Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/abaisser v. a. ou tr.
ABAISSER v. a. ou tr. (a-bè-sé — de a, qui marque tendance, et baisser). Rendre plus bas, diminuer la hauteur d’une chose : Abaisser un mur. Abaisser un terrain. Abaisser le tablier d’un pont. || Faire aller en bas, porter plus en bas, faire descendre : Abaisser un store. J’encourageai les matelots effrayés, je leur fis abaisser leurs voiles. (Fén.) Les eaux fortement agitées soulèvent et abaissent alternativement les flots. (Buff.) Vous le voyez abaisser son chapeau sur ses yeux, pour ne voir personne. (La Bruy.) Ils abaissèrent le mât, et s’abandonnèrent à la mer. (Le Maist. de Sacy.) La veuve abaissa brutalement les deux mains de la jeune fille, qui cachait son visage baigné de larmes. (E. Sue.) Elle abaissa son voile sur son visage, de peur d’être reconnue. (Lamart.)
Tristement sur ma tête abaissent leurs nuages !
|| Plier, courber : La branche souple se relève sans cesse d’elle-même, quelque effort qu’on fasse pour l’abaisser. (Fén.) || Incliner, pencher : Les oiseaux qui ont les jambes longues ont aussi le cou à proportion, pour pouvoir abaisser leur bec jusqu’à terre et y prendre leurs aliments. (Fén.)
— Fig. Abaisser la tête, Se résigner, s’humilier : Certes, Jean Lyon abaissa la tête bien bas ; mais il fait tout par sens et par malice. (Froissart.) Comme elle abaisse cette tête auguste devant laquelle s’incline l’univers ! (Boss.)
Abaisser sans regrets nos fronts humiliés.
Sur un simple mortel daigne abaisser les yeux.
Madame, ordonnez-lui d’abaisser l’œil sur moi.
— Dans un sens poétique, on dit abaisser la hauteur : Le ciel est toujours le ciel, et rien n’en peut abaisser la hauteur. (Ste-Beuve.)
Abaisse la hauteur des cieux.J.-B. Rousseau.
— Par ext. Diminuer, rendre moins élevé, réduire : Abaisser le prix du pain. Abaisser les salaires, les octrois, les impôts. La banque a abaissé son escompte à trois et demi pour cent. (Journ.) Ils sont gens à préférer une loi qui abaisse le prix du pain à une loi qui abaisse le cens électoral. (St-Marc Girard.) Les bains chauds abaissent la vitalité des gens bien portants. (Maquet.) || Prendre, soit en chantant, soit en parlant, une intonation moins élevée : Abaisser la voix, le ton. Le meilleur récitatif doit rouler entre de fort petits intervalles, n’élever ni n’abaisser beaucoup la voix. (J.-J. Rouss.)
— Fig. Modérer, adoucir, tempérer :
Abaisse sa colère et rabat de sa haine.
Il vous sied mal. Je veux vous rendre honnête, affable.
— Abaisser les barrières de douanes. Diminuer les droits de douanes, ou les abolir complètement : Partout, en Europe, les peuples abaissent maintenant les barrières qu’ils s’appliquaient autrefois à rendre infranchissables. (É. de Girard.) Dans un temps donné, les chemins de fer abaisseront les lignes de douanes. (Mich. Chev.)
— Rendre moins puissant, faire tomber d’un rang élevé, affaiblir l’autorité, le crédit, l’influence, etc. : C’est le gouvernement qui change les mœurs, et qui élève ou abaisse les nations. (Volt.) Servius Tullius étendit les priviléges du peuple pour abaisser le sénat. (Montesq.) J’admirais les coups de la fortune, qui relève tout à coup ceux qu’elle a le plus abaissés. (Fén.) || Ravaler, dégrader, avilir, humilier : La religion élève le peuple à l’intérieur, et abaisse les superbes à l’extérieur. (Pascal.) Les grands noms abaissent, au lieu d’élever, ceux qui ne savent pas les soutenir. (La Rochef.) Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres. (La Rochef.) L’esprit de parti abaisse les plus grands hommes jusqu’aux petitesses du peuple. (La Bruy.) La superstition abaisse l’esprit autant que la religion l’élève. (Montesq.) N’est-il plus, on exagère son mérite, pour abaisser ceux qui vivent. (Volt.) Les hommes se révoltent contre ce qui les abaisse. (Mme de Lambert.) La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer. (Vauven.) L’homme ne saurait abaisser les femmes sans tomber dans la dégradation. (A. Martin.) Napoléon croyait être d’autant plus grand qu’il abaissait davantage les autres. (Chateaub.) L’extase, loin d’élever l’homme jusqu’à Dieu, l’abaisse au-dessous de l’homme. (V. Cousin.)
N’abaissa son courage à demander la vie.
— Absol. : C’est Dieu qui élève, c’est lui qui abaisse. (Bossuet.) Il y a dans le monde une puissance supérieure à celle des hommes, qui élève ou qui abaisse. (Bourdal.) Il y a une fausse grandeur qui abaisse. (La Bruy.)
— Arithm. Abaisser un chiffre, Écrire un chiffre faisant partie d’un dividende, ou d’une puissance, au-dessous de la place qu’il y occupait, à côté du reste obtenu antérieurement dans la division ou l’extraction de racine.
— Algèb. Abaisser une équation, Réduire à un moindre degré une équation d’un degré supérieur.
— Géom. Abaisser une perpendiculaire, Tirer une perpendiculaire à une ligne, d’un point pris hors de cette ligne.
— Chirurg. Abaisser la cataracte, Déplacer le cristallin à l’aide d’une aiguille introduite à travers la sclérotique, et le faire descendre dans la partie inférieure du corps vitré, de manière qu’il ne puisse gêner la vision.
— Fauconn. Abaisser l’oiseau, Diminuer sa nourriture habituelle, afin de le rendre plus léger au vol et plus avide à la proie.
— Hortic. Abaisser une branche d’arbre, La raccourcir, la couper près du tronc.
— Pâtiss. Abaisser la pâte, L’amincir en l’étendant avec le rouleau.
S’abaisser, v. pr. Devenir plus bas, moins élevé, perdre de sa hauteur : Tous les fleuves diminuent de jour en jour, parce que tous les jours les montagnes s’abaissent. (Buff.) Le terrain s’abaisse et ouvre un abîme. (Fén.) Les nuages s’abaissent vers la terre.
Le liquide métal balancé sous le verre.
Aux longs élans des soupirs qu’ils poussaient.
— Par ext. Perdre de son intensité, de sa force, de son volume, de son étendue ; diminuer de valeur : Sa voix commence à s’abaisser. Le bruit du vent s’abaisse. Les capitalistes voient s’abaisser l’intérêt de leur argent. Le prix de ce produit s’est abaissé par suite de la diminution des droits. || Être diminué, atténué : La peine s’abaissera si le coupable s’est livré lui-même à la justice, ou si, dès les premiers interrogatoires, il avoue sincèrement son crime. (Code de Bavière.)
— Fig. S’amoindrir intellectuellement, moralement, devenir moralement inférieur : Sans liberté, l’opinion de la presse s’abaisse, et l’opinion publique s’abaisse en même temps. (J. Favre.) L’art contemporain n’a que trop de disposition à s’abaisser. (A. de La Forge.) Le niveau de l’inspiration s’abaisse quelquefois. (Nogent de St-Laurent) || Recourir à, descendre à : Gardez-vous de croire que je m’abaisse aux misérables inquiétudes de la vanité. (Bridaine.) Faut-il qu’une personne comme vous s’abaisse à parler de la sorte. (Molière.) Est-ce que vous voudriez qu’elle s’abaissât à ces sortes de bagatelles ? (Dancourt.) Je ne me suis pas abaissée à pleurer comme une niaise. (Balz.)
Ne se peut abaisser à des soumissions.
Peut-elle s’abaisser à des contes vulgaires ?
Qu’il démente en un jour tout le cours de sa vie !
S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme !
Le Souverain de la nature
S’abaisse-t-il jusques à moi ?
Dont le cœur devant toi s’abaisse avec respect.
S’abaisser sous les dieux, les craindre et les servir.
— Syn. Abaisser, baisser. Baisser se dit des choses qu’on veut placer plus bas : Baisser la tête, baisser les yeux, baisser un mur, baisser les voiles d’un navire. Abaisser se dit des choses faites pour en couvrir d’autres, et qui, étant relevées, les laissent à découvert : Abaisser les paupières, abaisser le couvercle d’un coffre. L’opposé de baisser est exhausser ; celui d’abaisser est relever. Au fig., dans le sens d’humilier, on fait toujours usage d’abaisser. V. le groupe de synonymes ci-dessous.
— Abaisser, avilir, humilier, rabaisser, rabattre, ravaler. Abaisser convient surtout pour désigner un médiocre abaissement ou même un abaissement volontaire : Les grands noms abaissent, au lieu d’élever, ceux qui ne savent pas les soutenir. (La Rochef.) La bonté de Dieu s’abaisse jusqu’à nous. — Rabaisser se dit de ce qui est élevé, noble, et que l’on cherche à déprécier : L’envie, ne pouvant s’élever jusqu’au mérite, tâche de le rabaisser. (Boil.) — Rabattre, c’est rabaisser d’une manière plus vive, plus prompte, en s’attaquant à un vice et surtout à un ridicule : Rabattre le ton, la fierté, la hauteur, le caquet, etc. — Ravaler implique l’idée d’un contraste entre une situation élevée que l’on occupait d’abord, et l’abaissement dans lequel on tombe : Sa conduite le ravale au-dessous de la brute. — Humilier, c’est mortifier, donner de la confusion. Avilir emporte l’idée de honte, d’ignominie. Nous pouvons être humilié par quelque chose qui est en dehors de nous, et nous ne pouvons être avili que par nous-même : La plaisanterie française veut toujours humilier par les ridicules. (Mme de Staël.) Qu’est-ce que la noblesse, si l’on peut s’avilir sans la perdre ? (J.-J. Rouss.)
— Antonym. Élever, hausser, exhausser, surélever (sens prop.). || Élever, relever, vanter, exalter, ennoblir, glorifier, chanter, célébrer, déifier, honorer, immortaliser, diviniser, illustrer, préconiser (sens fig.).