Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abattre v. a. ou tr.

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 13-14).

ABATTRE v. a. ou tr. (a-ba-tre — de à et bas). Jeter bas, jeter à terre, démolir, renverser, faire tomber : Abattre des maisons, des murailles, des arbres. La maison est à nous ; on ne peut rien en faire ; un jour je l’abattrai. (Gresset.) Il s’amuse à faire abattre de grands arbres. (Mme de Sév.) J’attendais que nous allassions ensemble abattre des pommes. (Marivaux.)

Du lutrin, disent-ils, abattons la machine.
Boileau.
J’abats ce qui me nuit partout où je le trouve.
Boileau.
Que te restera-t-il pour dernière ressource,
Si ces damnés païens abattent ma bannière ?
C. Delavigne.


|| Renverser, vaincre, en parlant des hommes : Il l’abattit sous lui. Trois fois je l’abattis, trois fois il se releva. (Fén.) La jeune fille répondit à l’abbé que David avait abattu Goliath. (Balz.) Les chevaliers pansaient souvent eux-mêmes les plaies de l’ennemi qu’ils avaient abattu. (Chateaub.)

— Fig. et fam. Abattre du bois, abattre de la besogne, Faire beaucoup d’ouvrage.

— Abaisser, annihiler, détruire : Abattre d’un même coup l’ouvrage de tant d’années. (Boss.) Nul ne peut abattre ce que Dieu élève, nul ne peut relever ce que Dieu abat. (Boss.) Courier a beaucoup cité, et toujours avec un sens, une force, une sûreté d’application accablante pour les puissances qu’il voulait abattre. (Arm. Carrel.) Abattre un homme puissant était un plaisir pour la démocratie athénienne. (Mérimée.) Les catastrophes de 1813 et 1814, qui abattirent Napoléon, rendirent la vie aux hôtes de ce château. (Balz.)

J’abattrai d’un seul coup sa tête et son orgueil.
Corneille.
Et pourquoi sans éclat, son bras pudique, austère,
N’abat-il pas le vice à l’ombre du mystère ?

— Absol. : Celui qui a en sa main la vie et la mort, qui abat et qui redresse, est avec nous. (Boss.) Pour changer les nations, il ne suffit pas d’abattre, il faut reconstruire. (Thomas.)

— Assommer, tuer, égorger : Abattre un bœuf, abattre un cheval, abattre des chiens. Il allait d’un bout de la terre à l’autre abattre les monstres. (Fén.) La manière d’ abattre les oiseaux-mouches est de les tirer avec du sable ou à la sarbacane. (Buff.) Le penchant de l’homme le porte à s’approprier le poisson qu’il a pêché ou l’oiseau qu’il a abattu. (Thiers.) Les égorgeurs abattent sans distinction le père et le fils, la mère et la fille, dès l’âge le plus tendre. (Edm. Texier.)

Qu’au fort de la bataille à mes yeux il se montre,
Que pour avoir le mien il m’apporte son sang ;
Je ne refuse pas de l’abattre en passant.
C. Delavigne.

— Absol. : On n’abat pas à Paris ailleurs qu’aux abattoirs. (Encycl.)

— Couper, trancher : Il lui abattit le bras d’un coup de sabre. (Acad.) Le bourreau lui abattit la tête. (Le Sage.) || Moissonner : Ces moissonneurs abattent tant d’arpents en un jour. (Raym.) || Faire retomber : Le soleil abat la poussière. || Laisser retomber, abaisser : Abattre sa toge. Abattre sa robe. Un paysan de Lucano, en traversant la forêt pour s’en retourner chez lui, aperçut par hasard la trappe de notre souterrain, que tu n’avais pas abattue. (Le Sage.) || Affaiblir, diminuer les forces physiques : Cette maladie a bien abattu ses forces. (Acad.)

— Absol. : Rien n’abat comme une longue souffrance, qui n’a de terme que la mort. (La Harpe.)

— Fig. Décourager : Tant de tristesse abattait son esprit. (Fén.) Un jeûne seul vous abat et vous rebute. (Mass.) Ni les maux qu’elle a prévus, ni ceux qui l’ont surprise n’ont abattu son courage. (Boss.) Une vertu que les mauvais succès même ne peuvent abattre. (Fén.) Le moindre obstacle vous abat. (C. Delav.) Ses yeux brillants jetaient ce courage et ce feu que l’âge n’abat point. (Balz.)

Lâches, où fuyez-vous ? quelle peur vous abat ?
Boileau.
Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté.
Racine.

— Absol. : Le sénat romain ne se laissait jamais abattre. (Boss.) Le vrai courage ne se laisse jamais abattre. (Fén.) L’orgueil entête, la timidité abat. (Boursault.)

— Apaiser, diminuer, faire cesser : Cette pluie abattra le vent. Comme le dernier rayon du jour abat les vents. (Chateaub.)

— Fig. : Un regard, une larme suffit pour abattre cette colère menaçante.

— S’est dit pour Rabattre : Abattre le caquet.

Abattre la tente, La plier. || Abattre les araignées. Expression populaire employée dans certaines parties de la Normandie, dans le sens de Lever la main pour attester la vérité d’un fait. || Abattre les mariages, dans les fabriques de soie, Remédier aux défauts d’une étoffe de soie où se trouvent des fils rompus et rejoints.

Abattre son jeu. Se dit, à certains jeux de cartes, pour annoncer qu’on n’a point l’intention de jouer le coup, ou qu’on a évidemment gagné. || Au jeu de trictrac, Abattre du bois, Abattre beaucoup de dames de dessus le premier tas pour faire facilement ses cases dans la suite. || Aux quilles, Faire tomber un certain nombre de quilles.

— Mar. Abattre un navire, Le mettre sur le côté pour le réparer ; c’est ce qu’on appelle aussi abattre en carène. || Abats le feu, Commandement pour faire cesser de tirer ; c’est l’impératif du v. abattre.

— Anc. jurispr. Abolir : Abattre une coutume.

— Chir. Abaisser : Abattre la cataracte.

— Art vétér. Abattre un cheval, Le coucher, le maintenir sur un lit de paille, dans une position favorable pour une opération.

— Maréch. Abattre le pied, abattre la corne, Enlever une partie de la corne qui est sur la face inférieure du sabot : C’est avec le rogne-pied ou le boutoir que le maréchal abat du pied.

— Impr. Abattre la frisquette et le tympan, Les abaisser rapidement, quand la feuille de papier à imprimer a été placée sur le tympan. C’est ce que les imprimeurs appellent aussi faire le moulinet.

— Bonnet. Abattre l’ouvrage, Faire descendre, sous les aiguilles du métier, les anciennes boucles qui ont passé par-dessus leurs becs.

— Corroier. Abattre le cuir, Dépouiller les animaux tués.

— Chamois. Abattre les paux, Les pénétrer d’eau.

— Chapell. Abattre un chapeau, En aplatir les bords et le dessus.

— Chem. de fer. Abattre une locomotive, un wagon, etc., Les descendre de leur position pour les incliner et les coucher par terre, afin de les visiter et de les réparer.

— Fauconn. Abattre l’oiseau, Le tenir serré entre les deux mains pour lui faire prendre quelque médicament.

— Prov. Petite pluie abat grand vent. Au propre, Quand il vient à pleuvoir le vent s’apaise ; au fig., Souvent peu de chose suffit pour calmer une grande colère.

Abattre, v. n. ou intr. Mar. Se dit d’un bâtiment qui tourne sur lui-même autour de son axe vertical : Le navire abat. || S’écarter du rumb que l’on doit suivre pour obéir au vent.

Abattre à la côte, Affaler. || Abattre du mauvais bord, Tourner dans le sens qu’on voulait éviter, par l’effet de la lame, des courants, ou d’autres causes accidentelles. || Laisser abattre, faire abattre, Favoriser une abattée, ou manœuvrer pour la diriger dans un sens ou dans un autre.

S’abattre, v. pr. Être renversé, démoli ; crouler : Le comble s’est abattu sur les murailles ; le mât s’abattit avec fracas. || Tomber, en parlant d’un cheval à qui les pieds manquent : Hippomaque pressant ses chevaux, le plus vigoureux s’abattit. (Fén.) L’excellence des chevaux barbes consiste à ne s’abattre jamais. (Buff.)

Un limonier s’abat, l’autre se cabre. Piron.
|| Se couper, se trancher un membre, etc. : Il saisit une hache et s’abattit le poignet. (Diderot.) J’avais toujours peur qu’il ne s’abattît un bras ou une jambe en croyant frapper sur une solive. (G. Sand.) || Tomber, fondre, se précipiter sur : La main du maître s’abattit de nouveau sur son épaule. Le bâton s’abattit sur le dos du passant. Le sabre s’abattit sur la tête du cavalier. L’épervier s’abattit sur sa proie. (Acad.) Les oiseaux de mer s’abattaient par milliers autour de nous en remplissant l’air de leurs cris plaintifs. (G. Sand.) Les pigeons abandonnèrent le toit du colombier et s’abattirent sur le sable en roucoulant. (E. Sue.) Un orage terrible va s’abattre sur nous. (Acad.)

— Fig. et dans le même sens : La mort s’abattit sur cette maison. (Acad.)

— Par anal., se dit des personnes et signifie Faire irruption : Les faiseurs de livres faciles ne se sont pas encore abattus sur cette poétique province. (La Presse.) Lorsque le crédit d’une personne est tant soit peu ébranlé, les créanciers s’abattent sur elle. (Gaz. des Tr.) Des intrigants se sont abattus sur l’ouvrier qui venait de passer à une si brillante situation de fortune. (J. Favre.) || S’apaiser, se calmer : Peu à peu le vent s’abattit. (Alex. Dumas.)

— Fig. S’apaiser : Dès les premiers mots sa colère s’abattit. || Se décourager, perdre toute énergie, ne savoir point résister à un malheur : Dites à nos femmes qu’elles ne s’abattent point. (Mme de Sév.) Perdre le repos, la raison, s’abattre, se désoler. (Mass.) || Se dit aussi des choses : Les Bourguignons ont une persévérance obstinée et une constance qui ne s’abat pas facilement. (V. Hugo.)

Faut-il sous la douleur qu’un si grand cœur s’abatte !
Lagrange

— Mar. S’affaler, tomber sous le vent, en parlant d’un navire. || Être renversé sur le côté pour être réparé : Un navire peut s’abattre en carène dans cette île.

— v. récipr. Se vaincre, s’écraser mutuellement : Les Romains et les Carthaginois cherchèrent longtemps à s’abattre les uns les autres.

Syn. Abattre, rabattre. Abattre exprime simplement l’idée de rabaisser la fierté, l’orgueil, l’arrogance : Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté. (Rac.) || Rabattre, c’est abattre avec force : L’arrogance des princes est fortement rabattue par le spectacle de la chute des empires. (Boss.)

Syn. Abattre, démolir, détruire, jeter à bas, mettre à bas, renverser, ruiner. On abat ce qui est élevé : Je couperai cet arbre par la racine, je l’ abattrai d’un seul coup. (Boss.) On renverse ce qui était sur pied : Les torrents renversèrent tout ce qui se trouva sur leur passage. (Buff.) On démolit ce qui est bâti : Les places qu’il avait dessein de démolir. (Fléch.) On ruine ce qui se divise et se dégrade : Une longue négligence avait laissé ruiner toutes les défenses de la ville. (Boss.) On détruit en dissipant entièrement l’ordre et jusqu’à l’apparence des choses : Brennus s’étant emparé de la ville de Rome la détruisit. (Volt.) On jette à bas au moyen de violence et d’efforts : Les Romains n’ont pu jeter à bas la puissance carthaginoise qu’en réunissant et roidissant contre elle toutes leurs forces. (Guizot.) On met à bas sans effort : Pour mettre à bas qui lui résiste, Dieu n’a qu’à vouloir. (Guizot.)

Allus. hist. Tarquin abattant les têtes de pavots. Allusion au conseil muet, mais significatif, que Tarquin donna un jour à son fils Sextus. V. Pavot.