Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/algèbre

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 196-197).

ALGÈBRE s. f. (al-jè-bre — des mots arabes al djaber el mogabelah, art des restaurations, des rétablissements, et, par extens., art des solutions. Ce nom était fondé sur la règle en vertu de laquelle on rétablissait dans un des membres de l’équation la quantité qu’on supprimait dans l’autre, en changeant la fonction positive ou négative de cette quantité. En chirurgie, au moyen âge, le mot algèbre signifiait l’art de restaurer, de rétablir les membres luxés ou fracturés ; et dans les langues espagnole et portugaise, algebrista signifie encore chirurgien.) Science des grandeurs considérée d’une façon générale, ou science des lois des nombres : Les autres suent dans leurs cabinets pour montrer aux savants qu’ils ont résolu une question d’algèbre qui n’avait pu l’être jusqu’ici. (Pasc.) Les formules d’algèbre, dans leur étroite enceinte, contiennent d’avance toute la courbe dont elles sont la loi. (H. Taine.) Les gens d’esprit savent pourtant fort bien que l’on peut avoir du mérite et estimer l’algèbre. (L. Figuier.) L’application de l’algèbre à la physique est une des choses dans lesquelles l’esprit de l’homme s’exerce avec le plus de complaisance ; car c’est là qu’il est roi, en quelque sorte. (Laurentie.)

Laissez là votre algèbre, et devenez meilleurs.
Destouches.
L’algèbre, méditant ses calculs épineux.
Osa suivre un rayon dans son vol lumineux.
Lebrun.

|| Le livre qui traite de cette science : L’algèbre de Bezout. (Acad.)

— Par compar. Peut se dire, dans un tout autre ordre d’idées, de tout ce qui présente les formes rigoureuses de généralisation de l’algèbre : Dangeais possédait cette algèbre rapide qu’on appelle l’esprit du jeu. (Ste-Beuve.) Il avait étudié l’âme par la physiologie et le monde par l’algèbre. (E. Sue.) Les femmes ont des instincts d’une sûreté infaillible ; elles expliquent, par une algèbre qu’elles ont inventée, le merveilleux lui-même. (Alex. Dum.) Le crédit fut la simplification, l’algèbre, pour ainsi dire, de l’échange, du commerce, de l’industrie. (Le Siècle.) || Se dit de même et fam. d’une chose difficile à comprendre, dont on n’a aucune idée : C’est de l’algèbre pour lui. (Acad.) L’expression des plus nobles sentiments n’est que de l’(algèbre pour ceux qui n’ont pas d’âme. (Boiste.)

Encycl. I. Définition de l’algèbre, sa nature, son objet. Les nombres, comme tous les objets des connaissances humaines, peuvent être considérés en général et en particulier, c’est-à-dire sous le rapport de leurs lois et sous celui de leurs faits. Par exemple, cette proposition : la somme de deux nombres multipliée par leur différence est égale à la différence de leurs carrés, est une loi des nombres, parce qu’elle s’applique généralement à tous les nombres ; tandis que celle-ci : neuf multiplié par quatre est égal à trente-six, est un fait numérique, parce qu’elle ne s’applique qu’aux seuls nombres 9, 4 et 36. Cette distinction partage la science des nombres en deux branches, l’arithmétique, qui traite des faits, et l’algèbre, qui traite des lois des nombres.

L’algèbre analyse les fonctions ou relations des nombres en elles-mêmes, les conséquences qu’elles renferment, les lois de leurs transformations et de leurs combinaisons mutuelles. Elle exprime par des signes généraux les nombres dont elle étudie les rapports, afin que l’étude de ces rapports soit dégagée et en quelque sorte affranchie de toute considération relative à ces nombres. L’arithmétique se propose la réalisation numérique des fonctions dont les éléments sont eux-mêmes donnés numériquement.

Dans le principe, l’idée de nombre dut paraître inséparablement unie à la nature des objets que l’on considérait. Mais on fut bientôt conduit à la dégager, à l’abstraire de ce qui lui était étranger, en s’apercevant que les opérations exécutées sur les nombres restent constamment les mêmes, quelle que soit la nature des objets auxquels ils sont appliqués : de là l’origine du calcul scientifique, de l’arithmétique. Plus tard, par un nouvel effort d’abstraction, l’esprit humain découvrit ce fait capital, que les relations des nombres peuvent être considérées, analysées, indépendamment de la valeur attribuée à ces nombres : de là l’origine de l’algèbre. Ainsi l’idée de quantité en se séparant de l’idée de qualité, l’idée de nombre en se séparant de l’idée des objets comptés ; est sortie de la langue générale, et, donnant naissance à un système de numération, a créé l’arithmétique. L’idée de rapport ou de fonction des nombres, en se séparant de l’idée de valeur numérique, est sortie en quelque sorte de l’arithmétique, et, donnant naissance à un système de symboles, a créé l’algèbre. Le nombre abstrait, c’est-à-dire considéré indépendamment de la nature, de la qualité des objets : voilà l’arithmétique. La fonction abstraite, considérée indépendamment de la valeur numérique de ses éléments : voilà l’algèbre. Tandis que les raisonnements de l’arithmétique ne portant que sur des nombres déterminés, ne peuvent sortir du particulier pour s’élever aux lois numériques que par une sorte d’intuition inductive, l’algèbre donne des formules qui embrassent et dont on peut déduire tous les faits numériques.

On peut, avec M. Ch. Renouvier, énoncer le problème général de l’algèbre de la manière suivante : Une ou plusieurs relations étant données entre des quantités déterminées et comme telles représentées par des signes généraux, déterminer de nouvelles relations telles qu’une ou plusieurs de ces quantités s’y trouvent exprimées en fonction des autres. Ou encore : Déterminer d’une manière générale les variations de certains nombres, correspondantes à celles de certains autres nombres qui leur sont liés par des relations quelconques définies et données.

L’algèbre, considérée dans toute son étendue, est souvent désignée sous le nom d’analyse mathématique. Elle comprend les lois des nombres qui donnent lieu aux calculs différentiel et intégral (V. Calcul), et généralement tout ce qu’on désigne ordinairement sous le nom d’analyse supérieure ou transcendante, bien que ces branches de la science puissent lui paraître étrangères, à ne considérer que la composition ordinaire des traités d’algèbre.

Les applications de l’algèbre à l’étude de la nature dépendent de ce fait que tous les phénomènes qui se produisent dans le temps et dans l’espace, donnant lieu à des considérations de nombre, apparaissent comme quantités qui sont fonctions les unes des autres ou dont les variations sont régulièrement liées. (V. Mathématiques.)

II. — Langue algébrique. Les signes employés en algèbre sont de deux sortes : les uns servent à représenter les grandeurs ou quantités, sans déterminer leur valeur : ce sont les lettres de l’alphabet ; les autres indiquent les rapports établis entre ces quantités, en d’autres termes, les opérations que l’arithmétique leur ferait subir, si elles étaient déterminées. Les lettres, ne signifiant rien par elles-mêmes, peuvent signifier chacune tel nombre que l’on veut ; c’est cette indétermination des signes qui constitue l’algèbre ; elle a pour effet et pour but tout à la fois de faciliter les raisonnements en les abrégeant, et de rendre sensible et rigoureuse la généralité des conclusions que l’on en tire. Il faut bien remarquer que les raisonnements algébriques aboutissent toujours à des déterminations arithmétiques, que lettres et chiffres ne sont pas employés exclusivement, mais appartiennent en réalité à une seule et même langue, à une seule et même science. « Les chiffres, dit très-bien Condillac, sont les noms particuliers, les lettres sont les noms généraux ; et ce sont autant d’expressions qui entrent dans les phrases de calculs. Ce dialecte a des règles qu’il faut connaître, et c’est une nouvelle grammaire à apprendre. Il s’agit de découvrir l’emploi de ces termes généraux, leurs différentes acceptions et leur syntaxe. »

On se sert constamment des premières lettres de l’alphabet pour représenter dans une question les quantités connues ou données, et des dernières, x, y, z, pour représenter les quantités inconnues ou à déterminer.

Le signe + indique l’addition de deux nombres et s’énonce plus. Ainsi a + b représente la somme des deux nombres a et b. Le signe — indique qu’un nombre doit être soustrait d’un autre et s’énonce moins. Ainsi a — b exprime la différence entre a et b. Lorsque deux quantités sont représentées par la même lettre a et a, par exemple, au lieu d’employer le signe + pour en marquer l’addition, et par conséquent au lieu d’écrire a + a, on écrit une seule fois la lettre a en la faisant précéder du chiffre 2 ; ainsi 2a n’est autre chose que a+a. Le chiffre 2 qui est un des facteurs du produit 2a, qui est le cofacteur de a, a reçu le nom de coefficient.

Le signe de la multiplication est ×, que l’on prononce multiplié par, ou bien un simple point que l’on place entre les facteurs. Le plus souvent on se borne à écrire les facteurs à la suite les uns des autres sans interposition de signes : ainsi a × b, a.b, ab, indiquent le produit de a par b. On indique la division au moyen du signe : que l’on place entre le dividende et le diviseur et que l’on prononce divisé par ; le plus souvent on écrit le dividende au-dessus du diviseur en les séparant par un trait horizontal. Ainsi a : b ou exprime le quotient de a par b ; s’énonce ordinairement a sur b.

Si une même lettre est plusieurs fois multipliée par elle-même, on ne l’écrit qu’une fois, en la faisant suivre d’un chiffre qui marque combien de fois elle entre comme facteur dans le produit. Ainsi, au lieu d’écrire aa, aaa, aaaa, on écrit que l’on énonce a quatre, ou bien a quatrième puissance. Comme ces chiffres exposent ou expriment les puissances auxquelles la quantité a est élevée, on les nomme exposants des puissances de a, ou plus simplement exposants de a. Les exposants s’écrivent au-dessus de la lettre et en petits caractères. On indique la racine d’un nombre ou d’une quantité au moyen du signe , que l’on nomme radical, et l’on écrit entre les deux branches de ce signe un petit chiffre qui est l’indice ou l’exposant du radical. Ainsi est la racine cubique de a ou la quantité qui, élevée à la troisième puissance, donne a. On n’est pas dans l’usage d’écrire l’indice de la racine carrée ; il suffit pour l’indiquer d’écrire .

On indique que deux quantités sont égales en les séparant par le signe =. Ainsi, pour exprimer que la quantité représentée par a est égale à la quantité représentée par b, on écrit a = b, qu’on lit a égale b. Le signe < ou > exprime un rapport de différence entre deux quantités : a > b indique que a est plus grand que b, et a < b indique que a est plus petit que b.

Dans les phrases algébriques, il faut distinguer les éléments du discours, les termes et les expressions. Chaque lettre est un élément algébrique. Un ou plusieurs éléments forment un terme. Un ou plusieurs termes forment une expression. Les signes de la multiplication et de la division réunissent les éléments. Les signes de l’addition et de la soustraction lient les termes. Les signes de comparaison (d’égalité et d’inégalité) lient les expressions. Ainsi abc est un terme dont a, b et c sont les éléments ; abc+bd est une expression dont abc et bd sont les termes ; abc + bc=cd—i est une phrase ou proposition algébrique dont abc+bd d’un côté, cd — i de l’autre, sont les expressions.

Les termes remplissent dans les expressions algébriques une fonction d’augmentation ou de diminution : de là deux espèces de termes : les termes précédés ou, comme on dit, affectés du signe de l’addition, du signe +, que l’on appelle termes additifs ou positifs, et les termes précédés ou affectés du signe de la soustraction, du signe —, que l’on appelle termes soustractifs ou négatifs ; de là, pour chaque terme, deux ordres de considérations, la considération de la quantité, qui est absolue, et la considération de la qualité positive ou négative, qui se rapporte à l’expression algébrique dont ce terme fait partie. Chaque terme affecté de son signe représente deux choses qu’il ne faut pas confondre, un nombre et une opération qui ajoute ou qui soustrait ce nombre. C’est parce que cette distinction n’a pas toujours été faite clairement que les termes négatifs ont été souvent un écueil pour ceux qui les expliquaient. Un terme, il faut bien le comprendre, n’est pas, ne peut pas être négatif en soi ; il est négatif relativement à d’autres termes ; et c’est tout simplement pour donner plus de généralité au langage que le signe — qui exprime un rapport entre deux termes, se joint à l’un d’eux de manière à le qualifier comme si l’on pouvait faire abstraction de l’autre. « Les deux mots positif et négatif, dit M. Ch. Renouvier, ont un sens corrélatif et très-clair. La corrélation ôtée, ainsi que l’hypothèse d’une grandeur quelconque à laquelle se rapportent les opérations, et sur laquelle il soit possible de les exécuter, le mot négatif cesse d’être applicable à la quantité. »

On appelle termes semblables des termes qui renferment les mêmes lettres affectées des mêmes exposants : tels sont les termes et .

Une expression algébrique composée d’un seul terme s’appelle monôme ; on l’appelle binôme lorsqu’elle renferme deux termes ; trinôme quand elle en contient trois ; le mot polynôme désigne d’une façon générale toute expression contenant plusieurs termes. On regarde comme positif le premier terme d’un polynôme, lorsque ce premier terme n’est précédé d’aucun signe. Un polynôme peut jouer le rôle de terme dans un phrase algébrique : alors on l’écrit en le renfermant dans une parenthèse.

On appelle valeur numérique d’une expression algébrique le nombre que l’on obtient lorsque, attribuant des valeurs particulières aux lettres qui entrent dans cette expression, on effectue les opérations arithmétiques indiquées.

Une expression algébrique est dite rationnelle quand elle ne renferme aucun radical, irrationnelle dans le cas contraire. Une expression rationnelle est entière quand aucun de ses termes ne contient le signe de la division.

Le degré d’un terme est la somme des exposants des lettres qui y entrent, le nombre des facteurs littéraux de ce terme : Ainsi est du quatorzième degré. Un polynôme est dit homogène quand tous ses termes sont du même degré.

Ordonner un polynôme par rapport à une lettre, c’est écrire ses différents termes dans un ordre tel que les exposants de cette lettre aillent toujours en diminuant ou toujours en augmentant. La valeur numérique n’est pas altérée par ce changement dans l’ordre de ses termes.

Lorsqu’il y a dans un polynôme un certain nombre de termes semblables, soit positifs, soit négatifs, on peut réduire tous ces termes en un seul. Cette simplification s’effectue en faisant d’une part la somme de tous les termes positifs, de l’autre la somme de tous les termes négatifs, puis en prenant la différence de ces deux sommes et en donnant au résultat le signe de la plus grande.

Une ou plusieurs expressions algébriques étant données, on peut avoir à les ajouter entre elles, à les retrancher l’une de l’autre, à les multiplier, à les diviser, à les élever à une puissance donnée, à en extraire une racine d’un certain degré. Ces six opérations fondamentales, que l’arithmétique enseigne à exécuter sur des nombres, peuvent l’être aussi sur des quantités algébriques. V. Addition, Soustraction, Multiplication, Division, Puissance, Racine.

L’ensemble de deux expressions séparées par le signe = s’appelle une égalité ; les deux expressions elles-mêmes se nomment les deux membres de l’égalité. On donne le nom d’identité à une égalité dans laquelle les deux membres ne diffèrent que par la forme, et deviennent identiques quand on a effectué toutes les opérations indiquées. Ainsi 4 x 2 + 3 = 1 + 5 x 2, , sont des identités. La première est une identité numérique, la seconde une identité littérale. Une identité numérique ne renferme pas de lettres ; une identité littérale ne renferme pas d’inconnues.

Une égalité qui renferme au moins une quantité inconnue prend le nom d’équation. Une équation diffère d’une identité en ce qu’elle ne peut être vérifiée que par certaines valeurs attribuées aux inconnues qu’elle contient : Ainsi x = 1/4 x + 3/4 x est une identité, parce qu’elle subsiste quelle que soit la valeur de x ; mais 6 x — 2 = 3 x + 4 est une équation, parce qu’elle ne peut être vérifiée que par la valeur particulière 2 attribuée à x. L’équation est numérique ou littérale : numérique lorsque les quantités connues sont des nombres ; littérale lorsqu’elles sont représentées par des lettres.

Résoudre une équation, c’est trouver une quantité qui, mise à la place de l’inconnue, rende identiques les deux membres de cette équation : cette quantité est la racine de l’équation.

Les équations forment une des parties les plus importantes de la science des nombres, car la solution de tous les problèmes des mathématiques peut être ramenée à celui de la résolution d’une équation. On classe les équations 1o d’après le nombre des inconnues qu’elles renferment, 2o d’après le degré auquel les inconnues sont élevées. (V. Équation.) Une équation est une proposition dans laquelle le sujet et l’attribut peuvent se remplacer mutuellement. Le signe = lie les deux membres de l’équation, comme le verbe être lie les deux termes de la proposition. Tout le mécanisme du raisonnement algébrique consiste à passer par une suite d’équations ou de propositions identiques, jusqu’à ce qu’on arrive à une équation dernière, dont l’inconnue forme l’un des membres. « L’analyse des mathématiciens, dit Condillac, n’est autre chose que cette méthode qui, par un premier procédé, traduit dans une équation fondamentale toutes les données d’un problème, et qui, par un second procédé, fait subir à cette équation une suite de transformations jusqu’à ce qu’elle devienne l’équation finale qui renferme la solution. » La possibilité de traduire successivement une équation dans des expressions différentes repose sur cet axiome fondamental : quelles que soient les opérations qu’on puisse exécuter sur le premier membre a de l’équation a = b, si l’on fait subir les mêmes opérations au second membre b, l’équation subsiste.

Un exemple rendra plus sensible tout ce que nous venons de dire.

Soit posée la question suivante : 100 est la somme de deux nombres, 20 est leur différence ; quels sont ces deux nombres ?

Représentons par x le plus grand des nombres cherchés et l’autre par y ; nous avons les deux équations numériques suivantes :

qui, additionnées membre à membre, donnent
mais les deux termes + y et — y, affectés de signes contraires, se détruisent ; d’où
ou
Si nous retranchons maintenant 20 de 100 d’une part, et x — y de x + y d’autre part,

nous avons l’équation :

qui prend la forme suivante :

Il faut observer, en effet, qu’en algèbre un terme négatif que l’on soustrait devient positif ; car soustraire une soustraction, c’est additionner, comme nier une négation, c’est affirmer. Dans l’équation les deux termes x et — x se détruisent, et nous avons pour résultat :

Rien de plus facile maintenant que d’obtenir les valeurs de x et de y. Si  ; car enlever au nombre 2x son multiplicateur ou coefficient 2, c’est le diviser par 2, et il est évident qu’en rendant les deux membres le même nombre de fois plus petits, leur égalité ne sera pas altérée : donc
ou (ce qui est la même chose),

Même raisonnement sur les 2y de l’autre équation : donc

ou (ce qui est la même chose),

Nous n’avons fait jusqu’ici que résoudre un problème d’arithmétique par les équations. Pour entrer pleinement dans le domaine de l’algèbre comprise comme nous l’avons définie, représentons par a la somme donnée 100, et par b la différence donnée 20, nous avons les équations littérales suivantes :

qui donnent successivement :

Ces deux équations finales résultats certains des deux premières , résultats indépendants des valeurs particulières que l’on peut assigner aux lettres a et b, nous donnent en une fois la solution de toutes les questions possibles semblables à celles qu’on a posées au commencement, en nous indiquant une fois pour toutes les opérations arithmétiques faites pour les résoudre. Elles prennent le nom de formules algébriques, parce qu’elles formulent dans le langage laconique de l’algèbre et nous montrent dégagées de tous les faits qu’elles régissent les deux lois générales suivantes : la demi-somme, plus la demi-différence de deux nombres est égale au plus grand de ces nombres ; la demi-somme moins la demi-différence de deux nombres est égale au plus petit de ces nombres.

Remarquons, en terminant, qu’avec les signes algébriques le calcul et le raisonnement ne demandent presque point de mémoire ; la plume marche d’elle-même, et, pour ainsi dire, sans qu’on y pense, d’équation en équation, et la solution se trouve mécaniquement. Ceci rappelle une conversation de Voltaire avec Rivarol sur les mathématiques : « Eh ! bien, dit le patriarche de Ferney au jeune écrivain, qu’est-ce que c’est que cette algèbre où l’on marche toujours un bandeau sur les yeux ? — Il en est, répondit spirituellement Rivarol, des opérations de l’algèbre comme du travail de nos dentelières, qui en promenant leurs fils au travers d’un labyrinthe d’épingles, arrivent, sans le savoir, à former un magnifique tissu. »

III. — Histoire de l’algèbre. L’algèbre, dont on fait généralement remonter l’origine au géomètre Diophante d’Alexandrie (IVe siècle), est née de la recherche de procédés pour résoudre facilement et rapidement certains problèmes. L’ouvrage de Diophante, dont nous ne possédons que quelques livres, nous montre la science des relations des nombres déjà parvenue à un notable développement ; mais en réalité il appartient plutôt à l’arithmétique qu’à l’algèbre proprement dite. Diophante s’est surtout occupé de questions relatives aux propriétés des nombres, comme de partager un nombre carré en deux autres qui soient aussi des carrés. Il représentait l’inconnue par l’abréviation os, finale du mot grec arithmos (nombre) ; il n’employait ni les lettres de l’alphabet, ni les signes des fonctions, excepté toutefois le signe de la soustraction, qui était un ψ renversé et un peu tronqué.

On pense que les Arabes, qui ont donné son nom à l’algèbre, en ont emprunté les éléments aux auteurs grecs et principalement à Diophante. Leurs connaissances se réduisaient à peu près à la résolution des équations du premier et du deuxième degré ; elles passèrent en Italie, où elles furent développées par Léonard de Pise, dès le XIIIe siècle. La résolution des équations du troisième degré est due à deux géomètres italiens, Scipion Ferreo et Tartaglia. Ce dernier communiqua sa méthode à Jérôme Cardan, qui l’étendit considérablement et la publia en 1545. Ludovico Ferrari, disciple de Cardan, fit faire un pas plus important à la science, en découvrant une méthode de résolution des équations du quatrième degré. En même temps, d’autres mathématiciens contribuaient au perfectionnement du calcul par l’introduction d’une notation concise et systématique. L’Allemand Stifel, ou Stifelius, adoptait les signes + et — pour représenter l’addition et la soustraction, ainsi que le symbole pour signifier radical ou racine. L’Anglais Thomas Recorde inventait le signe de l’égalité = ; il fit choix de ce symbole parce que, disait-il, il ne peut y avoir deux choses plus égales entre elles que deux lignes parallèles.

Mais le véritable créateur de l’algèbre moderne, de la véritable algèbre, c’est-à-dire de la doctrine abstraite des fonctions numériques, est le Français Viète, né à Fontenay-le-Comte en 1540. Aux nombres toujours employés jusque-là Viète substitua des lettres qui, représentant des grandeurs quelconques, transformaient le raisonnement particulier en formule générale, en loi. Il imagina la plupart des simplifications que subissent, pour être plus tôt résolues, les égalités algébriques. L’algèbre n’avait été jusqu’alors qu’un auxiliaire de l’arithmétique appliquée, et, comme l’indique l’étymologie, un art des solutions ; elle s’était renfermée dans les équations numériques. Viète en fit, sous le nom de logistique spécieuse (species, symbole), une science qui enveloppe et domine l’arithmétique, dont la géométrie ne devait pas tarder à devenir tributaire, et dans laquelle Condillac a vu le type de toute logique qui veut être rigoureuse, et de toute langue qui veut être claire. Après Viète, l’Anglais Harriot reconnut l’existence des racines négatives : on lui doit aussi l’invention des signes < et > (plus petit et plus grand). Oughthred, à la même époque, fit adopter le signe x pour désigner la multiplication.

Descartes introduisit la notation des exposants et les principes de leur calcul. Il ouvrit un vaste champ de découvertes en appliquant l’analyse algébrique à l’étude de la nature et des propriétés des lignes courbes. (V. Géométrie.) Le premier il attribua des racines aux équations qui n’en ont ni de positives, ni de négatives, et montra que le nombre total des racines, tant réelles qu’imaginaires, se trouve toujours égal au degré de l’équation. En outre, l’application de l’algèbre à la géométrie lui permit de construire ou de représenter géométriquement l’équation des degrés supérieurs et d’interpréter leurs racines. Depuis Descartes, tous les géomètres ont cultivé l’algèbre, et il nous suffira de nommer Fermat, Wallis, Newton, Leibnitz, Moivre, Maclaurin, Euler, d’Alembert, Lagrange, Laplace, Fourier, Poisson, dont les travaux ont amené cette science à son état actuel. Parmi les progrès récents de l’algèbre, nous signalerons comme les plus importants la résolution des équations binômes par Gauss ; les travaux d’Abel, qui a démontré le premier l’impossibilité de résoudre algébriquement ou par radicaux les équations d’un degré supérieur au quatrième ; le théorème de Sturm, ceux de Cauchy, etc.