste, le motif qui avait mis les armes aux mains des puritains écossais. Vainqueur de cette insurrection, Charles eût inauguré le pouvoir absolu, et la Grande-Bretagne eût été réduite à la servitude politique, en même temps qu’amenée a l’unité religieuse. La chambre des Communes comprit la solidarité qui unissait sa cause à celle des puritains ; elle vit dans les Écossais des frères qui lui enseignaient a défendre ses droits, et non des ennemis ; et, au lieu d’aider le roi à se venger de 1 irruption qu’ils avaient faite en Angleterre, elle vota des subsides à leur armée. Dès lors, entre le parlement, composé en grande partie de puritains, soutenu par les puritains écossais et anglais, et le roi, appuyé sur la majorité de la noblesse, sur 1 épiscopat anglican et sur les catholiques des trois royaumes, toute transaction sérieuse devint impossible, et la guerre commença.

Les combats de Worcester et d’Edgehill furent d’abord favorables a la cause du roi ; niais les parlementaires ne furent point découragés ; ils sentaient leurs ressources : « Tout vaincus qu’il étaient, remarque Voltaire, ils agissaient comme des maîtres contre lesquels le roi était révolté. On voyait, ajoute-t-il avec un étonnement que l’histoire de notre grande Révolution ne permet plus aujourd’hui de partager, une compagnie plus ferme et plus inébranlable dans ses vues qu’un roi à la tête de son année. » Peu à peu, sous l’habile direction de Crom’well, Hampden, "Lùdlow, s’organisa une armée nationale, redoutable par l’enthousiasme et par la discipline, qui s’instruisit à la guerre par la défaite même, et qui, victorieuse successivement a Newburg, à Marston-Moor, à Naseby, finit par détruire l’armée royale, par abattre la royauté et par dominer le parlement. On comprend que ce parlement, par la nature des éléments contre lesquels il avait à lutter, et par celle des éléments sur lesquels il s’appuyait pour soutenir cette lutte, devait être naturellement conduit à l’établissement de la république. De la république, l’Angleterre passa prompte>nent à la dictature militaire, qui fut suivie d’une restauration de la monarchie, de l’aristocratie et de l’anglicanisme. Les Stuarts voulurent pousser cette restauration jusqu’à celle du pouvoir absolu et du catholicisme ; ils ne réussirent qu’à tourner contre eux les forces réunies de l’Église anglicane et des sectes puritaines, de l’aristocratie et du peuple. « Soutenus, dit Prévost-Paradol, par l’Eglise anglicane, que la domination puritaine des républicains avait aigrie jusqu’à lui faire ériger en dogme le droit divin de la royauté et le devoir de l’obéissance absolue pour les peuples, les Stuarts eurent l’art de réduire celte Église et ces docteurs de la monarchie absolue à. la triste alternative de chasser le roi ou de sanctionner la destruction du protestantisme. Entourés par une aristocratie que les niveleurs avaient humiliée jusqu’à la rendre amie de la toute-puissance royale, ils trouvèrent moyen de la contraindre à s’unir

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aux ennemis de la monarchie, sous peine de se voir imposer, avec l’apostasie religieuse, la servitude et la ruine. • Une seconde révolution les renversa du trône, et vint apporter à l’Angleterre la paix civile et religieuse, en consacrant une sorte de transaction et d’équilibre entre les éléments religieux et politiques opposés. Le calvinisme, qui avait un moment republicanisé la Grande-Bretagne, perdit la domination en gardant la liberté, et rentra dans ses anciennes limites, comme un fleuve débordé rentre dans son lit.

Le grand obstacle qui a empêché le calvinisme d’obtenir en Angleterre un triomphe durable, c’est l’aristocratie, comme en France c’est la monarchie unie au parti des politiques. L’aristocratie anglaise, dont l’influence traditionnelle, un moment annulée par la nécessité de soutenir et de servir le pouvoir absolu bu la révolution, retrouva bientôt sa puissance modératrice et directrice dans une société lasse d’agitation et de guerres civiles, devait s’accommoder bien mieux d’une religion faite à son image, d’une religion aristocratique telle que l’anglicanisme, que d’une religion démocratique à esprit égalitaire telle que le calvinisme presbytérien. En cette aristocratie, d’ailleurs, l’esprit politique qui s’arrête aux trausactions domina peu à peu et de plus en plus, grâce à l’adoucissement des moeurs, et au progrès des lumières, l’esprit reliligieux, toujours prêt à poursuivre des solutions radicales et conformes aux principes d’une foi absolue. Ces choses profanes et laïques, le bel esprit, la littérature, la science et la philosophie, amenant, avec la tiédeur et l’indifférence religieuse, la tolérance intellectuelle et passionnelle, devaient nécessairement faire reculer le sombre fanatisme et ’ l’austère morale des calvinistes puritains. Si l’on songe que tel était le développement naturel des idées et des tendances, on comprendra facilement que le calvinisme, qui soumettait la politique à la religion, et faisait de la foi la règle des esprits, des consciences et du gouvernement, ait été finalement vaincu par une religion qui semble, par son origine et par sa nature, une création de la politique plutôt que de la foi.

Le calvinisme aux Pays-Bas. Les persécutions de Charles-Quint avaient effacé des Pays-Bas ta réforme luthérienne et l’anabaptisme venus de l’Allemagne ; mais le terrain était resté préparé à recevoir une nouvelle semence protestante. De Genève y vint le .calvinisme, et, par le calvinisme, l’indépendance politique. Philippe II entendait être souverain absolu dans les Pays-Bas, comme il l’était en Espagne. Il voulut abroger toutes les lois, imposer des taxes arbitraires, créer de nouveaux évêques, enfin mettre son despotisme au service des décrets du concile de Trente en établissant l’inquisition. « La seule crainte de l’inquisition, dit Voltaire, fit plus de protestants que les livres de Calvin. > Les principaux seigneurs s’unirent d’abord pour représenter leurs droits et exprimer leurs plaintes à la régente des Pays-Bas, Marguerite de Parme, fille naturelle de Charles-Quint. La cour leur envoya le duc d’Albe avec des troupes espagnoles et italiennes, et avec l’ordre d employer les bourreaux autant que les soldats. Cent mille personnes abandonnèrent un pays qui allait être couvert

d’échafauds. Un conseil des troubles, justement flétri sous le nom de conseil as sang, poursuivit et fit exécuter plus de dix-huit mille personnes ; le peuple et la plus haute noblesse payèrent également tribut à la vengeance du roi d’Espagne. Le comte de Homes et le comte d’Egraont montèrent sur l’échafaud le 1er juin 1568. Cependant Guillaume de Nassau, prince d’Orange, s’était retiré pour organiser la résistance. Il n’avait ni troupes ni argent pour résister à un monarque tel que Philippe II : l’exaspération populaire lui en donna. En 1570, nous le voyons, après plusieurs tentatives malheureuses, entrer avec une petite armée dans le Brabant, puis en Zélande et en Hollande. Il y trouve un peuple décidé par le désespoir à tous les sacrifices. Deux cent cinquante gueux de mer, comme on les appelait, repoussés des côtes d’Angleterre et jetés par la tempête à l’embouchurede la Meuse, emportent la forteresse de la Brille. Aussitôt la Hollande se soulève tout entière, et se presse autour de ce berceau que la fortune vient d’offrir à la liberté. Guillaume est nommé stathouder par les états, assemblés àDordrecht. En même temps on abolit la religion romaine, afin de n’avoir plus rien de commun avec le gouvernement espagnol. Ces peuples, qui n avaient point passé jusque-là pour guerriers, le devinrent tout d’un coup. Toutes les forces de Philippe II s’usèrent sans effet contre leur résistance. Fondée en 1579 par l’union d’Utrecht, la république calviniste des Provinces-Unies ne put être replacée sous le joug espagnol, malgré les efforts des généraux successivement envoyés contre les rebelles, le duc d’Albe, le commandeur de Requesens, don Juan d’Autriche, Alexandre Farnèse, malgré l’assassinat du prince d’Orange, lâchement commandé et récompensé par Philippe IL

Après avoir contribué a l’affranchissement de la Hollande au xvie siècle, le calvinisme y manifesta son intolérance au xviie. La religion réformée et en même temps la république se trouvèrent divisées en deux partis : le parti arminien, qui attaquait le dogme de la prédestination, et le parti gomariste, parti du

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calvinisme orthodoxe, fidèle aux enseignements du réformateur genevois. Le parti gomariste, soutenu par la puissance du stathouder Maurice, l’emporta. Il fit assembler un concile calviniste à Dordrecht, qui condamna les arminiens, et cette condamnation fut suivie de persécutions violentes. Pour cette partie de 1 histoire du calvinisme, nous renvoyons aux mots arminiens, comaristes,

[Catégorie:Article du Grand Dictionnaire du XIXe siècle]]