Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abdication s. f.

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 17).

ABDICATION s. f. (ab-di-ka-si-on — du lat. abdicatio, même sens). Renonciation à une charge, à une qualité, à un titre, et particulièrement à l’autorité souveraine.

— Il se construit avec la préposition de :

1o Pour indiquer le sujet de l’abdication : L’abdication d’un prince, L’abdication de Napoléon, de Charles X. L’abdication du pape Célestin V fut toute volontaire. (Beugnot.) Il y en a qui disent sentir l’immensité de l’abdication de Napoléon en voyant la misérable table sur laquelle elle a été signée. (F. Soulié.) L’abdication de Dioclétien eut lieu dans une plaine qu’inondait la foule des grands, du peuple et des soldats. (Chateaub.)

2o Pour spécifier l’abdication, pour en exprimer l’objet : L’abdication d’un empire est quelquefois suivie de regrets. (Acad.) Christine étonna l’Europe par l’abdication de sa couronne. (Volt.)

3o Quelquefois pour désigner le lieu de l’abdication : L’abdication de Fontainebleau ; c’est-à-dire l’abdication de Napoléon à Fontainebleau.

— Absol. : Les abdications produites par l’ennui des grandeurs ne sont jamais irrévocables. (Beugnot.)

Abdication absolue, Abdication complète de tous les droits du pouvoir. || Abdication conditionnelle, Subordonnée à la réalisation de certaines conditions. || Abdication partielle, Renoncement à une certaine partie du pouvoir. || Abdication de patrie, Acte par lequel un homme renonce à sa patrie et en choisit une autre.

— S’emploie aussi en parlant des magistrats de l’ancienne Rome : Abdication du consulat. Abdication de la dictature.

— Anc. jurispr. Acte par lequel un père privait son fils des droits que celui-ci avait à sa succession. Elle différait de l’exhérédation, qui n’avait lieu qu’en vertu d’un testament, après la mort du père. || Acte par lequel un homme renonçait à sa liberté, et se rendait esclave ou se soumettait à la servitude de la glèbe.

— Se dit de l’abandon de toute espèce d’autorité que peut avoir un simple particulier : Abdication de l’autorité maritale. Abdication, par mariage, de la nationalité de la femme. || Se dit aussi du renoncement à des droits : Abdication volontaire des garanties données au mandataire.

— Abandonnement de biens.

— Fig. Renoncement à, dépouillement volontaire de ce qui tient à une dignité : Pierre le Grand rapporta avec lui la science de la construction des vaisseaux, achetée courageusement par une espèce d’ abdication de la dignité royale. (Fontenelle.) À la procession des États généraux, Philippe d’Orléans laissa vide sa place parmi les princes, et marcha parmi les députés. Cette abdication de sa dignité près du trône, pour se parer de sa dignité de citoyen, lui valut les applaudissements de la nation. (Lamart.) || Renoncement à la pensée, à la conscience, à la personnalité : L’indifférence est l’ abdication de la conscience. (De Vallée.)

Abdication morale, Se dit d’un acte dont les conséquences doivent annuler moralement le pouvoir, l’institution, le parti qui l’accomplit : Le concordat napolitain est l’acte d’abdication morale signé par la royauté des Deux-Siciles.

— Fig. Retraite, renonciation à sa part d’influence et d’action : Ces paroles, par lesquelles le côté droit se refusait désormais à concourir aux actes de l’Assemblée nationale, étaient l’ abdication de tout un parti. (Lamart.) L’invasion occidentale est évident, et l’abdication orientale devient chaque jour plus manifeste. (De Laborde.) || S’est aussi appliqué, dans ce sens, à un changement de conduite : Mmes de Longueville et de Chevreuse ont couronné une existence d’intrigues et de volupté par l’abdication de leurs amours. || Se dit également des choses : Le projet reproche au législateur de 1810 d’avoir, dans l’art. 463, énervé la loi par une sorte d’abdication volontaire et de renoncement d’elle-même. (Le Siècle.)

Faire abdication, Abdiquer, reoncer à, mettre de côté : Charles-Quint fit abdication à Bruxelles. (Acad.) Je ne saurais accepter sans faire abdication de toute dignité. (Molé.)

Syn. Abdication, démission. On fait une abdication de sa dignité et de son pouvoir, et l’on donne sa démission de ses charges, emplois et bénéfices. L’abdication ne s’applique qu’à des postes considérables, et la démission qu’à des places inférieures ou moyennes.

Encycl. Hist. Le caractère essentiel de l’abdication est d’être volontaire ; mais il est bien rare qu’elle le soit complètement. Le plus souvent l’abdication est l’abandon d’un pouvoir que les circonstances ne permettent plus de conserver. Quand on accepte la théorie du droit divin des rois, on est logiquement conduit à contester aux princes le droit d’abdiquer un pouvoir qu’ils ont reçu directement de Dieu et dont ils ne doivent de compte qu’à Dieu seul. À ce point de vue, abdication, c’est désertion. Si, au contraire, on voit dans le pouvoir un mandat social, on comprend les raisons qui peuvent donner le droit et même le devoir de renoncer à ce mandat.

Les plus célèbres abdications sont celles du dictateur Sylla (79 av. J.-C.), des empereurs Dioclétien et Maximien (305 de l’ère chrétienne), de Charles Quint (1556), de Christine, reine de Suède (1654), des rois d’Espagne Philippe V (1724) et Charles IV (1808), des rois de Sardaigne Victor-Amédée (1750), Victor-Emmanuel (1821) et Charles-Albert (1849), de l’empereur Napoléon Ier (1814 et 1815), des rois de France Charles X (1830) et Louis-Philippe Ier (1848). Ces quatre dernières abdications se sont produites sous l’empire de circonstances impérieuses qui leur enlèvent tout caractère de spontanéité.

Allus. hist. Abdication de Sylla, allusion à un des traits les plus singuliers, les plus extraordinaires dont l’histoire fournisse l’exemple, — Sylla abdiquant à l’apogée de sa puissance — et auquel on compare quelquefois une résolution spontanée, à laquelle on ne s’attendait pas :

« En toute chose il faut écrire à temps le mot finis, il faut se contenir, quand cela devient urgent, tirer le verrou sur son appétit, mettre au violon sa fantaisie et se mener soi-même au poste. Je vous recommande donc la modération de vos désirs. Heureux celui qui, lorsque l’heure a sonné, prend un parti héroïque, et abdique comme Sylla ! »

               V. Hugo, les Misérables.

« Je te plains, c’est vrai, dit Pierre ; mais enfin, tu as, j’imagine, de quoi vivre grassement, même à Paris : pourquoi continuer ? qui t’y contraint ? et si cela t’agace tant de gagner des millions, fais comme l’antique Sylla de l’histoire, abdique au milieu de la pourpre. »

               Amédée Achard, Misères d’un millionnaire.

« Le maître d’école remit à chacun de ses élèves, comme gage de son abdication, deux gros sous pour aller jouer au bouchon sur la place, où plus tard on le vit tranquillement se promener au milieu d’eux, comme Sylla dans les rues de Rome, après qu’il eut déposé les insignes de la dictature. »

               Jules Sandeau, Catherine.