Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/a prép.

Administration du grand dictionnaire universel (1, part. 1p. 3-6).

À prép. (du lat. ad, à). Vers, du côté de, etc. L’usage primitif et presque général de cette préposition, qui joue un si grand rôle dans notre langue, est de marquer un rapport à un terme, la relation d’un objet à un autre, et elle exprime le plus souvent ce que les Latins rendaient par leur datif, ou par leur accusatif avec ad. Cette dernière origine paraît avec évidence dans les anciens monuments de notre vieille langue : Ardent desir ad ce mon cœur allume, (XIIe siècle.) Nous qui gardions le poncel ad ce que les Turcs ne passassent. (Joinville, XIIIe siècle.)

— Pour prévenir toute confusion de l’à préposition avec la lettre a ou avec a verbe, il faut toujours que le premier soit surmonté de l’accent grave, excepté quand il est contracté avec l’article le, les, pour former les composés au, aux, qui ne prennent jamais l’accent.

au est pour à le, et ne s’emploie qu’au singulier masculin : Le naufragé s’attache au mât du navire et tend les bras vers le rivage. (Ste-Beuve.)

au travers des périls un grand cœur se fait jour.
Racine.
Le remords se réveille au cri de la nature.
Du Belloy.

aux est pour à les, et se met devant tous les noms pluriels : La mort est le remède aux maux que vous vous faites. (J.-J. Rouss.)

La moitié des humains vit aux dépens de l’autre.
Destouches.

— Dans sa contraction avec l’article, à n’en reste pas moins toujours une préposition, il ne faut pas l’oublier ; et l’usage de ces deux mots au et aux est le même que celui de la prépos. à.

— Cette contraction n’était pas connue autrefois. On disait : Al temps d’Innocent, pour Au temps d’Innocent ; l’apostoile manda al prodome, pour Le pape manda au prud’homme.

Construction de la prép. à. L’antécédent de cette prépos. peut être représenté par un verbe : Il vaut mieux s’exposer à l’ingratitude que de manquer aux misérables. (La Bruy.)

— Par un adjectif : Quelle autre créature fut jamais plus propre à être l’idole du monde !. (Boss.) Il faut être utile aux hommes pour être grand dans l’opinion des hommes. (Mass.) Le plus lent à promettre est toujours le plus fidèle à tenir. (J.-J. Rouss.) Le domicile de l’écureuil est propre, chaud, et impénétrable à la pluie. (Buff.)

Qu’une âme généreuse est facile à séduire !
Racine.
L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Boileau.
Pardonnez-moi ce mot, il est fâcheux à dire.
Corneille.

à peut de même se construire avec un participe présent ou un adjectif verbal : En sacrifiant tout à son devoir, on est sûr d’arriver au bonheur. (Florian.) Les peintres nous représentent les Muses présidant à la naissance d’Homère, de Virgile, etc. (Acad.)

Ainsi notre amitié triomphant à son tour,
Vaincra la jalousie en cédant à l’amour.
Corneille.
Pleurante à mon départ, que Philis était belle !
Tissot.
…………La terre abonde
De ces gens brillant au caquet.
Le Noble.

à se place également après un participe passé : Le parlement était opposé à la cour. (Volt.) Je me sens obligée à votre honnêteté. (Regnard.) La brebis perdue était préférée par le bon pasteur à tout le troupeau. (Boss.) La méfiance poussée à l’extrême est toujours la preuve d’un cœur sec et d’un esprit étroit. (Lévis.)

Le chemin est toujours ouvert au repentir.
Racine.
Les tombeaux sont placés aux confins des deux mondes.
Delille.

— On trouve très-souvent à placé après un substantif : Cet homme passe les jours et les nuits dans la rage, pour quelque offense imaginaire à son honneur. (Pascal.) Toute justice est une conformité à une souveraine raison. (La Bruy.) Un honnête homme se paye par ses mains de l’application à son devoir. (La Bruy.) Son zèle et son attachement à ses intérêts. (Fén.) C’est en vain, ô homme, que vous cherchez dans vous-même le remède à vos misères. (Pasc.) Mon premier hommage à la divinité bienfaisante. (J.-J. Rouss.)

Je méditais ma fuite aux terres étrangères.
Racine.

— Il peut se mettre également après un adverbe : Toutes les natures ont été bénies en lui conformément à la promesse faite à Abraham. (Boss.) Je pense à vous, ma chère fille, préférablement à toutes choses. (MMe de Sév.) Régulus aimait la patrie exclusivement à soi. (J.-J. Rouss.) Le faux ami n’aime que relativement à son intérêt. (J.-J. Rouss.) Il se loge, il s’habille convenablement aux saisons. (Buff.)

— Peut enfin se trouver placé à la suite d’une locution prépositive : Nous sommes assez vains pour vouloir décider ce qu’est ce tout en lui-même, et ce que nous sommes par rapport à lui. (J.-J. Rouss.) Voilà mon premier doute, qu’il m’est, quant à présent ; impossible de résoudre. (J.-J. Rouss.)

Et quant à cet amour qui nous a séparés…
Racine.

à peut précéder la préposition de lorsque cette préposition est employée pour désigner une quantité vague, un nombre indéterminé : Prudemment on ne doit point s’adresser à des personnes trop puissantes, de peur de succomber sous leur crédit. (St-Evrem.)

À de plus hauts partis Rodrigue peut prétendre.
Corneille.
À des dieux mugissants l’Égypte rend hommage.
L. Racine.
Le bonheur nous expose à des dehors trompeurs.
Destouches.

— Par inversion, en poésie surtout, la prép. à se met souvent avant le verbe, l’adjectif ou le participe qui la régit : à qui sait vivre de peu les richesses sont inutiles. à de tels hommes rien ne saurait être impossible. (Acad.)

À de moindres fureurs je n’ai pas dû m’attendre.
Racine.
À vous faire périr sa cruauté s’attache.   Racine.
À quels discours malins le mariage expose !
Boileau.
Ce langage à comprendre est assez difficile.
Molière.
Mais à revoir Paris je ne dois plus prétendre.
Voltaire.
Hélas ! aux gens heureux la plainte est importune
Chénier.
Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
Doit être à tes desseins un instrument utile.
Racine.

Fonctions de à. La principale destination de la prépos. à est de marquer un rapport de tendance ou de direction vers un lieu, un terme ou un objet quelconque ; en un mot, un rapport d’attribution, et partout où on l’emploie, elle tient toujours à cette idée primitive par une analogie plus ou moins directe, plus ou moins sensible : Je voudrais aller à Paris. (MMe de Sévig.) Télémaque court à la porte par où Mentor était sorti. (Fén.) Je résolus de me rendre à Madrid comme au centre des beaux esprits, pour y former mon goût. (Le Sage.) Les grands hommes du dix-septième siècle allaient au cabaret (Chamfort.)

Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l’on m’appelle.
Boileau.
Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
La Fontaine.
Je retourne à mon poste où sans doute on m’attend.
C. Delavigne.
Le théâtre avili marche à sa décadence.
C. Delavigne.
On peut aller à la célébrité
Par mille routes différentes.

— Par extens., à s’emploie pour marquer le terme, ou le but, la fin d’une action quelconque, et se place :

1o Devant les substantifs : L’humanité n’a permis en aucun temps d’atteindre à une perfection absolue. (Fén.) Monseigneur, nous allons tous boire à la santé de votre grandeur. (Mol.) Parler aux rois avec liberté. (Fléch.) Celui qui obéit à la raison obéit à dieu. (La Harpe.) Un des premiers liens de la société est l’obéissance au magistrat. (Regnard.) Les traités entre les souverains ne sont souvent qu’une soumission à la nécessité. (Volt.) Renvoyer à des années de langueur et d’infirmités l’affaire du salut, c’est la manquer. (Mass.) Le vieillard, qui tirait à sa fin, n’eut pas sitôt vu son cher fils qu’il expira. (Le Sage.)

Nous demandons au ciel ce qu’il nous faut le moins.
Boileau.

2o Devant les infinitifs : Tous demandent à voir la maison. (La Bruy.) Quel empressement à le servir ! (Acad.) L’équité nous oblige à restituer ce qui ne nous appartient pas. (Acad.) Toute la doctrine des mœurs tend uniquement à nous rendre heureux. (Boss.) La chèvre aime à grimper sur les lieux escarpés. (Buff.) L’homme aspire à commander, à être le premier partout et toujours. (Lamennais.) Il faut quelquefois que la vérité s’abaisse à confondre même les mensonges des hommes méprisables. (Volt.) Ils s’accordaient tous à demander l’expulsion de Mazarin. (Volt.)

Le cheval aime l’homme, il aspire à lui plaire.
Rosset.

— S’emploie surtout devant le complém. indirect des verbes transitifs pour marquer le terme de l’action exprimée par le verbe : Il donne tout son bien aux pauvres. (Acad.) L’adulateur prête aux grands les vertus qui leur manquent. (Mass.) Je me suis appliqué à la sagesse. (Boss.) Nous nous adressons aux nations de la Grèce, pour avoir des secours en argent et en vaisseaux. (Barthél.)

Je ne puis m’adonner à la cajolerie.     Regnier.
À l’auteur de mes maux il faut que je m’adresse.
Racine.

à s’emploie aussi, dit l’Académie, avec des verbes qui semblent désigner un rapport tout opposé à celui de tendance, de direction vers un but, et qui expriment, au contraire, extraction, séparation, éloignement. Il paraît en effet qu’on avait fait, très-anciennement, de la préposition latine a une préposition française correspondante. Cela est suffisamment démontré par les exemples suivants, empruntés aux sermons français de saint Bernard : Apprenez à mi (de moi, par moi), ke je suys humble de cuer (cœur) ensi ke nos mansuetume et humiliteit aprengniens à nostre signor (que nous apprenions ainsi de Notre Seigneur mansuétude et humilité). Comme on le voit, c’est ici absolument l’ablatif latin. Cet emploi se retrouve dans les phrases suivantes : Arracher une dent à quelqu’un. Oter à quelqu’un ses vêtements. Se soustraire au danger, au châtiment. (Acad.) Il s’est soustrait à ma domination. (Pascal.) Que l’ancienne Rome ne vante plus ses dictateurs pris à la charrue, qui ne quittaient leur commandement que pour retourner à leur labourage. (Boss.) Il enleva trois drapeaux à l’ennemi. (Fléch.) Les Goths inondèrent l’Europe, et l’arrachèrent à l’empire romain. (Volt.) Tous les soirs on ôte aux chameaux leur charge, et on les laisse paitre en liberté. (Buff.)

Avant qu’un nœud fatal l’unit à votre frère,
Thésée avait osé la ravir à son père.     Racine.

— La prépos. à est encore susceptible de beaucoup d’autres emplois. Nous allons exposer les plus remarquables, en prenant pour guide le travail de l’Académie, qui, plus préoccupée de montrer les divers usages qu’on peut faire de cette préposition que d’en rechercher et d’en suivre la théorie analytique, a, dans une trentaine de petits groupes fort clairs et très-intelligibles pour tous, embrassé presque tous les cas où la prépos. à peut être employée.

— 1er groupe. à marquant la distance, l’intervalle : De Paris à Genève il y a tant de lieues. Être vêtu de noir de la tête aux pieds. Travailler du matin au soir. Ce changement s’opéra du jour au lendemain. (Acad.) Dire combien il y a de postes de Paris à Besançon, ou à Philipsbourg. (La Bruy.)

De l’aurore au couchant portait ses espérances…
Racine.
Que les Romains pressés de l’un à l’autre bout
Racine.

— 2ème groupe. à marquant la relation qui existe entre les personnes ou les choses : De marchand à marchand il n’y a que la main. De vous à moi. De nation à nation. Un est à deux comme deux est à quatre. Du tout au tout. Vivre de pair à compagnon. Traiter quelqu’un de Turc à More. (Acad.) Le droit des gens varie et doit varier de nation à nation. (J.-J. Rouss.) D’Homère à Théocrite, d’Eschyle à Ménandre, quelle puissance diverse d’invention ! (Villem.)

Disons-nous nos secrets de compère à compère.
Piron.

— 3ème groupe. à marquant le lieu, l’endroit, la situation, etc. : Sa maison est au faubourg St-Germain. Nous étions à la portée du canon. Se tenir à l’entrée du bois, au bord de la rivière. Être à sa place. Demeurer à Paris. Vivre au fond des forêts. Manger à l’auberge. Être au bal, au jeu, à la parade. (Acad.) Au milieu du camp est un vaste cirque environné de nombreux gradins. (Fén.) Hier matin, comme j’étais au lit, j’entendis frapper rudement à ma porte. (Montesq.)

La patrie est aux lieux où l’âme est enchaînée.
Voltaire.
La vie est un combat dont la palme est aux cieux.
C. Delavigne.
Ta place est à l’autel, et non auprès du trône.
Raynouard.

— 4ème groupe. à servant à indiquer qu’une action se passe dans un certain lieu : Prendre un bain à la rivière. Elle a passé la matinée à l’église. Sentir une douleur au côté. Avoir une blessure à l’épaule, à la cuisse. Marquer au front, à chaque arbre il cueillait un fruit. Se prendre au piège. S’arrêter à chaque pas. (Acad.) Le vin s’altère aux caves, et la chair de venaison change d’état aux saloirs. (Montaigne.) à la cour, à la ville, mêmes passions, mêmes faiblesses. (La Bruy.) Ils arrivaient à cheval, pistolets aux arçons, couteau au côté (Chateaub.) Elle me regardait d’un air attendri, et presque la larme à l’œil. (Mariv.) à chaque détour de rocher, à chaque sommet de colline où le sentier vous porte, vous trouvez un horizon nouveau. (Lamart.)

Est-ce donc pour veiller qu’on se couche à Paris ?
Boileau.
Souvent au bal, jamais dans le saint lieu.
Voltaire.
L’herbe y lasse la faux comme aux vallons humides.
Racan.
Et je crois qu’à la cour, de même qu’à la ville,
Mon flegme est philosophe autant que votre bile.
Molière.
Là, je puis à midi, sans souci du réveil,
Dormir la tête à l’ombre, et les pieds au soleil.
V. Hugo.
… Pour vous faire croire homme à bonne fortune,
Vous passez en hiver les nuits au clair de lune.
Regnard.

— 5ème groupe. à marquant le temps, l’époque, etc. : Se lever à six heures. Déjeuner à midi. Rentrer à une heure indue. Nous arrivâmes à la même heure. Je l’attends à tout moment. Il fut tué au siége de telle place. Je le ferai à mon premier loisir. On l’accueillit fort bien à son arrivée. (Acad.) à la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille. (Boss.) Le reste de la Flandre pouvait être envahi au printemps prochain. (Volt.) J’allais tous les jours dîner chez lui à trois heures. (Chateaub.) Les écureuils mettent bas au mois de mai ou au commencement de juin ; ils muent au sortir de l’hiver. (Buff.) Il se levait à deux heures après midi. (Ars. Houss.) Rivarol n’avait de l’esprit quà certaines heures. (Ars. Houss.)

Je l’ai, sans le quitter, à toute heure suivi.
Regnier.
Vous pouvez, à loisir, faire des vœux pour elle.
Racine.
À l’heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse.     La Fontaine.

— 6me groupe. à marquant une circonstance, un événement, etc. : à ma mort il héritera de cette maison. au premier coup de canon, la ville capitula. à la dernière sommation, ils se retirèrent. Partir au premier signal. On accourut à ses cris. au moindre geste, vous êtes mort. (Acad.) à l’arrivée de la reine, la persécution se ralentit. (Boss.) Presque à son entrée dans le monde, Rivarol se mit à étudier et à traduire le Dante. (Ars. Houss.) à ce discours, le peuple est accouru de toutes parts. (Chateaub.) Le cortége s’ébranla aux roulements des tambours et aux sons d’une musique lugubre. (Lamart.)

Au seul son de sa voix, la mer fuit, le ciel tremble.
Racine.
Aux accents d’Amphion les pierres se mouvaient.
Boileau.

— 7me groupe. à marquant un espace de temps, une durée : Payer au mois. Louer à l’année. Travailler à la journée. Pension à vie. Rente à perpétuité. à la vie et à la mort. à la longue, tout s’use. à toujours. à jamais. à petites journées. (Acad.) L’excès du vin dégrade l’homme et l’abrutit à la longue. (J.-J. Rouss.) Le czar s’avançait à grandes journées avec une armée de quarante mille Russes. (Volt.) Nous n’allons quà petites journées, de peur de nous fatiguer. (Le Sage.)

Il n’est encore au plus que sept heures du soir.
Regnard.
Cousin, c’est entre nous à la vie, à la mort.
C. Delavigne.
Il devait, au bout de dix ans,
Mettre son âne sur les bancs.     La Fontaine.
Oui, vous irez un jour, vrai partage du diable,
Bouillir dans les enfers à toute éternité.
Molière.

— 8me groupe. à marquant appartenance, possession : Ce livre est à ma sœur. Avoir une maison à soi. Rendez à César ce qui est à César. Il a un style, une manière à lui. C’est un homme de mérite, un ami à moi. (Acad.) Ménippe est l’oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui. (La Bruy.) Ayez soin tous deux de marcher immédiatement sur mes pas, afin qu’on voie bien que vous êtes à moi. (Molière.) Il n’inventait pas ses contes, mais il avait un style à lui. (Volt.) Sa manière est tellement à lui, que ses couplets on les trouve, on les chante partout. (Rivarol.) Je vais voir mon oncle à moi dans un village qui n’est pas loin d’ici. (Marm.) Ils eurent pouvoir de lever une bannière à eux. (Barante.) Laissez-moi monter le premier, c’est à moi l’échelle. (V. Hugo.)

Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage.
Molière.
…………Le trône est à moi ;
Et tant que je respire, il ne peut être à toi.
Racine.
………Mon moulin est à moi,
Tout aussi bien au moins que la Prusse est au roi.
Andrieux.

— Quelquefois il forme avec son complément une sorte de pléonasme qui marque encore plus énergiquement l’idée d’appartenance : C’est mon opinion, à moi. Sa manie, à lui, c’est de… Votre devoir, à tous, est de lui obéir. (Acad.) Ma folie, à moi, est d’être laboureur et architecte. (Volt.) Où commence sa puissance, à cet homme, et où finit-elle ? (Edm. Texier.)

— 9me groupe. à marquant l’espèce, la qualité, etc. : Canne à sucre. Vache à lait. Pays à pâturages. Homme à systèmes, à projets. Femme à vapeurs. Glace à la vanille. (Acad.) Les fraudes à bonne intention ne manquent pas d’approbateurs. (Port-Royal.) Toutes les femmes à grands talents n’en imposent jamais qu’aux sots. (J.-J. Rouss.) Quiconque blâme la satire est un sot à prétentions. (Gilbert.) C’est la bohémienne à la chèvre. (V. Hugo.) Les gens à châteaux ne viennent pas chez les préfets. (Balz.)

Sous l’arbre à soie et l’oranger
Dansaient les brunes Andalouses.     V. Hugo.

— 10me groupe. à marquant la forme, la structure : Clou à crochet. Table à tiroir. Lit à colonnes. Couteau à ressort. Bague à diamants. Canne à épée. Chandelier à branches. Chapeau à grands bords. Boîte à double fond. Chaise à bras. Instrument à cordes. Montre à répétition. Les animaux à quatre pieds. (Acad.) Le lieu d’assemblée est une salle à l’antique, avec une cheminée où l’on fait bon feu. (J.-J. Rouss.) Un pot à fleurs renversé. (Th. Gaut.) Ceux qui n’avaient pas d’échelle avaient des cordes à nœuds. (V. Hugo.) Dans un angle, une grande horloge à gaine et à poids dit gravement l’heure. (V. Hugo.) Un crucifix à bénitier placé dans son alcôve frappaient les regards. (Balz.) Le caveau était alors un antre enfumé semblable à l’entrée de l’Averne. Dans ce Parnasse à lanternes, Rivarol fut bientôt le plus écouté. (Ars. Houss.)

La cruche au large ventre est vide en un instant.
Boileau.
J’aurais un bon carrosse à ressort bien pliants.
Regnard.
L’ânier, qui tous les jours traversait ce gué-là,
     Sur l’âne à l’éponge monta.     La Fontaine.
L’animal à longue échine
En ferait, je m’imagine,
De grandes destructions.     La Fontaine.
Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec, emmanché d’un long cou.
La Fontaine.
Une levrette blanche, au museau de gazelle,
Au poil orné de soie, au cou de tourterelle,
À l’œil profond et doux comme un regard humain…
Lamartine.

— 11me groupe. à marquant la destination, l’usage : Terre à blé. Marché à la volaille. Moulin à farine. Cuiller à pot, à soupe, à café. Pot à l’eau. Bouteille à l’encre. Boîte à thé. Sac à ouvrage. Plat à barbe. Pierre à fusil. (Acad.) Apportez la bouteille à l’eau-de-vie. (Dider.) Il a un château, il reçoit du monde, il a une meute, ses écuries, ses chasses au cerf. (St-Marc Girardin.)

Le récit en farce en fut fait :
On l’appela le Pot au lait.     La Fontaine.

— 12me groupe. à marquant la possibilité, la convenance, etc. : Fille à marier. Maître à danser, à chanter. Bois à brûler. Tabac à fumer. Maison à vendre, à louer. Verre à boire. Table à jouer. Chambre à coucher. Fer à repasser. Pierre à aiguiser. (Acad.)

Il nous servit de guide à passer les déserts.
Racine.

— 13me groupe. à indiquant ce qui sert spécialement, ce qui est nécessaire à l’emploi d’une machine, d’un instrument : Arme à feu. Fusil à vent. Bateau, machine à vapeur. Moulin à eau, à vent. Chaise à porteurs. Instrument à vent. (Acad.) Il se battait, comme Don Quichotte, contre des moulins à vent. (Volt.) Des fenêtres du château, on apercevait un moulin à eau. (Chateaub.) Mais, monsieur, prenez-y garde ; ce sont des moulins à vent, et ce qui vous semble des bras n’est autre chose que leurs ailes. (Florian.)

— 14me groupe. à indiquant la manière d’agir, la manière d’être, etc. : Rire à gorge déployée. Crier à tue-tête. Parler à haute et intelligible voix. S’habiller à la française. S’enfuir à toutes jambes. S’avancer à grands pas. Voyager à pied et à cheval. Galoper ventre à terre. Fouler aux pieds. (Acad.) Votre procureur s’entendra avec votre partie, et vous vendra à beaux deniers comptants. (Molière.) Qui mérite mieux d’être traité à toute rigueur que celui qui a été dur et impitoyable ? (Boss.) On boit à discrétion. (J.-J. Rouss.) Le taureau s’irrite, les poursuit de près et frappe la terre à coups redoublés. (Florian). L’écureuil a un murmure à bouche fermée, un petit grognement de mécontentement qu’il fait entendre toutes les fois qu’on l’irrite. (Buff.) L’armée vivait au moyen de contributions de guerre. (Thiers.) L’être qui pense a dû naturellement tomber à genoux devant la plus haute de ses pensées. (Rivarol.) La bohémienne dansait : elle faisait tourner un tambourin à la pointe de son doigt. (V. Hugo.)

Mais, malgré ces défauts, je vous aime à la rage.
Destouches.
Enfin, il en est fou, c’est son tout, son héros ;
Il l’admire à tous coups, le cite à tous propos.
Molière.
Je m’étais introduit tantôt chez Isabelle,
Que j’aime à la fureur.                    Regnard.

— 15me groupe. à marquant l’instrument dont on se sert pour faire quelque chose : Pêcher à la ligne. Jouer à la balle. Se battre à l’épée, au pistolet. Mesurer au mètre. Dessiner à la plume. Tracer au crayon. Travailler à l’aiguille. (Acad.) On ne s’aborde quà l’arme blanche. (Lamart.) Des portraits exécutés à la sanguine, à la pierre noire et au crayon blanc. (Ste-Beuve.) Il lui envoya un cartel bien en règle, l’appelant au combat à mort, à l’épée et au poignard. (Mérim.)

— 16me groupe. à marquant la mesure, le poids, la quantité : Vendre à la livre. Acheter au cent, à la douzaine. Donner à brassées, à pleines mains. (Acad.) Les pilotis sont au nombre de six. (Chateaub.)

— 17me groupe. à marquant le prix, la valeur : Dîner à trois francs par tête. Emprunter à gros intérêts. Placer ses fonds à cinq pour cent. Les places sont à six francs. Louer un cabriolet à douze francs par jour. Vendre à bon compte. Donner une marchandise à vil prix. Vivre à peu de frais. (Acad.) Les avocats au conseil ne sont pas à bon marché par le temps qui court. (Volt.)

Au Havre, à ce prix-là, j’aurais eu deux maisons.
C. Delavigne.
C’est dans Bagnols que j’ai vu la lumière,
Au cabaret où feu mon pauvre père
À juste prix faisait noce et festin.     Chénier.

— 18me groupe. à marquant la disposition morale, l’intention : Prendre une affaire à cœur. Faire une chose à plaisir, à regret, à dessein, à cœur ouvert, à contre-cœur. Prendre une chose à bonne, à mauvaise intention. (Acad.) Un hypocrite ne donne l’aumône quà regret. (St-Evrem.) J’avais à cœur la publication de mon dernier et meilleur ouvrage. (J.-J. Rouss.)

…Tout homme à son gré peut gouverner le sort.
Duché.
Mais l’âge dans son âme a mis ce zèle ardent,
Et l’on sait qu’elle est prude à son corps défendant.
Molière.
Amour enfin, qui prit à cœur l’affaire,
Leur inspira la ruse que voici.     La Fontaine.
Je veux qu’à votre gré vous puisiez dans ma caisse,
Sans crainte, à pleines mains, sans soins de l’avenir.
Molière.

— 19me groupe. à marquant la cause : Se ruiner au jeu, à jouer. Se tuer à travailler. Mourir à la peine. Bâiller à la lecture d’un mauvais ouvrage. Prendre plaisir à quelque chose. S’endormir au murmure des eaux. S’éveiller au bruit de la tempête. Frémir à l’aspect du danger. On ne devient guère si riche à être honnêtes gens. (Mol.) Il est vieux et usé, dit un grand ; il s’est crevé à me suivre : qu’en faire ? (La Bruy.) L’homme passe sa vie à raisonner sur le passé, à se plaindre du présent, à trembler pour l’avenir. (Rivarol.) Il semblait suffoqué à ne pouvoir plus parler. (V. Hugo.)

Il se tue à rimer : que n’écrit-il en prose ?
Boileau.
Cet homme-là, ma sœur, t’aime à perdre l’esprit.
Regnard.
………Et les doctes du temps,
À les lire amusés, n’ont autre passe-temps.
Regnard.
Deux parts en fit, dont il soulait passer
L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire.
La Fontaine.

— 20me groupe. à marquant l’effet, le résultat : Vendre à perte. Blesser à mort. Courir à perdre haleine. Danser à ravir. Cela eut lieu aux applaudissements de tous. au péril de sa vie. au risque de tout perdre. (Acad.) On peut vivre longtemps en peu d’années, et acquérir une grande expérience à ses dépens. (J.-J. Rouss.)

………Ces brillants parasites
Que ma table nourrit à vous conter des riens,
Vivent à mes dépens, et lui m’oblige aux siens.
C. Delavigne.

— 21me groupe. à marquant succession, gradation, etc. : Goutte à goutte. Un à un. Brin à brin. Feuille à feuille. Démonter une pendule pièce à pièce. Compter sou à sou. Augmenter peu à peu. Se placer deux à deux, trois à trois, quatre à quatre. (Acad.) Ils venaient en robes rouges, deux à deux, par la grande porte de la cour. (St-Simon.) Il me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis. (Molière.) Nous suivons son mal jour à jour. (Mme de Sév.) L’éléphant choisit les fleurs, les cueille une à une et en fait des bouquets. (Buff.) Le corps meurt peu à peu et par parties. (Buff.) Il faut l’habiller le matin et la déshabiller le soir épingle à épingle. (Beaumarch.) Il perdait une à une les illusions que ses amis caressaient. (Balz.) Une génération s’effeuille pour ainsi dire devant nous, et tombe, homme à homme, dans l’oubli ou dans l’immortalité. (Lamart.) La versification française, avec ses alexandrins qui vont deux à deux, a peu de majesté et de mouvement. (Michelet.) Ils entrèrent un à un entre deux haies de gendarmes. (Lamart.)

Là-dessus de la pièce il m’a fait un sommaire,
Scène à scène.                    Molière.
L’hirondelle lui dit : Arrachez brin à brin
     Ce qu’a produit ce maudit grain.
La Fontaine.
À moins de démolir le château pierre à pierre,
D’assassiner le maître, on n’aura rien.   V. Hugo.
Pièce à pièce par lui quand son or est compté.
Il rêve en le prêtant aux sueurs qu’il lui coûte ;
Et c’est son propre sang qu’il verse goutte à goutte.
C. Delavigne.

— 22me groupe. à marquant correspondance exacte : Traduire mot à mot. Suivre quelqu’un pas à pas. Jouer but à but. (Acad.)

Rendez-vous le sens ? — Mot à mot.     Saurin.
J’arrive pas à pas au terme désiré.         Racine.
Ainsi s’avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos aventurières.      La Fontaine.

— 23me groupe. à marquant jonction, proximité : Face à face. Nez à nez. Bec à bec. Corps à corps. Seul à seul. Vis-à-vis. Bout à bout. Dos à dos. Côte à côte. Pied à pied. Tête à tête. (Acad.) Chaque combat fut un combat corps à corps. (Lamart.)

Eh bien ! Nous nous verrons seul à seul chez Barbin.
Molière.
À la fin, noble Cid, nous voilà face à face.
C. Delavigne.
Quoi ! l’on ne peut jamais vous parler tête à tête ;
À recevoir du monde on vous voit toujours prête.
Molière.

— 24me groupe. à marquant conformité, convenance : à sa fantaisie, à sa convenance, à sa manière, à mon choix, à votre avis. Chapeau à la mode. Habit à ma taille. Parler à son tour. Marcher à son rang. Boire à sa soif. Manger à sa faim. (Acad.) Le bien qu’il vient de faire est un peu moins su, à la vérité, mais il fait ce bien, que voudrait-il davantage ? (La Bruy.) Rivarol n’a été qu’un homme de transition ; mais, à ce titre, il a une grande valeur. (Ste-Beuve.) L’empereur Julien essaya, à l’instar du culte évangélique, d’unir la morale à la religion. (Chateaub.)

Nos aïeux à leur gré faisaient un dieu d’un homme.
Corneille.
Corneille est à la mode ; il succède à Garnier.
V. Huoo.

— 25me groupe. à marquant ce qui fournit une induction, une conjecture, etc. : à l’œuvre on connaît l’ouvrier. à ses manières on reconnaît un homme du monde. Je vis, à sa contenance, qu’il était peu rassuré. à son air triste nous pressentîmes le malheur qui lui était arrivé. (Acad.) à une grande vanité près, les héros sont faits comme les autres hommes. (La Rochef.) Plusieurs personnes le devinèrent à la bigarrure des styles, aux anachronismes, aux plagiats, au tortillage des idées et au grotesque des expressions. (Chamfort.)

À cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect.
Voltaire.

— 26me groupe. à marquant une sorte de rivalité, de concurrence : Ils dansaient à qui mieux mieux. C’est à qui ne partira point. Tirons à qui fera, à qui jouera le premier. Ils s’empressaient à qui lui plairait le plus. Disputes à qui obtiendra une faveur. (Acad.) C’est à qui l’aimera. (La Font.) C’était à qui aurait Rivarol à sa table, c’était à qui l’emmènerait à sa campagne. (Ars. Houss.)

C’est à qui de nous deux vous chérira le plus.
Étienne.
………Avec moi sans façon
Je vois que tout le monde en use :
C’est à qui tous les jours me fera la leçon.
Marmontel.

— 27me groupe. à suivi d’un infinitif, équivaut très-souvent au participe présent du même verbe précédé de en : à le voir on juge de son état. à ne considérer que telle chose… à le bien prendre. à voir les choses de sang-froid. à partir de telle époque. à l’en croire. à dire la vérité. à vrai dire. à ne rien dissimuler. à parler franchement. (Acad.) L’espérance dont le monde parle n’est autre chose, à le bien prendre, qu’une illusion agréable. (Boss.) Le sol et l’atmosphère signalent leur empire sur toutes les productions de la nature, à commencer par l’homme et à finir par les champignons. (Volt.)

Ils me soupçonneraient à me voir plus paisible.
Lafosse.
On risque à trop parler ce qu’on gagne à se taire.
C. Delavigne.
Ni mon grenier, ni mon armoire
Ne se remplit à babiller.     La Fontaine.

— On trouve à suivi de l’infinitif, avec la valeur d’une proposition circonstancielle :

Il faut avec vigueur ranger les jeunes gens,
Et nous faisons contre eux à leur être indulgents.
Molière.

C’est pour : quand nous leur sommes indulgents. Cette construction, qui paraît avoir vieilli, a été cependant imitée par quelques-uns de nos écrivains contemporains, qui n’ont pas craint qu’on leur fît le reproche de viser un peu trop à l’archaïsme :

Il est bon, il me traite avec grande douceur,
Et je serais heureuse à n’être que sa sœur.
E. Augier.

— 28me groupe. à, placé entre un substantif et un infinitif, sert fréquemment à indiquer ce qu’il est nécessaire ou convenable de faire : C’est un ouvrage à recommencer. C’est un avis à suivre. C’est une partie à remettre. C’est une affaire à accommoder. C’est une occasion à ne pas laisser échapper. C’est un homme à récompenser. (Acad.) Je me sens un cœur qui est de force à aimer toute la terre (Molière.) Les carrosses faisaient des sauts à rompre tous les ressorts. (Mme de Maintenon.) Rivarol n’a pas à se reprocher d’avoir jamais écrit autre chose que des satires. (Chamfort.) La populace de Paris et celle même de toutes les villes du royaume, ont encore bien des crimes à faire avant d’égaler les sottises de la cour. (Rivarol.) Une telle paresse est à déplorer. (Ars. Houss.) Rousseau, le citoyen de Genève, avait de l’orgueil à défrayer une aristocratie (Balzac.) Tant d’attention à plaire annonce plus de vanité que de vertu. (Joubert.)

Le corps, cette guenille, est-il d’une importance,
D’un prix à mériter seulement qu’on y pense ?
Molière.
Je n’y puis plus tenir, et la cour et la ville
Ne m’offrent rien qu’objets à m’échauffer la bile.
Molière.
Ses conseils sont à craindre, et, si vous le croyez,
Pensant fuir un écueil, souvent vous vous noyez.
Boileau.
Un peu moins de bon sens et plus de badinage :
Un homme qui disserte est un homme à noyer.
Neufchateau.
Mon cousin de Sylva, c’est une félonie
À faire du blason rayer la baronnie.   V. Hugo.

— 29me groupe. à, construit de même, désigne aussi ce qui peut être l’effet ou la suite d’un événement, etc. : C’est une affaire à vous perdre. C’est un procès à ne jamais finir. C’est une entreprise à vous faire honneur. C’est un conte à dormir debout. Il est homme à se fâcher. (Acad.)

— 30me groupe. à, placé après un verbe et devant un infinitif, peut s’expliquer par un mot sous-entendu et signifie de quoi : Verser à boire. Il n’y a pas à manger. Il ne trouve pas à s’occuper. J’ai à vous entretenir. Il y aurait à craindre. Trouver à redire. Il n’y a pas à balancer. (Acad.) J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire. (Évang.) Rivarol n’eut plus à s’inquiéter de sa cuisine. (Ars. Houss.) Si nous trouvions à redire à ce langage, ce serait plutôt à l’ironie du ton et à cet accent de dédain envers ceux mêmes qu’on défend. (Ste-Beuve.)

Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,
   Il peut le déclarer sans peur.   La Fontaine.

à et ses équivalents. La préposition à, qui peut marquer un grand nombre de rapports, trouve des équivalents dans beaucoup de mots à sens plus déterminé. Comme le fait observer l’Académie, elle paraîtra presque toujours plus vive, plus élégante, plus française, mais moins rigoureuse et moins positive que ses équivalents. On peut remarquer que ce qu’elle offre de favorable à la rapidité du tour lui a valu généralement la préférence des poëtes. Nous allons passer en revue ces équivalents, en les accompagnant de nombreux exemples.

— 1o à équivalant à après : Cet autre, dont vous voyez l’image, augmente d’année à autre de réputation. (La Bruy.) Il cueille les herbes et les fleurs, choisissant une à une. (Buff.) On les faisait sortir un à un d’une enceinte où ils étaient renfermés. (Volt.)

Si l’on voulait à chaque pas
Arrêter un conteur d’histoire…
La Fontaine.
Les oiseaux, deux à deux errants dans les bocages,
Remplissaient de chants gais les voûtes des ombrages.
Saint-Lambert.

— 2o à équival. à d’après, à cause, à raison de, etc. : à cette raison, les droits les plus sacrés s’évanouissent. (Mass.) aux yeux étincelants et inquiets du tigre, on distingue sa férocité et sa perfidie. (B. de St-P.) à mon serment l’on peut m’en croire. (Mol.)

À l’œuvre on connaît l’artisan.
La Fontaine.
Vous devez à ces mots reconnaître Pharnace.
Racine.
…………… La curiosité
Vous pourra coûter cher, aux sentiments qu’il montre.
Regnard.

— 3o à équival. à auprès de :

Votre amour contre nous allume trop de haine
Retournez, retournez à la fille d’Hélène.
Racine.
Cessez de m’arrêter. Va, retourne à ma mère,
Égine, il faut des dieux apaiser la colère.
Racine.

— 4o à équival. à avec : Fermer sa porte à la clef, au verrou. Le mystère du Rédempteur qui a retiré les hommes de la corruption du péché, pour les réconcilier à dieu en sa personne divine… (Pascal.) Fais-moi parler à ce jeune homme que tu dis qui est son fils. (La Font.) Je mets sous ses yeux un instrument à cordes. (J.-J. Rouss.) Il n’hésita pas à favoriser son évasion, au risque de se faire un dangereux ennemi. (J.-J. Rouss.) Parlons à cœur ouvert. (Régnard.) Tout le siècle ayant tourné à la littérature, on se louait, on se critiquait à outrance. (Ste-Beuve.) C’était une grande maison nouvellement bâtie sur une portion de la cour d’un vieil hôtel à jardin. (Balz.)

Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux.
La Fontaine.
Que l’on tire au billet ceux que l’on doit élire.
Boileau.
Lui-même à haute voix viendra la demander.
Racine.
Je voulais votre fille et ne part qu’à ce prix.
Racine.
Je fais à petit bruit mon chemin en douceur.
Regnard.
Je m’en serais à bon droit défié.   Lafosse.

— 5o à équival. à chez, parmi : à quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur. (La Bruy.) La dévotion vient à quelques-uns, et surtout aux femmes, comme une passion. (La Bruy.)

— 6o à équival. à comme : Si je me trompe, c’est de bonne foi ; cela suffit pour que mon erreur ne soit pas imputée à crime. (J.-J. Rouss.)

Je tiens son alliance à singulier honneur.
Molière.
Et de ma mort enfin le prenant à partie.
Racine.

— 7o à équival. à contre : à bon chat, bon rat. à bon jeu, bon argent. à trompeur, trompeur et demi. À cette partie de trictrac, nous étions six trous à douze. (Acad.)

Peut-être avant la nuit l’heureuse Bérénice
Change le nom de reine au nom d’impératrice.
Racine.
Cependant l’humble toit devient temple, et ses murs
Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs.
La Fontaine.
Pour eux un tel ouvrage est un monstre odieux,
C’est offenser les lois, c’est attaquer aux dieux.
Boileau.

— 8o à équival. à dans, en : Cet ouvrage a été fait à deux fois. (Boss.) L’homme ne sait à quel rang se mettre. (Pascal.) C’est son visage que l’on voit aux almanachs représenter le peuple. (La Bruy.) Il y a quelque chose de doux et d’aimable à cette solitude, à ce profond silence, à cette liberté. (Mme de Sév.) Dieu mit à ses actions la moralité qui les ennoblit. (J.-J. Rouss.) Quand vous vous tromperiez de même, il y aurait peu de mal à cela. (J.-J. Rouss.) Le diable lui enfonce ses griffes au cœur. (Balz.) Cet accent de dédain qui est trop naturel à Rivarol, nous le retrouvons plus tard à Chateaubriand. (Ste-Beuve.) Panckoucke lui vint offrir 50 écus pour écrire au Mercure. (Ars. Houss.)

N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde.
Malherbe.
Rome entière noyée au sang de ses enfants.
Corneille.
Son bonheur consistait aux beautés d’un jardin.
La Fontaine.
Mais je m’assure encore aux bontés de ton frère.
Racine.
Mais ma force est au Dieu dont l’intérêt me guide.
Racine.
Ne vous montrez à moi que sa tête à la main.
Racine.


Au choix de vos amis soyez lent et sévère ;
Examinez longtemps, la méprise est amère.
Royou.
……… Ces honneurs que le vulgaire admire
Réveillent-ils les morts au sein des monuments ?
Soumet.

— 9o à équival. à de : Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles ! (La Bruy.)

Je tremble à vous nommer l’ennemi qui m’opprime.
Racine.
Vous cependant tâchez avec des airs plus doux,
À mériter le choix qu’on peut faire de vous.
La Fontaine.
Le ciel s’est fait sans doute une joie inhumaine
À rassembler sur moi tous les traits de sa haine.
Racine.

Cet emploi de à a un peu vieilli.

— 10o à équival. à devant : C’est une autre qui, par mignardise, pâlit à la vue d’une souris, ou qui veut aimer les violettes et s’évanouir aux tubéreuses. (La Bruy.)

Verra-t-il à ses yeux son amante immolée ?
Racine.
……… Et faisons en ces lieux
Justice à tout le monde, à la face des dieux.
Corneille.
La meute en fait curée ; il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés.
La Fontaine.
À cette image sanglante
Il soupire nuit et jour.                    J.-B. Rousseau.

— 11o à équival. à en :

Un âne, pour le moins, instruit par la nature,
À l’instinct qui le guide obéit sans murmure ;
Ne va pas follement de sa bizarre voix
Défier aux chansons les oiseaux dans les bois.
Boileau.

— 12o à équival. à entre : Nous n’avons bu qu’environ vingt-cinq bouteilles de vin à quatre. (J.-B. Rouss.)

Car à cinq chevaliers, en nous cotisant tous,
Et ramassant écus, livres, deniers, oboles,
Nous n’avons encor pu faire que deux pistoles.
Regnard.

— 13o à équival. à envers, à l’égard de : Qu’il se trouve des hommes indifférents à la perte de leur être, et au péril d’une éternité de misère, cela n’est point naturel. (Pascal.) Il faut qu’elle nous rende raison de l’opposition que nous avons à dieu et à notre propre bien. (Pascal.) Il est sévère et inexorable à celui qui n’a pas encore fait sa fortune. (La Bruy.) Il envoie s’excuser à ses amis. (La Bruy.) Jamais peuple n’a été plus constant, plus sincère, plus commode aux étrangers. (Fén.) Ne t’avise pas d’être complaisant à ceux qui parlent mal du prochain. (Fléch.)

Je fus sourd à la brigue et crus la renommée.
Racine.
Je me sens obligée à votre honnêteté.
Regnard.
C’est conscience à ceux qui s’assurent en nous ;
Mais c’est pain bénit, certe, à des gens comme vous.
Molière.

— 14o à équival. à par : Il le fit dépouiller et saisir à ses bourreaux. (Montaigne.) Ne nous laissons pas éblouir à l’éclat des choses qui réussissent. (J.-L. Balz.) J’ai ouï condamner cette comédie à certaines gens. (Molière.) Vous vous laissez vaincre à votre malheur. (Fén.) On l’attire, On la leurre aisément par des appâts ; on la tue à milliers. (Buff.)

Tout cœur se laisse à ce charme amollir.
La Fontaine.
…Ne vous laissez pas séduire à nos bontés.
Molière.
Je me laissai conduire à cet aimable guide.
Racine
Prends, mon fils ; laisse-toi fléchir à ma prière.
A. Chénier.
Ne me préparez point la douleur éternelle
De l’avoir fait répandre à la main fraternelle.
Racine.
……… J’aurai cette faiblesse d’âme
De me laisser mener par le nez à ma femme ?
Molière.

— 15o à équival. à pour : Considérez, ô homme, quel paradoxe vous êtes à vous-même. (Pasc.) Certains philosophes ont pris à tâche d’élever l’homme. (Pasc.) Que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s’élever au-dessus de leur condition. (Mol.) Je considère quelle peine ont les personnes de mérite à approcher des grands. (La Bruy.) Ces deux hommes si vénérables furent un spectacle touchant à tant de peuples assemblés. (Fén.) Je marque de l’empressement à l’entendre. (J.-J. Rouss.) On n’en serait que plus embarrassé à imaginer la première cause de tout mouvement. (J.-J. Rouss.) Ce n’était pas assez au roi d’avoir la préfecture des dix villes libres de l’Alsace, au même titre que l’avaient eue les empereurs. (Volt.) Nous n’avions qu’une pipe à nous deux, et nous buvions dans la même coupe. (Xav. de Maist.) Il faut convenir qu’il est bien gai à un jeune gentilhomme de mystifier, pour son début, deux grandes villes comme Paris et Berlin. (Chamfort.) Quelle tache à Alexandre s’il avait fait pendre Aristoteles ! (V. Hugo.) Ce sont des bûchers tout préparés pour l’incendie et qu’une allumette suffit à enflammer. (Th. Gaut.)

Les affronts à l’honneur ne se réparent point.
Corneille.
Ils sont d’intelligence à nous sacrifier.      Racine.
Madame, à vous servir, je vais tout disposer.
Racine.


Tout est aux écoliers couchette et matelas.
La Fontaine.
Que désormais le ciel, les enfants et la terre,
Unissent leurs fureurs à nous faire la guerre !
Corneille.
Ce n’est que pour toi seul qu’elle est fière et chagrine ;
Aux autres elle est douce, agréable, badine.
Boileau.
C’est le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met toujours en courant
         Cent ans à sortir de son ombre !
V. Hugo.

— 16o à équival. à selon, suivant : C’est un homme à la mode. La terre augmente sa fécondité à proportion du nombre de ses habitants. (Fén.) S’il a le visage plus ouvert, s’il me fait moins attendre dans son antichambre quà l’ordinaire… (La Bruy.) à la première inspection, nous ne découvrons en tout cela aucune régularité, aucun ordre. (Buff.) L’assentiment intérieur s’y prêtait ou s’y refusait à différentes mesures. (J.-J. Rouss.) Non, Dieu de mon âme, je ne te reprocherai jamais de l’avoir faite à ton image. (J.-J. Rouss.) On est sûr de manger à sa faim. (Florian.)

Et je peux de mon sort disposer à mon choix.
Racine.
Thésée, à tes fureurs, connaîtra tes bontés.
Racine.
Nous le laissions mourir à sa commodité.
Regnard.
Qu’on me laisse à mon gré n’aspirer qu’à la gloire.
Piron.
Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon
          je vécusse, et non à la mienne.
La Fontaine.
          À mon avis, l’hymen et ses liens
Sont les plus grands ou des maux ou des biens.
Voltaire.

— 17o à équival. à sur : Il y a une chasse publique… le voilà à cheval. (La Bruy.) Un homme que l’on croirait à terre du moindre souffle. (La Bruy.) Les uns ont fait naufrage au promontoire de Capharée. (Fén.) Il croyait pouvoir dominer aux flots de la mer. (Boss.) Est-il monté sur la croix ? Est-il mort à ce bois infâme ? (Boss.) Le capitaine enivré colla ses lèvres ardentes à ces belles épaules africaines. (V. Hugo.)

Au cabaret ? C’est là mourir au champ d’honneur.
Regnard.
Mais, Zaïre, je puis l’attendre à son passage.
Voltaire.
L’Arabe qui se penche au cou des dromadaires.
V. Hugo.
Laissez-moi sans regrets me le représenter
Au trône où mon amour l’a forcé de monter.
Racine.
Autant qu’un homme assis au rivage des mers
Voit, d’un roc élevé, d’espace dans les airs.
Boileau.
Il lit, au front de ceux qu’un vain luxe environne,
Que la fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne.
La Fontaine.

— 18o à équival. à sous : Un vrai chrétien foule aux pieds les vanités de ce monde. (Acad.) Enfin, après seize mois de siège, Ferdinand III se rendit maître de Séville, la plus opulente ville des Maures, qui ne retourna plus à leur domination. (Volt.)

Il faut fléchir au temps sans obstination.
Molière.
La moitié de ce peuple à ses drapeaux se range.
Voltaire.
C’est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents.
***

— 19o à équival. à vers : Dans ce premier âge du monde, ils se laissèrent emporter à toutes sortes de désordres. (Pascal.) Quelles grandes démarches ne fait-on pas au despotique par cette indulgence ? (La Bruy.)

Ne peut-il à l’autel marcher que sur vos pas ?
Racine.
Je méditais ma fuite aux rives étrangères.
Racine.
Sa douleur l’entraînait aux noires solitudes.
Segrais.
Voyageurs d’un moment aux rives étrangères,
      Consolez-vous, vous êtes immortels !
Delille.

— 20o à équival. à afin de : Pourquoi se tourmenter à éclaircir ces questions, qui ne mènent à rien d’utile pour la pratique ? (J.-J. Rouss.)

Il nous servit de guide à passer les déserts.
Racine.
……… Je fais tout mon possible
À rompre de ce cœur l’attachement terrible.
Molière.

— 21o à équival. à à l’âge de : M. de Homberg avait une sœur qui fut mariée à huit ans, et mère à neuf. (Fonten.)

………… Et ce n’est pas le temps
Madame, comme on sait, d’être prude à vingt ans.
Molière.

— 22o à équival. à à la distance de : Les deux jeunes bergères assises voyaient à dix pas d’elles cinq ou six chèvres. (La Font.) On l’admire, on l’envie ; à quatre lieues de là il fait pitié. (La Bruy.) Sa vue était si courte qu’il ne voyait pas à dix pas, (Fonten.) Les Gaulois n’étaient déjà plus qu’à trois journées de Rome. (Michelet.)

À quatre pas d’ici je te le fais savoir.
Corneille.
Danser la sarabande à deux pieds des pavés.
Regnard.

— 23o à équival. à à l’intervalle de : Il se joue un jeu à cette distance infinie où il arrivera croix ou pile. (Pascal.)

Pour se venger de cette tromperie
À quelque temps de là la cigogne le prie.
La Fontaine.

— 24o à équival. à au point de, de manière à, etc. : Alors nous nous saisîmes l’un l’autre ; nous nous serrâmes à perdre la respiration. (Fén.)

Cet homme-là, ma sœur, t’aime à perdre l’esprit.
Regnard.
La curiosité qui vous presse est bien forte,
Ma mie, à nous venir écouter de la sorte.
Molière.
……… Et j’en vois qui sont faites
À pouvoir inspirer de tendres sentiments.
Molière.

— 25o à équival. à en vertu de : Jean fut régent de Bourgogne aux droits de sa femme, ainsi qu’il le déclara authentiquement. (Barante.)

— 26o à équival. à lors de, à l’heure de, au moment de : Philosophe en tout, à sa mort comme dans sa vie. (Volt.) N’espérez pas me chasser encore, comme vous fîtes à mon exil. (J.-J Rouss.)

— 27o à équival. à relativement à : La superstition est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très-folle d’une mère très-sage. (Volt.) Le goût est au jugement ce que l’honneur est à la probité. (Rivar.). Le paco est au lama ce que l’âne est au cheval. (Raynal.) Le cerveau est aux nerfs ce que la terre est aux plantes. (Buff.) La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l’esprit. (La Rochef.) Il paraît bien que Rivarol était noble, malgré toutes les plaisanteries et les quolibets qu’il eut à essuyer à ce sujet. (Ste-Beuve.)

— 28o à équival. à vis-à-vis de, en faveur de : Juif aux Juifs, Gentil aux Gentils, tout à tous, dit l’apôtre saint Paul, afin de les gagner tous. (Boss.)

— De tout ce qui précède, il ne faut pas conclure que à puisse se mettre indifféremment pour telle ou telle préposition. Chacun de ces mots a sa valeur propre, et bien qu’on puisse dire à ou de, à ou sur, à ou par, etc., dans des phrases analogues, l’emploi de l’une ou de l’autre de ces prépositions tient souvent à des distinctions, à des nuances qu’il est important de connaître. Nous allons faire voir quel est le juste emploi de à comparé à d’autres prépositions.

à et dans. à ne signifie pas dans, parce que les locutions jeter à l’eau, à la rivière ; blessure à l’épaule, à la cuisse ; être à son rang, à sa place, ne sont pas équivalentes de celles-ci : Jeter dans l’eau, dans la rivière ; blessure dans l’épaule, dans la cuisse ; être dans son rang, dans sa place. Les premières locutions désignent une idée d’aboutissement, et les secondes, une idée de capacité ou de compréhension. Cette différence résulte du caractère distinctif des prépositions à et dans, d’où l’on verra qu’il y a des locutions avec à qu’on ne peut substituer à celles qui veulent la prépos. dans. En effet, si l’épaule et la cuisse sont regardées comme des termes auxquels se rapporte une sensation, abstraction faite de la profondeur du mal, on dit : J’ai une douleur à l’épaule, une blessure à la cuisse ; mais s’il est question de la profondeur du mal, l’épaule et la cuisse deviennent des capacités, et l’on éprouve une douleur vive dans l’épaule ou dans la cuisse ; on a pu recevoir une balle dans l’épaule et dans la cuisse. Se jeter à l’eau, à la rivière, n’est point la même chose que se jeter dans l’eau, dans la rivière. Plusieurs lexicographes ont pensé que, dans l’espèce, à pouvait se mettre pour dans, parce qu’un nom de lieu peut devenir le complément de la prépos. à : Je suis à Paris est, disent-ils, pour je suis dans Paris ; d’où ils concluent que à exprime un rapport de compréhension. Cette idée de compréhension ne se déduit point de celle de à dans la locution je suis à Paris ; mais bien de celle de Paris ; on fait, au contraire, considérer Paris comme un terme d’aboutissement, un point pris dans l’espace avec des tenants et des aboutissants, un terme auquel on rapporte une situation, et non pas un lieu de telle ou telle étendue, et dans lequel on soit contenu ; c’est ce qui fait précisément la différence des locutions à Paris et dans Paris. Cela devient évident quand on veut substituer une de ces locutions à l’autre, dans le cas où leur non-synonymie est frappante. En effet, pourquoi serait-il absurde de dire d’un homme qu’il demeure dans le coin d’une rue, pour Au coin d’une rue ? parce que le coin n’est pas regardé comme occupé par la personne dont on parle, mais bien comme un terme auquel on rapporte la situation de sa maison.

à s’emploie pour désigner une demeure fixe ou passagère : Il est à Paris, il réside à Paris, il passera quelques jours à Paris, etc. Hors de là on peut employer dans : Il y a plus de quinze cent mille habitants dans Paris.

à et de. Un verre à bordeaux, un verre de bordeaux, expressions qui n’ont pas le même sens. Un verre à signifie un verre spécialement destiné à mettre, à contenir telle ou telle sorte de vin ; quand au contraire on dit un verre de, cela signifie un verre plein de : Un verre de champagne, un verre de bordeaux.

à sans antécédent. Jusqu’ici, on l’a vu, la prépos. à est toujours placée entre deux termes, dont l’un s’appelle l’antécédent et l’autre le conséquent. Ces deux termes, nécessaires à l’intégrité de la pensée, peuvent quelquefois se sous-entendre l’un ou l’autre, surtout le premier ; c’est-à-dire l’antécédent. En effet, il y a une foule de cas où, pour donner plus de rapidité à l’expression, on se contente de n’exprimer que l’idée principale, en supprimant des idées accessoires que l’esprit peut facilement suppléer. Citons les principaux cas où cette suppression a lieu.

— L’antécédent de à se supprime surtout après les interrogations : À qui devons-nous l’usage du sucre, du chocolat, etc. ? à des Indiens tout nus. (B. de St-P.)

Où le conduisez-vous ? ― à la mort ! à la gloire !
Corneille.

— Dans un danger ou un intérêt pressant, à s’emploie également sans antécédent : à moi ! au feu ! au voleur ! à l’assassin ! au secours ! aux armes !

À moi ! Girot ; je veux que mon bras m’en délivre.
Boileau.
L’enfant lui crie : Au secours ! je péris.
La Fontaine.
Charle éveillé. Charle bouillant d’ardeur,
Ne lui répond qu’en s’écriant : Aux armes !
Voltaire.

— On a dit de même, par imitation de cette tournure vive et rapide : J’entends déjà sonner le beffroi des villes et crier à l’alarme. (La Bruy.) Les ennemis des jésuites crièrent à l’arianisme. (D’Alemb.)

— L’ellipse de l’antécédent de à est surtout d’usage dans les inscriptions ayant pour objet une consécration quelconque : aux grands hommes la patrie reconnaissante. (Acad.) Ayant regardé en passant les statues de vos dieux, j’ai trouvé un autel sur lequel il est écrit : au dieu inconnu. (Actes des Apôtres.)

— L’antécédent de à se supprime généralement dans les dédicaces, les suppliques, les suscriptions de lettres : à très-illustre prince et révérendissime monseigneur Odet, cardinal de Chastillon. (Rabelais.) J’ai plusieurs lettres que je suis chargé de remettre à leurs adresses… Voyons celle-ci : « à M. Bredouillet, avocat au Parlement, rue des Mauvaises-Paroles… » Ce n’est point encore cela ; passons à l’autre : (à M. Gourmandin, chanoine de… » Ouais ! je ne trouverai point celle que je cherche ? « à M. Oronte… » (Le Sage.) Il débute par une épître dédicatoire « à M. de Cailhava de Lestandoux, président du grand musée de Paris. (Ars. Houss.)

— Cette ellipse est d’un fréquent usage, surtout en poésie et dans la prose élevée, toutes les fois qu’on fait un souhait, un vœu favorable ou défavorable, une menace, une imprécation, un appel, un avertissement : Honneur aux braves ! Gloire à Dieu ! Paix aux hommes de bonne volonté ! Honte à la bassesse et à la lâcheté ! (Acad.) Malheur à ceux qui remuent le fond d’une nation ! (Rivar.) Il y a aujourd’hui quinze siècles que ce cri, à la ville des Césars, s’est fait entendre pour la première fois. (Am. Thierry.)

à moi ! comte, deux mots.          Corneille.
Grâce aux dieux, mon malheur passe mon espérance.
Racine.
Une larme à mon fils ! à son vengeur, mon sang !
C. Delavigne.
Gloire à son ombre
Gloire et vengence à tous.
C. Delavigne.
La loi de l’univers, c’est : Malheur aux vaincus !
Eh ! malheur donc à Rome !……Saurin.

— Dans les santés, les toasts, on se contente de faire suivre à du nom de la personne à la santé de laquelle on boit, etc. : à votre santé ! à votre heureux voyage ! à ton retour ! à votre succès !

à la gloire civile ! ― au peuple ! ― au ministère !
au pays ! — Dans son toast, chacun son caractère.
C. Delavigne.

— L’ellipse est également d’usage pour désigner par l’enseigne une hôtellerie, une auberge, un magasin, etc. : au Cheval-Blanc. au Veau-qui-tette. à la Boule-d’Or. à l’Y grec. au Gagne-petit. (Acad.)

Aux Quatre-Nations ; l’auberge est assez vaste.
Delaville.

— Par une ellipse plus forte encore : Nous sommes fiche à, dix à, douze à, etc., se dit au jeu, pour Nous sommes fiche à fiche, dix à dix, douze à douze points ; nous avons chacun une fiche, dix points, douze points.

— On dit elliptiq. À demain, à ce soir, etc. :

Vers l’étoile du soir elle a levé la main,
Et s’est évanouie en disant : À demain !
C. Delavigne.

— La prép. à se supprime aujourd’hui dans un très-grand nombre de cas où on l’exprimait autrefois ; c’est ainsi qu’on ne dirait plus : Encore à ce matin ; il faut dire encore ce matin :

Encore à ce matin, je pleurais en rêvant
Au malheur inconnu qui me va poursuivant.
Mairet.

— Prov. et elliptiq. : À la vie et à la mort, Se dit pour exprimer qu’une chose, un sentiment, etc., doit durer toute la vie : Ah ! mignonne, s’écria le soldat, c’est entre nous maintenant à la vie et à la mort. (Balz.)

— Molière a fait un singulier usage de cette locution : Dis à ce Turc que je ne lui donne ces cinq cents écus ni à la mort ni à la vie.

à et au servent à former, lorsqu’ils sont joints à d’autres mots, des expressions adverbiales, prépositives ou conjonctives, dont nous n’indiquerons ici que les principales, les unes comme les autres devant être expliquées à la suite des mots qui entrent dans leur composition.

— 1o à placé devant un substantif : Il faut que la véritable religion connaisse à fond notre nature. (Pasc.) Les gens moins heureux ne rient qu’à propos. (La Bruy.) Ils vivent à l’aventure, poussés et entraînés par le vent de la faveur. (La Bruy.) Il fait déplier sa robe et la mettre à l’air. (La Bruy.) Muni de pouvoirs particuliers qu’il ne découvre quà l’extrémité. (La Bruy.) Ce progrès était plus dà moitié fait dans le cœur du libertin. (J.-J. Rouss.). Nous aimons mieux nous déterminer au hasard. (J.-J. Rouss.) Les diverses opinions qui m’avaient tour à tour entraîné. (J.-J. Rouss.) Voir deux objets à la fois, ce n’est pas voir leurs rapports, ni juger de leurs différences. (J.-J. Rouss.)

Que j’accusais à tort un discours innocent !
Racine.
Vous pouvez, à loisir, faire des vœux pour elle.
Racine.
L’amour enfin qui prit à cœur l’affaire.
La Fontaine.
Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord.
La Fontaine.

— 2o à placé devant un adjectif employé substantiv. : Il se tourne à droite, où il y a un grand monde, et à gauche, où il n’y a personne. (La Bruy.) Supposons un progrès de causes à l’infini, c’est n’en point supposer du tout. (J.-J. Rouss.)

La mort de Séleucus m’a vengée à demi.
Corneille.
Il vous donne à présent sujet de le haïr.
Corneille.
Le dieu, le secouant, jeta les œufs à bas.
La Fontaine.

— 3o à placé devant un adverbe : Ma fille à jamais abusée. (Rac.)

Soyons-nous donc au moins fidèles l’un à l’autre.
Racine.
Il n’est encore au plus que sept heures du soir.
Regnard.

à et au se mettent aussi après les prép. sauf, quant, par rapport, attenant, jusque : Sauf à recommencer. (Acad.) Voilà mon premier doute, qu’il m’est, quant à présent, impossible de résoudre. (J.-J. Rouss.)

J’ai visité l’Élide, et, laissant le Ténare,
Passé jusqu’à la mer qui vit tomber Icare.
Racine.


Gramm. L’usage de la préposition à peut donner lieu à une foule de locutions vicieuses :

— La prépos. à, dit l’Académie, exprimait autrefois, comme la prépos. de, avec une énergie qui ne s’est conservée que dans le langage familier et populaire, un rapport de possession, et, par extension, de parenté. De là des manières de parler familières et proverbiales, telles que : La barque à Caron, la vache à Colas, la boîte à Perrette, etc. Cette forme irrégulière, mais que l’usage a consacré, est encore employée par nos écrivains dans certains cas : La fille unique à M. le maire aura cinquante mille francs de rentes, et m’a déjà été proposée. (Balz.) On dit aussi : C’est un frère à moi, pour C’est un de mes frères. Dans tous les autres cas, on doit faire usage de la préposition de.

Mettre de l’eau à chauffer, du linge à sécher, des pois à tremper, etc. Provençalismes qui sont à éviter. Il faut dire : Mettre chauffer de l’eau, mettre sécher du linge, mettre tremper des pois, etc., sans préposition, et en faisant suivre immédiatement les deux verbes : J’ai mis chauffer de l’eau, mettez sécher le linge, etc.

Je suis aîné à vous et cadet à monsieur ; je suis l’ainé à mon frère ; je suis cousin à votre notaire, ce sont là autant de solécismes ; il faut dire : Je suis votre aîné et le cadet de monsieur ; je suis l’aîné de mon frère ; je suis cousin de votre notaire.

Faire une partie aux cartes, une partie aux boules, une partie au piquet, etc. Ces expressions ne sont pas correctes, il faut dire : Faire une partie de cartes, une partie de boules, une partie de piquet.

— Dans plusieurs provinces, on emploie à pour de, en disant : Je viendrai à bonne heure, il s’est levé à bonne heure ; il faut dire : Je viendrai de bonne heure, il s’est levé de bonne heure. De bonne heure est l’expression consacrée pour désigner le temps considéré au point de vue de la diligence qui fait faire les choses plutôt avant qu’après le moment convenable.

J’ai ouï dire à votre frère que… Cette phrase peut, à la rigueur, être regardée comme amphibologique, car elle peut signifier j’ai ouï dire par votre frère, ou j’ai ouï dire à votre frère par quelqu’un ; cependant l’Académie la donne comme correcte et lui fait toujours signifier j’ai ouï dire par votre frère. C’est en effet le sens qui paraît le plus naturel, et dès lors on peut dire qu’il n’y aurait vraiment amphibologie que si l’on voulait lui faire exprimer l’autre sens. En général, il serait bon d’éviter toutes les tournures analogues qui peuvent être comprises dans le sens actif ou passif : Je lui ai vu faire une aumône, je lui ai vu donner un soufflet, je lui ai entendu dire, etc. Est-ce lui qui faisait l’aumône, qui donnait le soufflet, qui disait ; ou bien est-ce à lui qu’on faisait une aumône, qu’on donnait le soufflet qu’on disait ? Rien dans la construction même de ces phrases ne peut donner la solution de cette alternative. Il est vrai que presque toujours les circonstances suffisent pour indiquer le vrai sens, et par conséquent il serait bien rigoureux de proscrire absolument ces façons de parler. Cependant, si elles peuvent être tolérées dans la conversation, dans une lettre familière, on doit s’en abstenir quand on écrit pour le public ; elles ne sont pas précisément des fautes, mais ce sont au moins des taches qui nuisent à la clarté du style.

à dix que nous étions, pas un ne refusa, telle est la phrase d’exemple donnée par l’Académie, phrase qui n’est pas correcte ; il faut dire : sur dix que nous étions, pas un ne refusa.

Sept ôtés de dix, reste à trois, est une locution vicieuse ; il faut dire Sept ôtés de dix, reste trois. à est ici tout à fait vicieux.

J’ai vu monsieur à la rue St-Louis. Il faut dire dans la rue. On n’emploie ainsi la prép. à que quand le mot rue est pris dans un sens général, comme : Cet enfant est toujours à la rue ; il ne se plaît qu’à la rue  ; nous voilà, nous sommes à la rue. Encore ce langage est-il un peu vulgaire.

Mettez cela à la poche, expression doublement fautive ; il faut dire Mettez cela dans votre poche, car en disant à la poche, on ne sait de quelle poche il est question.

Il marchait à pieds nus ; il va, il est toujours à tête nue. Cette manière de s’exprimer est incorrecte ; il faut dire simplement : Il marchait pieds nus ; il va toujours tête nue. On dit bien aller à pied, mais cela ne se dit que pour indiquer qu’on n’est point à cheval, en voiture, etc. J’ai été obligé de faire une partie du chemin à pied.

Prendre quelqu’un à grippe est un solécisme. On dit prendre quelqu’un en grippe.

Couper à morceaux, couper à tranches, est un provençalisme qu’il faut éviter ; car de même qu’on dit Couper en deux, couper en trois, on doit dire Couper en morceaux, couper en tranches.

Cet enfant sent à la rose, ce ragoût sent au brûlé. Provençalisme et solécisme tout à la fois. Il ne faut pas de prép. Sentir est toujours actif, et, quelle que soit sa signification, on doit toujours dire, Sentir quelque chose, et jamais Sentir à quelque chose. On dira donc : Il sent la rose, il sent le brûlé.

Avoir quelqu’un à la dent, provençalisme qu’on emploie pour signifier avoir de l’animosité contre quelqu’un. On dit correctement : Avoir une dent contre quelqu’un, avoir une dent de lait contre quelqu’un.

— Nous avons vu jusqu’ici les emplois vicieux qu’on peut faire de la prépos. à, montrons maintenant qu’il est des cas où l’on supprime à tort cette même préposition. On entend dire quelquefois : Il ressemble son père ; elle ressemble sa mère, au lieu de Il ressemble à son père, elle ressemble à sa mère.

à et en. Devant les noms de villes ou de villages, c’est toujours à qu’on emploie : Aller à Paris, résider à Paris, à Meudon, à Saint-Cloud, à Rouen, à Bordeaux, etc. || On se sert de en devant les noms de continents, de pays, de provinces, lorsqu’ils sont féminins : Aller, voyager en France, en Afrique, en Algérie ; résider, voyager en Angleterre, en Normandie, etc. || Si les noms de lieux sont masculins, on met à : Aller, résider au Japon, au Mexique, au Canada, au Perche, au Maine. Il y a quelques exceptions à cette règle. En effet, on dit avec en : Aller en Portugal, en Danemark, en Béarn, etc., bien que ces noms soient masculins. || Autrefois cette distinction entre à et en n’existait pas, et l’on employait à où l’usage actuel veut que l’on mette en :

L’un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l’Amérique
La Fontaine.

|| On dit encore à la Chine, mais mieux en Chine.

à la campagne, en campagne. Il faut bien se garder de confondre ces expressions, car l’usage a donné à chacune d’elles une signification différente. Voy. campagne.

à la ville, en ville. Voy. ville.

à et sur peuvent s’employer dans des cas à peu près analogues ; mais à marque une habitude générale, et se dit d’une chose qui se pratique presque toujours de la même manière. C’est ainsi qu’on dit : Aller à pied. Aller à cheval. Transporter des bagages à âne, à dos d’âne. Monter à cheval pour partir, pour s’enfuir, pour se promener. Un chien fait à pied le voyage que son maître fait à cheval ou en voiture. Mais on emploie sur lorsqu’il s’agit d’une action qui n’est pas habituelle, d’une chose qui se fait parfois et momentanément : Aller sur un âne. Être monté sur un âne. Des bateleurs qui marchent sur leurs mains. Des soldats qui transportent sur leurs bras leurs camarades blessés. Monter sur un cheval, sur une charette pour mieux voir. On accoutume un chien à marcher sur les pattes de derrière.

à et par expriment ce qui nous sert à former une induction ; mais à s’emploie de préférence quand il s’agit de signes faciles, apparents, et dont la seule inspection suffit pour en faire comprendre le sens. On juge, ou plutôt on voit à l’air d’un homme, à sa contenance, à sa voix, à sa démarche, à ses manières, qu’il est en colère. Mais c’est par qu’il faut employer quand les signes sont particuliers, accidentels, et que leur interprétation n’est pas aussi facile. On peut donc également juger qu’un homme est en colère par une contraction instantanée de sa physionomie, par un mot qui lui échappe en passant : Un magistrat habile sait découvrir, par les réponses embarrassées d’un accusé, qu’il est coupable. (Lafaye.)

À l’œuvre on connaît l’artisan.   La Fontaine.
…Je vois à votre mine
Que vous voulez dormir…
La Fontaine.
Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants
Un Dieu tel aujourd’hui qu’il fut dans tous les temps.
Racine.
Si l’on en peut juger à l’air de son visage,
Elle se plaît ici bien mieux qu’en son village.
Regnard.

à et avec s’emploient très-souvent, l’un ou l’autre, pour désigner l’instrument dont on se sert pour faire quelque chose, mais à indique plus particulièrement l’instrument dont on fait habituellement usage. C’est ainsi qu’on dit pêcher à la ligne, mesurer à l’aune, se battre à l’épée, au pistolet. Lorsque l’instrument dont on se sert n’est pas celui qu’on emploie généralement en pareil cas, il faut préférer avec ; on dira donc mesurer avec une canne, se battre avec une fourche, etc. || Cette distinction a également lieu quand à et avec indiquent la manière dont on fait une chose, ou la matière que l’on emploie. On dit : Charger un fusil à balles, un canon à mitraille ; mais on doit dire : Charger un fusil avec des pois, avec du son, avec des lingots ; charger un canon avec des pierres. Il faut donc préférer avec toutes les fois que l’instrument et la matière ne sont pas généralement employés à l’usage auquel on les fait servir, et que des raisons particulières ou extraordinaires ont dû présider à ce choix, et encore quand on veut spécifier le genre d’instrument ou la matière qu’on a dû choisir de préférence. On dira donc : Combattre avec des pistolets à piston ; se battre avec l’épée de son frère ; pêcher avec une plus longue ligne ; charger des fusils avec des balles de fer ; il chargea son fusil avec la dernière balle qui lui restait, etc. || à et avec servent aussi à marquer une certaine convenance entre les personnes ou les choses ; mais il y a cette différence entre à et avec, que à exprime une convenance générale, et avec une convenance particulière, spéciale. C’est ainsi qu’on dit : Avoir affaire à un ministre puissant ; cette garniture va bien à votre robe ; on s’accoutume au travail ; on accommode ses paroles à la circonstance ; on allie l’argent au cuivre ; ce qui a rapport à nous ; comparer Achille à un lion, etc. Mais on dit, au contraire, en faisant usage de la prép. avec : Avoir affaire avec un associé, avec des usuriers ; ces deux choses vont bien l’une avec l’autre ; on s’accoutume avec un maître impatient ; allier sa famille avec une autre par un mariage ; ce sont des vérités abstraites, et qui n’ont aucun rapport avec nous ; comparer Corneille avec Racine, etc.

à peine, avec peine. Il y a aussi une différence de signification entre ces deux expressions ; il ne faut donc pas les confondre. Voy. peine.

à et pour sont synonymes en tant qu’ils marquent tous deux la destination, l’usage des choses ; mais à exprime une destination naturelle ou habituelle : Bois à brûler, table à jouer, etc. ; pour indique une destination tout accidentelle et soumise à des circonstances passagères : Faire avec des bancs, avec des tables, des chaises, etc., du bois pour brûler ; faire avec des planches, etc., des tables pour jouer. || Ces deux prép. sont également synonymes quand il s’agit de marquer la fin, le but qu’on cherche à atteindre ; mais à s’emploie dans les phrases où le sens est général : Hercule cherchait des monstres à combattre ; et pour dans les phrases où le sens est particulier : Hercule cherchait le lion de Némée pour le combattre. || On dit de même Avoir attention à et avoir attention pour. Le premier s’emploie quand on ne veut exprimer qu’une attention ordinaire, ou même une attention superficielle, médiocre : Avoir attention à ce qu’on fait, à ce qu’on dit ; c’est un homme qui n’a attention à rien. Mais pour doit être préféré, toutes les fois qu’il s’agit d’une attention particulière, sérieuse ou constante : On découvre dans les abeilles la plus soigneuse attention pour les plaisirs de leur reine. (Buff.) Cette connaissance engage à avoir plus d’attention pour vos auteurs. (Pascal.) || Il en est de même d’une foule d’autres expressions. On dit : Avoir de la fermeté à faire quelque chose, et avoir de la fermeté pour faire une chose ; mais fermeté à est l’expression courante ou communément usitée : Une autre qualité caractérisait encore davantage Fabius, c’était une fermeté à se tenir au parti qu’il avait pris. (Rollin.) La fermeté de Votre Majesté à réprimer l’hérésie, à exterminer l’erreur, abolir le schisme… (Bourdal.) ; tandis que fermeté pour, s’emploie quand il s’agit d’une fermeté pour quelque chose de particulier : Notre roi s’est acquis beaucoup d’estime par sa fermeté pour régler les finances, pour discipliner les troupes, pour réprimer les abus. (Fén.)